Dépression, suicide et cancer : à propos d’un cas

Dépression, suicide et cancer : à propos d’un cas

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Annales Me´dico-Psychologiques 166 (2008) 736–740 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Communicat...

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Annales Me´dico-Psychologiques 166 (2008) 736–740 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/

Communications

De´pression, suicide et cancer : a` propos d’un cas Depression, suicide and cancer: About a case C. Tollec, M. Guitteny, A. Sauvaget, J.-M. Vanelle * Poˆle universitaire de psychiatrie et d’addictologie, CHU de Nantes, CHRU Saint-Jacques, 85, rue Saint-Jacques, 44035 Nantes cedex 01, France Disponible sur Internet le 18 octobre 2008

Re´sume´ Actuellement, tre`s peu de patients atteints de cancer sont hospitalise´s en psychiatrie. Ces hospitalisations ont souvent lieu dans un contexte de crise suicidaire, comme cela a e´te´ le cas pour Mlle G., 26 ans, souffrant d’un gliome du tronc ce´re´bral. Elle a e´te´ admise a` quelques semaines d’intervalle pour deux tentatives de suicide violentes, par arme blanche et par de´fenestration. Une hyperthyroı¨die a e´te´ diagnostique´e de fac¸on ` travers l’observation de ce cas complexe, nous insistons sur l’importance de la recherche d’une de´pression associe´e, souvent fortuite. A multifactorielle, et sur la ne´cessite´ de de´pister et de prendre en charge les comorbidite´s aussi bien psychiatriques que somatiques. Dans une approche pluridisciplinaire, il s’agit de favoriser les « liaisons multiples », tant au niveau intrasubjectif pour aider le patient a` lier affect et repre´sentation, soma et psyche´, qu’au niveau intersubjectif dans ses relations avec son entourage familial, amical, professionnel et me´dicosocial. # 2008 Publie´ par Elsevier Masson SAS. Abstract Nowadays, few cancer patients are hospitalized in psychiatry. These kinds of hospitalization often occur during suicidal crisis, as it happened for Miss G., a 26-year-old patient, suffering from a cerebral primitive cancer. She was hospitalized twice within a few weeks, for two violent suicidal attempts with a depression context. The authors insist on the diagnosis of depression, of which aetiologies are often complex, and on the necessity to seek out comorbidities as endocrine disorders. # 2008 Publie´ par Elsevier Masson SAS. Mots cle´s : Cancer ; De´pression ; Suicide Keywords: Cancer; Depression; Suicide

1. Introduction Actuellement, il est tre`s peu fre´quent de rencontrer des patients atteints de cancer dans les services de psychiatrie. Ce sont habituellement des patients pour lesquels le psychiatre est appele´ dans le cadre des missions de liaison, dans les services de cance´rologie ou de me´decine, pour une symptomatologie souvent de´pressive. Nous avons rencontre´ Mlle G. lors de ses admissions en urgences. Elle a en effet e´te´ hospitalise´e, par deux fois en un

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.M. Vanelle). 0003-4487/$ – see front matter # 2008 Publie´ par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.amp.2008.09.003

mois, dans un service de psychiatrie pour deux tentatives de suicide : par arme blanche, puis par pre´cipitation. 2. Pre´sentation du cas clinique Mlle G., 26 ans, est adresse´e en juin aux urgences me´dicopsychologiques pour tentative de suicide par arme blanche. « Merci de recevoir Mlle G., 26 ans, qui pre´sente un syndrome de´pressif accompagne´ d’ide´es suicidaires et d’un geste auto-agressif ce jour : plaie par ciseaux dans la re´gion cervicale. Contexte de traitement lourd par radiothe´rapie sur une tumeur du tronc ce´re´bral. Elle ne manifeste pas de de´lire, mais de´clare avoir l’impression que tout le monde lui veut du mal. Elle se de´crit comme me´chante, inutile [. . .].

