Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 59 (2010) 44–47
Fait clinique
Endocardites infectieuses récidivantes : à propos d’une observation d’endocardite récidivante à streptocoque Recurrent infective endocarditis. A case report R. Poyet ∗ , S. Kerebel , F. Pons , G.R. Cellarier , C. Bouchiat , C. Jego , P. Laurent , R. Carlioz Service de cardiologie et maladies vasculaires, hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne, boulevard Sainte-Anne, 83800 Armées, France Rec¸u le 20 juin 2008 ; accepté le 13 juillet 2008 Disponible sur Internet le 4 septembre 2008
Résumé Nous rapportons l’observation d’un patient de 63 ans ayant présenté cinq endocardites infectieuses en 13 ans, à streptocoques de types différents et pour lesquelles aucune porte d’entrée n’avait pu être retrouvée jusqu’alors. La dernière récidive, à streptocoque oral, survenant sur bioprothèse mitro-aortique, conduit au diagnostic d’adénocarcinome cæcal grâce à la coloscopie orientée par le PET-scanner. Il s’agit très vraisemblablement de la porte d’entrée initiale, méconnue jusqu’alors du fait de la petite taille du polype initial et de sa localisation particulière difficilement visualisable en coloscopie. Les endocardites infectieuses récidivantes à streptocoques sont rares, graves et incitent à rechercher de fac¸on exhaustive une porte d’entrée digestive. Dans les cas de tumeurs du grêle ou coliques difficilement accessibles à l’endoscopie, le PET-scanner peut orienter l’enquête étiologique. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract We report the case of a 63-year old patient presenting five infective endocarditis (IE) in a 13-years period, with different types of streptococcus. No entrance way had been found until the last relapse occurring on mitro-aortic bioprothesis. This reccurence leads to the diagnosis of caecal adenocarcinoma by coloscopy, preceded and guided by PET scanner. It seems to be the initial entrance way which had been unrecognized because of its small size and its particular location, that is very difficult to observe by coloscopy. Recurrent streptopcoccus IE are rare and severe. When a gut or colic tumor is suspected, PET scan seems to be helpful in etiological survey. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Endocardite infectieuse ; Récidive ; Streptocoque Keywords: Infective endocarditis; Recurrence; Streptococcus
Les endocardites infectieuses (EI) récidivantes à streptocoques de type différents sont extrêmement rares. Leur survenue incite à rechercher de fac¸on particulièrement exhaustive une porte d’entrée, notamment colique. Nous rapportons l’observation d’un patient de 64 ans ayant présenté cinq EI en l’espace de 13 ans, aucune porte d’entrée n’étant retrouvée pour les quatre premiers épisodes. La dernière récidive conduit au diagnostic d’adénocarcinome cæcal, évoqué par le PET-scanner et confirmé par l’endoscopie orientée.
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (R. Poyet).
0003-3928/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ancard.2008.07.002
1. Observation M. V., 64 ans est hospitalisé en juillet 2007 pour un tableau d’altération fébrile de l’état général évoluant depuis quelques semaines. Il ne décrit aucun signe fonctionnel digestif. Dans ses antécédents, on note une première EI mitrale à Streptococcus bovis méthi-S en juillet 1994 traitée médicalement, une deuxième EI mitrale à S. oralis méthi-S en novembre 1995 traitée médicalement et une troisième EI mitro-aortique à Enterococcus faecalis méthi-S en juin 2001, récidivant en octobre 2002, malgré un traitement médical adapté bien conduit. La constatation d’une insuffisance aortique et d’une insuffisance mitrale sévères conduit à proposer un double remplacement valvulaire
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Fig. 1. TEP scanner : projections tridimensionnelles à 0◦ .
