Endocardite brucellienne d'6volution favorable apr6s remplacement valvulaire pr6coce Ph. Y. BAUDOUY*, P. PRIOLLET*, Ph. MENASCHE**, J.B. MICHEL*, T. LAMBERT*, P. LAGNEAU*, M. VALLETEAU DE MOULLIAC*
Regressive Brucella endocarditis after early cardiac valve replacement. Mots cl6s : Endocardite brucellienne,, remplacement valvulaire. Rev M d d interne, 1987 ; 8 : 427-429.
L'endocardite brucellienne (EB) est une maladie rare mais de mauvais pronostic malgr6 le traitement antibiotique, qui peut exceptionnellement justifier, comme dans l'observation suivante, une chirurgie pr6coce de remplacement valvulaire.
OBSERVATION Un 61eveur de moutons, alg6rien, de 55 ans, 6tait admis ~ l'h6pital Saint-Michel, le 20 aofit 1986, pour une isch6mie subaiguE f6brile du membre inf6rieur gauche. I1 n'avait pas d'autre ant6c6dent m6dical qu'un souffle cardiaque ant6rieurement connu. Ses troubles remontaient ~ plusieurs mois, marqu6s par des acc6s sudoro-algiques intermittents. En juin 1986, il se plaignit d'une douleur brutale du pied gauche, puis d'une claudication intermittente bilat6rale. D6but aofit apparaissait une tum6faction sensible mais non battante de l'aine gauche accompagn6e de frissons et de fi6vre. Le patient 6tait transfbr6 en France off l'examen constatait une pfileur, une fi6vre d6sarticul6e oscil* Hdpital Saint-MicheL 33 rue Olivier-de-Serres, 75730 Paris Cedex 15. ** Hdpital Lariboisidre, 2, rue Ambroise-Pard, 75475 Paris Cedex 10.
Tirds ~ part: P.Y. Baudouy, adresse ci-dessus.
lant entre 36°5 et 39o, des frissons et des sueurs nocturnes profuses. Le rythme cardiaque 6tait rapide, entre 90 et 110, avec de fr6quentes extrasystoles. Un double souffle systolo-diastolique d'insuffisance aortique (IA) 6tait c6t6 ~ 3/6 e mais il n'6tait remarqu6 ni syndrome p6riph6rique de fuite notable ni insuffisance cardiaque. Le creux inguinal gauche apparaissait un peu empgtt6 et sensible mais ne soufflait pas et ne montrait plus de tum6faction. Les pouls f6moraux et poplit6 droit 6taient perqus mais la poplit6e gauche et les pouls jambiers 6taient abolis. La denture du patient 6tait en mauvais 6tat (3 chicots) mais le reste de l'examen normal. L'ECG enregistrait une dissociation isoorythmique entre une tachycardie sinusale et un rythme jonctionnel actif entrecoup6e d'assez fr6quentes extrasystoles supra-ventriculaires. La silhouette cardiaque radiologique 6tait normale (rapport cardiothoracique (RCT) : 0,48). Le bilan biologique simple d6couvrait une an6mie inflammatoire ~ 9,5g. d'h6moglobine, une vitesse de s6dimentation 75/117 et une leucocyturie microscopique sans infection urinaire. L'6chocardiogramme confirmait l'existence d'une maladie orificielle aortique fuyante, si6ge de petites v6g6tations sigmoidiennes tr6s denses et peu mobiles, pr6dominant sur les valves ant6ro-droite et post6rieure, cette derni+re se prolabant 16g6rement en diastole dans la chambre de chasse. Pourtant, ~ l'6cho-doppler, la r6gurgitation n'6tait jug6e que faible ~ moyenne. Le diagnostic 6voqu6 6tait celui d'endocardite bact6rienne sur IA avec oblit6ration f6morale gauche li6e h un an6vrysme thrombos6 ou ~ une embolie septique. Apr6s pr616vement de 12 h6mocultures en 3 jours, le malade 6tait mis le 25 aofit sous 40 M de p6nicilline et 180 mg de gentamycine/j. Faute d'un effet rapide sur la fi~vre et les h6mocultures restant st6riles, le bilan biologique 6tait compl6t6 par un s6rodiagnostic de Wright, positif au 1/320 e le 27 aofit. Une EB 6tait donc suspect6e et l'association p6nicilline-gentamycine 6tait relay6e le 29 aofit par 3 g de t6tracycline et 600 mg de rifampicine/j, puis h partir Requ le 13-3-1987. Renvoi pour correction le 15-5-1987. Acceptation d6finitive le 19-6-1987.