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Son e´tat s’est nettement de´grade´ depuis trois a` quatre mois, elle ne dort plus. Elle accepte de rencontrer un psychiatre. » 2.1. Ante´ce´dents personnels et familiaux Huit mois plus toˆt, une le´sion infiltrante du tronc ce´re´bral a e´te´ diagnostique´e a` l’IRM. L’examen a e´te´ re´alise´, devant une diplopie e´voluant depuis un an avec une discre`te paralysie faciale gauche, une hypoacousie depuis six mois, ainsi que des troubles de l’e´quilibre, un discret syndrome ce´re´belleux cine´tique gauche et un discret syndrome pyramidal de l’he´micorps droit. Une biopsie ce´re´brale est alors re´alise´e en janvier montrant une « tumeur protube´rantielle gliale de type astrocytaire de grade 2 avec des plages un peu douteuses en phase de transformation mais sans malignite´ ave´re´e ». Dans les suites de l’intervention apparaissent des paresthe´sies de l’he´micorps droit sans de´ficit moteur. En avril, un traitement par irradiation du tronc ce´re´bral centre´e sur la le´sion est re´alise´. L’IRM de controˆle est pre´vue en juillet. On ne retrouve pas d’ante´ce´dent psychiatrique personnel. En revanche, parmi les ante´ce´dents familiaux on retrouve :  une tentative de suicide chez la me`re de Mlle G. dans un contexte de de´pression ;  des e´pisodes de´pressifs a` re´pe´tition chez le pe`re ;  un contexte de de´pression chez la grand-me`re paternelle ;  la grand-me`re maternelle avait une pathologie thyroı¨dienne. 2.2. Mode de vie Mlle G. vit avec son ami, qu’elle connaıˆt depuis huit ans. Ils viennent d’acheter ensemble un appartement. Il existe une bonne entente dans ce couple sans enfant. Mlle G. est assistante logistique, en arreˆt de travail depuis deux semaines. Ses parents sont divorce´s depuis 15 ans. Elle a un fre`re plus jeune, une sœur plus aˆge´e. La patiente ne suit pas de traitement de fond. Elle ne consomme pas de toxique. 2.3. E´volution des symptoˆmes avant l’hospitalisation Depuis quelques mois sont apparus les symptoˆmes d’un e´tat de´pressif caracte´rise´ suite au diagnostic re´cent de gliome du tronc ce´re´bral. Mlle G. s’est alors re´fugie´e dans le travail avec un hyperactivisme notable. Un mois apre`s la fin du traitement par radiothe´rapie, elle constate des troubles de l’attention et de la concentration rendant la gestion de son travail difficile. Un arreˆt de travail est alors ne´cessaire. 2.4. A´ son admission dans le secteur Il existe une de´valorisation majeure, avec autode´pre´ciation et sentiment de culpabilite´. Elle exprime des ide´es suicidaires sans velle´ite´s retrouve´es. Elle critique son geste, exprime des regrets sans pour autant se projeter dans l’avenir.

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2.5. E´volution clinique dans le service L’e´volution clinique est rapidement favorable, quelques jours seulement apre`s l’introduction d’un traitement antide´presseur (venlafaxine 100 mg) et se´datif. Mlle G. e´voque plus facilement l’angoisse lie´e au passage d’une IRM ce´re´brale de controˆle de´but juillet. Elle fait le lien entre sa de´pression, ses proble`mes somatiques et le surinvestissement professionnel. Elle semble alors calme, apaise´e, repose´e. L’e´laboration est de bonne qualite´. L’hospitalisation est marque´e par l’apparition de vertiges et de troubles visuels. Le bilan hormonal montre une hyperthyroı¨die avec des anticorps antithyroglobulines et antithyroperoxydases augmente´s. La FSH est diminue´e, le cortisol a` huit heures est abaisse´. Il est alors suspecte´ un de´re`glement hypophysaire dans un contexte de radiothe´rapie ce´re´brale re´cente. Une consultation en endocrinologie diagnostiquera une maladie de Basedow dans un contexte d’ante´ce´dents familiaux thyroı¨diens. ` sa sortie la thymie est stable. Il n’existe plus de troubles du A sommeil. La patiente conside`re pouvoir ge´rer ses angoisses concernant sa tumeur. Elle affirme eˆtre consciente de la ne´cessite´ de se me´nager et de se pre´server. L’arreˆt de travail n’est pas prolonge´, la patiente e´tant en conge´. La patiente sort avec un antide´presseur et un hypnotique. Le suivi sera re´alise´ par le me´decin ge´ne´raliste et la psychologue du Centre re´gional de lutte contre le cancer. En re´sume´, syndrome de´pressif majeur avec geste autoagressif re´actionnel au diagnostic et traitement re´cent par radiothe´rapie d’un gliome du tronc ce´re´bral chez une patiente de 26 ans. 2.6. Nouvelle admission Moins d’un mois apre`s sa premie`re admission, Mlle G. est de nouveau admise aux urgences pour tentative de suicide par pre´cipitation dans le vide du haut d’une falaise. « Jeune femme, de 26 ans, admise a` la suite d’une tentative de suicide par pre´cipitation dans les rochers avec fracture de la teˆte radiale gauche sans traumatisme craˆnien. La patiente e´tait en vacances. Elle devait se rendre au CHU de Nantes le lendemain pour des examens concernant sa thyroı¨de, examens qu’elle appre´hendait et dont elle avait de´ja` repousse´ les rendez-vous. Elle appre´hendait e´galement une IRM qui devait avoir lieu dans trois jours. ` l’entretien la patiente est calme et coope´rante, la voix A monocorde et ralentie. La patiente critique son geste et dit eˆtre rassure´e par l’hospitalisation. Elle avait des ide´es suicidaires depuis le matin et avait pre´vu de se jeter dans les rochers. Le ve´cu de´pressif est se´ve`re avec de´valorisation. Elle a alors le sentiment de ne plus pouvoir faire face aux difficulte´s de la vie quotidienne et se sent de´passe´e par tout. Cette symptomatologie est exacerbe´e depuis la sortie de l’hoˆpital dans un contexte d’achat re´cent d’appartement avec son ami a` Nantes. Elle exprime son inquie´tude face a` l’avenir. Elle demande de l’aide et accepte l’hospitalisation. »