avec mise en place de deux prothèses mécaniques. La culture des valves retrouve l’E. faecalis identifié lors de la troisième EI. La recherche d’une porte d’entrée a été négative à chaque fois, tant sur le plan bucco-dentaire que digestif (coloscopies considérées normales en 1994, 2001 et 2002). À son admission, M. V. est fébrile à 38,5 ◦ C, avec perte de 4 kg en cinq semaines. Il n’y a pas de signe d’insuffisance cardiaque et l’auscultation cardiaque ne retrouve pas de souffle surajouté aux bruits de prothèse. Le reste de l’examen cli-
nique, en particulier digestif, est normal. La cavité buccale est soignée. L’échographie trans-thoracique retrouve un ventricule gauche normokinétique, modérément dilaté et non hypertrophié. Il existe une végétation mobile de 13 × 6 mm appendue à l’anneau mitral et confirmée par échographie transœsophagienne, avec fuite transprothétique minime. Les autres valves sont normales et il n’y a pas d’argument pour un abcès annulaire ni pour une désinsertion.
Fig. 2. TEP scanner : images triangulées en coupes transverses, sagittales et coronales TEP seul, TDM seul et images de fusion (TEP + TDM) (de haut en bas).
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Il existe un discret syndrome biologique inflammatoire avec hémogramme normal, CRP = 23 mg/L (N < 10), fibrinogène = 6 g/L (N < 4,5). Quatre hémocultures sur six sont positives à S. mitis, méthi-S. L’association de deux critères majeurs de la Duke University [1] (hémocultures positives et végétation) permet de poser le diagnostic d’endocardite infectieuse. Une nouvelle recherche de porte d’entrée est réalisée, comprenant un examen stomatologique et ORL spécialisés avec radiographie des sinus et panoramique dentaire, ainsi qu’un scanner thoraco-abdomino-pelvien et une échographie abdominale : tout ce bilan est normal. Nous le complétons par un PETscanner qui retient une fixation du D-Fluoro-Glucose (FDG) au niveau cæcal (Fig. 1, 2). Une nouvelle coloscopie est alors réalisée et retrouve une lésion ulcérée et végétante de 2,5 cm en rapport avec un adénocarcinome T1N0M0, bénéficiant d’une exérèse chirurgicale sous cœlioscopie dans un second temps. 2. Discussion L’EI est une affection rare avec environ 1500 cas par an en France [2,3]. La récidive d’EI est bien évidemment encore plus rare mais est classiquement décrite, les antécédents d’EI étant eux-mêmes des facteurs majeurs de récidive [4,5]. De même, le fait d’être porteur d’une prothèse valvulaire constitue le facteur de risque présumé le plus élevé de survenue d’une EI, le risque cumulé augmentant progressivement avec le temps,pour dépasser 5 %, cinq ans après l’intervention [6]. La récidive d’EI sur prothèse se complique fréquemment d’abcès péri-annulaires et d’accidents emboliques, notamment neurologiques avec un taux de mortalité atteignant 30 % dans les séries récentes [4]. Le bilan étiologique ne doit pas se contenter des antécédents valvulaires pour expliquer une récidive : il doit s’acharner à retrouver d’autres facteurs favorisants, notamment une porte d’entrée persistante. Cette recherche, systématique au cours de toute EI, est orientée par d’éventuels signes fonctionnels (troubles digestifs ou douleurs dentaires. . .), par l’examen clinique, mais également par les données microbiologiques : les streptocoques oraux évoquent une porte d’entrée buccodentaire, tandis que S. bovis ou les entérocoques orientent vers une origine digestive ou urinaire. Les EI à staphylocoque incitent à rechercher un point de départ cutané. Les explorations habituellement réalisées dans le cadre d’une EI à streptocoque comprennent un examen spécialisé stomatologique, des radiographies des sinus avec panoramique dentaire et une imagerie thoraco-abdomino-pelvienne, éventuellement complétée par une coloscopie en cas de germe colique. L’enquête reste cependant négative dans plus de 50 % des cas [4], ce qui prouve que ces examens sont largement insuffisants. Au cours de cette dernière récidive, comme lors des précédents épisodes, aucun foyer dentaire ou ORL n’a pu être retrouvé. Cette cinquième EI, à streptocoque oral, nous a incité à élargir le bilan de porte d’entrée par réalisation d’un PETscanner. La fixation cæcale de FDG a conduit à la réalisation d’une nouvelle coloscopie (initialement non programmée) et à la mise en évidence d’une lésion néoplasique caecale. Cette lésion était vraisemblablement précédée d’un polype caecal de petite
