Hépatite auto-immune chez une patiente co-infectée VIH-VHC : difficultés diagnostiques et thérapeutiques

Hépatite auto-immune chez une patiente co-infectée VIH-VHC : difficultés diagnostiques et thérapeutiques

La Revue de médecine interne 27 (2006) 414–419 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/ Communication brève Hépatite auto-immune chez une patiente ...

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La Revue de médecine interne 27 (2006) 414–419 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/

Communication brève

Hépatite auto-immune chez une patiente co-infectée VIH-VHC : difficultés diagnostiques et thérapeutiques Autoimmune hepatitis in a HIV–HCV co-infected patient: diagnostic ant therapeutic difficulties C. Cazanave a,*, S. Rakotondravelo a, P. Morlat a, P. Blanco b, F. Bonnet a, J. Beylot a a

Service de médecine interne et maladies infectieuses, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, CHU de Bordeaux, 33075 Bordeaux cedex, France b Laboratoire d’immunologie, hôpital Pellegrin, place Amélie-Raba-Léon, CHU de Bordeaux, 33076 Bordeaux cedex, France Reçu le 20 septembre 2005 ; accepté le 23 janvier 2006 Disponible sur internet le 03 mars 2006

Résumé Introduction. – L’hépatite auto-immune (HAI) est une pathologie inflammatoire chronique, caractérisée par une hypergammaglobulinémie et la présence d’autoanticorps. Le plus souvent isolée, elle peut être associée à d’autres pathologies, comme le syndrome de chevauchement HAI– hépatite C dont le diagnostic et le traitement peuvent poser problème. Exégèse. – Nous rapportons l’observation d’une patiente co-infectée VIH–VHC ayant développé un tableau d’HAI de type 1. Une rémission de cette hépatite et une éradication du VHC ont été obtenues sous prednisone et interféron–ribavirine. L’HAI a récidivé à l’arrêt des corticoïdes et une nouvelle rémission a été possible sous traitement immunosuppresseur combiné (prednisone et azathioprine), sans développement de pathologie opportuniste. Conclusion. – Cette observation illustre les difficultés diagnostiques et thérapeutiques des syndromes de chevauchement HAI–hépatite C, chez une patiente séropositive pour le VIH. Il s’agit, à notre connaissance, du premier cas décrit d’HAI chez une patiente co-infectée VIH-VHC. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – Autoimmune hepatitis (AIH) is a chronic inflammatory hepatic disorder, characterized by hypergammaglobulinemia and autoantibodies. In some cases, AIH can be associated with another liver disease; such as the hepatitis C–AIH overlap syndrome, which diagnosis and treatment may be delicate. Exegese. – We report a type 1 AIH case in a HIV–HCV co-infected woman. AIH remission and HCV eradication were obtained with prednisone and interferon plus ribavirine. AIH relapse appeared with corticosteroid withdrawal and a new remission was obtained with immunosuppressive treatment associating prednisone and azathioprine, without opportunistic infection. Conclusion. – This case illustrates diagnostic and therapeutic difficulties of hepatitis C–AIH overlap syndromes in an HIV-infected patient. To our knowledge, it is the first AIH case report in a HIV–HCV co-infected patient. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Hépatite auto-immune ; VHC ; VIH ; Traitement Keywords: Autoimmune hepatitis; HCV; HIV; Treatment

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Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Cazanave).