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´ son entre´e, la patiente exprime son regret d’eˆtre en vie. A Elle a pre´me´dite´ son geste avec un de´sir re´el de mort. Il persiste des ruminations anxieuses depuis la sortie et des ide´es suicidaires avec autoaccusations et ide´es de de´pre´ciation : « Je suis nulle, je ne vaux rien. » Il n’y a pas de critique du geste, ni de projection dans le futur. La souffrance psychique est alors tre`s intense, avec rechute du syndrome de´pressif caracte´rise´. Le sentiment d’angoisse est extreˆme, avec hostilite´ et peur d’eˆtre laisse´e seule, d’eˆtre « mise dehors ». Le comportement est inquie´tant avec de nombreux regards au plafond, un de´tachement affectif, un refus du traitement per os ne´cessitant un traitement injectable et la mise en chambre de soins intensifs. En de´but d’hospitalisation la patiente garde une angoisse massive, avec persistance d’ide´es d’incurabilite´, d’incapacite´ : « Je suis nulle, je fais du mal aux autres, je ne serai plus jamais la meˆme. » Puis, elle peut verbaliser. Elle s’en voulait de ne pas mieux re´agir face a` ce grave diagnostic et ne « pouvait aller mal », c’est pourquoi elle a voulu sortir tre`s vite, pensant que de toute fac¸on il fallait qu’elle aille bien. Elle ajoute e´galement qu’elle e´tait tre`s angoisse´e par l’achat d’un appartement. Il s’agissait d’un engagement a` long terme difficile a` assumer alors que la moindre de´marche lui e´tait pe´nible. Peu a` peu, le syndrome de´pressif s’atte´nue, le ralentissement psychomoteur disparaıˆt totalement. Elle peut alors revenir de manie`re tre`s critique sur les e´ve´nements qui se sont de´roule´s cette anne´e. Elle reconnaıˆt n’avoir finalement pas re´agi a` l’annonce du diagnostic de tumeur, s’eˆtre longtemps plonge´e a` fond dans le travail pour finalement s’e´crouler, e´puise´e, admettant son inquie´tude bien explicable. Elle quitte le service avec une prolongation de son arreˆt de travail, un traitement par antide´presseur (venlafaxine) poursuivi a` la meˆme posologie, un anxiolytique (alprazolam), en association avec un antithyroı¨dien (ne´omercazole). 2.7. Suivi de consultation En juillet, lors de la consultation neurochirurgicale, l’e´volution est stable. Sa vie quotidienne semble encore tout a` fait normale malgre´ une hypomobilite´ du voile a` gauche expliquant quelques fausses routes aux liquides. L’IRM de controˆle re´ve`le une stabilite´ de la le´sion infiltrante pontique et bulbaire pre´dominant a` gauche. En aouˆt, lors du suivi avec le psychiatre, Mlle G. accepte mieux les e´ve´nements et la parole est re´tablie avec son entourage. Elle doit prochainement reprendre son travail. Elle compte rencontrer ses colle`gues avant de reprendre son travail, leur expliquer ce qu’elle a traverse´ et mieux organiser son emploi du temps. En septembre, l’endocrinologue ne retrouve pas de signe clinique d’insuffisance hypophysaire, ni d’asthe´nie. Son poids est passe´ de 44 kg de´but juillet a` 48 kg. Les re`gles sont re´apparues mi-aouˆt (ame´norrhe´e depuis mars dernier). Concernant la maladie de Basedow, l’e´chographie thyroı¨dienne est normale, la TSH est normalise´e par le traitement par ne´omercazole.

