Histoire et fonctions des Unités pour Malades Difficiles (1re partie). Du quartier de sûreté à l’Unité pour Malades Difficiles de Villejuif, plus d’un siècle de prise en charge

Histoire et fonctions des Unités pour Malades Difficiles (1re partie). Du quartier de sûreté à l’Unité pour Malades Difficiles de Villejuif, plus d’un siècle de prise en charge

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AMEPSY-2827; No. of Pages 9 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2019) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

De´veloppement professionnel continu

Histoire et fonctions des Unite´s pour Malades Difficiles (1re partie). ˆ rete´ a` l’Unite´ pour Malades Difficiles de Villejuif, Du quartier de su plus d’un sie`cle de prise en charge History and functions of ‘‘Units for Difficult Patients’’ (Part 1). From ‘‘secure ward’’ to ‘‘Unit for Difficult Patients’’: Over a century of care in Villejuif, France Marion Azoulay a, Sophie Raymond a, Jean-Pierre Bouchard b,c,*, Ve´ronique Fau-Vincenti d, Ivan Gasman a a

Unite´ pour Malades Difficiles (UMD) Henri Colin, groupe hospitalier Paul Guiraud, 54, avenue de la Re´publique, 94806 Villejuif cedex, France Institut Psycho-Judiciaire et de Psychopathologie (IPJP), Institute of Forensic Psychology and Psychopathology, centre hospitalier de Cadillac, 10, avenue Joseph Caussil, 33410 Cadillac, France c Unite´ pour Malades Difficiles (UMD), poˆle de psychiatrie me´dico-le´gale (PPML), centre hospitalier de Cadillac, 10, avenue Joseph Caussil, 33410 Cadillac, France d Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pe´nales (CESDIP)/CNRS (UMR 8183), Immeuble Edison, 43, boulevard Vauban, 78280 Guyancourt, France b

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx

Cet article est le premier volet d’un triptyque consacre´ a` l’histoire et aux fonctions des Unite´s pour Malades Difficiles (UMD). Il est de´die´ a` la plus ancienne de ces structures se´curise´es, l’UMD Henri Colin, ˆ rete´. Il e´voque l’e´volution des prises en ouverte en 1910 a` Villejuif sous l’appellation de quartier de su charge et des patients accueillis dans ce service depuis plus de cent ans, en paralle`le des mutations socie´tales. Quatre pe´riodes chronologiques distinctes sont de´taille´es, tant du point de vue des pratiques professionnelles que des motifs d’admission ou des profils psychopathologiques des patients « dangereux ». Des vignettes cliniques illustrent cette e´volution historique.

C 2019 Publie ´ par Elsevier Masson SAS.

Mots cle´s : Alie´ne´ Dangerosite´ E´tat dangereux ˆ rete´ Quartier de su Service Spe´cial pour Malades Difficiles SSMD Unite´ pour Malades Difficiles UMD

Keywords: Dangerous mental state Dangerousness Mental alienation Secure Ward Special Service for Difficult Patients Unit for Difficult Patients

A B S T R A C T

This article is the first in a series of three, dedicated to the history and functions of what is known as a UMD in France: Unite´s pour Malades Difficiles, or ‘‘Units for Difficult Patients’’. This particular article focuses on the oldest such secure structure, UMD Henri Colin, created in 1910 in Villejuif as a quartier de ˆ rete´, or a ‘‘secure ward’’. The article aims to detail evolutions in treatment and the types of patient su treated over more than one hundred years, parallel to social change. Four distinct chronological periods are examined, for their perspective on professional practice as much as for the reasons given for patients’ admission and the psychopathological profiles of ‘‘dangerous’’ patients. Clinical vignettes are used to illustrate this historical evolution.

C 2019 Published by Elsevier Masson SAS.

1. Introduction De longue date, les personnes qui pre´sentent des troubles mentaux pouvant les rendre, ou les ayant rendues dangereuses, ont * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-P. Bouchard).

suscite´ bien des re´actions de leurs contemporains. En France, une des re´ponses institutionnelles sanitaires apporte´es a` ces questions de dangerosite´, dans les diffe´rentes acceptions qu’a connues ce ˆ rete´ pour prendre en terme, a e´te´ la cre´ation de structures de su charge ces sujets sous la contrainte. La premie`re de ces structures toujours existantes a e´te´ ouverte en 1910 a` Villejuif, dans le Val-deMarne, la deuxie`me en 1947 a` Montfavet, dans le Vaucluse, la

https://doi.org/10.1016/j.amp.2019.11.002 C 2019 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. 0003-4487/

ˆ rete´ a` l’Unite´ Pour citer cet article : Azoulay M, et al. Histoire et fonctions des Unite´s pour Malades Difficiles (1re partie). Du quartier de su pour Malades Difficiles de Villejuif, plus d’un sie`cle de prise en charge. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.002

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troisie`me en 1957 a` Sarreguemines, en Moselle, la quatrie`me en 1963 a` Cadillac, en Gironde. En 1986, ces quatre services spe´cialise´s sont renomme´s Unite´s pour Malades Difficiles (UMD) [3,8–10,14,15,46,52,67–72]. De 2008 a` 2012, ce dispositif est comple´te´ par l’ouverture de six UMD supple´mentaires. Ces dix unite´s ferme´es sont des services non sectorise´s de centres hospitaliers psychiatriques. Elles sont re´parties sur l’ensemble du territoire me´tropolitain. C’est leur histoire et leurs fonctions qui sont e´voque´es dans une se´rie de trois articles re´dige´s pour l’essentiel par des cliniciens exerc¸ant en UMD. Les deux premiers sont consacre´s a` la dimension historique de ces unite´s. Le troisie`me fait le point sur le roˆle et les fonctions des UMD dans le paysage sanitaire franc¸ais actuel. Cette premie`re partie du triptyque intitule´e « Du quartier de ˆ rete´ a` l’Unite´ pour Malades Difficiles de Villejuif, plus d’un sie`cle su de prise en charge » plonge le lecteur dans la longue e´volution de la plus ancienne de ces structures. Elle est e´galement une immersion dans l’histoire plus ge´ne´rale de la psychiatrie.

