Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 108-10 © Elsevier, Paris S0750765800001878/FLA
Cas clinique
Embolie gazeuse iatrogène après lavage chirurgical d’une plaie à l’eau oxygénée T. Loeb, G. Loubert, F. Templier, J. Pasteyer Département d’anesthésie-réanimation et samu, hôpital Raymond-Poincaré, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France
RE´SUME´ Afin de rappeler les risques du lavage des plaies au peroxyde d’hydrogène (H2O2), ou eau oxygénée, nous rapportons une nouvelle observation d’accident embolique grave lors d’une telle utilisation. Lors d’un pansement de moignon de cuisse sous anesthésie générale, 400 mL d’H2O2 étaient injectés à la seringue dans les tissus délabrés. Brutalement survenait un état de choc cardiogénique sévère, réversible en quelques minutes, rattaché à un accident embolique gazeux. Aucune séquelle n’était à déplorer. Au contact des tissus, l’H2O2 libère de l’oxygène qui, dans certaines conditions, peut passer dans le compartiment vasculaire et déterminer une embolie gazeuse. En pareil cas, l’échocardiographie et la scanographie cérébrale permettent parfois de confirmer le diagnostic, mais la seule présomption d’un tel accident doit faire mettre en œuvre sans délai le traitement symptomatique. L’oxygénothérapie hyperbare pourrait avoir un effet bénéfique. Compte tenu de la gravité potentielle des accidents secondaires au lavage des plaies à l’H2O2, son administration sous pression est contre-indiquée. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS embolie pulmonaire / embolie gazeuse / peroxyde / d’hydrogène / eau oxygénée
ABSTRACT Iatrogenic gas embolism after wound irrigation with hydrogen peroxide. The use of hydrogen peroxide (H2O2) in surgery for its antiseptic properties has been associated with life-threatening
Reçu le 29 juin 1999 ; accepté après révision le 28 octobre 1999.
complications. We report a case of severe oxygen embolism after wound irrigation with H2O2 in a 17-year-old boy undergoing surgical dressing of a large thigh trauma under general anaesthesia. During muscle lavage with 400 mL of H2O2 3%, severe shock suddenly occurred. On the basis of clinical presentation, the diagnosis of pulmonary gas embolism was strongly suspected. Symptomatic treatment initiated immediatly, restaured a normal haemodynamic state within a few minutes and the patient recovered without sequelae. The degradation of H2O2 results in considerable amounts of gaseous oxygen. One mL of H2O2 can produce in the tissues 10 mL of oxygen. This gas can enter the circulation and determine severe embolism. The treatment should be initiated without delay. The administration of H2O2 under pressure is contraindicated during surgery. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS lung embolism / gas embolism / hydrogen peroxide
L’utilisation du peroxyde d’hydrogène (H2O2) ou eau oxygénée reste fréquente en chirurgie traumatologique, bien que ses dangers soient régulièrement soulignés dans la littérature [1]. Afin de rappeler les risques du lavage des plaies avec du H2O2, nous rapportons une nouvelle observation d’accident embolique grave dans cette indication. OBSERVATION Un jeune homme, âgé de 17 ans, a été transféré dans le service de réanimation chirurgicale quatre jours après un accident de deux roues, responsable d’une amputation traumatique à mi-cuisse du membre inférieur gauche. Les masses musculaires étaient délabrées, avec d’importants décollements tissulaires qui
Embolie iatrogène d’oxygène
remontaient jusqu’à la fesse. Un pansement était réalisé sous anesthésie générale toutes les 48 heures. À j12, le cinquième pansement était réalisé au bloc opératoire. Après induction anesthésique par midazolam, propofol et sufentanil, la trachée était intubée et les poumons ventilés avec un volume courant de 400 mL à une fréquence de 18 c·min–1. L’anesthésie était entretenue par de l’isoflurane à des concentrations de 0,8 à 1 % et un mélange d’O2/N2O à 50 %. Cinquante minutes après l’induction, le chirurgien procédait au lavage d’une zone de décollement de la fesse à l’aide de seringues de 50 mL remplies d’eau oxygénée (peroxyde d’hydrogène à 3 %) injectée