En septembre, le psychiatre ne constate plus d’e´le´ments de´pressifs. La reprise du travail s’est faite dans de bonnes conditions. Dans ce contexte, les anxiolytiques sont arreˆte´s. Elle poursuit son traitement antide´presseur et de´bute un travail psychothe´rapique centre´ sur l’estime de soi et l’image corporelle avec un colle`gue psychiatre. 2.8. E´pilogue Mlle G. va pouvoir reprendre une vie personnelle et une activite´ professionnelle avec des horaires ame´nage´s. Un an apre`s la radiothe´rapie, elle demande le sevrage de son antide´presseur, ce qui la fragilise de nouveau. La reprise d’un traitement antide´presseur ainsi qu’un arreˆt de travail prolonge´ lui sont be´ne´fiques. Elle reprendra son travail six mois en mi-temps the´rapeutique en continuant le travail psychothe´rapique. Actuellement, elle travaille a` 80 % et envisage avec son ami d’avoir un enfant. 3. Discussion Apre`s l’annonce du diagnostic, la patiente de´crit un e´tat de side´ration qui sera suivi d’une phase de de´ni avec de´tachement affectif. Mlle G. tente alors d’e´vacuer les pense´es angoissantes qui l’assaillent ; elle met en place une strate´gie d’e´vitement, de fuite, d’oubli, de refoulement avec surinvestissement professionnel important. La prise de conscience de la re´alite´ se fait notamment par la re´flexion autour de l’achat d’un appartement et du caracte`re temporel de cet engagement : pourra-t-elle le respecter ? Il existe une grande culpabilite´ : comment accepter a posteriori un tel engagement alors que son pronostic vital est engage´ a` moyen ou long terme. Le poids de cet engagement ne devra-t-il pas eˆtre supporte´ par son ami seul si elle de´ce`de. Survivra-t-elle ? Comment survivre ? On peut constater qu’il existe un long de´lai d’environ un an entre l’apparition des premiers symptoˆmes qu’e´taient la diplopie et la paralysie faciale. Ces symptoˆmes e´taient-ils discrets a` leurs de´buts ? Quand la patiente s’en est-elle rendu compte, s’est-elle plainte, a-t-elle consulte´ ? Quelle a e´te´ la prise en charge de ces symptoˆmes handicapants sur les plans fonctionnel et esthe´tique ? Comment la patiente a-t-elle ve´cu cette atteinte de l’inte´grite´ corporelle, comment s’est-elle adapte´e ? Toutes ces questions ont pu engendrer des ruminations anxieuses et eˆtre source de culpabilite´. 3.1. Point de vue psychiatrique De`s la premie`re tentative, plusieurs facteurs de risque suicidaire sont pre´sents [5] : un syndrome de´pressif caracte´rise´ e´voluant depuis plusieurs mois avec sentiment de de´sespoir profond, de´valorisation, autode´pre´ciation, culpabilite´, difficulte´ a` se projeter dans l’avenir. Il existe des ante´ce´dents familiaux : tentative de suicide et de´pression chez la me`re, de´pression e´galement du pe`re et de la grand-me`re paternelle. Cette tentative de suicide sera un facteur de risque supple´mentaire pour la seconde.

