EMC-Endocrinologie 1 (2004) 163–169
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Épidémiologie du rachitisme carentiel Epidemiology of rickets in France E. Mallet (Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef du département de pédiatrie médicale) * Département de pédiatrie médicale, CHU Charles Nicolle, 76031 Rouen cedex, France
MOTS CLÉS Rachitismes carentiels ; Nourrisson ; Adolescent ; Épidémiologie
KEYWORDS Nutritional rickets; Infancy; Adolescence; Epidemiology
Résumé L’incidence du rachitisme carentiel du nourrisson a été considérablement réduite dans la proportion du simple au tiers dès les premières années, avec l’introduction des laits infantiles enrichis en vitamine D en France. Cependant, l’émergence de cas de rachitisme symptomatique chez l’adolescent amène à considérer une prophylaxie vitaminique D à cet âge où la vélocité de croissance est de nouveau importante. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract In France, a dramatic two thirds reduction rate was observed in the incidence of nutritional rickets during the first years, with the creation of vitamin D enriched milk formula for infant feeding. However, there are number of symptomatic nutritional rickets cases among adolescents, particularly as regards skin pigmentation in girls. This suggests the use of a vitamin D supplement principally during this age period characterized by a high growth rate. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Introduction L’épidémiologie du rachitisme carentiel jugé antérieurement beaucoup trop fréquent malgré la prophylaxie instituée, est actuellement à reconsidérer en France à l’heure des laits enrichis pour nourrissons en vitamine D. En effet, une circulaire ministérielle de 1992 a autorisé la supplémentation en vitamine D des laits 1er et 2e âge en France, à raison de 400 à 500 U/l selon les marques, et ce en application des directives européennes. Cette décision attendue a eu un impact déterminant sur l’incidence du rachitisme carentiel.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (E. Mallet). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcend.2004.03.001
Physiopathologie du rachitisme et sources de vitamine D Cette physiopathologie est à préciser de façon à mieux cerner les circonstances épidémiologiques de la survenue du rachitisme carentiel. Le rachitisme est une maladie du squelette qui se manifeste au niveau des zones osseuses à croissance rapide et dont la principale cause est la carence en vitamine D. Cette vitamine D est en effet nécessaire en particulier à la minéralisation harmonieuse du tissu ostéoïde des métaphyses. C’est ainsi qu’une carence en vitamine D entraîne la constitution du rachitisme chez l’enfant en croissance et en particulier dans les 2 premières années de vie, mais également à l’adolescence. La fonction essentielle de la vitamine D est de permettre la synthèse au niveau intestinal d’une protéine transporteuse du calcium et de ce fait d’en augmenter l’absorption intestinale. Elle agit
164 également au niveau des cellules de l’os où son action est synergique de celle de l’hormone parathyroïdienne. Le cholécalciférol, ou vitamine D3, est la forme naturelle de la vitamine D, produite par une réaction photochimique à partir d’un dérivé du cholestérol : le 7-dihydrocholécalciférol contenu dans la peau. Sa production naturelle peut de ce fait être médiocre sous les climats peu ensoleillés et selon le mode de vie (habillement, habitation). Pour être active, la vitamine D3 doit bénéficier de deux hydroxylations : dans le foie d’abord qui la transforme en 25 hydroxycholécalciférol [25(OH)D3], et dans le rein ensuite en 1,25 dihydroxycholécalciférol [1,25(OH)2D3] impliqué dans l’absorption active du calcium par l’intestin. Le rachitisme est lié à une insuffisance d’apport en vitamine D entraînant une réduction de l’absorption du calcium et réalise des lésions osseuses par défaut d’accrétion de calcium dans les zones de croissance de l’os. Dans un premier temps cependant, avant que n’apparaissent les signes de rachitisme, la carence en vitamine D peut comporter une hypocalcémie marquée, cause potentielle de tétanie avec laryngospasme et convulsions. Cette hypocalcémie, à son tour, déclenche une hyperparathyroïdie réactionnelle qui libère du calcium osseux normalisant une hypocalcémie initiale au prix d’une diminution de la minéralisation du squelette. À ce niveau, la carence en vitamine D entraîne une prolifération du tissu ostéoïde formant des bourrelets métaphysaires palpables. C’est sur ces bourrelets ostéoïdes que va se mouler le fût osseux diaphysaire seul visible en radiographie, réalisant l’aspect d’une métaphyse élargie et frangée en « toit de pagode ». La mauvaise compliance thoracique, du fait de la mollesse du gril costal et pulmonaire par pneumopathie interstitielle, permet de mieux comprendre les manifestations du « poumon rachitique ». Enfin, la mollesse du squelette va déterminer des incurvations diaphysaires des os longs du fait de la mise en charge, à l’âge de la marche.
