Dossier « Fonction visuelle et rétine périphérique »
Revue francophone d'orthoptie 2016;9:30–34
Cas clinique
Déficit campimétrique périphérique et central : Monsieur Y. Peripheral and central campimetric deficit: Mr Y. Caroline de Montleau (Orthoptiste)a,b,c
a Service d'ophtalmologie, hôpital Hôtel-Dieu, 75004 Paris, France b Activité libérale, 214, rue du Faubourg-Saint-Martin, 75010 Paris, France c Explore vision, 75001 Paris, France
MOTS CLÉS
RÉSUMÉ Monsieur Y. présente un déficit sensoriel mixte, avec atteinte du champ visuel périphérique et central. Nous verrons les répercussions de ce type de déficit sur le quotidien, l'analyse sensorimotrice et fonctionnelle expliquant et mettant en évidence ses difficultés et les solutions envisageables répondant le mieux à ses attentes. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Déficit mixte du champ visuel Activités de la vie journalières Vision fluctuante Orientation volontaire du regard Perception visuelle Vision d'alerte Instructeur en locomotion MDPH
SUMMARY
Mr Y. shows a mixed sensory deficit, with involvement of the peripheral and central visual field. We will see the impact of such deficit in everyday life, sensorimotor and functional analysis explaining and highlighting its problems and possible solutions that best meet their expectations. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
INTRODUCTION Monsieur Y. âgé de 61 ans, marié, père de famille ayant encore des enfants à charge, ancien gérant dans une entreprise, a été licencié il y a trois ans en raison de son handicap visuel. Ce patient diabétique n'a été informé que tardivement de l'existence de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), il n'a pas pu bénéficier d'une reconversion professionnelle. Les déplacements de Monsieur Y. sont restreints, ils se limitent à son quartier et seulement en plein jour. Comme il perçoit très difficilement les marches et les trottoirs, il tâtonne. Il signale aussi que lorsqu'il arrive à un passage clouté, ne percevant pas bien les feux et les voitures, il attend qu'une autre personne traverse pour le faire. Ceci ralentit considérablement sa vitesse de déplacement et le rend tributaire des passants. L'éblouissement très important qu'il ressent ne l'aide pas non plus. Ses différentes situations de handicap ne lui permettent plus de se promener alors que la marche était son loisir le plus cher. Ses sorties se limitent au strict
nécessaire avec à chaque fois une grande appréhension mais il refuse de solliciter sa famille à chaque sortie. Par ailleurs, il ne peut plus conduire alors qu'il avait pour habitude d'emmener sa famille en voiture tous les weekends, étant le seul à pouvoir le faire, ce qui provoque aussi un impact sur la vie de son entourage. Les activités de la vie journalières sont réalisées difficilement. Il doit par moment toucher sa nourriture pour reconnaître ce qu'il a dans son assiette. D'autres activités sont abandonnées comme les courses (trouver et choisir les produits dans les rayons est devenu trop compliqué) et la cuisine où il aimait pouvoir aider sa femme. Monsieur Y. n'a jamais été un grand lecteur mais il appréciait lire le journal. Il a aussi laissé de côté l'écriture et la comptabilité qui devenaient impossible à réaliser. Il décrit de surcroît, des difficultés sur ordinateur, en particulier repérer le curseur de la souris et les différents fichiers souhaités. Ce sexagénaire, très manuel, avait plaisir à remplir ses journées de bricolages et restaurer des meubles. . . Il annonce cet abandon avec beaucoup de regrets.
KEYWORDS Mixed visual field defect Activities of daily living Fluctuating vision Voluntary orientation of the gaze Visual perception Alert Vision Instructor in locomotion MDPH
Correspondance : C. de Montleau, Activité libérale, 214, rue du Faubourg-Saint-Martin, 75010 Paris, France. Adresse e-mail :
[email protected]
http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2016.02.006 © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 30
Déficit campimétrique périphérique et central : Monsieur Y.
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En outre, il décrit une vision fluctuante dans la journée avec une baisse de vision plus importante lorsqu'il est fatigué ainsi qu'une difficulté à identifier les couleurs. Maintenant, le patient occupe principalement ses journées à écouter de la musique et faire du sport comme l'a recommandé son diabétologue. Il regrette toutes les activités qu'il ne réalise plus et met beaucoup d'espoir dans le bilan basse-vision.
BILAN ORTHOPTIQUE Au niveau sensoriel Au niveau sensoriel, il porte une correction optique progressive : OD :
0.75 ( 1.00 à 1058)
add +2.75
OG :
1.50 ( 0.25 à 1058)
add +2.75
Le champ visuel de Goldmann met en évidence un déficit sévère mixte périphérique et central majoré sur l'œil droit (Fig. 1a et b) (Fig. 2a et b). Il a une acuité visuelle en vision de loin correspondant à 1/ 40 pour l'œil droit (score égal à 7) et 2/10 faible (score égal à 53) pour l'œil gauche (testé sur échelle ETDRS à 4 m avec sa correction). Les capacités discriminatives en vision de près à 40 cm avec sa correction pour l'œil droit ne sont possibles qu'en lettres séparées correspondant au Parinaud 40 et pour l'œil gauche sur texte de Parinaud 14 (le Parinaud 10 est très lent).
Au niveau moteur Au niveau moteur, Monsieur Y. est droitier et l'œil gauche est fonctionnel. L'étude du parallélisme oculaire, met en évidence une légère exotropie de l'œil droit. Le reflet cornéen est à 4 h pour l'œil droit et semble centré pour l'œil gauche.
