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ANNPLA-1117; No. of Pages 6 Annales de chirurgie plastique esthétique (2015) xxx, xxx—xxx
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CAS CLINIQUE
Gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension cervico-faciale. À propos d’un cas exceptionnel Fournier’s gangrene: Cervical and facial extension. A very rare case R. Carloni a,*, L. Pechevy a, N. Isola a, L. Vidal b, D. Goga a, E. Watier c, N. Bertheuil c,d,e,f a
´ s, ho ˆ pital Trousseau, CHRU de Tours, Service de chirurgie plastique et reconstructrice, centre des brule ´ publique, 37170 Chambray-les-Tours, France avenue de la Re b ´ dicales A.-Lanari, universite ´ de Buenos-Aires, C1427ARO Buenos-Aires, Argentine Institut de recherches me c ˆ pital Sud, CHU de Rennes, boulevard de Bulgarie, Service de chirurgie plastique et reconstructrice, ho 35200 Rennes, France d ´ de Rennes 1, 35033 Rennes, France Inserm U917, universite e Laboratoire SITI, ´etablissement franc¸ais du sang Bretagne, CHU de Rennes, 35033 Rennes, France f ˆ pital Rangueil, 31059 Toulouse, France STROMAlab, UMR5273 CNRS/UPS/EFS — Inserm U1031, ho Rec¸u le 25 novembre 2014 ; accepte´ le 9 fe´vrier 2015
MOTS CLÉS Gangrène périnéo-fessière ; Gangrène périnéale ; Gangrène de Fournier ; Cellulite ; Cervico-facial ; Médiastinite
Résumé Les gangrènes gazeuses périnéo-fessières sont d’un pronostic redoutable avec un taux de mortalité dans la littérature de 10 à 80 %. Elles peuvent être extensives dans 13 à 54 % des cas. Aucun cas d’extension cervico-faciale n’a été décrit. Nous présentons le cas d’une patiente de 51 ans, d’origine africaine, ayant comme antécédents une obésité, un canal lombaire étroit et un diabète de type 2, qui a consulté aux urgences pour fatigue importante et aggravation des douleurs aux jambes. Devant un tableau de sepsis inexpliqué avec altération de l’état général, troubles de conscience et dyspnée, c’est le scanner corps entier qui a permis de faire le diagnostic. Il a retrouvé un emphysème sous-cutané diffus atteignant la face, le cou, la cage thoracique, la paroi abdominale, la fesse droite, le périnée et la cuisse droite. Des bulles d’air étaient également retrouvées en intramusculaire, au niveau des muscles fessier et ilio-psoas, et au niveau médiastinal. Les multiples parages que nous avons réalisés, en association avec des mesures de réanimation et une antibiothérapie efficace, ont permis un rétablissement de la
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (R. Carloni). http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.02.003 0294-1260/# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Pour citer cet article : Carloni R, et al. Q1Gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension cervico-faciale. À propos d’un cas exceptionnel. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.02.003
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R. Carloni et al. patiente. Les indications du drainage cervico-facial et médiastinal dans le cadre d’une dermohypodermite bactérienne périnéale sont mal codifiées dans la littérature. Elles doivent donc être pesées au cas par cas, en fonction des données cliniques et radiologiques. # 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Fournier’s gangrene; Fournier’s disease; Cellulitis; Cervico-facial; Mediastinitis
Summary Fournier’s gangrene is a fearsome disease with a bad prognosis and a mortality rate ranging between 10 and 80% according to the literature. It is extensive in 13 to 54% of cases. Up to date, cervico-facial extension has never been reported. We describe the case of a 51-year-old overweighed woman with a history of type 2 diabetes and a narrow lumbar canal who was referred to our institution for significant fatigue and increasingly painful legs. A diagnosis of Fournier’s gangrene was made after correlating the physical findings with the results of a full body scan. Diffuse subcutaneous emphysema involving the face, neck, mediastinum, abdominal wall, right buttock, perineum and the right thigh was identified. Treatment included multiple surgical debridements, admission to intensive care unit, and an efficient antibiotic therapy that enabled preservation of the patient’s life. To our knowledge, this is the first case of cervical and mediastinal extension of Fournier’s gangrene to be reported. No clear guidelines exit on the management of this complication (cervico-facial and mediastinal drainage). We share our experience of this unusual case. # 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Les gangrènes gazeuses périnéo-fessières, décrites en premier par Baurienne [1] en 1764 puis par Fournier [2] en 1883 (qui donna le nom de « gangrène de Fournier » aux formes idiopathiques), sont classées parmi les dermo-hypodermites bactériennes nécrosantes (DHBN) du périnée. Elles sont d’un pronostic redoutable, avec un taux de mortalité qui varie de 10 à 80 % [3,4]. Aucun cas d’extension cervico-faciale n’a été rapporté dans la littérature. Les formes extensives graves décrites sont principalement les atteintes des parois abdominale et thoracique [3]. Une atteinte médiastinale est possible mais plus rare, lorsque la diffusion se fait en rétro-péritonéal et peut conduire à une atteinte des loges viscérales du cou. Les cellulites cervico-faciales sont le plus souvent en rapport avec des portes d’entrée bucco-pharyngées (phlégmon périamygdalien, abcès parapharyngé) ou dentaires [5]. Nous présentons pour la première fois le cas d’une patiente avec une gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension médiastinale et cervico-faciale.