Sources de vitamine D Il faut noter que l’essentiel du statut vitaminique D de l’organisme est lié à la synthèse sous-cutanée sous l’effet de l’insolation. En effet, la vitamine D3 ou cholécalciférol est formée à partir d’une molécule : le 7-dihydrocholécalciférol, synthétisé dans le foie. La formation endogène au cholécalciférol s’effectue dans la couche malpighienne de l’épiderme par photoactivation de rayons ultraviolets (280-310 nm). La quantité de cholécalciférol ainsi
E. Mallet produite dépend de l’intensité de ces rayons, mais aussi de l’importance de leur pénétration dans la peau et de la quantité de pigment mélanique existant dans le revêtement cutané. La quantité de vitamine D ainsi produite peut être importante et dépasser 18 UI/cm2 en 3 heures, constituant pour l’enfant l’élément déterminant de ses apports en vitamine D. Cet apport en vitamine D3 peut également être alimentaire mais en réalité la quantité présente dans l’alimentation courante est très faible ; certains poissons comme les sardines et à moindre degré le jaune d’œuf et le beurre en contiennent. Contre toute attente, le lait maternel en contient peu, de l’ordre de 20 unités par litre, ce qui correspond à peine aux 5 % des besoins théoriques des nourrissons. Bien sûr, cette vitamine dans le lait maternel se trouve sous forme soluble, ce qui va favoriser son action, et il y a de plus des conditions optimales pour l’absorption du calcium (rapport phosphocalcique du lait de mère, acidité...). Le lait de vache quant à lui contient une quantité comparable de vitamine D mais les facteurs nutritionnels de bonne absorption intestinale du calcium ne se retrouvent pas avec ce type d’alimentation. L’apport de la vitamine D peut être fait sous forme médicamenteuse soit avec l’utilisation de la vitamine synthétique : ergocalciférol ou vitamine D2, sa nomination venant du fait qu’elle est produite par dégradation d’ergostérol provenant de l’ergot de seigle, soit de plus en plus avec le cholécalciférol ou vitamine D3.
Circonstances de découverte du rachitisme carentiel du jeune enfant Elles sont variables : • au cours d’un examen systématique à l’occasion d’une crise convulsive avec ou sans contexte fébrile, lors d’un laryngospasme ou de signes respiratoires avec pneumopathie dyspnéisante, devant un retard postural, devant des déformations des membres inférieurs à l’âge de la marche ; • dans des conditions étiologiques particulières, avec terrain prédisposé et spécialement les enfants transplantés à peau pigmentée. Le praticien peut être en fait confronté à trois stades liés à l’ancienneté de la carence en vitamine D.
Stade précoce Le stade précoce ou tétanie hypocalcémique survient en particulier chez le nourrisson au cours des 6 premiers mois de vie.