ˆ rete´ de l’asile de Villejuif 2. Aux origines du quartier de su 2.1. Contexte socie´tal et le´gislatif Avant la Re´volution franc¸aise, la justice de´pend du pouvoir royal et du chaˆtiment divin, tout e´tant e´crit dans un de´terminisme religieux. La torture et les supplices prennent place au cours des proce´dures pe´nales [11,12,43] et l’enfermement des « insense´s » est alors syste´matique. Entre 1791 et 1810, la re´daction du premier Code pe´nal franc¸ais fait apparaıˆtre la notion de responsabilite´ et de double nature d’un crime ou d’un de´lit : mate´rielle (les faits) et subjective (l’intention et la moralite´ des faits). La maladie devient alors une injustice majeure que le droit doit re´parer. L’article 64 du Code pe´nal napole´onien mentionne en fe´vrier 1810 : « Il n’y a ni crime ni de´lit lorsque le pre´venu e´tait en e´tat de de´mence au temps de l’action ou lorsqu’il a e´te´ contraint par une force a` laquelle il n’a pas pu re´sister. » Le 1er mars 1994, cet article est remplace´ par l’article 122-1 du nouveau Code pe´nal [27]. La loi du 30 juin 1838 dite « loi des alie´ne´s » est la premie`re loi reconnaissant aux alie´ne´s un droit a` une assistance spe´cialise´e et a` des soins [45]. La psychiatrie se professionnalise avec la reconnaissance le´gale d’espaces de´die´s [48] : chaque de´partement doit se doter d’un « e´tablissement public spe´cialement destine´ a` recevoir et a` soigner les alie´ne´s », ou` les malades pourront eˆtre traite´s et prote´ge´s, mais aussi mis « hors d’e´tat de nuire » a` la socie´te´ [28,45,48,65]. Les internements y sont force´s, soit a` la demande de la famille ou d’un tiers (« placement volontaire », PV), soit d’office sous la responsabilite´ de l’autorite´ administrative (« placement d’office », PO) [45,48]. Cette loi pre´voit e´galement le traitement des « fous criminels » et ouvre ainsi au psychiatre un champ supple´mentaire d’intervention sociale [48], venant couronner les efforts des alie´nistes qui militaient contre la condamnation ou l’emprisonnement de malades mentaux criminels [3,21,57]. 2.2. L’ide´e d’un e´tablissement spe´cial De`s les anne´es 1840, certains alie´nistes envisagent de se´parer les alie´ne´s dits « ordinaires » de ceux qui ont commis des actes criminels ou qui sont trop violents et dont le comportement peut ge´ne´rer des conflits et fragiliser le tissu asilaire. Paralle`lement, les Docteurs Esquirol, Pariset et Ferrus participent a` des inspections organise´es dans les e´tablissements pe´nitentiaires : ils constatent alors une proportion importante d’alie´ne´s parmi les de´tenus. Les Docteurs Baillarger et Moreau–Christophe de´crivent e´galement des troubles mentaux cause´s par l’incarce´ration [4,59,60]. L’ide´e de

ˆ rete´ », calque´s sur le mode`le anglais, re´pond cre´er des « asiles de su donc a` une double volonte´ : extraire les de´tenus alie´ne´s du milieu carce´ral afin de les prote´ger et de les soigner, mais sans risquer pour autant de troubler les services ordinaires de l’asile [1,3,40]. En 1846, le Docteur Brierre de Boismont re´clame l’ouverture d’un asile spe´cial pour les « alie´ne´s vagabonds et criminels ». Il de´plore que « de pauvres alie´ne´s [. . .] arreˆte´s quatre, cinq, huit, dix fois comme vagabonds » soient « injustement condamne´s a` des peines afflictives et infamantes » et emprisonne´s, « jete´[s] parmi des escrocs, des voleurs, des eˆtres sans aucune moralite´ », alors qu’un traitement et une « re´clusion prolonge´e » dans un e´tablissement spe´cial leur permettraient « [de] perd[re] leur turbulence, [de] travaille[r] et [de] donne[r] rarement lieu a` des sujets de plaintes ». Pour le Docteur Brierre de Boismont, les alie´ne´s criminels « sont dangereux et troublent la tranquillite´ des autres malades, dont la liberte´ est restreinte a` cause des mesures de pre´caution qu’exigent les alie´ne´s criminels : aussi l’asile dans ce cas ressemble-t-il plutoˆt a` une prison qu’a` un hoˆpital ». Selon lui, un e´tablissement spe´cial re´pondrait e´galement a` la proble´matique de la re´cidive : « S’il est hors de doute qu’un certain nombre de mauvaises actions doivent eˆtre attribue´es a` des perturbations de l’esprit, et qu’il soit contraire a` la justice et a` la morale de mettre cette classe d’individus sur la meˆme ligne que les criminels ordinaires, la socie´te´ n’en a pas moins le droit de re´clamer leur se´questration, leur mise en liberte´ pouvant causer un pre´judice notable aux autres. » En effet, il pre´cise que l’acquittement de ces alie´ne´s ne doit pas valoir « pour un brevet d’impunite´ » et propose que leur re´tention ait pour base « la dure´e des peines qu’ils encouraient s’ils n’e´taient pas reconnus alie´ne´s » [17]. Seuls quelques alie´nistes s’opposent a` cette volonte´ de cre´er des asiles spe´ciaux. Le Docteur Falret voit dans cette spe´cialisation des structures une dynamique d’exclusion [1,69]. Le Docteur Legrand du Saulle, en 1863, s’insurge : « Ayons pour nos malades des entrailles since`rement paternelles, et, sous le pre´texte d’accorder a` la socie´te´ une protection qu’elle ne re´clame nullement, ne nous transformons ni en geoˆliers ni en bourreaux. Ne sortons pas de notre roˆle. Restons d’honneˆtes me´decins » [37,41]. En 1894, le ministe`re de l’Inte´rieur propose au Docteur Henri Colin la prise en charge du service me´dical de la Maison Centrale de Gaillon, dans l’Eure, ou` existe un quartier annexe´ a` la prison qui rec¸oit des condamne´s alie´ne´s et des pre´venus reconnus alie´ne´s en cours d’instruction. Henri Colin y exerce de 1894 a` 1900 et de´crit ce lieu comme « une infirmerie pour criminels alie´ne´s et alie´ne´s criminels » [8,17,22,29,74]. Il se lie d’amitie´ avec le Docteur Paul Brousse, me´decin alie´niste mais aussi conseiller ge´ne´ral de la Seine, qui visite avec le chef du service des alie´ne´s de la Pre´fecture de la Seine le « quartier spe´cial » annexe´ a` la Centrale. Cette visite contribue vraisemblablement a` la de´cision de cre´er un e´tablissement spe´cial pour Paris et sa re´gion [40]. En 1897, le Conseil Ge´ne´ral de la Seine nomme une Commission mixte (administrateurs, architectes et me´decins, dont Henri Colin) charge´e d’e´tudier cette question. De`s l’origine, les interrogations et les travaux portent sur la de´nomination du lieu et le type d’individus a` y placer [23,40]. Le 26 de´cembre 1900, le Conseil Ge´ne´ral de la Seine vote de faire e´tudier et re´aliser un « service d’alie´ne´s vicieux, apte a` recueillir les alie´ne´s criminels et les criminels alie´ne´s interne´s d’office dans les asiles de la Seine » ; il pre´voit 100 places d’hommes et 50 de femmes. Le Conseil Supe´rieur de l’Assistance Publique penche pour l’ouverture « d’un asile d’E´tat destine´ aux alie´ne´s criminels », alors que les alie´nistes appellent de leurs vœux un « service pour alie´ne´s vicieux » [8,23,30,40,52,69]. Ces divergences entraıˆnent dix ans de de´bats. Henri Colin, bien qu’ayant voulu se´parer la prise en charge des criminels de celle des « alie´ne´s vicieux perturbateurs des asiles », se re´signe finalement a` accepter le regroupement de ces deux populations et devient alors le premier me´decin chef du