0248-8663/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2006.01.016

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L’hépatite auto-immune (HAI) est une pathologie inflammatoire chronique du foie caractérisée par une hypergammaglobulinémie polyclonale et la présence d’autoanticorps. Son diagnostic devient difficile lorsque s’y associe une hépatite C chronique. Le traitement des HAI repose sur les immunosuppresseurs, de prescription délicate chez une patiente séropositive pour le VIH. 1. Observation Une patiente âgée de 43 ans, suivie depuis 1988 pour une co-infection VIH–VHC, a posé en 2001 un problème diagnostique de cytolyse hépatique. Son infection VIH a été découverte fortuitement lors de sa deuxième grossesse. Après enquête, la contamination remontait quatre ans auparavant lors d’une transfusion au décours d’une césarienne pour sa première grossesse. Son infection VHC, contractée lors de la même transfusion, a été découverte en 1991, avec l’arrivée des tests diagnostiques. La PCR ARN– VHC était positive et il s’agissait d’un génotype 3. Comme autre antécédent, elle présentait depuis l’âge de 17 ans un tableau de polyarthrite non érosive, étiquetée polyarthrite séronégative (facteurs rhumatoïdes négatifs en 1994 et anticorps antinoyaux et anti-ADN natif négatifs en 1999). Elle était traitée par antiinflammatoires non stéroïdiens et antalgiques à la demande. De 1998 à 2000, cette patiente a été régulièrement suivie, sans problème clinique lié à ces deux infections. Sans traitement antirétroviral, les lymphocytes CD4+ ont toujours été supérieurs à 500/mm3 et les charges virales inférieures à 1000 copies d’ARN–VIH/ml. Les biologies hépatiques ont toujours été normales. La normalité de la biologie hépatique et l’absence à l’époque de traitement consensuel pour les hépatites C chez les co-infectés n’ont pas motivé la réalisation d’une ponction– biopsie hépatique, ni la prescription d’un traitement anti-VHC. En janvier 2001, les CD4+ étant proches de 350/mm3, avec une baisse progressive depuis quelques mois, une trithérapie était débutée comprenant deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (lamivudine, stavudine) et un inhibiteur non nucléosidique (éfavirenz). Trois mois plus tard, la patiente était asymptomatique, les CD4+ à 414/mm3, la charge virale indétectable et le reste du bilan biologique normal. En septembre 2002, alors que le bilan immunovirologique de son infection VIH restait satisfaisant (CD4+ à 425/mm3 et charge virale indétectable), apparaissaient une importante cytolyse hépatique, avec des transaminases à quatre fois la normale, une cholestase anictérique (phosphatases alcalines à deux fois la normale) et une majoration de ses arthralgies. Après avoir écarté les étiologies toxiques ou médicamenteuses classiques, le bilan immunologique objectivait une hypergammaglobulinémie polyclonale à deux fois la normale, des immunoglobulines G (IgG) à trois fois la normale, avec des taux d’IgA et IgM normaux, des anticorps antinucléaires au 1/8000 de fluorescence mouchetée, des anticorps anti-ADN natif à 63 UI/ml en Elisa, des anticorps anticardiolipides à 37 unités GPL, des anticorps antimuscles lisses au 1/4000, de type antiactine et antiSLA (soluble liver antigen) positifs. De plus, on notait une