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du 14 septembre par 200mg de doxycycline et 1200mg de rifampicine/j. Le diagnostic 6tait confirm6 par une rapide d6fervescence et par la positivit6 retard6e ~ la 3e semaine des 12 b6mocultures ~ Brucella melitensis biotype 2. Une artbriographie r6alis6e secondairement montrait une triple oblit6ration, fortement 6vocatrice d'embolies art6rielles multiples, de la f6morale commune gauche, de la p6roni6re droite ~ son origine et de la tibiale post6rieure droite fi 10 cm au-dessus de la mall6ole. Le 19 septembre, apr6s 19 jours d'apyr6xie, le patient subissait une thrombo-endarteriectomie du tr6pied f6moral gauche, si6ge d'un important remaniement inflammatoire local, et une angioplastie d'accolement de la f6morale profonde dont l'ostium 6tait quasiment rompu. Le mat6riel pr61ev6 restait st6rile, mais contenait histologiquement des d6bris bacillaires affirmant la nature septique de l'embolie. Les suites de cette intervention 6taient simples et les deux pouls jambiers distaux de nouveau per~us. Par la suite, son 6tat g6n6ral s'am61iorait, l'apyr6xie persistait au prix de 2 ou 3 d6calages thermiques vesp6raux h 38 o. La leucocyturie microscopique disparalssait, le titre du s6ro-diagnostic de Wright diminuait (l/160e le 29/9) mais un important syndrome inflammatoire demeurait avec une an6mie ~i 8,5 g. Parall61ement, I'IA se majorait : le souffle diastolique s'intensifiait, un syndrome p6riph6rique de fuite apparaissait (diastolique h 4 cm Hg), et, si l'aspect 6chographique des sigmoi'des ne variait gu6re, le signal de r6gurgitation aortique au doppler puls6 6tait perqu jusqu'~ la pointe du ventricule gauche. Pourtant, le volume cardiaque radiologique augmentait peu (RCT: 0,52) et aucun signe d'insuffisance ventriculaire gauche n'apparaissait. Les troubles du rythme jonctionnels n'6taient pas contr616s par la digoxine seule mais nettement r6duits par l'association digoxine-amiodarone. Finalement l'augmentation de I'IA, son caract6re embolig6ne, la persistance des troubles du rythme et d'un syndrome inflammatoire biologique durable malgr6 6 semaines d'antibioth6rapie adapt6e, faisaient craindre une 6volutivit6 infectieuse des 16sions et conduisaient avant d6t6rioration h6modynamique, ~ une intervention pr6coce, le 16/10/86. Le chirurgien (docteur M6nasch6) d6couvrait de petites v6g6tations sur les valves non coronaire et coronaire droite. L'appareil valvulaire 6tait globalement tr~s remani6: le tissu valvulaire 6tait friable, aminci, succulent; la valve coronaire droite pr6sentait une perforation ponctiforme; une importante mutilation de la commissure entre les valves non coronaire et coronaire droite s'accompagnait d'une 6bauche de dissection borgne de l'anneau et d'un aspect tr6s infiammatoire de la paroi aortique, pratiquement en voie de fistulisation dans l'oreillette droite. Apr6s r6section de cet appareil valvulaire, une valve de Starr n o9 6tait raise en place. Au niveau de la valve non coronaire, la disparition corn-
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pl6te de toute structure d'appui imposait la r6alisation de points transfixiants & travers la paroi aortique amarr6s sur attelles de t6flon. Les d6bris valvulaires ne pouss6rent pas mais leur analyse histologique confirmait l'existence d'une endocardite aiguE avec pr6sence de d6bris bacillaires. Les suites op6ratoires 6taient parfaitement simples : pas de dysfonction de proth6se, aucun signe d'insuffisance cardiaque, apyr6xie persistante sous rifampicine-doxycycline, r6duction de la positivit6 du s6rodiagnostic de Wright h 1/80 e le 27 octobre, r6duction du syndrome inflammatoire et de l'an6mie (VS ~ 46/90, h6moglobine h 11,6 g le 6 novembre). Le 15 d6cembre la rifampicine, la doxycycline et I'amiodarone 6talent interrompus. Le patient 6tait revu apyr6tique et en excellent 6tat cardio-vasculaire le 15 f6vrier 1987 sous seul traitement anticoagulant.