ˆ rete´ a` l’Unite´ Pour citer cet article : Azoulay M, et al. Histoire et fonctions des Unite´s pour Malades Difficiles (1re partie). Du quartier de su pour Malades Difficiles de Villejuif, plus d’un sie`cle de prise en charge. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.002

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ˆ rete´ » franc¸ais qui ouvre ses portes au sein premier « quartier de su de l’asile de Villejuif en 1910. Le terme d’« alie´ne´s vicieux » est remis en cause, juge´ stigmatisant. En 1907, le Docteur Vigouroux utilise le terme d’« alie´ne´s difficiles » [74], ce qu’Henri Colin critique, parlant d’un « euphe´misme [. . .] par analogie avec le terme employe´ pour les enfants assiste´s irre´ductibles » et conclut : « aussi, a-t-on pris l’habitude de de´signer le nouveau service simplement sous le nom de troisie`me section, ce qui aplanit toutes les difficulte´s » [23].

3. Ouverture de la troisie`me section 3.1. Architecture des lieux ˆ rete´ de Villejuif sont Les premiers baˆtiments du quartier de su termine´s et ame´nage´s en janvier 1910. Pendant quelques jours, 55 hommes, femmes et enfants, victimes des inondations lie´es a` la crue de la Seine, y sont recueillis. Les premiers malades arrivent le 3 mars 1910 [23,42]. La section accueille exclusivement des hommes et comporte un nombre maximum de 55 places. En 1912, ce chiffre sera porte´ a` 64 places, « en raison de l’externement de neuf infirmiers dont les chambres ont e´te´ affecte´es a` des malades » [23]. Les patients sont re´partis sur deux pavillons : « un grand pavillon comprenant deux quartiers de 19 places chacun (les 2e et 3e quartiers) soit en tout 38 places ; un petit pavillon (1er quartier) renfermant 17 chambres se´pare´es et 3 cellules d’isolement » [25]. L’architecture est pense´e avec des mesures de se´curite´ innovantes : murs de cloˆture, saut-de-loup inte´rieur « qui [permet] de laisser aux malades la vue de la campagne environnante en supprimant les dangers d’e´vasion », double entre´e et serrurerie accessible uniquement de l’exte´rieur pour chaque pie`ce, feneˆtres en verre encastre´, meubles scelle´s au sol, conduites de gaz et d’eau en polyme´tal [23]. 3.2. Fonctionnement de la section Le 1er quartier est un pavillon disciplinaire, d’emble´e conc¸u comme un pavillon cellulaire destine´ a` accueillir les malades les plus re´tifs, « difficiles et exigeants ». Il est de fait constitue´ de chambres seules : « la disposition de ce pavillon en chambres se´pare´es rend d’inappre´ciables services », « c’est graˆce a` elle qu’on peut isoler des individus redoutables et, au besoin, en venir a` bout ». Le re`glement inte´rieur de la section pre´cise les motifs et les dure´es d’isolement en cellule (par exemple, complot d’e´vasion pre´me´dite´ et mis a` exe´cution : un mois pour l’organisateur et 15 jours pour les comparses ; violences graves sur un membre du personnel ou sur un autre malade : quinze jours a` trois mois suivant le cas). « L’isolement en chambre est [e´galement] pre´vu pour les cas les plus be´nins : manifestations re´ite´re´es d’indiscipline et de mauvaise volonte´, refus de se plier au re`glement, incorrection a` l’e´gard du personnel, manœuvres dans le but de susciter des querelles entre malades, ou de saper l’autorite´ du personnel, propositions et pratiques homosexuelles, violences mineures, etc. ». Des cellules de paille sont re´serve´es « aux plus difficiles d’entre les difficiles », en particulier ceux qui ont fomente´ une e´vasion, frappe´ un infirmier ou incite´ a` la re´volte. La camisole est e´galement utilise´e. A` partir de 1930, le 1er quartier accueille tous les arrivants a` la section, avec initialement une pe´riode d’observation de quinze jours en isolement, dans un principe dit « de´fensif et the´rapeutique » [1,23,41]. Les 2e et 3e quartiers, probatoires, ont pour objectif la vie en collectivite´. Ainsi, ils sont essentiellement constitue´s de « dortoirs » (chambres de quatre) et les repas sont pris au re´fectoire. La journe´e est rythme´e par les horaires de travail dans les ateliers et les taˆches du quotidien (me´nage, corve´e de pluches. . .). Chaque patient s’habille avec un trousseau fourni : « complet de gros drap bleu en

