MERCREDI 9 JUIN MATIN
sachant observer le travail et l’analyser pour déterminer toutes les modalités possibles de réalisation de ce danger. – Enfin une mesure, qui consiste à mesurer une probabilité qu’un dommage se réalise et son ampleur éventuelle. Cette mesure peut être plus ou moins fine : réelle mesure mathématique, par exemple calcul de l’augmentation du risque de cancer entraînée par une exposition à un produit chimique – c’est du domaine du spécialiste très pointu – mais aussi simple classification en catégories : par exemple : faible, moyen, fort, mesures accessibles à beaucoup. L’évaluation des risques en entreprise fait donc intervenir de multiples acteurs et multiples institutions qui doivent absolument être en communication. Pour que l’évaluation des risques sur le terrain soit fiable, il faut qu’elle soit alimentée par la recherche notamment pour lui fournir un certain nombre de données sur les dangers, également sur les méthodes d’évaluation des expositions (rencontre du danger et du salarié) et de calcul des mesures de probabilité. De même la recherche ne pourra avancer et fournir des données utiles au terrain que si les intervenants qui évaluent les risques dans les entreprises lui font remonter leurs difficultés, leurs besoins d’études complémentaires mais aussi les dommages observés. L’évaluation des risques pour être fiable exige un mouvement permanent de transfert de diverses informations, un retour d’expérience systématique, un travail collaboratif entre diverses institutions. L’évaluation des risques dans les petites entreprises doit répondre aux mêmes exigences de qualité et d’objectifs : protéger la santé des salariés. Elle est aussi concernée par les remarques précédentes mais se heurte à des difficultés supplémentaires. L’employeur se trouve souvent démuni face à cette obligation. Il n’a pas les compétences pour la réaliser, pas le temps, pas les moyens financiers pour la faire réaliser par des personnes extérieures. Les préventeurs, qui peuvent intervenir dans ce milieu (médecins du travail, CRAM, ARACT, ...), sont également relativement démunis car face à des lieux d’interventions multiples, un manque d’interlocuteurs centralisés, un milieu traditionnellement qu’ils connaissent moins bien et également un manque de temps et de moyens. Il est donc capital dans ce cas de mettre en synergie les différents moyens de ces structures afin d’aider les entreprises à évaluer leurs risques ou les préventeurs à les soutenir dans cette action. Ces synergies doivent permettre de fournir les compétences nécessaires à ces évaluations, de créer des outils d’aide pour l’évaluation, d’alimenter la connaissance sur les dangers de ce secteur. Un certain nombre d’actions ont été menées dans cette optique : projet EVEREST, conventions régionales entre des CRAM et des services de santé au travail. Dans le cadre du projet EVEREST, qui associe des services de santé au travail, des médecins inspecteurs du travail, des ingénieurs prévention des Direction régionales du travail, l’ARACT, l’Institut d’hygiène industrielle et de l’environnement ouest, des instituts de médecine du travail, des CRAM et l’INRS, des
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actions ont été menées dans le domaine de l’imprimerie et de la coiffure notamment. En Rhône-Alpes, en Loire Atlantique, en Ile-de-France, à la Réunion des actions mettant en synergie des moyens afin d’aider à l’évaluation des risques dans les petites entreprises ont été menées.
Évaluation des risques professionnels : lorsque les acteurs de l’entreprise construisent ensemble de nouvelles pratiques de prévention C. BRUN Aract Aquitaine, Bordeaux.