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cryoglobulinémie de type III faiblement positive à 10 mg/l, un groupage tissulaire HLA-B8 et DR3, un facteur rhumatoïde négatif, une exploration normale du complément et la négativité des anticorps anti-LKM1 (liver and kidney microsome type 1), antimitochondries et anti-Sm. Une ponction–biopsie hépatique a alors objectivé une inflammation lymphoplasmocytaire portale sévère, une nécrose des lames bordantes périportales sévère, associée à une nécrose intralobulaire sévère et à une fibrose septale sévère sans cirrhose. De plus, étaient décrits quelques nodules lymphoïdes portaux, une stéatose minime de type macrovacuolaire. Le score Métavir était A3F3. Ces aspects histologiques étaient en faveur d’une hépatite auto-immune, intriquée à une hépatite chronique virale C. Le profil immunologique était en faveur d’une HAI de type 1. Un traitement double, anti-VHC et immunosuppresseur, a été instauré. Celui-ci comprenait de la prednisone, sous couverture de cotrimoxazole, débutée en décembre 2002, en traitement d’attaque à 1 mg/kg par jour avec une décroissance progressive jusqu’à un traitement d’entretien à 20 mg/j. L’interféron pégylé et la ribavirine ont été débutés un mois plus tard et pour une durée prévisionnelle d’un an. Les antirétroviraux ont été maintenus. L’évolution a été rapidement favorable puisque dès avril 2003, on observait une disparition de la cytolyse, une normalisation des phosphatases alcalines et une négativation de l’ARN–VHC. À un an, lors de l’arrêt du traitement anti-VHC, la biologie hépatique était normale, l’ARN–VHC négatif et le bilan immunologique nettement amélioré. Un sevrage progressif de la corticothérapie était alors débuté. En mai 2004, alors que la patiente recevait 10 mg quotidiens de prednisone, réapparaissaient les arthralgies et une cytolyse à deux fois la normale, l’ARN–VHC restant négatif et au sevrage complet effectué en août 2004, la biologie montrait une cytolyse à sept fois la normale, accompagnée d’une cholestase. Le bilan immunologique était à nouveau fortement perturbé (anticorps antinucléaires au 1/1000, anti-ADN natif à 44 en Elisa, contrôlés à 167 unités en FIDIS®, antimuscles lisses au 1/4000, anti-SLA positifs, la cryoglobulinémie et les anticorps anticardiolipides s’étant négativés) mais l’ARN–VHC restait toujours négatif. Un traitement immunosuppresseur associant prednisone (10 mg/j au décours d’une période d’attaque de deux mois) et azathioprine (50 mg/j) et avec reprise du cotrimoxazole a alors été mis en place en septembre 2004 pour une durée prévisionnelle minimale de deux ans. Ce traitement s’est accompagné rapidement d’une normalisation complète de la biologie hépatique persistant en juillet 2005 après presque un an de thérapie mais avec maintien des anomalies auto-immunes. La charge virale reste indétectable et le taux de CD4+ est à 1118/mm3. L’évolution des transaminases (ALAT) et de la charge virale VHC en fonction des différents traitements est résumée sur la Fig. 1. 2. Discussion 2.1. Généralités L’HAI est une maladie inflammatoire chronique du foie, à nette prédominance féminine, caractérisée par une hypergam-

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Fig. 1. Évolution des transaminases (ALAT) et de la charge virale VHC selon les traitements.

maglobulinémie et la présence d’autoanticorps sériques. Elle représente moins de 6 % des étiologies des hépatites chroniques actives en France. Elle peut se révéler sous une forme aiguë, voire fulminante [1], mais le plus souvent elle est peu symptomatique, de découverte fortuite. Les signes extrahépatiques, au premier rang desquels figurent les polyathralgies, sont fréquents et peuvent même précéder l’hépatopathie. Les HAI sont classées en deux types selon la nature des autoanticorps : l’HAI de type 1 caractérisée par la présence d’anticorps antimuscles lisses et antinucléaires et l’HAI de type 2 où sont décrits des anticorps anti-LKM1 et/ou anti-LC1 (liver cytosol type 1). L’histologie hépatique conforte le diagnostic d’HAI, elle est caractérisée par une inflammation lymphoplasmocytaire portale (hépatite d’interface), une nécrose hépatocytaire des lames bordantes périportales (nécrose parcellaire) et une fibrose d’intensité variable [2]. La physiopathologie n’est pas clairement déterminée, comme pour toute pathologie auto-immune, l’HAI est multifactorielle, associant un terrain génétique prédisposant (antigènes HLA-DR3 et DR4 essentiellement) et des facteurs environnementaux, médicamenteux ou infectieux, en particulier les virus hépatotropes, à l’origine d’une activation de cellules T autoréactives [3,4]. Le diagnostic des formes isolées est relativement aisé et peut être conforté par un score diagnostique établi par un groupe d’experts [5]. En revanche, le diagnostic des associations ou syndrome de chevauchement (« overlap syndrome ») est plus complexe. Deux types de syndrome de chevauchement existent : les syndromes de chevauchement cholestatiques (association à une cirrhose biliaire primitive ou une cholangite sclérosante) et les syndromes de chevauchement avec les hépatites chroniques virales, en particulier l’hépatite C. En règle générale, l’HAI isolée répond bien au traitement immunosuppresseur, associant prednisone et azathioprine, mais les récidives à son arrêt sont très fréquentes et le taux de rémission complète est de moins de 50 % à dix ans [6]. Ce traitement standard doit être rediscuté et adapté lors des associations HAI– hépatite C. Ce cas clinique illustre deux points de cette pathologie : d’une part, les difficultés diagnostiques des syndromes de chevauchement HAI–hépatite C, et, d’autre part, les difficultés thérapeutiques d’un tel syndrome, surtout sur un terrain d’immunodépression lié à une infection rétrovirale.