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hiver, de toile raye´e en e´te´, avec be´ret ou chapeau de paille ». Certains interne´s peuvent be´ne´ficier de permissions pouvant durer quelques semaines (voire un ou trois mois) et constituer des e´preuves probatoires. Une re´trogradation au 1er quartier est possible [23,24,41]. Selon Henri Colin, les principes du soin reposent sur le tre´pied suivant :  le me´decin prend en charge peu de malades, ce qui lui permet de « les [connaıˆtre] parfaitement dans leur manifestation maladive » mais aussi leur vie ante´rieure, leur caracte`re, leur vie affective et leur « tendance morale » ;  les infirmiers assurent « l’ordre et la discipline » en joignant « une fermete´ bienveillante a` une attention toujours en e´veil » ;  le travail est au premier plan, dans l’ide´e d’occuper les patients pour limiter les troubles du comportement et de les encourager via leur re´mune´ration. Ainsi, des ateliers de chaussonnerie, de menuiserie, de serrurerie, de re´paration de chaises, de couture et de tricotage de bas et chaussettes existent dans les deux pavillons ; au dehors, les patients peuvent e´galement exe´cuter des travaux de terrassement et de jardinage [23,26,41]. L’analyse des archives, en paralle`le des e´volutions socie´tales et des mutations des pratiques professionnelles, a permis de de´couper l’e´volution du service de 1910 a` nos jours en quatre grandes pe´riodes chronologiques : 1910–1920, 1920–1950, 1950– 1975 et 1975–2019.

4. De 1910 a` 1920 : une prise en charge he´rite´e du XIXe sie`cle 4.1. Type de prise en charge L’approche psychiatrique est dans la ligne´e de la fin du XIXe sie`cle : posture me´dicale paternaliste, fonction hospitalie`re perc¸ue comme asilaire, traitement moral de la folie associant isolement, contention et travail. La the´orie de la de´ge´ne´rescence [55,61] se retrouve dans les dossiers des patients qui contiennent des feuillets anthropome´triques (mensurations, proportions corporelles, photos de face et de profil, description de la forme du craˆne et de la morphologie de la face. . .) [41]. Concernant les patients pris en charge, les diagnostics sont souvent pluriels (« de´bile, de´se´quilibre´, pervers, e´pileptique ») et variables selon les praticiens : un meˆme patient peut eˆtre qualifie´ d’« hyste´ro-e´pileptique » ou de « de´bile moral aux mauvais instincts ». Dans un article publie´ en 1912, Henri Colin de´crit que la section « renferme trois cate´gories de malades bien distinctes » [23–25] : « Les habitue´s des asiles, malades a` internements et a` condamnations multiples, comprenant les de´biles moraux, les alcooliques transitoires, les e´pileptiques et les hyste´riques a` attaques rares », « les alcooliques et les e´pileptiques vrais a` re´actions dangereuses et violentes », et enfin « les malades de´lirants qui, sous l’influence de leurs tendances impulsives et dangereuses, se sont laisse´s aller a` commettre des crimes » ou « alie´ne´s criminels ». Ces cate´gories se retrouvent dans les motifs d’admission puisque des patients peuvent eˆtre transfe´re´s car de´crits comme « inge´rables en service ordinaire » [de l’asile], « mettant le trouble », ou bien place´s apre`s expertise me´dico-le´gale et non-lieu ; il s’agit alors essentiellement d’actes de vagabondage, de vol, de grive`lerie ou de mendicite´. Les homicides sont rares. Au terme de leur se´jour, 70 % des patients admis en placement volontaire ressortent libres. La sortie des patients place´s d’office est soumise a` l’aval du service des alie´ne´s de la Pre´fecture de police de la Seine et souvent conditionne´e par des garanties familiales ou des promesses d’e´loignement (engagement militaire, de´part du de´partement voire du territoire) [41].

ˆ rete´ a` l’Unite´ Pour citer cet article : Azoulay M, et al. Histoire et fonctions des Unite´s pour Malades Difficiles (1re partie). Du quartier de su pour Malades Difficiles de Villejuif, plus d’un sie`cle de prise en charge. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.002

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Il est a` noter que, durant la Premie`re Guerre mondiale, la troisie`mesection n’accueille officiellement que des alie´ne´s militaires [41]. Par ailleurs, en 1912, un asile pour alie´ne´s criminels ouvre ses portes dans le Bas-Rhin, a` Hoerdt, alors sous autorite´ allemande. A` la fin de la Premie`re Guerre mondiale, cette structure est reprise par la France. Elle fermera ses portes en 1964 [3,8,30,41,72]. 4.2. Vignette clinique : Marcel, admis en 1910 Marcel va a` l’e´cole jusqu’a` ses 12 ans mais sait a` peine lire et e´crire. Il « [fait] souvent l’e´cole buissonnie`re, [tire] les sonnettes, [vole] a` la devanture des e´piceries ». Interne´ a` 16 ans dans un service spe´cial, il est « toujours en cellule ». Il « n’a jamais travaille´, vagabonde, vole ». En 1908, il contracte un engagement a` la le´gion e´trange`re pour cinq ans mais change d’avis avant de s’embarquer a` Marseille et de´chire ses papiers. Il est arreˆte´, de´tenu puis mis en observation au Val-de-Graˆce et re´forme´ pour alie´nation. En 1910, a` l’aˆge de 30 ans, il a « de´ja` [e´te´] place´ quinze fois dans les asiles ». Les certificats mentionnent : « de´bilite´ mentale avec perversions instinctives, instabilite´, incapacite´ de se livrer a` une occupation re´gulie`re, exce`s alcooliques par intervalles (boit en moyenne de 1 a` 2 litres de vin par jour) ; actes de´lictueux ou violents conse´cutifs [. . .] internements ou inculpations multiples. » Marcel est adresse´ a` la troisie`me section en mai 1910 : « e´tant dans la mise`re, il s’est fait interner en se de´nonc¸ant comme e´tant l’assassin de la femme coupe´e en morceaux » (dans un but utilitaire et sans aucune implication re´elle). De`s le certificat de quinzaine, il est de´crit comme travaillant « assez re´gulie`rement depuis son entre´e dans le service ». Apre`s trois mois de se´jour, son certificat de sortie mentionne : « Re´clame sa sortie qui peut lui eˆtre accorde´e. » Il reviendra a` plusieurs reprises a` la section pour des se´jours variant de quinze jours a` trois mois pour « de´pression psychique avec troubles psycho-sensoriels » ou dans les suites d’un non-lieu pour vagabondage.

