Journal de Gyn´ ecologie Obst´ etrique et Biologie de la Reproduction (2012) 41, 485—488
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www.sciencedirect.com
CAS CLINIQUE
Grossesse et tumeur stromale extra-digestive : une association exceptionnelle Pregnancy and extra-gastrointestinal stromal tumor: An exceptional association S. Mahdaoui a,∗, E.M. Hissane a, B. Oubaid a, S. Hermas a, M. Noun a, N. Samouh a, F. Essodegui b a b
Service de gynécologie-obstétrique « C », centre hospitalier universitaire, 159, rue Oussama-Ibn-Zaid-Maarif, Casablanca, Maroc Service de radiologie centrale, CHU Ibn Rochd, 1, rue des Hôpitaux, Casablanca, Maroc
Rec ¸u le 2 janvier 2012 ; avis du comité de lecture le 27 mars 2012 ; définitivement accepté le 10 avril 2012 Disponible sur Internet le 21 mai 2012
MOTS CLÉS Tumeur stromale extra-digestive ; Grossesse ; Contraception
KEYWORDS Extra-gastrointestinal stromal tumors; Pregnancy; Contraception
Résumé Les tumeurs stromales extra-digestives (EGIST) sont des entités rares. La coexistence d’une tumeur stromale extra-digestive et une grossesse est exceptionnelle. Nous décrivons un cas de cette association, trois ans après le premier diagnostic d’une EGIST fait lors d’une laparotomie exploratrice pour masse abdomino-pelvienne. Nous rapportons les difficultés diagnostiques et de prise en charge d’une grossesse sur récidive d’une tumeur stomale extra-digestive. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Extra-gastrointestinal stromal tumors (EGIST) are a rare entities. The coexistence of a gastrointestinal stromal tumor and pregnancy is exceptional. We describe a case of this association, three years after the first diagnosis of EGIST made during exploratory laparotomy for abdominal-pelvic mass. We report the diagnostic difficulties and management of pregnancy on recurrence of EGIST tumor. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Les tumeurs stromales extra-digestives (EGIST), décrites pour la première fois en 1998, sont des tumeurs
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Mahdaoui).
mésenchymateuses à localisation primitive péritonéale et mésentérique. Elles sont de morphologie et de phénotype similaires aux tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) [1]. L’association d’une tumeur stromale EGIST avec une grossesse est une association extrêmement rare jamais rapportée dans la littérature. Nous rapportons les difficultés diagnostiques et de prise en charge d’une grossesse sur récidive d’une tumeur stomale EGIST.
0368-2315/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jgyn.2012.04.008
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S. Mahdaoui et al.
Observation H.K., âgée de 38 ans, deux pares, a été opérée en 2006 pour masse abdomino-pelvienne évoluant depuis six mois. La patiente a bénéficié d’une laparotomie exploratrice qui a retrouvé une tumeur épiploique de 19 cm de grand axe au contact de l’utérus. Une omentectomie prenant la totalité de la tumeur a été réalisée. Le diagnostic histologique a conclu à une tumeur stromale extra-digestive. La patiente qui a été mise sous imatinib 400 mg par jour pour éviter les récidives, s’est présentée en consultation pour des algies pelviennes depuis un mois et des signes digestifs à type de dyspepsie, nausées et vomissements. À l’interrogatoire la patiente rapporte également une notion d’aménorrhée de trois mois. L’examen clinique retrouve une patiente qui présente une distension abdominale avec deux masses palpables, l’une rénitente au niveau de la fosse iliaque droite et l’autre ferme au niveau de l’hypochondre gauche. L’examen gynécologique retrouve un col profond, violacé dévié à gauche et un utérus mal apprécié par le toucher vaginal du fait d’un blindage abdomino-pelvien. Une échographie abdomino-pelvienne réalisée a objectivé une grossesse évolutive de 15 SA au niveau de l’hypochondre gauche sans pouvoir trancher sur son caractère intra-utérin, ainsi que plusieurs masses hétérogènes au niveau de la fosse iliaque droite. Devant le doute topographique de la grossesse et la suspicion de récidive de la tumeur EGIST, une imagerie par résonnance magnétique est réalisée et a objectivé un utérus siège d’une grossesse intra-utérine (Fig. 1) et présence d’une volumineuse masse tissulaire
Figure 1 IRM abdomino-pelvienne, coupe sagittale pondérée en T2, montrant une grossesse intra-utérine. Abdominopelvic MRI, sagittal T2-weighted images T2 showing intrauterine pregnancy.
Figure 2 IRM abdomino-pelvienne, coupe axiale pondérée en T2, masse tissulaire (flèches) de signal hétérogène en rapport avec la récidive de la tumeur stromale. Abdominopelvic MRI, Axial T2-weighted images, tissular mass (arrows) with heterogeneous signal related to the recurrence of extra-gastrointestinal stromal tumors.
pelvienne médiane, latéralisée à droite, de signal hétérogène mesurant 177 × 128 × 120 mm évoquant a priori une récidive EGIST (Fig. 2 et 3). Une interruption thérapeutique de la grossesse a été décidée après discussion avec le couple. La patiente a expulsé spontanément après trois poses de 50 g de misoprostol chacune. L’étude foetocytologique réalisée après expulsion n’a révélé aucune
Figure 3 IRM abdomino-pelvienne, coupe coronale pondéré en T2, masse pelvienne (flèches) de signal hétérogène, latéralisée à droite (flèches). Abdominopelvic MRI, coronal T2—weighted images, pelvic mass (arrows) with heterogeneous signal lateralized to the right.