En 2001, l’Aract Aquitaine, en collaboration avec la DRTEFP, lançait une expérimentation auprès d’une dizaine d’entreprises de la région Aquitaine, avec un double objectif : − accompagner ces entreprises dans la mise en œuvre d’une démarche d’évaluation des risques, − en tirer un ensemble de points de repères utiles aux acteurs de la prévention. Il s’agissait d’apporter un éclairage sur les différentes étapes d’une démarche d’évaluation, aujourd’hui plus clairement identifiées par les acteurs de la prévention. Deux orientations fortes ont guidé la mise en œuvre de ces démarches dans les entreprises : faire de l’évaluation des risques un projet à part entière, mais aussi faire en sorte que l’évaluation des risques ne soit pas une fin en soi, mais un véritable tremplin pour la prévention. Pour cela, il nous paraissait essentiel que la méthodologie repose sur une construction pluridisciplinaire dans l’entreprise. Cette présentation ne vise pas à fournir une méthode d’évaluation des risques, mais s’attache à faire un retour d’expérience de démarches qui nous paraissent produire de nouvelles pratiques de prévention, notamment sur les questions de santé au travail. La préparation du projet : une étape décisive L’expérimentation a permis de mettre en avant l’importance décisive de l’étape de préparation du projet. Nous avions beaucoup insisté sur cette étape dans laquelle une dynamique pouvait s’engager dans l’entreprise, et qui reposait, selon nous, sur deux conditions : mettre en place une conduite de projet, et engager la participation des différents acteurs nécessaires à l’efficacité du projet. L’engagement de l’entreprise est ici fondamental, et la mobilisation des différents acteurs dans la démarche est tout aussi déterminante. S’il appartient à l’employeur d’évaluer les risques, et donc de lancer la démarche, le CHSCT ou les DP doivent y être associés dès le démarrage. Il est important que ces instances, légitimes sur le champ de la prévention, puissent être le point d’ancrage de la démarche. Il y a là un véritable enjeu d’implication, de formation et d’évolution de leurs rôles sur ces questions. L’étape de préparation était aussi pour nous l’occasion de réaliser un état des lieux – aussi rapide soit-il – de l’entreprise : savoir d’où part l’entreprise en matière de prévention, et regarder quels sont les autres projets de l’entreprise. Dans la plupart des
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ÉVALUATION DES RISQUES
cas, les entreprises étaient fortement mobilisées dans des démarches qualités. Il est alors important de prévoir dès ce moment les passerelles entre les projets, et ne pas rester dans un projet cloisonné où la prévention des risques ne serait l’affaire que d’une ou quelques personnes de l’entreprise. Cette étape de préparation doit donc définir le rôle et la composition du (ou des) groupe(s) de personnes qui vont intervenir dans le processus. Peuvent être concernés, en fonction de la taille et du niveau de structuration de l’entreprise : les responsables de service, les RH, le responsable qualité, sécurité, les représentants des salariés ainsi que les salariés. Les préventeurs externes, et notamment le médecin du travail, y seront naturellement associés. C’est à ces conditions que l’on va pouvoir mettre en place une approche pluridisciplinaire, une démarche cohérente avec les autres projets, et une participation des salariés. Construire ensemble pour aller vers une nouvelle approche des questions de santé Aujourd’hui, deux ans après l’expérimentation, et le suivi de plusieurs démarches en entreprises, nous pouvons observer la façon dont les acteurs construisent ensemble de nouvelles pratiques de prévention, notamment lorsqu’il s’agit d’aborder certains risques liés à la santé. La première observation, c’est que des acteurs internes ou externes de compétences différentes apprennent à travailler ensemble, et se construisent un cadre et des modèles communs pour aborder les questions de sécurité, et plus particulièrement celles de santé au travail. Cela peut donner lieu réellement à un effet de décloisonnement, comme nous l’avions perçu avec les démarches qualité, mais aussi, ce qui est plus nouveau, à une tentative d’articulation des questions de santé avec les questions de GRH. Le choix des unités de travail est un élément important de cette construction. L’activité, la taille et la complexité des entreprises étant différentes, la détermination des unités de travail est une variable différente d’un établissement à l’autre. Ainsi elle doit être définie en commun, à partir de la connaissance de chacun, et peut correspondre à une activité, un poste, un métier, un service, une unité de lieu ou unité de