5. De 1920 a` 1950 : me´dicalisation de la folie et de´fense sociale 5.1. Une pratique plus scientifique Le de´but de cette pe´riode est marque´ par une approche moins paternaliste et plus me´dicale de la pratique psychiatrique. Les feuillets anthropome´triques sont abandonne´s. Les me´decins recherchent davantage des atteintes somatiques : le´sions ce´re´bro-spinales, me´ningites, ence´phalites ou paralysie ge´ne´rale. Plus largement, une observation minutieuse du patient est faite via des feuilles de suivi remplies par les infirmiers (caracte`re, comportement individuel et en collectivite´, centres d’inte´reˆt) et les chefs d’ateliers (capacite´ a` apprendre, attitude au travail). Au lendemain de la guerre, les premiers tests psychologiques (Rorschach, test de personnalite´, intelligence. . .) sont utilise´s [41]. Nous retrouvons e´galement une e´volution de la nosographie psychiatrique. Les termes « de´bilite´ mentale », « alcoolique » et « e´pileptique » sont toujours utilise´s, mais celui de « de´ge´ne´rescence » est en re´gression. La notion de « schizophre´nie » fait son apparition, tout en restant minoritaire. Paralle`lement, le traitement de la syphilis permet une diminution des cas de paralysie ge´ne´rale [41]. 5.2. Un roˆle de de´fense sociale Aux lendemains de la Premie`re Guerre mondiale, l’internement a` la troisie`mesection est envisage´ comme un moyen de se pre´munir d’individus juge´s socialement « nuisibles » : la dangerosite´ est indexe´e a` la dimension de nocivite´ sociale. Les

me´decins experts sont de`s lors partage´s entre leur mission me´dicale visant a` prote´ger le malade mental et leur fonction socie´tale visant a` de´fendre le groupe social. A` titre d’exemple, les rapports me´dico-le´gaux d’un patient de l’e´poque pre´cisent : « Il serait de´sirable qu’il ne quittaˆt pas l’asile trop toˆt, et surtout fut mis dans l’impossibilite´ de s’e´vader. Le mieux serait de l’acheminer sur le service spe´cial des alie´ne´s difficiles de Villejuif », « nous recommandons la collocation jusqu’a` preuve d’extinction de sa nocivite´ sociale, phe´nome`ne qui ne se produira vraisemblablement qu’a` l’e´poque de son de´ce`s » [3]. Ce suivi autoritaire des de´linquants conside´re´s comme alie´ne´s, associe´ a` une volonte´ de prophylaxie mentale et a` l’amorce d’une criminologie scientifique, participe a` faire de la section un e´tablissement de de´fense sociale [19,32,41,63]. Apre`s la Seconde Guerre mondiale, de plus en plus de pre´venus et de condamne´s sont ainsi transfe´re´s a` la section, qui joue alors un roˆle d’annexe pe´nitentiaire, admettant moins de patients en provenance des services ordinaires [41]. Ce roˆle de re´tention se retrouve dans les motifs d’admission, avec une augmentation du taux d’admission apre`s non-lieu au titre de l’article 64 du Code pe´nal. En corollaire, un allongement des dure´es d’internement est observe´ dans l’entre-deux-guerres, passant de 272 jours entre 1910 et 1921 a` 641 jours entre 1922 et 1946. Dans les certificats me´dicaux, quand il e´tait e´crit en 1920 « a` re´inte´grer en cas de rechute », il est pre´conise´ dix ans plus tard « a` conserver pour e´viter les rechutes » [41]. Les modalite´s de sortie e´voluent dans le meˆme sens. Ainsi, la proportion de sorties en liberte´ est nettement moindre (divise´e par trois). De plus, a` partir de 1923, les patients conside´re´s comme les plus difficiles sont transfe´re´s a` Hoerdt : des interne´s « particulie`rement que´rulents », revendicateurs, menac¸ants ou « spe´cialistes de l’e´vasion ». Certains alie´ne´s criminels peuvent e´galement eˆtre transfe´re´s, non pas du fait de difficulte´s dans le quotidien de la section, mais parce qu’ils y occupent une place depuis de longues anne´es. Dans tous les cas, il s’agit d’une re´tention sur le long terme, sans projet de sortie. Enfin, certains alie´ne´s sont remis aux autorite´s et condamne´s a` la rele´gation ou aux travaux force´s en Guyane [41]. Par ailleurs, durant la Seconde Guerre mondiale, les patients de la section sont touche´s par une surmortalite´ lie´e a` la malnutrition, a` l’instar de tous les e´tablissements psychiatriques [41]. 5.3. E´volution de la structure Le 16 mars 1932, la troisie`mesection est renomme´e « section Henri Colin » en hommage a` son concepteur et me´decin chef de 1910 a` 1921. L’anne´e suivante est marque´e par l’ouverture, le 16 octobre 1933, d’un pavillon de 35 places re´serve´es aux femmes appartenant a` la « cate´gorie spe´ciale (prostitue´es, voleuses, malades difficiles et dangereuses) » [52]. L’ide´e de la cre´ation de ce pavillon est pre´sente de`s 1910 [25], mais il faut attendre l’anne´e 1929 pour que les cre´dits soient accorde´s par le Conseil Ge´ne´ral de la Seine [36], portant le nombre total de lits a` 99. Le re`glement inte´rieur et l’emploi du temps en vigueur a` la section femmes sont les meˆmes qu’aux pavillons hommes [41]. En revanche, des termes spe´cifiques apparaissent dans les certificats me´dicaux des alie´ne´es : « voleuse professionnelle faisant probablement partie d’une bande et qui, de plus, est menteuse, come´dienne et remarquablement doue´e pour les mises en sce`ne hyste´riques », « de´se´quilibre´e perverse mythomane ». Nous pouvons noter une tendance a` « de´pathologiser » les patientes en de´gradant des diagnostics en fatalite´ sociale [41] : « semble avoir e´te´ victime de l’influence faˆcheuse d’autres filles me`res plus de´lure´es et plus perverses dans le milieu hospitalier ou` elle vivait », « de´che´ance sociale chez une orpheline passe´e de la vie rurale chez une tante a` la prostitution urbaine et la de´linquance [. . .]