sous pression. Les paramètres de surveillance indiquaient : SpO2 = 99 %, PETCO2 = 43 mmHg, PI = 21 cmH2O, FC = 100 b·min–1, PA = 90/ 35 mmHg. Alors que la huitième injection était réalisée, la PETCO2 chutait à 15 mmHg, la SpO2 à 73 %, la PA était imprenable, la FC passait à 120 b·min–1 et la PI à 58 cmH2O. L’auscultation révélait des sibilants diffus dans les deux champs pulmonaires. La sonde d’intubation était perméable et les aspirations trachéales ramenaient des sécrétions mousseuses abondantes. Les pupilles étaient en myosis serré. L’intervention était arrêtée. La FIO2 était ramenée à 100 % et la ventilation assurée manuellement. Six mg d’éphédrine étaient injectés par voie intraveineuse et cinq pulvérisations de salbutamol réalisées dans la sonde d’intubation. Après quatre minutes, la SpO2, la PETCO2 et l’état hémodynamique se normalisaient (SpO2 = 98 %, PETCO2 = 36 mmHg, FC = 100 b·min–1, PA = 100/ 50 mmHg) et le bronchospasme était levé. Le patient était conduit en réanimation chirurgicale et manifestait dès son arrivée des signes de réveil. La radiographie de thorax et l’ECG étaient normaux. La trachée était extubée trois heures après l’accident. L’état neurologique et cardioventilatoire était strictement normal. Aucune investigation complémentaire n’a été entreprise. Aucune séquelle n’a été à déplorer. DISCUSSION L’H2O2 est utilisée depuis de nombreuses années en thérapeutique [2]. La survenue d’accidents lors de son utilisation en lavement comme traitement des occlusions intestinales chez le jeune enfant et son faible pouvoir antiseptique [3], en limitent aujourd’hui son indication, sous forme de solution à 3 %, à ses propriétés de détersion [4]. Au contact des tissus,
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l’H2O2 est décomposée en eau et oxygène sous l’influence d’une catalase selon l’équation 2 H2O2 → 2 H2O + O2 [5]. Ces solutions, faiblement concentrées, sont dites à 10 volumes puisque chaque mL d’H2O2 libère 10 mL d’oxygène. C’est cette production abondante d’oxygène qui, dans certaines conditions, peut être source de complications. Ainsi, les irrigations d’H2O2, notamment si elles sont réalisées sous pression dans des cavités, sont responsables d’accidents emboliques, artériels ou veineux, d’oxygène [6]. Des cas d’embolie mortelle ont même été rapportés après ingestion accidentelle d’H2O2 [7]. Toutefois, le diagnostic d’embolie gazeuse est rarement confirmé avec certitude. C’est souvent la survenue de signes cliniques, dans des circonstances médicales à risques, qui permet d’évoquer le diagnostic. Au cours d’un accident embolique, l’augmentation de l’espace mort alvéolaire entraîne une chute brutale de la PETCO2, qui survient précocement et précède habituellement les autres manifestations. La capnographie est devenue un élément fondamental de la surveillance des interventions à haut risque emboligène [8]. Les chutes du débit cardiaque, qu’elles résultent d’une altération de l’activité cardiaque ou d’une hémorragie massive, s’accompagnent aussi d’une diminution brutale de la PETCO2 [9]. Dans notre observation, des tissus délabrés étaient lavés par injection à la seringue d’importants volumes d’H2O2. Près de quatre litres d’oxygène ont été libérés dans des cavités formées par des replis musculocutanés et sont passés dans le compartiment vasculaire. La brutalité de survenue, l’effondrement de la PETCO2, l’apparition d’un choc sévère et d’une hypoxie, laissent peu de doutes sur l’origine embolique de l’accident. Les circonstances de survenue et la rapide réversibilité des événements sont en faveur d’emboles gazeux plutôt que cruoriques ou graisseux [10]. D’autres signes cliniques ont été rapportés dans la littérature : bruit de rouet à l’auscultation de l’aire cardiaque, troubles neurologiques d’expression extrêmement variable, troubles de la repolarisation à l’ECG, voire arrêts cardiaques. L’œdème pulmonaire aigu, suspecté dans notre observation, fait également partie des complications possibles d’une embolie gazeuse iatrogène [11, 12]. Il s’expliquerait par une action toxique directe sur l’endothélium pulmonaire, avec augmentation de la perméabilité capillaire [8].