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On retrouve e´galement des e´le´ments plus spe´cifiques aux patients atteints de cancer (risque suicidaire multiplie´ par une fois et demie a` deux fois par rapport a` la population ge´ne´rale [1,2]). Ces tentatives de suicide sont survenues dans les trois a` 12 premiers mois [8] suivant le diagnostic, dans un contexte d’e´volution symptomatique re´cente marque´e par une he´mipare´sie droite postradiothe´rapie. L’histoire de la maladie a e´te´ marque´e par l’apparition de symptoˆmes invalidants ayant pu atteindre l’image corporelle et modifier l’estime et la confiance en soi : diplopie, paralysie faciale gauche, hypoacousie, troubles de l’e´quilibre. L’atteinte corporelle s’est accompagne´e d’une perte de controˆle augmentant le risque par majoration du de´sespoir. La biopsie retrouvait une tumeur protube´rantielle gliale de type astrocytaire de grade II avec des plages un peu douteuses en phase de transformation de pronostic pe´joratif. Une biopsie d’exe´re`se n’a pas e´te´ possible, rendant le pronostic plus re´serve´ et augmentant ainsi le risque suicidaire. Nous ne connaissons pas l’information qui a alors e´te´ de´livre´e a` la patiente, ni sa compre´hension en termes de pronostic vital. Nous savons juste que Mlle G. s’est investie de fac¸on massive dans son travail car « elle ne pouvait s’effondrer ». S’agissait-il seulement d’une tentative d’adaptation ou y avait-il des de´fenses maniaques sous-jacentes la prote´geant d’un effondrement de´pressif qui aurait alors e´te´ trop douloureux ? La premie`re tentative de suicide a e´te´ re´alise´e par arme blanche. Les principaux facteurs de stress repe´re´s sont l’apparition de nouveaux symptoˆmes dans les suites de l’ope´ration ayant pu faire renaıˆtre un ve´cu angoissant, un controˆle IRM le mois suivant et l’achat d’un appartement avec son ami. L’e´volution clinique rapidement favorable a fait craindre a` ´ l’equipe soignante un virage de l’humeur sous antide´presseur dans un premier temps. La patiente e´tait alors en hyperthyroı¨die, e´tat pendant lequel on retrouve fre´quemment de´pression, anxie´te´ et manifestations thymiques. Les symptoˆmes de´pressifs ont pu pre´ce´der les manifestations somatiques de l’hyperthyroı¨die [3], de´couverte de fac¸on fortuite dans le cadre d’un bilan classique de de´pression. La pathologie thyroı¨dienne a ainsi pu complexifier le tableau. On peut garder en teˆte l’e´ventualite´ d’un virage maniaque sous antide´presseur devant les ante´ce´dents de manie, hypomanie ou troubles bipolaires qui sont plus fre´quents chez les basedowiens que dans la population ge´ne´rale [4]. A posteriori on peut e´galement e´voquer la possibilite´ d’un syndrome de Ringel qui pourrait expliquer l’ame´lioration rapide de la patiente qui, ainsi re´signe´e, aurait pu montrer des signes favorables a` sa sortie [5]. Plus troublante est la re´cidive suicidaire rapide de Mlle G. Lors de la seconde hospitalisation, on constate qu’il persistait des ide´es suicidaires avec ruminations anxieuses. Il existe alors un sentiment de de´sespoir tre`s profond avec des ide´es d’autoaccusation, incurabilite´, incapacite´. Le moyen le´tal utilise´ est tre`s violent – pre´cipitation dans le vide. Les facteurs de stress que nous connaissons e´taient identiques a` ceux de la premie`re tentative de suicide, mais l’imminence des examens pre´vus (examens thyroı¨diens qu’elle avait de´ja` repousse´s le lendemain, IRM trois jours plus tard) ainsi que la possibilite´ de re´sultats de mauvais pronostic (hyperthyroı¨die conse´quence de