2.2. Difficultés diagnostiques Une discussion s’est imposée pour poser un diagnostic précis chez cette patiente lorsqu’est apparue la cytolyse dans ce contexte dysimmunitaire. Les différentes hypothèses diagnostiques et physiopathologiques sont passées en revue et commentées. 2.2.1. Rôle des antirétroviraux ? Parmi les antirétroviraux prescrits la stavudine et l’éfavirenz sont potentiellement hépatotoxiques. Mais l’important délai entre leur instauration et l’apparition du tableau hépatique (supérieur à un an) minimise l’imputabilité de ces molécules. De plus, il n’a jamais été rapporté dans la littérature d’HAI médicamenteuse secondaire à ces substances. Enfin, l’évolution favorable ultérieure alors que ces antirétroviraux ont été maintenus renforce a posteriori leur absence d’implication dans la genèse de cette hépatite. 2.2.2. Rôle du VIH dans la physiopathologie ? La question s’est posée aussi de la responsabilité du VIH soit directement comme facteur favorisant l’apparition de l’HAI ou bien par l’intermédiaire du phénomène de restauration immunitaire. En ce qui concerne le premier point évoqué, le VIH seul, à la différence des virus hépatotropes (VHB, VHC, EBV…) n’apparaît pas dans la littérature comme un virus potentiellement à l’origine d’HAI. Très peu de publications rapportent des cas d’HAI chez des patients séropositifs pour le VIH (sans autre infection virale), régressives sous traitement antirétroviral [7]. La responsabilité directe du VIH est d’autant plus improbable ici que les signes sont apparus alors que la charge virale était indétectable. En revanche, les perturbations immunologiques lors des phénomènes de restauration immunitaire sont désormais reconnus, surtout lorsque les CD4+ passent rapidement de chiffres très bas, généralement inférieurs à 200/mm3, à des chiffres supérieurs à 500/mm3 [8]. À notre connaissance, aucun cas d’HAI liée à un phénomène de restauration immunitaire n’a été rapporté dans la littérature. Ici, il n’y a pas eu réellement de phénomène de restauration immunitaire. En effet, les CD4+ n’ont