Grossesse et tumeur stromale extra-digestive : une association exceptionnelle anomalie. Après l’accouchement, une cœlioscopie diagnostique avec biopsie a confirmé la récidive de la tumeur stromale extra-digestive. Un ajustement de la posologie de l’Imatinib a permis la régression de 80 % des lésions et une contraception a été instaurée. Il existait une stabilisation des lésions après 18 mois de recul.
Discussion Les localisations primitives des tumeurs stromales au niveau des tissus mous de l’abdomen et du pelvis (EGIST) sont extrêmement rares. Elles sont considérées primitives quand elles ne comportent aucun point d’attache avec le tube digestif. Les rares cas rapportés dans la littérature sont localisés au niveau de l’épiploon et le mésentère, et dans un seul cas, la tumeur primitive s’est développée aux dépends du ligament rond du foie [2]. Chez notre patiente la localisation primitive est épiploique avec extension utérine particulière jamais décrite. Le diagnostic de ces tumeurs est histologique et repose sur la recherche d’un récepteur à tyrosine kinase nommé cKit ou CD117 qui représente un marqueur sensible mais non spécifique des tumeurs stromales. C’est seulement dans le cas rare des tumeurs Kit-négatives que se discute l’intérêt diagnostique d’autres marqueurs (DOG-1 et PKC theta) ou de la recherche de mutations des gènes KIT et PDGRA [3]. La synthèse des données immunohistochimiques de la littérature montre que les EGIST ont le même profil que leurs homologues digestives, avec toutefois, une expression plus marquée des antigènes musculaires lisses. L’exérèse chirurgicale complète de la tumeur en bloc avec des marges saines est le traitement de première intention des EGIST. Le pronostic dépend du grade histologique et de la qualité du geste chirurgical initial. L’association EGIST et grossesse est exceptionnelle. De nos jours, aucun cas n’a été rapporté dans la littérature. La rareté de cette association s’explique par la prévalence de la pathologie qui n’apparaît qu’entre les cinquième et sixième décades et par l’atteinte majoritaire des hommes par rapport aux femmes. Le diagnostic d’une grossesse associée à une tumeur stromale n’est pas toujours aisé. Les tumeurs EGIST se caractérisent par leur latence et polymorphisme cliniques. Chez les patientes suivies pour EGIST sous imatinib le diagnostic de grossesse est encore plus difficile à cause des effets secondaires du traitement à type de dyspepsies, nausées et vomissements similaires aux signes sympathiques de la grossesse surtout au premier trimestre. De rares cas de ces tumeurs sont associées à des syndromes paranéoplasiques : hypoglycémies par production d’insulin growth factor II, flushs, hippocratisme digital et pelade [4] et dernièrement un cas de dermatomyosite a été rapporté [5]. L’imatinib (mésylate) est un inhibiteur des tyrosines kinases qui a révolutionné la prise en charge des GIST depuis août 2000. Utilisé en cas de tumeurs localement avancées ou de récidives tumorales au-delà de toute ressource chirurgicale, l’imatinib a permis des réductions impressionnantes du volume tumoral avec, toutefois, des réponses cliniques complètes exceptionnelles [6]. L’imatinib peut être responsable de tératogénicité fœtale d’où la nécessité d’instaurer une contraception efficace chez les femmes en
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période d’activité génitale sous traitement. Pour les EGIST, l’expression du c-Kit et les mutations du gène c-Kit, similaires à celles retrouvées au niveau des GIST, ont impliqué la possibilité d’utiliser le Glivec® dans les EGIST avancées ou métastatiques [7]. L’imatinib chez notre patiente a permis de réduire la récidive tumorale de la fosse iliaque droite. Le retard de diagnostic est dû en partie aux signes sympathiques de la grossesse pris comme effets secondaires de l’imatinib responsable aussi de troubles digestifs disparaissant en général à huit mois du traitement [8]. La prise en charge dans ce cas n’a pas été simple : l’imatinib qui est le traitement de base des récidives des EGIST est contre indiqué en cas de grossesse et nous avons estimé, même avec le peu de données concernant la tératogénicité du produit, que l’interruption de la grossesse avec ajustement de la posologie du traitement constituaient la meilleure alternative thérapeutique. Notre patiente aurait dû bénéficier lors du diagnostic de sa pathologie d’une contraception sûre.
Conclusion L’association d’une tumeur stromale EGIST et grossesse est une association exceptionnelle, de pronostic sombre du fait de la fréquence des métastases qu’engendre ce type de tumeur. Il serait donc souhaitable chez les patientes porteuses de ces tumeurs d’instaurer un moyen contraceptif efficace ou leur conseiller une grossesse juste après le traitement chirurgical chez les patientes nullipares.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article.
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