DISCUSSION
L'endocardite complique moins de 0,5 p. 100 des brucelloses aiguEs (1, 2) et ne repr6sente qu'un faible pourcentage des endocardites bact6riennes (2 des 189 patients de Bastin et coll. (3)). C'est donc une infection rare dont Est~ve en 1977 (6) n'a collig6 que 79 observations. Mais c'est une maladie toujours grave, particuli~rement lorsqu'elle s'int~gre dans un tableau de brucellose poly-visc6rale maligne. ~ Principale cause de mort, au cours de cette affection r6put6e b6nigne ~ (4), l'endocardite est retrouv6e chez 80 p. 100 des sujets d6c6d6s de brucellose (5). En France, le germe le plus souvent en cause est, comme dans notre observation, B. Melitensis (6). B. Abortus serait plus fr6quent aux USA et en GrandeBretagne, se grefferait plus volontiers sur des valvulopathies anciennes, et pourrait 8tre responsable d'endocardites plus graves, notion cependant contest6e par Tejero-Lamarca et coll. (7). La pr6dominance masculine de la maladie ne serait que le reflet de l'exposition professionnelle des patients (8), 6vidente dans notre cas. L'EB se grefferait souvent sur une 16sion valvulaire ant6rieure (5), que celle-ci soit acquise ou cong6nitale (9), ou sur une proth~se (10, 11). L'oririce aortique -- et surtout sa'~sigmoi'de post6rieure (4) -- est plus souvent atteint que l'orifice mitral. Anatomiquement, I'E.B. r6alise une forme ulc6ro-v6g6tante et d61abrante particuli~rement s6v6re. Les 16sions associent v6g6tations, perforations, calcifications (4, 5) et plus rarement abc6s, an6vrysmes et communications anormales au contact des valves infect6es (5, 10). Une myocardite serait histologiquement fr6quente (7) mais l'atteinte p6ricardique semble exceptionnelle. Cliniquement, le d61ai d'apparition de l'atteinte cardiaque est variable, mais en r6gle retard6e, en
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Endocardite brucellienne
moyenne de 28 semaines pour Cohen et coll. (12). Le tableau clinique, quoique parfois trompeur (4), est habituellement celui d'une septic6mie tr6s f6brile rebelle aux antibiotiques, se compliquant souvent d'une insuffisance cardiaque (2), d'une insuffisance r6nale avec h6maturie microscopique (2, 4) et parfois d'une C I V D avec syndrome h6morragique, apanage des formes malignes (3, 4, 8). Les embolies syst6miques sont fr6quentes [29 des 35 cas de Peery et Belter (5)] et assez 6vocatrices de la maladie, qu'il s'agisse de microembolies distales, ou, comme dans notre observation, d'embolies proximales responsables d'isch6mies aigu~s des membres (3, 9). Enfin, si des troubles du rythme sont souvent not6s dans la litt6rature (4), leur diagnostic 61ectro-cardiographique est rarement pr6cis6. La tachycardie jonctionnelle subintrante que nous avons pu documenter par ECG et Holters r6p6t6s chez notre malade, nous a fait 6voquer une atteinte anatomique ou inflammatoire de la jonction auriculo-ventriculaire contigu~ ~. l'anneau aortique. Le traitement m6dical comporte toujours une t6tracycline -- de pr6f6rence la doxycycline -laquelle est maintenant syst6matiquement associ6e
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la rifampicine (13). Le traitement doit 6tre tr+s prolong6, plusieurs mois pour la plupart des auteurs, et au moins deux mois apr+s l'intervention en cas de chirurgie (9). Le traitement chirurgical, bien que rarement rapport6 dans la" litt6rature depuis l'observation de Wolff et coll. (14), doit 6tre maintenant consid6r6 comme une arme th6rapeutique essentielle ~. envisager dans trois circonstances : apr6s st6rilisation de l'infection pour des raisons h6modynamiques. I1 s'agit d'un remplacement valvulaire (9), exceptionnellement d'une commissurotomie (15); -- en p~riode 6volutive, pour extraire un foyer septique e t / o u embolique (8, 14, 16) ; -- sur proth+se, le remplacement de la proth6se pouvant se faire ~ chaud (11) ou b, froid. -
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L'endocardite brucellienne est une complication rare mais grave de la brucellose aigu~. Malgr6 le traitement antibiotique associant doxycycline-rifampicine, la persistance de l'infection, des embolies syst6miques b. r6p6tition ou une d6t6rioration h~modynamique peuvent justifier une chirurgie valvulaire pr6coce.
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