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Au-delà d’arguments circonstanciels et cliniques, la preuve diagnostique formelle aurait été apportée par l’échocardiographie transthoracique ou transœsophagienne, qui aurait pu objectiver le passage de bulles [13]. Leur aspiration par un cathéter veineux central aurait été pathognomonique, tout en participant au traitement en diminuant la quantité d’oxygène embolisé. Par ailleurs, la scanographie cérébrale peut mettre en évidence des bulles dans les vaisseaux si elle est précoce ou, ultérieurement, des lésions secondaires à type de ramollissements multifocaux ou d’œdème cérébral [14, 15]. En présence de lésions neurologiques, la recherche d’un foramen ovale perméable doit être envisagée. Dans notre observation, l’évolution très rapidement favorable, l’absence de séquelles et le peu de doute sur la cause de l’accident ne nous ont pas conduit à mener ces investigations, d’autant que leur normalité n’exclut pas le diagnostic. Enfin, la radiographie pulmonaire est en général normale, en l’absence d’œdème pulmonaire. En cas de forte présomption d’accident embolique d’oxygène, un traitement spécifique doit être mis en œuvre sans attendre une hypothétique confirmation du diagnostic par des examens complémentaires. Si le traitement des accidents par embolie d’air est bien standardisé, la rareté des accidents à l’oxygène explique l’absence de certitude quant au traitement idéal [16]. Toutefois, la mise en position de Trendelenburg est recommandée pour limiter la migration cérébrale des bulles, en dépit de l’augmentation du risque de migration coronarienne [13]. Le protoxyde d’azote doit être arrêté non pas en raison du risque d’augmentation de la taille des bulles qui, contrairement aux accidents à l’air, n’existe pas avec les embolies d’oxygène, mais pour augmenter la FIO2. L’oxygénothérapie hyperbare (OHB) permettrait de diminuer la taille des bulles (P x V = constante) et pourrait en théorie avoir un effet bénéfique. Cependant, elle n’a apparemment été que très rarement mise en œuvre au cours d’accidents emboliques après utilisation d’H2O2 et son intérêt en pratique clinique reste à démontrer. Deux cas ont été rapportés, pour lesquels l’effet bénéfique de l’OHB n’a été indiscutable que chez l’un des patients [1]. Enfin, en cas d’accident cérébral certains auteurs ont proposé des thérapeutiques adjuvantes (mannitol, antiagrégeants plaquettaires, corticoïdes, contrôle strict de la glycémie) dont l’efficacité reste à prouver [11].
CONCLUSION La balance bénéfice-risque ne semble pas en faveur de l’indication du lavage des plaies au H2O2 et nous incite à contre-indiquer son utilisation. En effet, il ne doit jamais être injecté à la seringue sous pression dans des espaces clos ou des tissus délabrés. En pareil cas, la survenue d’un accident peranesthésique brutal doit immédiatement faire évoquer le diagnostic d’embolie d’oxygène et mettre en œuvre le traitement adéquat. RE´FE´RENCES 1 Saïssy JM, Guignard B, Pats B, Lenoir B, Rouvier B. Risques de l’irrigation au peroxyde d’hydrogène en chirurgie de guerre. Ann Fr Anesth Réanim 1994 ; 13 : 749-53. 2 Olim CB, Ciuti A. Meconium ileus: new method of relieving obstruction. Ann Surg 1954 ; 140 : 736. 3 Neff SPW, Zulueta L, Miller R. Hydrogen peroxide: an unusual cause of arterial and venous gas embolism. Anaesthesia 1996 ; 51 : 683-4. 4 Shaw A, Cooperman A, Fusco J. Gas embolism produced by hydrogen peroxide. N Engl J Med 1967 ; 277 : 238-41. 5 Lechat P, Lagier G, Rouveix B, Vincens M, Weber S. Médicaments utilisés par voie locale. Pharmacologie médicale. Paris : Masson ; 1982. p. 676–97. 6 Donati S, Barthélémy A, Boussuges A, Gainnier M, Ayem ML, Romanet S, et al. Embolie gazeuse grave après irrigation chirurgicale à l’eau oxygénée. Presse Med 1999 ; 28 : 173-5. 7 Cina S, Downs J, Conradi S. Hydrogen peroxide: a source of lethal oxygen embolism. Am J Forensic Med Pathol 1994 ; 15 : 44-50. 8 Schwab C, Dilworth K. Gas embolism produced by hydrogen peroxide abscess irrigation in an infant. Anaesth Intensive Care 1999 ; 27 : 418-20. 9 Chiche JD, Lamy M. Production et élimination du gaz carbonique. In: Lamy M, Scherpereel P, éd. Physiologie en anesthésiologie. Paris : Pradel ; 1995. p. 139–60. 10 Sleigh JW, Linter SPK. Hazards of hydrogen peroxide. Br Med J 1985 ; 291 : 1706. 11 Bacha S, Annane D, Gajdos P. Les embolies gazeuses iatrogènes. Presse Med 1996 ; 25 : 1466-72. 12 Timperley AJ, Bracey DJ. Cardiac arrest following the use of hydrogen peroxide during arthroplasty. J Arthroplasty 1989 ; 4 : 369-70. 13 Despond O, Fiset P. Oxygen venous embolism after the use of hydrogen peroxide during lumbar discectomy. Can J Anaesth 1997 ; 44 : 410-3. 14 Troché G, Moine P, Annane D, Jars-Guincestre MC, Sanson Y, Gajdos P. Intérêt diagnostique de la tomodensitométrie précoce dans l’embolie gazeuse cérébrale. Réanim Soins intens Med Urg 1990 ; 2 : 83-5. 15 Markthackray N, Murphy PM, Mc Lean RF, de Lacy JL. Venous air embolism accompanied by echocardiographic evidence of transpulmonary air passage. Crit Care Med 1996 ; 24 : 359-61. 16 Tovar E, Del Campo C, Borsari A, Webb R, Dell J, Weinstein P. Postoperative management of cerebral air embolism: gas physiology for surgeons. Ann Thorac Surg 1995 ; 60 : 1138-42.