Figure 1. a et b : champ visuel de Goldmann de l'œil droit confronté à l'OCT maculaire.
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Figure 2. a et b : champ visuel de Goldmann de l'œil gauche confronté à l'OCT maculaire.
L'orientation volontaire du regard est perturbée (en bi-oculaire, œil gauche fixant) sur des mires toniques maculaires. La fixation est plutôt stable, la poursuite parfois saccadée et les saccades sont hypométriques selon le moment avec des mouvements de refixation surtout en oblique et sont peu endurantes (testées sur 15 allers/retours).
Au niveau fonctionnel Au niveau fonctionnel, la communication par le regard ne reste possible qu'en vision rapprochée et avec un bon éclairage. Sa perception visuelle est globalement retardée mais reste possible en fonction de la distance et de l'éclairage. L'exploration de la salle d'examen initialement inconnue se limite aux éléments bien contrastés et relativement proches. Mr Y. s'est dirigé très lentement vers sa chaise. En lui demandant
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d'explorer l'ensemble de la pièce, la détection et l'identification deviennent impossibles en vision plus éloignée. La reconnaissance des couleurs, même contrastées, (testée sur feuilles de canson) n'est pas toujours possible pendant le bilan. La localisation visuelle imprécise ralentit l'ensemble de ses gestes, en particulier la coordination oculo-manuelle en vision de près avec répercussion sur son graphisme (Fig. 3). Les capacités de lecture de ce patient testées sur du P10 à 33 cm avec sa correction sont de 38 mots/min. La vision de l'œil droit ne semble pas perturber la vitesse de lecture en bioculaire (l'occlusion de cet œil ne modifie pas la vitesse). Un essai de grossissement a été effectué pour tenter d'améliorer la vitesse de lecture et le confort du patient (en bioculaire) : Avec addition de +5.00 sur P10 (à 22 cm) : 42 mots/min ; Avec addition de +6.00 sur P10 (à 22 cm) : 39 mots/min
Déficit campimétrique périphérique et central : Monsieur Y.
Dossier « Fonction visuelle et rétine périphérique » Cas clinique En bi-oculaire, avec une loupe à main (de grossissement 3 ), il peut lire : 47 mots/min mais il trouve le grossissement trop fort et le retour à la ligne est compliqué. Sa vitesse de lecture ne permet pas une bonne compréhension du texte. Mr Y. se trouve plus confortable pendant le bilan avec sa correction de loin et une addition de +3.00.
DIAGNOSTIC ORTHOPTIQUE ET PROJET DE SOIN
Figure 3. Exercice testant les stratégies visuo-grapho-motrices et le geste visuo-guidé.
Le bilan orthoptique basse vision montre un déficit sensoriel central et périphérique (plus important sur l'œil droit) diminuant les capacités discriminatives de loin et de près, et perturbant la vision d'alerte et l'orientation volontaire du regard. La perception visuelle diminuée et retardée n'est pas toujours suffisante pour une identification correcte. Selon Collenbrander, Mr Y. présente une déficience visuelle profonde, il est en effet dans « l'incapacité à effectuer toute tâche à l'aide de la vision seule même avec des aides, il doit y associer d'autres facteurs sensoriels ». Mais selon l'OMS, il est considéré dans la 1ère catégorie, ce qui correspond à une déficience moyenne. Dans le cadre d'un déficit atteignant le champ visuel central et périphérique, les trois rôles de la vision sont touchés. La perte du champ visuel périphérique entrave la perception visuelle qui n'est plus immédiate, avec retentissement sur l'exploration visuelle. Ce qui explique bien les difficultés que Mr Y. a décrit dans ses déplacements et dans ses activités de la vie journalières. Un bilan chez un instructeur en locomotion est alors proposé pour qu'il gagne en autonomie, que ses déplacements soient
Figure 4. Champ visuel binoculaire réalisé pour compléter le dossier MDPH.
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Cas clinique plus sécurisés et qu'ils redeviennent un plaisir (par la mise en place d'une canne blanche par exemple). Une évaluation avec un AVJiste (Aide à la Vie Journalière) est discutée mais le patient n'est pas intéressé actuellement. Mr Y. aimerait de nouveau lire son journal. Son déficit campimétrique central, diminuant l'acuité visuelle et perturbant la motricité conjuguée, rend la lecture compliquée. Un essai de grossissement optique pour la lecture du journal, de filtres thérapeutiques pour diminuer l'éblouissement ressenti et de logiciels de grossissement sur ordinateur chez un opticien spécialisé a été conseillé. En parallèle, des séances de rééducation orthoptique sont préconisées pour améliorer l'orientation volontaire du regard, les stratégies oculo-lexiques, la coordination oculo-manuelle, l'exploration visuelle et les mouvements oculo-céphaliques. Cela permettra d'utiliser l'équipement optique choisi, de tenter de fluidifier la lecture et de compléter le suivi en locomotion.
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Un champ visuel binoculaire a été réalisé pour compléter le dossier MDPH (Fig. 4).
CONCLUSION Les répercussions, dans la vie quotidienne, d'un déficit sensoriel mixte (atteinte du champ visuel périphérique et central) sont donc nombreuses. Le bilan orthoptique basse vision a un intérêt certain dans ce type de déficit, il permet de noter les difficultés du patient, de les comprendre et de proposer si besoin de la rééducation. Une prise en charge pluridisciplinaire est alors souvent indispensable avec mise en place d'aides palliatives. Déclaration de liens d'intérêts L'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.