ˆ rete´ a` l’Unite´ Pour citer cet article : Azoulay M, et al. Histoire et fonctions des Unite´s pour Malades Difficiles (1re partie). Du quartier de su pour Malades Difficiles de Villejuif, plus d’un sie`cle de prise en charge. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.002

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prostitution de ne´cessite´ dont elle paraıˆt since`rement honteuse », « la jeune [X], bien qu’interne´e ne se diffe´rencie gue`re des centaines et des centaines de fillettes a` l’imagination de´re´gle´e qui mal encadre´es sont au hasard des rues une proie facile pour la mise`re, la de´linquance et la prostitution. Aussi bien l’internement, qui a pu eˆtre une solution de pis-aller, ne saurait eˆtre maintenu de´finitivement » [3,41]. 5.4. Profil des patients accueillis Concernant les pathologies mentales prises en charge a` l’e´poque a` la section, nous avons e´tudie´ les dossiers des patients admis en 1935 [3]. La population masculine se re´partit selon quatre cate´gories diagnostiques :  43 % de personnalite´s dyssociales qui, a` l’e´poque, sont qualifie´es de « de´se´quilibre mental », « constitutionnel » ou « antisocial », de « perversions instinctives » [39], de « troubles du caracte`re et de la conduite », ou encore d’ « amoralite´ foncie`re » ;  36 % de de´lires chroniques avec essentiellement des de´lires paranoı¨aques (« de´lire d’interpre´tation e´voluant dans le cadre des de´lires de jalousie », « de´lire de revendication avec ide´es de jalousie et de perse´cution », « re´actions passionnelles vives du type paranoı¨aque ») et un cas de schizophre´nie paranoı¨de (« de´mence pre´coce ») ;  14 % de « de´bilite´ mentale » ou d’« arrie´ration mentale » ;  7 % d’alcoolode´pendance. Concernant la population fe´minine :  60 % sont atteintes de retards mentaux (« de´bilite´ mentale », « de´ge´ne´re´e de´bile ») et nombre d’entre elles pre´sentent des traits psychopathiques associe´s qu’on qualifie alors de « de´se´quilibre psychique », « perversions instinctives », « troubles du caracte`re et du comportement » ou « cole`res pathologiques » ;  30 % de de´lires chroniques (psychose hallucinatoire chronique et de´lire paranoı¨aque qualifie´ de « de´lire interpre´tatif de revendication ») ;  10 % de personnalite´s dyssociales (« de´se´quilibre psychique avec perversions instinctives »). Durant la Seconde Guerre mondiale, de plus en plus de de´linquants de droit commun simulent des troubles psychiatriques afin de trouver refuge a` la section. La question de la simulation se retrouve alors re´gulie`rement pose´e, e´galement dans l’apre`s-guerre, certains individus tentant d’e´chapper aux sanctions pour des faits de collaboration [1,41]. 5.5. Vignettes cliniques 5.5.1. Fernand, admis en 1935 De`s l’enfance, Fernand est de´crit comme « indiscipline´, instable, fugueur, irascible et se livre a` des menus larcins ». Place´ par sa me`re, il est interne´ a` la section pour enfants d’un asile de re´gion parisienne de l’aˆge de 9 a` 16 ans, ou` il est de´crit comme atteint de « de´bilite´ mentale avec perversions instinctives ». Rapidement apre`s sa sortie, il multiplie les de´lits a` type de vols, vagabondage, recel. . . De 21 a` 27 ans, il est soumis a` quatre expertises me´dicole´gales, d’abord pour cambriolages puis pour une agression au couteau, qui aboutissent a` des non-lieux. En 1928, le premier rapport conclut : « Grand anormal psychique, qui pendant six ans a e´te´ colon a` [l’asile], qui n’a pu ensuite s’adapter a` la vie sociale, qui a e´te´ re´interne´, s’est e´vade´, et n’a pu commettre que des de´lits, e´tant incapable de travailler normalement pour gagner sa vie [. . .]. La seule solution est de l’interner [. . .], de le maintenir a` l’asile

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d’alie´ne´s tant qu’il ne paraıˆtra pas suffisamment redresse´ [. . .] l’amendement est d’ailleurs ici fort proble´matique. » En 1933, un nouveau rapport explique : « [Fernand] est reste´ ce qu’il e´tait et ce qu’il sera toujours : un de´bile pervers, antisocial au premier chef, incapable de se conduire correctement [. . .]. Si nous l’examinions aujourd’hui, vierge de tout internement, peut-eˆtre le laisserionsnous porter la responsabilite´ de ses me´faits, car les condamnations re´pe´te´es, et la rele´gation par la suite pourraient tout de meˆme le retirer de la circulation. Mais [Fernand] a passe´ une grande partie de son existence dans les asiles d’alie´ne´s, et devant un Tribunal il lui en serait toujours tenu compte, si bien qu’il s’en tirerait toujours avec des peines courtes, favorisant des re´cidives rapides. Puisque c’est par l’internement que l’on a commence´ a` essayer de brider sa nocivite´ sociale, il vaut mieux continuer de la meˆme fac¸on ». Malgre´ les recommandations des experts qui pre´conisent un placement en « service spe´cial », Fernand est interne´ en asile et s’en e´chappe. En 1935, Fernand est l’objet de deux nouveaux examens : « Il a re´ussi une fois de plus a` s’e´vader de l’asile. Et il y parviendra toujours, tant que l’on ne l’aura pas colloque´ dans un service spe´cial comme celui de Villejuif ou de Hoerdt [. . .]. Il est certain que tant qu’il ne sera pas enferme´ a` triple tour, il s’e´vadera et recommencera a` commettre des de´lits. » C’est ainsi que Fernand est finalement hospitalise´ au service Henri Colin en 1935 [3]. Nous verrons ci-apre`s son e´volution. 5.5.2. Michelle, admise en 1935 La prise en charge psychiatrique de Michelle de´bute a` l’aˆge de 16 ans : elle est interne´e pendant six ans dans un asile de province ou` elle est de´crite comme souffrant de « perversions instinctives » et de « troubles du caracte`re et de la conduite » conside´re´s comme « des se´quelles d’une ence´phalite e´pide´mique » dont elle aurait e´te´ atteinte vers l’aˆge de 9-10 ans. Apre`s deux condamnations avec sursis pour vol, elle est irresponsabilise´e au de´cours d’un troisie`me vol et interne´e d’office dans un asile d’alie´ne´s en 1935 via l’infirmerie spe´ciale de Paris. Elle est alors aˆge´e de 23 ans. Apre`s quelques semaines a` l’asile de Villejuif, Michelle est « qualifie´e pour la section Henri Colin » du fait de troubles du comportement. Elle est initialement pre´sente´e comme « une de´bile avec cole`res pathologiques au cours desquelles elle insulte le personnel et ses compagnes avec un vocabulaire et des allusions pornographiques dont les termes de´passent l’imagination ». Malgre´ la « promesse » d’une sortie de la part de son me´decin si elle parvient a` se contenir, « les meˆmes incidents se [reproduisent] avec la meˆme fre´quence et les meˆmes termes ». Pendant plusieurs mois, les certificats de situation concluent donc « a` maintenir » devant l’absence d’ame´lioration clinique, « cole´reuse, grossie`re, est telle qu’elle e´tait a` son entre´e dans le service ». Sa sortie est conside´re´e comme « impossible », d’autant qu’elle n’a « aucun re´pondant valable pour l’aider au dehors ». Apre`s huit a` dix mois de prise en charge, Michelle « fait montre de beaucoup d’empire sur elle-meˆme, se montre docile et travaille tre`s bien ». Paralle`lement, le directeur d’un Institut Me´dico-Pe´dagogique des alentours proposant de la prendre comme femme de me´nage dans son institution, sa sortie est « ordonne´e sans inconve´nients » en 1937, apre`s deux ans de se´jour a` Henri Colin.