Épidémiologie du rachitisme carentiel Les signes neuromusculaires sont au premier plan avec des convulsions parfois précédées de trémulations et d’hyperexcitabilité. Le caractère souvent apyrétique de ces convulsions doit faire craindre une cause métabolique et en particulier hypocalcémique. Un laryngospasme peut survenir et être responsable de mort subite. Ce stade précoce se caractérise par sa méconnaissance du fait de l’absence de signes d’examen contrastant avec sa gravité potentielle due à l’hypocalcémie sévère. Les signes osseux sont encore discrets. Une radiographie de poignet est soit strictement normale, soit comporte au niveau métaphysaire un très discret élargissement transversal avec spicule latérale. Biologiquement, la calcémie est basse, la phosphorémie est normale, les phosphatases alcalines sont modérément élevées, la calciurie est abaissée et le taux de parathormone native est normal mais non adapté au contexte hypocalcémique traduisant une hypoparathyroïdie fonctionnelle. Quant au dosage du métabolite du 25(OH)D3, reflet du stock vitaminique D de l’organisme, il est abaissé au-dessus d’une limite que l’on fixe à 6 ng/ml témoignant de la carence en vitamine D qui permet dans le contexte de reporter l’ensemble sémiologique à un rachitisme carentiel.
Stade du rachitisme dit « floride » On le trouve chez l’enfant de 6 mois à 2 ans. C’est le stade correspondant à la réaction parathyroïdienne à l’hypocalcémie, à la survenue des déformations osseuses métaphysaires. Le diagnostic est évoqué devant un retard des acquisitions posturales, station assise puis de la marche, il existe au niveau des membres des déformations avec bourrelets métaphysaires des poignets et des chevilles, chapelet costal au niveau thoracique et craniotabès ou sensation de « balle de celluloïd » à la pression des os occipitaux. Les signes radiologiques sont alors présents et significatifs avec anomalies métaphysaires des poignets et des chevilles avec élargissement transversal, cupules métaphysaires convexes et spicules latérales, puis aspect frangé et peigné de la métaphysaire en « toit de pagode ». Les cartilages chondrosternaux sont élargis en « bouchon de champagne ». La biologie témoigne de la réaction parathyroïdienne avec normalisation de la calcémie, la calciurie restant effondrée. Il existe alors une hypophosphorémie avec une réabsorption tubulaire du phosphore diminuée, un taux de phosphatases alcalines élevé, un taux de parathormone native élevé, un taux de 25(OH)D trop bas.
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Stade de rachitisme sévère Enfin, le stade de rachitisme sévère résultant d’une carence d’apport prolongée chez l’enfant de plus de 2 ans. C’est le stade de déminéralisation osseuse et déformation des membres. Il existe des incurvations diaphysaires nettes, en particulier au niveau des membres inférieurs, du fait de la mise en charge. Il existe à ce niveau des déformations en crosse tibiale inférieure, une angulation des têtes fémorales en coxa vara déterminant une démarche en « canard » mais aussi un genu varum avec jambes en « parenthèses ». Au niveau du thorax, la déformation est variable mais il y a en particulier une dépression horizontale le long du bord inférieur déformé en « crinoline ». Il existe enfin un retentissement sur la croissance staturopondérale avec un infléchissement des courbes. Les signes radiologiques associent au niveau des os longs les anomalies métaphysaires typiques à une déminéralisation généralisée avec réduction du rapport corticodiaphysaire, des fractures étant possibles au niveau des os plats. On peut observer un amincissement de la voûte crânienne et un double contour vertébral sur le rachis de profil. La biologie, dans ce cadre de rachitisme sévère avec déminéralisation intense où l’hyperparathyroïdie n’entraîne plus de fait de réponse osseuse fournie, associe une hypocalcémie, une hypophosphorémie profonde, une hypocalciurie, un taux de phosphatases alcalines très élevé, un taux de parathormone native très élevé et un taux de 25(OH)D3 effondré.