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la radiothe´rapie ? E´volution de la tumeur a` l’IRM ?) ont pre´cipite´ le geste. La de´pression e´tait alors encore tre`s majeure et l’hyperthyroı¨die non traite´e. L’utilisation de moyens violents est particulie`rement inquie´tante chez cette jeune femme, comme ils le sont chez les suicidants qui pre´sentent une pathologie somatique. 3.2. Point de vue me´dical La patiente est atteinte d’une maladie de Basedow, maladie auto-immune survenant chez des patients HLA DR3 DR4. Il existe des ante´ce´dents thyroı¨diens familiaux, notamment chez la grand-me`re maternelle. La me`re a e´galement eu un bilan thyroı¨dien sans que l’on connaisse les re´sultats. Ce terrain ge´ne´tique a pu favoriser le de´veloppement de la maladie de Basedow. La de´pression de Mlle G. est tre`s probablement multifactorielle, avec intrication de facteurs ge´ne´tiques, de facteurs re´actionnels au diagnostic et au traitement par radiothe´rapie. L’hyperthyroı¨die a e´te´ un e´le´ment favorisant. Se posait e´galement la question de l’effet de la tumeur sur l’humeur et d’une re´cidive ou me´tastase tumorale, d’un trouble me´tabolique ou hydroe´lectrolytique et de la iatroge´nie, ce qui a e´te´ e´limine´. Il faut noter que sur ce terrain ge´ne´tique, les e´ve´nements de vie, qu’ils soient positifs ou ne´gatifs, sont plus fre´quents chez les patients qui vont de´velopper la maladie de Basedow [7], ce qui souligne l’interaction stress/pathologie ` long terme, ces patients souffrent de dysimmunitaire. A de´tresse psychologique chronique ne pouvant eˆtre explique´e par l’e´tat me´tabolique [6]. La maladie cance´reuse amplifie cette fragilite´. Le risque de rechute thyroı¨dienne est e´leve´ pour cette patiente en raison du niveau de de´tresse psychologique intense, du nombre d’e´ve´nements de vie stressants lie´s a` la pathologie cance´reuse, aux pre´occupations lie´es a` l’achat d’un appartement. Le traitement par anti-hyperthyroı¨diens, en comple´ment des traitements par antide´presseurs et anxiolytiques, ont duˆ favoriser l’ame´lioration du syndrome de´pressif, meˆme si le terrain reste fragile. En raison de l’intrication des diffe´rents facteurs psychologiques, psychiatriques et somatiques, un suivi multidisciplinaire s’ave`re ne´cessaire afin de limiter les risques de re´cidive suicidaire. 3.3. Point de vue psychopathologique et conse´quences the´rapeutiques La fuite dans l’agir et la dispersion e´taient de nature de´fensive : s’anesthe´sier pour ne pas ressentir les e´motions douloureuses, s’e´tourdir pour ne pas penser les se´parations et les manques. Il s’agissait pour Mlle G. de rompre avec sa tentative d’autonomisation force´e et virtuelle marque´e par un certain activisme et une hyperadaptation malgre´ le handicap et le de´veloppement de tendances addictives. Marque´e par deux tentatives de suicide successives, cette rupture s’inscrivait en re´action a` l’annonce du diagnostic de tumeur, dans une tentative de de´ni et de maıˆtrise ultime. La prise en charge de la de´tresse psychologique s’est faite sur plusieurs modes : e´coute attentive ouverte et bienveillante

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du the´rapeute apportant ainsi son soutien, contenant institutionnel permettant une re´ponse pluriconfessionnelle re´duisant les clivages, aide me´dicamenteuse adapte´e au trouble thymique et aux comorbidite´s, notamment thyroı¨diennes. Conjointement, d’autres facteurs, comme l’examen IRM rassurant, la discussion avec l’entourage familial, la prise en compte des re´alite´s du travail avec l’acceptation d’un arreˆt de travail et une adaptation de poste, ont permis a` la patiente d’influer sur sa capacite´ a` faire face de fac¸on plus adapte´e au cancer et a` ses traitements. Le diagnostic de tumeur repre´sente un ve´cu de perte pour Mlle G., perte fonctionnelle et objectale en rapport avec ce corps de´faillant, perte narcissique en lien avec l’alte´ration de l’image de soi, associe´e aux pertes du roˆle social et familial qui alimentent son ve´cu de´pressif. Lors de la seconde hospitalisation, il existe un ve´cu abandonnique : « Ne me laissez pas dehors. » Le champ des perspectives semble alors extreˆmement re´tre´ci. Ces pertes cumulatives signent en effet un processus de deuil de l’e´tat ante´rieur, souvent ide´alise´. Le roˆle du soignant a e´te´ d’aider Mlle G. a` re´ouvrir son « champ des possibles », a` de´velopper de nouveaux projets graˆce a` des remaniements et re´investissements, tout en accompagnant ce deuil. Le cancer e´tait peut-eˆtre le principal facteur de risque de la premie`re tentative de suicide. Son roˆle n’est mis en avant que dans un quart des cas en pe´riode de re´mission ou` des ante´ce´dents psychiatriques, personnels et familiaux, jouent un roˆle de´terminant. Pour la seconde, les e´ve´nements de vie sur un terrain fragilise´ peuvent expliquer le passage a` l’acte : le premier geste suicidaire n’a pas permis la mise en place de strate´gies d’adaptation suffisamment efficaces. Il persistait une appre´hension majeure avec ruminations centre´es sur les examens d’imagerie et de biologie. Le traitement de la de´pression et l’ame´lioration du statut hormonal ont sans doute pu aider la patiente a` modifier ses strate´gies d’adaptation. La prise en conside´ration des projets personnels et professionnels de la patiente participe a` sa renarcissisation et a` son autonomie au quotidien, en meˆme temps qu’elle favorise une anticipation de l’avenir. Dans ce contexte soignant de partage pluridisciplinaire, la place du psychiatre, a` l’interface du patient, des autres me´decins et des e´quipes soignantes est de favoriser des