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jamais été effondrés et leur ascension sous antirétroviraux a été progressive et modérée. Pour toutes ces raisons, la part du VIH dans la physiopathogenèse de cette HAI nous semble négligeable par rapport à celle du VHC. 2.2.3. Hépatite lupique ? L’existence d’un lupus systémique à focalisation hépatique (hépatite lupique) a été soulevée chez cette jeune femme lors du bilan de sa cytolyse. Plusieurs arguments corroboraient à l’époque cette hypothèse. Le premier était cet antécédent de polyarthrite évoluant depuis l’adolescence. Les autres arguments étaient les perturbations du bilan immunologique avec notamment l’hypergammaglobulinémie polyclonale et la présence à des taux importants d’anticorps antinucléaires et anti-ADN natif. Au total, trois critères définis par l’ARA (American College of Rheumatolgy) étaient présents [9]. À l’encontre de ce diagnostic, on notait l’absence d’autres atteintes systémiques (cutanéomuqueuse, rénale ou neurologique), la négativité des anticorps antiribosomes classiquement décrits dans les hépatites lupiques [10], la normalité du complément, ainsi que la présence d’anticorps anti-SLA, non associés au lupus [11]. Enfin, l’histologie hépatique n’était pas non plus en faveur de ce diagnostic. En effet, l’inflammation portale intense et la nécrose parcellaire sont des signes d’HAI, alors que l’hépatite lupique est moins active, avec une inflammation lobulaire modérée, sans nécrose [12]. Le diagnostic d’hépatite lupique a donc été définitivement écarté après la biopsie hépatique. 2.2.4. Hépatite C isolée ou syndrome de chevauchement HAI– hépatite C ? Le VHC à lui seul aurait pu expliquer le tableau présenté en septembre 2002. L’hépatite C s’accompagne fréquemment de manifestations cliniques extrahépatiques, au premier rang desquelles les arthralgies [13]. Des autoanticorps sont aussi présents dans plus de la moitié des cas, parmi lesquels les anticorps antinucléaires (41 %), les facteurs rhumatoïdes (38 %) [13], mais aussi plus rarement et à des taux faibles les anticorps anti-LKM1, anti-SLA (10 % des hépatites C chroniques) et antimuscles lisses [14]. Le bilan immunologique ne peut suffire à différencier une hépatite C isolée accompagnée de stigmates dysimmunitaires d’une authentique association HAI–hépatite C, aucun autoanticorps n’étant pathognomonique du diagnostic d’HAI. La difficulté diagnostique est telle que classiquement, les HAI étaient définies en l’absence d’infection virale évolutive et, dans le score diagnostique redéfini en 1999, des points négatifs sont attribués à une sérologie positive de l’hépatite C, afin d’écarter de faux diagnostics positifs d’HAI. Mais le lien entre HAI et VHC et la possibilité de syndrome de chevauchement est désormais admis par les spécialistes [15,16]. Comment dès lors distinguer une hépatite C isolée d’une association HAI–hépatite C ? Le titre élevé des autoanticorps oriente davantage vers une association. De plus, la biopsie hépatique peut apporter de précieux renseignements. Certes, les signes histologiques de l’HAI, comme l’inflammation lympho-

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plasmocytaire portale et la nécrose parcellaire, ne sont pas pathognomoniques, mais ils ont une forte valeur d’orientation. D’autres signes histologiques sont plus spécifiques d’une infection virale chronique comme la présence de nodules lymphoïdes portaux et la stéatose macrovacuolaire. La coexistence de ces deux types de signes histologiques, objectivés sur la biopsie hépatique de notre patiente, plaide pour une intrication des deux pathologies. L’autre argument pour confirmer le syndrome de chevauchement a été l’évolution sous traitement. En effet, malgré l’éradication virale rapide, la cytolyse hépatique et la cholestase ont récidivé au sevrage des corticoïdes. Il en est de même pour les désordres immunologiques qui ont persisté après la guérison de l’hépatite C et se sont aggravés avec la baisse des immunosuppresseurs. Le bilan immunologique de notre patiente peut être ainsi interprété : les anticorps antimuscles lisses et antinucléaires sont des marqueurs de l’HAI et plus précisément du type 1. Les anticorps antimuscles lisses ont une spécificité antiactine, à rechercher sur cellules Hep2 et les anticorps antinucléaires sont principalement d’aspect moucheté. Les anticorps anti-ADN sont plus rarement décrits dans ce type d’hépatite. Les anticorps antiSLA sont relativement spécifiques de l’HAI de type 1, positifs dans 15 % des cas [17] et leur présence est corrélée à un taux de rechute plus important au sevrage de la corticothérapie, ce qui s’est vérifié chez notre patiente [18]. L’hypergammaglobulinémie polyclonale et la franche augmentation des IgG sont caractéristiques de cette pathologie et font partie des critères diagnostiques [5]. Les autres anomalies, comme la faible cryoglobulinémie et les anticorps anticardiolipides, sont vraisemblablement secondaires à son hépatite C et ont d’ailleurs très vite disparu avec le traitement antiviral, sans récidive. Au total, sur un terrain génétique prédisposant (HLA-B8 et DR3, tableau de polyarthrite ancien), cette patiente a développé une HAI, très vraisemblablement favorisée par une hépatite C chronique, les désordres immunologiques s’autonomisant ensuite et persistant malgré l’éradication du virus C. 2.3. Difficultés thérapeutiques 2.3.1. Comment traiter un syndrome de chevauchement HAI-hépatite C ? Une fois l’association HAI–hépatite C admise, il faut évaluer la prépondérance de la part virale ou auto-immune dans le tableau biologique et histologique, afin d’ajuster au mieux le traitement. Si la part auto-immune semble prépondérante (taux d’autoanticorps élevés, signes histologiques d’HAI plus marqués), un traitement « mixte », comprenant immunosuppresseurs et antiviraux devra être proposé, ce qui a été le cas de notre patiente. Les modalités de ce traitement ne sont pas clairement définies dans la littérature, mais il semble admis de débuter les immunosuppresseurs (corticoïdes éventuellement associés d’emblée à l’azathioprine), quelques semaines avant l’instauration d’une bithérapie anti-VHC standard [19,20]. Sous traitement immunosuppresseur seul, le risque est l’élévation de la virémie C, bien qu’en général régressive et sans conséquence lors de l’introduction du traitement antiviral [21]. La durée et