Prédispositions à la survenue du rachitisme carentiel La prématurité, compte tenu de la vélocité de croissance osseuse importante, et avec un capital osseux réduit à la naissance, est à risque d’où les modalités majorées de supplémentation en vitamine D.1 La carence maternofœtale en vitamine D. Le fœtus est dépendant du stock vitaminique D de sa mère, donc à mère carencée, ce qui est fréquent lors des grossesses hivernales, nouveau-né carencé, avec le risque d’hypocalcémie et de rachitisme précoce. La supplémentation de la mère au 7e mois par une dose de charge en vitamine D réduit le risque d’hypocalcémie néonatale.2,3
Facteurs de risque L’insuffisance d’insolation de l’enfant, en fonction bien sûr des saisons, mais le degré de la pollution
166 atmosphérique intervient également. Les peaux pigmentées freinent la synthèse sous-cutanée de vitamine D. Les habitudes de vie influençant les promenades des enfants, de même que la manière de les vêtir jouent un rôle important. L’adolescent obèse, sortant peu et ayant des vêtements couvrants est également à risque de statut vitaminique D insuffisant. La supplémentation insuffisante en vitamine D du nourrisson. C’est le cas des enfants au sein non supplémentés, mais aussi de ceux qui sont rapidement alimentés avec un lait demi-écrémé et dont la supplémentation vitaminique D régulière et quotidienne devient aléatoire. S’il est évident que l’enrichissement des laits infantiles en vitamine D a fait régresser de façon spectaculaire le rachitisme-maladie, il est également démontré qu’il ne contribue avec la source naturelle de vitamine D qu’est l’insolation que pour moitié au statut vitaminique D considéré comme satisfaisant d’un nourrisson par ailleurs supplémenté selon les règles actuelles.4 Enfin, le risque est majeur dans les situations pathologiques où l’absorption intestinale de la vitamine D est réduite, mucoviscidose ou obstructions biliaires, entité qui justifie l’apport parentéral de vitamine D.
Situation épidémiologique antérieure Dans les années 1960, la persistance d’une incidence excessive de rachitisme carentiel en France encore observée chez 15 des 30 % des enfants hospitalisés, alors qu’il était devenu exceptionnel en Angleterre et aux États-Unis, a conduit le ministère de la Santé à proposer des recommandations sur sa prophylaxie systématique.5 Cette circulaire incitait à une supplémentation en vitamine D chez le nourrisson en bonne santé de 1000 unités par jour, 2500 unités pour les enfants à peau pigmentée, et de 1500 unités par jour chez les enfants nés prématurément. Dans ces conditions, il a été fait état d’une prévalence de 0,05 % d’une population de nourrissons de 10 mois examinés systématiquement en centre de Santé,6 mais il s’agissait d’enfants se rendant au centre d’examen au reçu d’une convocation... Dans les hôpitaux lyonnais en revanche, on a rapporté qu’après une période de diminution de l’incidence du rachitisme, une recrudescence était observée avec 1,3 et 1,7 cas pour 100 enfants hospitalisés en 1983 et 1984.7 Une enquête auprès de 100 services de pédiatrie métropolitains relevait que seulement quatre d’entre eux n’avaient pas observé d’enfants rachitiques entre juillet 1986 et juillet 1987, cette prévalence res-
E. Mallet tant tout à fait anormale quand on la compare à celle d’autres pays industrialisés. Par ailleurs, les lacunes et la circulaire ministérielle expliquent probablement en partie que sur 600 médecins interrogés en région lorraine, 36 % disaient ne commencer la prophylaxie qu’après l’âge de 15 jours, 18 % n’assurer aucune supplémentation chez l’enfant nourri au sein... et aucun d’entre eux ne proposant de supplémentation chez la femme enceinte.8 Dans les hôpitaux de Nancy et de Seine-Maritime, la fréquence était encore de 0,5 % des hospitalisés,9 atteignant même 3,2 % à Longwy. Dans cet hôpital, la prédominance masculine était retrouvée (71 %), de même que la plus grande fréquence relative chez les enfants turcs ou maghrébins (36 % des cas), bien que la population de Lorraine autochtone ne soit pas épargnée (59 % des cas). Les pneumopathies dyspnéisantes (24 %) et les convulsions hypocalcémiques (14 %) représentaient les motifs d’hospitalisation essentiels. Environ 38 % des enfants avaient moins de 6 mois et 67 % moins de 1 an, ce qui montre la fréquence des formes précoces.10 Enfin, il faut rapporter les résultats de l’enquête multicentrique effectuée dans 15 départements de France métropolitaine sur une période de 20 mois faisant ressortir la persistance d’une proportion non négligeable de nourrissons présentant des troubles cliniques sévères dus à une carence en vitamine D et conduisant à une hospitalisation (0,22 % des nourrissons hospitalisés et 0,06 % de la population générale d’enfants de moins de 2 ans). Il est à noter que 59 % avaient une peau claire. Ces enfants étaient pour la plupart âgés de plus de 3 mois (72 %) suggérant qu’une carence maternelle en vitamine D n’est pas la cause prédominante de la carence infantile en vitamine D chez les nourrissons vivant en France, même si elle a vraisemblablement favorisé la survenue des altérations pathologiques parmi les 28 % d’enfants plus jeunes. La comparaison cas/témoins n’a pas permis de mettre en évidence de groupes à risque définis par le niveau socio-économique des parents. Elle fait surtout apparaître l’influence néfaste d’une prophylaxie antirachitique mal suivie avec prise irrégulière de vitamine D et de la non-exposition au soleil. Il est également apparu au cours de cette enquête que la population d’enfants présentant des signes de carence en vitamine D comportait une plus grande proportion d’enfants originaires d’Afrique du Nord que la population témoin, même si la proportion d’enfants d’origine métropolitaine restait majoritaire dans les deux populations.11 On dispose également d’une étude française concernant le statut vitaminique D du nourrisson vivant en France grâce à une étude multicentrique
Épidémiologie du rachitisme carentiel portant sur dix villes réparties dans l’hexagone. Il s’avère que 10 % des enfants étudiés avaient une concentration de 25(OH)D inférieure à 6 ng/ml. Ces enfants ne présentaient pas de signes cliniques de rachitisme et la démonstration d’une carence infraclinique nécessitait d’autres examens biologiques comme les dosages des phosphatases alcalines et de l’hormone parathyroïdienne qui n’ont pu être réalisés. L’analyse des causes possibles de diminution du statut vitaminique D chez ces 10 % d’enfants est le manque d’exposition à un rayonnement ultraviolet optimal (280-310 nm) qui paraît être un facteur important. En effet, le pourcentage d’enfants ayant des concentrations de 25(OH)D inférieures à 6 ng/ml était beaucoup plus élevé à la fin de l’hiver en mars 1989 (14 %) qu’à la fin de l’été en octobre 1987 (7 %). De plus, ce pourcentage était nul, même en hiver, dans le Sud de la France (Nîmes) alors qu’il s’élevait au-dessus de 20 % en Normandie et en Bretagne. L’analyse des concentrations de 25(OH)D chez les nourrissons en fonction du centre où ils ont été vus fait apparaître des différences régionales qui ne sont pas toutes explicables par des différences dans la qualité de l’irradiation ultraviolette disponible d’une région ou d’une saison à l’autre. L’influence de la dose prescrite en vitamine D entre 1000 et 2500 UI/j sur les concentrations de 25(OH)D n’a pu être montrée de façon incontestable. Elle n’a été retrouvée dans aucun centre à la fin de l’été. Ceci permettant deux hypothèses : soit une synthèse endogène de vitamine D prédominante et masquant les effets de l’apport exogène, soit la compliance à l’apport continu en vitamine D faible en été ? Cette enquête faisait ainsi apparaître la nécessité de maintenir une prophylaxie antirachitique chez le nourrisson vivant en France, pendant toute l’année et surtout pendant la période hivernale, plus étroitement suivie chez le nourrisson à peau pigmentée et/ou sortant peu au soleil. La prescription de l’apport de 1000 à 2500 unités par jour, bien que beaucoup plus élevée que celle recommandée dans d’autres pays (400 unités par jour) sur les recommandations américaines12 paraissait adaptée aux besoins du nourrisson vivant en France.13 Cette même étude a montré que l’âge moyen d’introduction du lait de vache était de 5 à 8 mois.