6. De 1950 a` 1975 : l’essor des the´rapeutiques et l’e´mergence du secteur 6.1. De nouvelles the´rapeutiques Le de´but de cette pe´riode d’apre`s-guerre est marque´ par l’essor de diverses the´rapeutiques. La psychochirurgie d’abord (lobotomie, topectomie ou leucotomie) [44], la chimiothe´rapie ensuite avec la de´couverte des effets antipsychotiques de la chlorproma-

ˆ rete´ a` l’Unite´ Pour citer cet article : Azoulay M, et al. Histoire et fonctions des Unite´s pour Malades Difficiles (1re partie). Du quartier de su pour Malades Difficiles de Villejuif, plus d’un sie`cle de prise en charge. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.002

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zine (Largactil1) en 1952 et l’ave`nement des neuroleptiques [65]. Ainsi, entre 1948 et 1954, au moins 14 patients de la section sont lobotomise´s ou topectomise´s [41]. C’est notamment le cas de Fernand, patient e´voque´ ci-avant. En effet, apre`s une quinzaine d’anne´es de prise en charge dans le service, il est toujours de´crit comme atteint d’une « arrie´ration mentale assez conside´rable » avec « re´actions perverses » et « intelligence peu homoge`ne ». Les me´decins tentent « de le satisfaire en lui procurant un emploi a` l’atelier » mais, tre`s rapidement, « il se montre si hargneux, intransigeant, perse´cute´ et agressif qu’il faut le ramener a` sa chambre ». Il est alors de´crit comme « voue´, de par ses composantes caracte´rielles et son inadaptabilite´ sociale amplement atteste´e depuis l’enfance, a` un internement de´finitif ». C’est dans ce contexte qu’une lobotomie bilate´rale et pre´frontale est re´alise´e. Apre`s cette intervention, Fernand est de´crit comme « ne [cessant] de manifester l’ame´nite´, la confiance, la sociabilite´ a` l’e´gard de tous, qui, de fac¸on si remarquable et soudaine, ont succe´de´ a` la hargne, la me´fiance, l’opposition et l’agressivite´ qui sans la lobotomie eussent, vraisemblablement pour la vie, marque´ son destin ». Il commence a` travailler comme manœuvre a` l’atelier de me´tallurgie et « sort en liberte´ » au bout de trois mois. Les me´decins de Colin e´crivent d’ailleurs un article sur ce cas de « re´mission spectaculaire sitoˆt apre`s lobotomie » chez un patient pre´sentant des « troubles graves du caracte`re, [une] de´linquance re´ite´re´e, [des] re´actions de perse´cute´ agressif interne´ pendant 20 ans » [3,18]. Le temps et l’e´volution de certains des « ope´re´s » nuancent toutefois l’efficacite´ de cette the´rapeutique, avec des rechutes a` plus ou moins longue e´che´ance et des se´quelles post-ope´ratoires, notamment e´pileptiques [41]. Il faut attendre l’anne´e 1955 et un changement de me´decin chef pour que le Largactil1 soit prescrit a` la section, ce qui permet d’apaiser des patients qui peuvent alors eˆtre transfe´re´s en section ordinaire ou remis a` la disposition de l’administration pe´nitentiaire : « agitation a` l’entre´e, calme´e par le Largactil ; les hallucinations sont moins intenses et l’humeur de´tendue », « ame´liore´ par le traitement, mais redevient de´lirant de`s que celui-ci est arreˆte´ ». Une attention est e´galement porte´e a` la recherche de la posologie adapte´e a` chaque patient, prenant en compte ce que nous appelons de´sormais la balance be´ne´fices/ risques [41]. Enfin, la prise en charge the´rapeutique est comple´te´e par des interventions de psychologues, qui apparaissent dans les dossiers a` la fin des anne´es 1960. 6.2. Impact de la naissance du secteur psychiatrique Cette pe´riode est e´galement marque´e par le mouvement de´salie´niste puis la naissance de la sectorisation psychiatrique autour des anne´es 1960–1970 [45]. La` encore, ces modifications socie´tales et organisationnelles impactent les prises en charge du service. Loin de la de´fense sociale de´crite pre´ce´demment, les psychiatres de la section peuvent de´sormais protester contre certains transferts des services ordinaires qu’ils jugent « injustifie´s » mais aussi contre l’envoi « d’invalides moraux » a` des fins de protection sociale. Certainement en corollaire de cette ide´ologie et des progre`s the´rapeutiques de´crits ci-avant, la dure´e moyenne de se´jour diminue entre 1947 et 1960 (451 jours) [41]. La cre´ation des secteurs de psychiatrie s’accompagne d’une libe´ralisation des institutions et de nouvelles conditions de travail : mixite´ des e´quipes soignantes, ouverture des portes, relaˆchement de la limite entre le dedans et le dehors, travail en dehors des murs de l’institution, etc. En contrepartie, certains patients de´passent les capacite´s de contenance de ces nouveaux services, mettant a` mal l’institution. Le concept de malade difficile est de´sormais plus vaste, plus flou, plus subjectif et s’e´tend a` un niveau supraindividuel. En effet, au-dela` des caracte´ristiques propres du patient (ses ante´ce´dents, sa pathologie psychiatrique, son comportement,