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les posologies du traitement immunosuppresseur sont variables suivant les auteurs : d’après Czaja [6], la prednisone doit être débutée en traitement d’attaque à 30 mg/j la première semaine, puis 20 mg/j la deuxième, 15 mg/j les troisième et quatrième. Un traitement d’entretien (10 mg/j puis la plus petite posologie possible) doit être maintenu sur une longue période, environ quatre ans, et arrêté très progressivement afin d’éviter les rechutes fréquentes. L’azathioprine à 50 mg/j est soit débutée d’emblée, soit secondairement si la réponse aux corticoïdes seuls n’est pas suffisante. L’azathioprine permet de diminuer au maximum les doses et les effets secondaires des corticoïdes, mais au prix d’une toxicité au long cours. Si la composante virale apparaît prédominante, la recommandation est de commencer par le traitement anti-VHC seul, à condition de surveiller étroitement les transaminases, le risque principal étant une aggravation de la cytolyse et des désordres immunologiques sous interféron [19]. Aussi, d’authentiques HAI induites par l’interféron lors de traitements d’hépatite C ont été rapportées [22]. 2.3.2. Comment traiter une rechute ? Notre patiente a rechuté à de l’arrêt des corticoïdes. Environ une HAI en rémission biologique sur deux récidive à l’arrêt du traitement immunosuppresseur d’entretien [6]. En général, ces patients répondent bien à la reprise du traitement immunosuppresseur d’attaque et dans ce cas, certains auteurs conseillent de poursuivre à vie un traitement d’entretien, avec des doses minimales d’azathioprine, plus ou moins associés à une corticothérapie [6]. De plus, notre patiente sera surveillée attentivement, car malgré la normalité de la biologie hépatique, il existe un risque d’évolution de l’HAI vers une cirrhose [23], ou un hépatocarcinome, dont la fréquence augmente lors d’antécédents d’hépatite C [24]. 2.3.3. Immunosuppresseurs et VIH ? Le risque d’apparition de pathologies opportunistes sous immunosuppresseurs chez les patients séropositifs pour le VIH doit être pris en compte et évalué en fonction du taux des lymphocytes CD4+. Ce risque est prévenu par l’adjonction de cotrimoxazole, assurant une prophylaxie de la toxoplasmose et de la pneumocystose. La prescription d’immunosuppresseurs doit être raisonnée et limitée (évaluation du rapport bénéfices/risques). De plus, l’utilisation au long cours d’azathioprine n’est pas dénuée d’effets secondaires, quel que soit le terrain, ce qui rend encore plus délicat la gestion du traitement chez ces patients. 3. Conclusion L’HAI est une pathologie nécrotico-inflammatoire chronique, rare, à forte prédominance féminine, caractérisée par la présence d’une hypergammaglobulinémie et de certains autoanticorps. Une rémission est généralement obtenue sous traitement immunosuppresseur, mais les récidives sont fréquentes à l’arrêt. Le diagnostic des formes isolées d’HAI ne pose pas de problème, il peut être conforté par la réalisation d’une biopsie