Rachitisme carentiel à l’heure des laits pour nourrissons enrichis en vitamine D14 Certains auteurs regrettant que le rachitisme carentiel touche encore plusieurs milliers d’enfants
167 en France, ont fustigé le mode de prévention utilisé, et souhaité que soient enrichis systématiquement les laits artificiels en vitamine D,15 rejoignant en cela l’avis du Comité de nutrition et du Groupe d’étude du métabolisme du calcium en pédiatrie de la Société française de Pédiatrie.16 De fait, une circulaire ministérielle en 1992 a autorisé la supplémentation vitaminique D des laits 1er et 2e âge en France, et ce, en application des directives européennes. Les laits pour nourrissons ont été enrichis en France à raison de 400 à 500 U/l selon les marques. Cette situation nouvelle a amené à reconsidérer les modalités de prophylaxie du rachitisme carentiel chez les enfants de la naissance à 2 ans. Une posologie de 400 à 800 unités/j chez l’enfant alimenté au lait 1er et 2e âge en gardant les recommandations antérieures pour les enfants au sein avec 1000 à 1200 unités par jour et 1500 à 1600 s’il est prématuré ou à peau pigmentée ou lors des passages au lait de vache.17 Il a paru également utile d’évaluer son impact sur son incidence. Une enquête a été menée sur l’évolution de l’incidence des rachitismes carentiels hospitalisés auprès des correspondants régionaux du Groupe d’étude du métabolisme du calcium en pédiatrie. L’étude a porté sur deux périodes de 2 années : avant et après la mise à disposition des laits enrichis en vitamine D. L’analyse des cas de rachitismes hospitalisés a concerné 28 villes réparties comme suit : 16 au Nord et 12 au Sud de la Loire et ce pour tenir compte des différences climatiques. Les résultats font apparaître une diminution globale d’incidence, du simple au tiers considérant les chiffres de 1991 et de 1994, et ce depuis l’introduction des laits enrichis. De plus, les rachitismes observés sont dans la moitié des cas des migrants à peau pigmentée ou lors d’alimentation prématurée au lait de vache. Les constatations étaient donc que le rachitisme carentiel en France avec l’utilisation des laits enrichis et donc l’apport obligatoire de 300 à 400 unités de vitamine D3 par jour avait nettement régressé mais n’avait pas pour autant disparu, en particulier dans certaines régions (Nord-Est), les auteurs souhaitant qu’une étude prospective soit réalisée pour analyser cette situation nouvelle. Cette étude n’a cependant pas été renouvelée18, mais à en juger par la rareté des cas observés dans notre centre (3 cas de nourrissons en 10 ans) le rachitisme carentiel est heureusement devenu exceptionnel (Fig. 1). Il faut rappeler que cette supplémentation en vitamine D des laits, conforme aux recommandations de la Direction générale de la Santé avait jeté quelques troubles puisque, lors d’une réunion en octobre 1990 réunissant 41 experts, cinq décidaient
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E. Mallet
80 70
69 64
60 Nb de rachitismes hospitalisés 50 40
40 Introduction lait enrichi en vitamine D
30
24
20 10 0 1991
1992
0 Année
1993
1994
Figure 1 Enquête nationale sur les rachitismes hospitalisés.18
de supprimer tout apport de vitamine D, en revanche six ne souhaitaient rien changer par rapport à la prophylaxie antérieure, la majorité étant cependant favorable au maintien d’une prophylaxie à doses réduites jusqu’à l’âge de 18 mois, sept étant favorables à un apport quotidien de 400 à 600 unités/j et 17 de 800 unités/j, deux enfin optaient pour l’apport discontinu de 80 000 à 100 000 unités tous les 3 mois.19 Il a été en définitive décidé de poursuivre la supplémentation arguant que si cette dose d’environ 300 à 400 U/l correspondait aux besoins théoriques journaliers du nourrisson,20 elle pouvait être faible compte tenu des quantités de lait ingérées ou des réserves faibles en vitamine D à la naissance en rapport avec des réserves maternelles faibles. Il est un fait qu’aux États-Unis où l’enrichissement des laits infantiles est considéré comme suffisant, la supplémentation en vitamine D était autorisée dans d’autres aliments (farines, margarines, lait de vache), ce qui n’était pas le cas en France.