temps, et sera considérée comme une unité homogène d’exposition aux risques. C’est le cas par exemple d’un établissement de soins, où le lever des malades est un temps qui regroupe plusieurs métiers, plusieurs activités mais qui permet de faire apparaître les différents risques auxquels s’exposent plusieurs salariés. L’intérêt de ce découpage en unités de travail est de pouvoir servir de cadre à une nouvelle pratique de prévention, et faire référence comme unité d’analyse ou de suivi de certains indicateurs. Les acteurs pourront alors suivre certaines questions de sécurité et de santé au niveau général de l’établissement, tout en ayant la possibilité de faire un travail plus approfondi à partir des unités de travail. La pluridisciplinarité permet de croiser plusieurs niveaux d’indicateurs. Le travail d’identification des risques nécessite de combiner plusieurs niveaux d’analyse. Il s’agit, pour certains risques, de repartir de la notion de « danger repérable » sur lequel on peut en partie objectiver la question de l’exposition, et donc le risque qui en découle. C’est le cas de risques où l’on peut travailler à partir d’une connaissance que l’on a élaborée sur l’exposition à certai-
nes sources, tels que le bruit, les produits chimiques, ou le cas de dangers que l’on peut repérer à partir d’une analyse en situation de travail comme les espaces ou équipements de travail... La confrontation des connaissances des différents acteurs (préventeurs, encadrement, opérateurs, ...), ainsi que le recours éventuel à des listes de risques définis par des organismes ou l’analyse réelle de situations caractéristiques, permettra d’identifier de manière relativement exhaustive un ensemble de risques. Mais d’autres risques, qui concernent des atteintes à la santé comme les TMS, les risques psychosociaux, les douleurs dorsales, ..., plus difficile à appréhender (pourtant aujourd’hui considérés par la Fondation Européenne de Dublin comme les problèmes de santé les plus répandus), nous oblige à nous décaler de la notion de danger pour aller vers une approche d’analyse plurifactorielle. Nous avons vu, dans le cadre de ces démarches, que la confrontation des connaissances des différents acteurs s’avère encore plus pertinente pour faire émerger des risques comme les TMS ou les risques psychosociaux. Un travail aujourd’hui en cours dans quelques entreprises révèle l’importance de corréler différents niveaux d’indicateurs pour mieux appréhender certains risques liés à la santé. Citons par exemple des indicateurs chiffrés, tels que les AT, les MP mais aussi des données sur l’absentéisme, les restrictions d’inaptitudes, le turn-over, ainsi que des données sur l’âge, l’ancienneté, le genre, voire le type de contrat (CDD, intérimaires..). Ces éléments pourront être croisés avec des indicateurs plus qualitatifs appréhendés par les différents acteurs. Il s’agira de l’expression des difficultés rencontrées par les salariés (tensions liées au travail en urgence, incertitude quant aux objectifs à atteindre, isolement dans l’action), de repérage de situations de dégradation des relations de travail, de phénomènes de violence avec le public, tout en confrontant cette analyse avec la connaissance des médecins issue des diagnostics médicaux. Les acteurs doivent travailler sur l’ensemble de ces indicateurs en les regardant de manière globale à un établissement, mais l’analyse devient réellement pertinente lorsque l’on croise ces éléments par métier ou par unité de travail. C’est le cas par exemple d’un service de production, où l’augmentation de l’absentéisme, l’apparition de tensions nouvelles dans les équipes, et la caractérisation des situations de travail (analyse des outils de travail, de l’organisation, des compétences, ...) ont permis de faire apparaître des problèmes de stress au travail plutôt centrés sur une population de femmes anciennes dans l’entreprise face à des difficultés d’adaptation à la nouvelle organisation. Dans une autre entreprise, cela a été l’occasion de faire le point avec le DRH et le médecin du travail autour de la question des restrictions d’aptitude, représentant la moitié de la population, permettant de détecter les endroits de la production plutôt concernés, et mettant en évidence la pénibilité de certains postes et les risques d’altération de la santé sur le long terme. Selon nous, la démarche d’évaluation des risques est une formidable opportunité de mettre en place des approches pluridisciplinaires, articulant les questions de santé et de GRH, dans lesquelles la connaissance des médecins du travail sur l’état de santé des salariés est prépondérante pour orienter une véritable approche collective de la santé au travail dans l’entreprise.