hépatique dont les signes sont assez spécifiques (hépatite d’interface, nécrose parcellaire). En revanche, le diagnostic des syndromes de chevauchement HAI–hépatite C est plus difficile, en raison de la fréquence des stigmates dysimmunitaires lors des hépatites C chroniques isolées. Le traitement de ces associations (immunosupresseurs et interféron–ribavirine) doit être étudié au cas par cas, selon la prépondérance des signes virologiques ou immunologiques. Ce traitement est de prescription encore plus délicate chez une personne porteuse du VIH, surtout lorsque la réplication du virus n’est pas contrôlée par le traitement antirétroviral, par crainte de favoriser le développement d’une pathologie opportuniste. Cette observation illustre bien cette problématique et il s’agit, à notre connaissance, du premier cas décrit dans la littérature d’HAI chez une patiente co-infectée VIH–VHC. Références [1] Kessler WR, Cummings OW, Eckert G, Chalasani N, Lumeng L, Kwo PY. Fulminant hepatic failure as the initial presentation of acute autoimmune hepatitis. Clin Gastroenterol Hepatol 2004;2:625–31. [2] Carpenter HA, Czaja AJ. The role of histologic evaluation in the diagnosis and management of autoimmune hepatitis and its variants. Clin Liver Dis 2002;6:685–770. [3] Duclos-Vallée JC, Johanet C, Sebagh M, Samuel D, Yamamoto AM. Hépatites auto-immunes. Aspects physiopathologiques, cliniques, histologiques et thérapeutiques. Ann Med Interne (Paris) 2001;152:371–82. [4] Vergani D, Mieli-Vergani G. Autoimmune hepatitis. Autoimmun Rev 2003;2:241–7. [5] Alvarez F, Berg PA, Bianchi FB, Bianchi L, Burroughs AK, Cancado EL, et al. International autoimmune hepatitis group report: review of criteria for diagnosis of autoimmune hepatitis. J Hepatol 1999;31:929–38. [6] Czaja AJ. Treatment of autoimmune hepatitis. Semin Liver Dis 2002;22: 365–78. [7] German V, Vassiloyanakopoulos A, Sampaziotis D, Giannakos G. Autoimmune hepatitis in an HIV infected patient that responded to antiretroviral therapy. Scand J Infect Dis 2005;37:148–51. [8] Zandman-Goddard G, Shoenfeld Y. HIV and autoimmunity. Autoimmun Rev 2002;1:329–37. [9] Hochberg MC. Updating the American College of Rheumatology revised criteria for the classification of systemic lupus erythematous. Arthritis Rheum 1997;40:1725. [10] Arnett FC, Reichlin M. Lupus hepatitis: an under-recognized disease feature associated with autoantibodies to ribosomal P. Am J Med 1995;99: 465–72. [11] Miyakawa H, Kawashima Y, Kitazawa E, Kawaguchi N, Kato T, Kikuchi K, et al. Low frequency of anti-SLA/LP autoantibody in Japanese adult patients with autoimmune liver diseases: analysis with recombinant antigen assay. J Autoimmun 2003;21:77–82. [12] Tojo J, Ohira H, Abe K, Yokokawa J, Takiguchi J, Rai T, et al. Autoimmune hepatitis accompanied by systemic lupus erythematous. Intern Med 2004;43:258–62. [13] Cacoub P, Renou C, Rosenthal E, Cohen P, Loury I, Loustaud-Ratti V, et al. Extrahepatic manifestations associated with hepatitis C virus infection. A prospective multicenter study of 321 patients. The GERMIVIC (Groupe d’étude et de recherche en médecine interne et maladies infectieuses sur le virus de l’hépatite C). Medicine (Baltimore) 2000;79:47–56. [14] Vitozzi S, Lapierre P, Djilali-Saiah I, Marceau G, Beland K, Alvarez F. Antisoluble liver antigen (SLA) antibodies in chronic HCV infection. Autoimmunity 2004;37:217–22. [15] Ben-Ari Z, Czaja AJ. Autoimmune hepatitis and its variant syndromes. Gut 2001;49:589–94. [16] Strassburg CP, Vogel A, Manns MP. Autoimmunity and hepatitis. Autoimmun Rev 2003;2:322–31.

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