taille, d’évolution lente et méconnue lors des examens endoscopiques précédents, le bas fond cæcal étant très souvent difficile à observer en coloscopie. Les streptocoques retrouvés lors de la première et de la dernière récidive (S. oralis et mitis) sont habituellement oraux mais peuvent également s’observer dans la flore commensale colique [7] et il est licite de les rattacher à la même porte d’entrée. Cette observation soulève une première question : quel bilan de recherche de porte d’entrée faut-il réaliser en présence d’une EI récidivante à streptocoque ? À la lumière de cette observation, il semble que le PET-Scanner puisse utilement orienter l’enquête à la recherche d’un foyer digestif ou d’une lésion suspecte lorsque les examens d’imagerie standard ne sont pas contributifs, cet examen étant particulèrement indiqué dans la recherche d’un foyer infectieux profond, l’étiologie d’une fièvre indéterminée ou la recherche d’un primitif. Cependant, le PETscanner est un examen dont la disponibilité est encore restreinte en raison du nombre limité d’appareils sur le territoire national. Cette observation soulève également la question de la conduite à tenir pratique chez ce patient : si l’on considère la porte d’entrée identifiée puis éradiquée après la chirurgie digestive, on peut se demander si la sanction chirurgicale consistant en une nouvelle intervention de remplacement prothétique valvulaire et habituellement recommandée [8] est toujours légitime. Une attitude « médicale » consistant en un traitement antibiotique prolongé et bactéricide, avec conservation des valves, semble raisonnable dans la mesure où il n’y a pas de dysfonction prothétique, d’abcès péri-prothétique et qu’il s’agit d’un germe non staphylococcique sensible [9,10], sous réserve d’une étroite surveillance clinique, biologique et échographique. 3. Conclusion Les EI récidivantes avec des streptocoques de types différents sont très rares et sévères : elles doivent inciter le clinicien à « traquer » une porte d’entrée digestive et à réaliser un bilan étiologique exhaustif. L’utilisation du PET-scanner pourrait avoir un intérêt dans les cas où le bilan habituel reste négatif. Références [1] Durack DT, Lukes AS, Bright DK. New criteria for diagnosis of infective endocarditis: utilization of specific echocardiographic findings. Am J Med 1994;96:200–9. [2] Hoen B, Alla F, Selton-Suty C, Béguinot I, et al. Changing profile of infective endocarditis–Results of a one- year study in France in 1999. J Am Med Assoc 2002;288(1):75–81. [3] Delahaye F, Goulet V. Characteristics of infective endocarditis in France in 1991. A one-year survey. Eur Heart J 1995;16(3):394–401. [4] B Hoen in Cardiologie et maladies vasculaires, Société franc¸aise de cardiologie. Masson 2007:850-2. [5] Prophylaxie de l’endocardite infectieuse. Révision de la conférence de consensus de mars 1992. Recommandations 2002. Med Mal Inf. 2002; 32:542–52. [6] Vongpatangsin W, Hillis L, Lange R. Prosthetic heart valves. N Engl J Med 1996;335:407–16. [7] Delahaye F. Vandenesch F. Hoen B, Delahaye JP Endocardite infectieuse. EMC (Elservier SAS, Paris), Cardiologie, 11-013-B10, 2006. [8] Yu V, Fang G. Prosthetic valve endocarditis: superiority of surgical valve replacement vs medical therapy only. Ann Thorac Surg 1994;58:1073–7.
R. Poyet et al. / Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 59 (2010) 44–47 [9] Tribouilloy C, de Gevigney G, Acar C, et al. Recommandations de la Société franc¸aise de cardiologie concernant la prise en charge des valvulopathies acquises et des dysfonctions de prothèses valvulaires. Arch Mal Cœur 2005;98.(suppl. II).
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[10] Horskotte D, Follath F, Gutschick E, et al. Guidelines on prevention, diagnosis and treatment of infective endocarditis executive summary; the task force on infective endocarditis of the European society of cardiology. Eur Heart J 2004 Feb;25(3):267–76.