Cas clinique Nous rapportons le cas d’une patiente de 51 ans, d’origine africaine, avec comme antécédents une obésité (IMC = 33), un diabète de type 2 non traité et un canal lombaire étroit. Son traitement comportait du Lyrica pour des douleurs chroniques des membres inférieurs en rapport avec le canal lombaire étroit. La patiente a été admise dans notre centre pour altération de l’état général, trouble fonctionnel à la marche et majoration des douleurs chroniques résistant aux antalgiques de niveau I et II. À l’interrogatoire, une notion d’automédication par AINS a été retrouvée. À l’admission, la patiente avait une température à 388. Elle était somnolente
et confuse, sans déficit neurologique systématisé. Sur le plan cardiorespiratoire elle était polypnéique (FR : 40/min) avec une SatO2 : 90 % en air ambiant, tachycarde (FC : 110/min) sans troubles tensionnels associés. Des crépitants diffus étaient retrouvés à l’auscultation pulmonaire. L’abdomen était souple, la bandelette urinaire était négative. L’examen cutané retrouvait une induration de la fesse droite avec deux ulcérations cutanées en regard ainsi qu’une infiltration de la face interne de la cuisse droite. Aucune étiologie claire n’a été retrouvée quant à la cause des ulcérations. Une crépitation sous cutanée était perçue en basi-cervical ainsi qu’au niveau de la face. L’érythème cutané était impossible à évaluer du fait de sa couleur de peau. Le bilan biologique mettait en évidence un syndrome inflammatoire (CRP : 445 mg/L) sans hyperleucocytose (GB : 4400 G/L) ; une augmentation des lactates à 4,4 mmol/L, des CPK à 254 UI/L et des transaminases (ASAT : 115 UI/L, ALAT : 77 UI/L) ; une dégradation de la fonction rénale (créatininémie : 111 micromol/L ; débit de filtration glomérulaire : 48 ml/min). La troponine était normale. Les sérologies HBV, HCV, HIV étaient négatives. L’ECBU était stérile et les hémocultures négatives. La radiographie de thorax montrait des opacités parenchymateuses diffuses sans foyer infectieux franc. Face à ce sepsis inexpliqué, un scanner corps entier a été réalisé (Fig. 1 et 2). Le diagnostic retenu a été celui d’une gangrène gazeuse périnéo-fessière étendue à extension médiastinale et cervico-faciale. Des bulles d’air étaient également retrouvées au sein des muscles psoas et fessiers à droite. Les seules portes d’entrée identifiées étaient les deux ulcérations au niveau de la fesse droite. Aucune cause cervico-faciale, pulmonaire ou intra-abdominale n’a été retrouvée. La patiente a été transférée dans le service de réanimation et s’est rapidement dégradée du point de vue hémodynamique nécessitant l’introduction d’amines vaso-actives. Des troubles de conscience sont apparus, la patiente a donc été sédatée et intubée.
Pour citer cet article : Carloni R, et al. Q1Gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension cervico-faciale. À propos d’un cas exceptionnel. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.02.003
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Gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension cervico-faciale
Figure 1 TDM abdomino-pelvien sans injection. Gangrène gazeuse périnéo-fessière.
Un parage au bloc opératoire a été réalisé en urgence. L’excision a emporté les tissus cutanés et sous-cutanés de la fesse droite en regard de l’ulcération cutanée jusqu’à l’aponévrose fessière. Malgré l’infiltration gazeuse sur le scanner, les muscles fessiers ne semblaient pas cliniquement atteints et ont donc été préservés. Une dissection au doigt a permis de retrouver un trajet fistuleux fusant en pararectal droit. Une lame de Delbet a été glissée dans cet espace de décollement rétro péritonéal. Aucun parage autre, ni médiastinal, ni cervico-faciale, n’a été réalisé lors de cette première intervention.