« liaisons multiples », tant au niveau intrasubjectif pour aider le patient a` lier affect et repre´sentation, soma et psyche´, qu’au niveau intersubjectif dans ses relations avec son entourage familial, amical, professionnel et me´dicosocial. Suite a` la premie`re tentative de suicide, Mlle G. a pu eˆtre prise de vertige devant le gouffre de´pressif ou` elle risquait a` nouveau de s’abıˆmer, refusant alors la voie du changement, conditionne´e par une angoisse sans fond a` l’ide´e d’un de´centrage possible. Sa seconde tentative de suicide a pu eˆtre le facteur permettant une modification des me´canismes d’adaptation, le passage d’une position d’e´vitement a` une position de vigilance plus adapte´e, d’une position de de´ni a` une recherche de maıˆtrise. La confrontation a` la re´alite´ se fera progressivement et pourra alors engendrer une combativite´ adapte´e et donc non destructrice. Conflit d’inte´reˆt Aucun. Re´fe´rences [1] Allebeck P, Bolund C. Suicides and suicide attempts in cancer patients. Psychol Med 1991;21:979–84. [2] Allebeck P, Bolund C, Ringback G, A cohort study based on the Swedish Cancer-Environment Register. Increased suicide rate in cancer patients. J Clin Epidemiol 1989;42:611–6. [3] Boswell EB, Anfinson TJ, Nemeroff CB. Depression associated with endocrine disorders. In: Robertson MH, Katona CLE, editors. Depression and physical illness. John Wiley; 1997. p. 255–92. R. [4] Bunevicius R, Velickiene D, Prange AJ. Mood and anxiety disorders in women with treated hyperthyroidism and ophthalmopathy caused by Graves’ disease. Gen Hosp Psychiatry 2005;27:133–9. [5] Inserm. La Crise suicidaire. Confe´rence de consensus. John Libbey Eurotext;2001. [6] Scheffer C, Heckmann C, Mijic T, Rudorff KH. Chronic distress syndrome in patients with Graves’ disease. Med Klin (Munich) 2004;99:578–84. [7] Sonino N, Girelli ME, Boscaro M, Fallo F, Busnardo B, Fava GA. Life events in the pathogenesis of Graves’ disease. A controlled study. Acta Endocrinol (Copenh) 1993;128:293–6. [8] Yousaf U, Christensen ML, Engholm G, Storm HH. Suicides among Danish cancer patients 1971–1999. Br J Cancer 2005;92:995–1000.

Discussion

Dr G. Ardiet – Votre communication mentionne le syndrome de Ringel. Ma me´moire e´tant fragile, pouvez-vous en donner quelques e´le´ments ? Re´ponse du rapporteur – La description du syndrome de Ringel a e´te´ reprise dans la confe´rence de consensus de 2000 DOI of original article: 10.1016/j.amp.2008.09.003 0003-4487/$ – see front matter # 2008 Publie´ par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.amp.2008.09.004

sur « La crise suicidaire : reconnaıˆtre et prendre en charge ». C’est une attitude de retrait avec calme apparent avant le passage a` l’acte suicidaire. La diminution de la re´activite´ e´motionnelle et affective, de l’agressivite´ et le repli masquent une de´termination et une planification du passage a` l’acte.