Émergence du rachitisme de l’adolescent L’adolescence constitue également une période à risque de carence en vitamine D compte tenu de la vélocité de croissance à cet âge avec de plus des circonstances aggravantes. Certaines publications ont attiré l’attention sur la fréquence d’un apport calcique insuffisant chez un grand nombre de préadolescents, surtout de sexe féminin.21 D’autres font état d’une situation métabolique aggravée par le fait que le statut en vitamine D n’est pas optimal comme en témoignent différentes études. Il est démontré dans l’une d’entre elles que 25 % des adolescents ont un taux de 25(OH)D bas ou même très bas pour 10 % d’entre eux, les taux diminuant en fin de puberté. Il n’est cependant pas possible
de savoir actuellement si cette baisse reflète une modification physiologique du métabolisme de la vitamine D ou une baisse réelle des réserves en vitamine D, conséquence de l’apport insuffisant par rapport aux besoins de cette période de la vie.22 Cependant, si l’opportunité d’une supplémentation vitaminique D à l’adolescence reste controversée, le rachitisme de l’adolescent représente néanmoins une pathologie connue de la carence vitaminique D à cet âge. Une enquête réalisée auprès des correspondants régionaux du Groupe calcium a eu pour but d’évaluer la fréquence de cette pathologie et de définir les critères d’une population d’adolescents à risque. C’est ainsi que 33 cas ont été recueillis concernant la période 1982-1997 provenant essentiellement de quatre régions du Nord ou du Centre de la France. Il s’agit de 11 garçons âgés de 13 à 17,5 ans et de 22 filles âgées de 11 à 15,5 ans d’origine majoritairement immigrée (Afrique du Nord [6], Afrique noire [13], Pakistan [4], Turquie [2]). L’admission s’est faite dans la plupart des cas au cours du deuxième trimestre de l’année. Le motif d’hospitalisation était soit des crises de tétanie, plus rarement des convulsions, soit des douleurs diffuses des membres inférieurs avec impotence fonctionnelle. La calcémie était basse jusqu’à 1,5 mmol/l, les phosphatases alcalines élevées et tous les taux de 25(OH)D3 étaient effondrés. Les radiographies objectivaient parfois l’association d’une déminéralisation diffuse et de bandes claires métaphysaires au niveau des métaphyses radiales et fémorales. L’hospitalisation était nécessaire dans tous les cas avec instauration d’un traitement vitaminocalcique initié le plus souvent par voie veineuse. Au total, si le rachitisme patent de l’adolescent, symptomatique, apparaît peu fréquent, affectant particulièrement l’adolescent de famille immigrée, il constitue néanmoins un indice de période à risque pour la population générale.23
Conclusion L’épidémiologie du rachitisme carentiel du jeune enfant, de même que l’évaluation du statut vitaminique D, devraient être réévaluées à un moment où d’autres laitages viennent d’être enrichis en vitamine D. Une attention toute particulière devrait également être attachée à optimiser le statut vitaminique D des adolescents dont on sait qu’il constitue l’un des éléments essentiels dans la prévention ultérieure de l’ostéoporose.
Épidémiologie du rachitisme carentiel
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