3 Le sepsis a été stabilisé en postopératoire et un sevrage en noradrénaline a été obtenu à j3. Les prélèvements peropératoires ont retrouvé un Escherichia coli et un Streptococcus gallolyticus spp. pasteurianus. Une triple antibiothérapie probabiliste par pipéracillinetazobactam, métronidazole et clindamycine a été débutée en préopératoire, puis adaptée secondairement aux prélèvements des différents parages et poursuivie pour une durée totale de six semaines après obtention de l’apyrexie. Une colostomie sigmoïdienne latérale de décharge a été réalisée à j1 afin de faciliter les pansements. L’alimentation a été parentérale stricte, hypercalorique et hyperprotidique dans un premier temps, puis entérale à partir de j7 et per os à j31. La patiente a été réveillée à j12 et extubée à j25. Sur le plan biologique, la première semaine a été marquée par une persistance du syndrome inflammatoire avec une hyperleucocytose (GB : 13 800) ; la troponine et les CPK ont augmenté (troponine : 8,86 microgrammes/L, CPK : 1799) ; une nécrose tubulaire aiguë (créat : 243, DFG : 19 mL/min) est apparue, nécessitant un recours à la dialyse. Une échographie cardiaque a été réalisée et a retrouvé une fonction cardiaque normale. La radiographie de thorax a retrouvé un OAP de type lésionnel sans arguments pour une pneumopathie. Sous antibiothérapie adaptée, une fièvre en plateau, des douleurs importantes au niveau de la cuisse droite, du pubis et du flanc droit ainsi qu’un syndrome inflammatoire biologique ont persisté. Un nouveau scanner a donc été réalisé à j14. Il a retrouvé une régression de l’emphysème sous cutané cervico-facial et médiastinal, des images de cellulite au
Figure 2 TDM cervico-facial et thoracique sans injection. A. Coupe passant par le médiastin. Présence d’emphysème sous cutané en avant du muscle grand pectoral (flèche no 1). Présence de bulles d’air au pourtour de l’aorte, de la veine cave supérieure, de la trachée et de l’œsophage (flèche no 2). B. Coupe cervicale. Infiltration gazeuse de l’espace pré trachéal (flèche no 1), de la loge rétropharyngée (flèche no 2) et de la gaine jugulo-carotidienne (flèche no 3). C. Coupe passant par l’étage inférieur de la face. Emphysème sous cutané péri-mandibulaire (flèche no 1). Atteinte de la loge rétro-pharyngée en arrière de l’oropharynx (flèche no 2). D. Coupe passant par l’étage moyen de la face. Emphysème sous-cutané prémaxillaire (flèche no 1). Pour citer cet article : Carloni R, et al. Q1Gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension cervico-faciale. À propos d’un cas exceptionnel. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.02.003
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R. Carloni et al.
niveau des zones douloureuses et une collection à la face interne de la cuisse droite (Fig. 3). Une troisième reprise chirurgicale pour parage a été réalisé à j17 afin d’exciser les tissus sous-cutanés nécrosés au niveau du pubis et de la face interne de la cuisse droite. Deux lames de Delbet ont été mises en place au niveau des zones de décollement (Fig. 4). Les prélèvements per opératoires ont mis en évidence un E. coli résistant au pipéracilline-tazobactam. L’antibiothérapie a donc été adaptée. Une quatrième intervention à j29 a été nécessaire pour parage et drainage de collections au niveau du muscle obturateur interne droit et de la face antérolatérale de la cuisse droite, depistés sur un scanner de contrôle. Dans les suites de l’intervention la patiente a été transférée en chirurgie plastique pour la suite des soins. La disparition du syndrome inflammatoire a été obtenue à j34 et l’apyrexie à j35. Une cicatrisation dirigée a permis une évolution favorable au niveau des zones excisées, grâce à un traitement par thérapie à pression négative. Le rétablissement de la continuité digestive a été réalisé à 2 mois et demi postopératoire, après cicatrisation complète. La durée d’hospitalisation a été de 78 jours.
Discussion Les formes gazeuses, témoins de la présence de germes anaérobies au sein des tissus infectés, représentent environ 20 % des dermo-hypodermites nécrosantes périnéales [3].
Figure 4 Parage réalisé à j17 au niveau du pubis et à la face interne de la cuisse droite.
Elles sont d’étiologies multiples [3,4] : aggravation d’une pathologie médicale sous jacente (génito-urinaire, digestive, cutanée), iatrogènes (après une chirurgie loco-régionale), ou posttraumatiques. Lorsqu’aucune étiologie n’est retrouvée on parle de gangrène périnéale primitive ou « gangrène de Fournier ». Une endo-artérite et une thrombose infectieuse primitive des artères honteuses semblerait alors en cause [5]. Anciennement classées parmi les fasciites necrosantes synergistiques ou mixtes [6] du fait de leur
Figure 3 TDM cervico-facial et thoracique sans injection à j14 post-opératoire. A. Coupe passant par le médiastin. Régression de l’emphysème sous-cutané en avant du muscle grand pectoral (flèche no 1). Disparition du pneumo-médiastin (flèche no 2). B. Coupe cervicale. Résorption de l’infiltration gazeuse de l’espace pré trachéal (flèche no 1), de la loge rétro-pharyngée (flèche no 2) et de la gaine jugulo-carotidienne (flèche no 3). C. Coupe passant par l’étage inférieur de la face. Régression de l’emphysème sous cutané périmandibulaire (flèche no 1) et de l’atteinte rétro-pharyngée (flèche no 2). D. Coupe passant par l’étage moyen de la face. Régression de l’emphysème sous-cutané pré maxillaire (flèche no 1). Pour citer cet article : Carloni R, et al. Q1Gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension cervico-faciale. À propos d’un cas exceptionnel. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.02.003
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Gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension cervico-faciale origine pluribacterienne, on prefère actuellement le terme de dermohypodermite nécrosante du périnée [7] ou de fasciite nécrosante du périnée. Les hommes sont plus souvent atteints que les femmes [3], de plus, l’origine ethnique a été retrouvé comme pouvant être un facteur de risque (RR = 2) [8], probablement à cause d’un diagnostif souvent tardif et d’une surveillance cutanée difficile. Les autres facteurs de risque sont bien codifiés dans la littérature [3,8—10] et sont communs à l’ensemble des dermo-hypodermites nécrosantes : obésité, diabète, âge > 65 ans, alcoolisme, tabac, insuffisance rénale et hépatique, immunodépression (hémopathie, VIH), prise récente d’AINS, toxicomanie. Lorsque le repérage classique de l’érythème cutané est difficile, à cause de la couleur de peau du patient, et qu’un pannicule adipeux épais gêne le repérage d’une crépitation sous-cutanée, l’interrogatoire du patient prime. L’apparition récente d’une hypoesthésie cutanée, d’une faiblesse musculaire ou de douleurs intenses, localisés à la racine des membres ou au périnée, doivent faire évoquer le diagnostic de DHBN périnéale, a fortiori s’il existe une consommation récente d’AINS. Celle ci s’accompagne le plus souvent d’une dégradation hémodynamique rapide. Une porte d’entrée cutanée, tels un abcès ou une escarre, peut être retrouvée, mais dans 60 à 80 % des cas uniquement [8]. Lorsqu’aucune étiologie apparente n’est retrouvée, il faut rechercher une étiologie génito-urinaire [11] (pyosalpynx, uropathie infectée) ou digestive (cancer colorectal, perforation digestive) [12] à l’aide d’une imagerie. Dans 46 à 87 % des cas, la DHBN est limitée au périnée [3], mais des formes extensives peuvent survenir dans 13 à 54 % des cas. Le TDM ou l’IRM permettent à la fois de faire le diagnostic et le bilan d’extension [13,14]. L’extension du processus gangreneux se fait à partir de la région périnéale en deux directions opposées [12], une voie ascendante et une descendante. En bas le long du muscle psoas iliaque et des vaisseaux fémoraux pour atteindre la cuisse, par l’arcade crurale pour la loge antérieure ou par le foramen obturateur pour la loge interne. Parfois l’infection peut fuser vers la loge postérieure à travers le foramen sciatique. En haut, elle se propage en pré péritonéal, le long des muscles des parois abdominale et thoracique, ou en rétropéritonéal, en direction du médiastin et du cou, grâce à une diffusion le long des espaces pararectaux [3] puis par les déhiscences diaphragmatiques. Ces voies de diffusion doivent être recherchées pendant l’intervention et des lames de drainage introduites sur ces trajets. Malgré la présence de bulles d’air au sein des muscles fessiers et du psoas iliaque sur le scanner initial, l’exploration chirurgicale a montré un muscle fessier d’aspect normal. Nous avons préféré préserver ces muscles lors du premier parage. Cette attitude conservatrice a finalement été bénéfique. L’infiltration gazeuse scanographique doit imposer une aponévrotomie, visant à explorer les cloisons inter musculaires et la vitalité des muscles, afin d’affirmer ou d’éliminer une myonécrose [15]. À notre connaissance, nous décrivons le premier cas au monde de DHBN avec extension cervicale. Cette présentation atypique a posé question lors de la mise en place de la stratégie chirurgicale.
5 Devant l’extension majeure de la DHBN à l’admission mais en l’absence de collections bien individualisées, nous avons choisi de ne pas réaliser de drainage cervico-facial, médiastinal ou péricardique, ce qui aurait été très délabrant. Une régression de l’emphysème sous-cutané cervico-facial, une fonction cardiaque normale et une stabilisation de l’état hémodynamique n’ont pas justifié ces interventions secondairement. Dans la littérature [9], les cellulites cervicales nécrosantes et les médiastinites antérieures d’origine cervico-faciale sont systématiquement drainées. Ce drainage peut se faire soit par voie cervicale soit par thoracotomie. Chez notre patiente, l’introduction d’une lame dans l’espace para rectal droit, voie de diffusion de l’infection, a permis de drainer l’infection cervicale et médiastinale par déclivité, la patiente ayant été installée en position demi-assise dès le début de la prise en charge. Lorsque l’infection est d’origine cervico-faciale, il n’existe pas de voie de drainage descendante. Le drainage médiastinal ou cervical est donc impératif. Si tout le monde s’accorde pour dire qu’une chirurgie précoce dans les 24 premières heures est nécessaire afin de parer les tissus nécrotiques [4,16,17], plusieurs attitudes existent quant à l’étendue de ce parage. Certains prônent un parage radical d’emblée [18], d’autres préfèrent être plus économes et limiter celui ci aux zones franchement nécrotiques ou collectées, en temporisant sur les zones cliniquement incertaines [3,19,20]. Nous avons considéré les atteintes cervico-faciale et médiastinale chez notre patiente comme étant des zones cliniquement incertaines. Cette attitude conservatrice initiale a été profitable à la patiente au vu de l’évolution clinique. Dans le cadre d’une gangrène périnéoféssière 2 à 6 parages sont le plus souvent nécessaires [3,4]. Il est toujours temps, lors de reprises ultérieures, d’être plus agressif si l’évolution clinique se révèle défavorable. Une antibiothérapie probabiliste a large spectre permet de limiter la propagation de l’infection par voie hématogène [3,4], mais ne peut atteindre les tissus nécrotiques, atteints de microthromboses septiques et souvent cloisonnés. L’anticoagulation efficace n’a pas prouvé son efficacité pour améliorer la pénétration des antibiotiques dans ces tissus [4]. Le recours à l’oxygénothérapie hyperbare en aigu semble surtout être indiquée pour le traitement des infections à Clostridium [3,21] ce qui n’était pas notre cas. Elle est plus intéressante en phase de cicatrisation [12] ou elle permettrait, en association avec un régime hypercalorique (3000 kcal/j) hyperprotidique, une cicatrisation plus rapide par une meilleure oxygénation des tissus. Une colostomie de décharge permet de limiter la souillure des pansements, a fortiori en cas d’incontinence fécale [3] ou lorsque la cause de la gangrène périnéale est d’origine digestive [12]. De la même façon, une dérivation des urines par sonde à demeure ou par cystostomie peut être indiquée. Il n’existe pas de consensus quant à la perfusion d’immunoglobulines intraveineuses [16], utilisées principalement lors d’un choc à streptocoque pour neutraliser l’effet de la toxine streptococcique.
Conclusion Les DHBN du périnée peuvent être à l’origine d’une extension cervico-faciale de façon exceptionnelle. Nous rapportons
Pour citer cet article : Carloni R, et al. Q1Gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension cervico-faciale. À propos d’un cas exceptionnel. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.02.003
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notre expérience à propos d’un cas unique. Le parage initial doit être évalué en fonction des données cliniques et radiologiques. Les indications du drainage cervico-facial et médiastinal doivent être pesées au cas par cas, car il n’existe pas d’attitude claire dans la littérature. Notre cas souligne l’intérêt d’un traitement le plus conservateur possible initialement. La mise en position demi assise a permis le drainage de l’extension cervico-faciale et mediastinale sans avoir recours au drainage chirurgical classique.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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Pour citer cet article : Carloni R, et al. Q1Gangrène gazeuse périnéo-fessière à extension cervico-faciale. À propos d’un cas exceptionnel. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.02.003