etc.), il faut de´sormais prendre en compte le syste`me dans lequel ce dernier e´volue (e´quipe soignante, ide´aux the´rapeutiques, conception du soin, moyens humains, financiers, structurels et architecturaux, obligations administratives, tole´rance vis-a`-vis des malades difficiles [9,30,52,72]). A` la notion de dangerosite´ succe`de celle de « danger potentiel », durable ou temporaire [1,31,36,52,72], semblant re´sulter d’une « dyade interactive malade – service de psychiatrie » [52]. Le malade difficile n’est donc plus obligatoirement un malade dangereux, mais un « malade difficile a` soigner » [52]. C’est ainsi que la dangerosite´ et les proble´matiques institutionnelles apparaissent de`s 1970 parmi les motifs d’admission a` Henri Colin : « insuffisance criante des effectifs », « insuffisance du personnel masculin », « impossibilite´ de maintenir contre son gre´ le malade dans un service libe´ral ouvert, de´pourvu de chambres d’isolement ou de moyen de contention », qualite´ du « traitement des autres malades », « le malade a provoque´ toute une se´rie d’incidents et ses troubles du comportement ont rendu la vie du service intenable, contraignant a` une the´rapeutique de force, contrarie´e par l’absence de chambre d’isolement », « situation dans l’impasse tant du coˆte´ de la malade que des e´quipes soignantes », « cette seule malade perturbe par sa pre´sence l’ensemble d’un pavillon qui n’est pas adapte´ a` assurer la surveillance que ne´cessite son comportement », etc. [1,3,36]. Plus largement, nous notons dans les motifs d’admission une diminution des actes contre les biens et une augmentation globale des atteintes aux personnes (coups et blessures, meurtre) avec extension des agressions au sein de l’hoˆpital [3]. 6.3. Profil des patients accueillis Nous avons e´tudie´ les dossiers de patients admis en 1970 [3]. Sur le plan diagnostique, la population masculine se re´partit de la fac¸on suivante :  un tiers des patients sont atteints de de´lires chroniques : troubles du registre schizophre´nique, de´lires paranoı¨aques ;  23,1 % sont atteints de retard mental, qualifie´s de « de´bilite´ mentale », « oligophre´nie » ou « me´diocrite´ intellectuelle » ;  23,1 % e´galement pre´sentent des troubles de personnalite´, de type dyssocial de manie`re largement majoritaire (« de´se´quilibre psychique », « instabilite´ », « impulsivite´ », « difficulte´s d’adaptation sociale ») ou paranoı¨aque ;  5,1 % ont des troubles de l’humeur, sur un versant maniaque ou de´pressif. Concernant la population fe´minine admise en 1970 :  43 % sont atteintes de « de´bilite´ mentale » ;  43 % d’e´pisodes de´pressifs ;  14 % de de´lire chronique (schizophre´nie paranoı¨de).

6.4. Vignettes cliniques 6.4.1. Isidore, admis en 1968 L’enfance d’Isidore est de´crite sans particularite´ notable, « dans une vie familiale re´gulie`re au sein d’un foyer normalement constitue´ ». « Sa scolarite´ aurait e´te´ assez me´diocre » mais il obtient le Certificat d’E´tudes Primaires a` l’aˆge de 14 ans. Il fait ensuite un apprentissage de charcutier cuisinier et obtient a` 17 ans un Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP). A` 18 ans, il s’engage volontairement dans les Sapeurs-Pompiers de Paris. Fin 1966, Isidore est aˆge´ de 20 ans lorsque, « apre`s une journe´e de grande beuverie », il aide un « camarade » qu’il connaıˆt depuis trois ans, « comple`tement ivre », a` rentrer chez lui. « Vers 22 heures, subitement, [Isidore] aurait senti en lui un violent de´sir de

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vengeance contre cet homme qui rendait sa femme malheureuse. [Celui-ci] dormait couche´ sur son lit. [Isidore] lui porta plusieurs coups de hachette sur la gorge, puis remonta le couvre-pieds afin de dissimuler les blessures. Il appela alors la femme qui e´tait dans la pie`ce voisine, lui dit que son mari venait de saigner du nez et comme elle se penchait sur lui, il la frappa, toujours avec la hachette [. . .] mais il dut s’y reprendre a` plusieurs fois avant que Madame [. . .] ne mourut. Il appela alors le [fils du couple] aˆge´ de 4 ans, qui e´tait reste´ dans la cuisine et lui asse´na sur la teˆte un coup de hache si violent que l’arme se fixa dans le massif osseux et que les policiers eurent le plus grand mal a` l’en retirer. Apre`s quoi il ouvrit tout grand les robinets du gaz, y compris ceux du four, puis partit errer dans la nuit, non sans avoir pris au passage le portefeuille [de l’homme]. » Isidore est arreˆte´ le lendemain, « son uniforme et son linge portaient encore des traces de sang, car il n’avait meˆme pas essaye´ de nettoyer ses veˆtements ». Il est inculpe´ d’homicides volontaires et de vol et place´ en de´tention pre´ventive. Il fait l’objet « d’expertise et de contre-expertise me´dicales » concluant a` un diagnostic d’he´boı¨dophre´nie [20,49] : « ce qui frappe le plus c’est l’aspect e´trange de ce garc¸on dont l’indiffe´rence affective est particulie`rement importante. Or, c’est la` un des signes les moins contestables de la schizophre´nie, maladie qui de´bute ge´ne´ralement dans la jeunesse, surtout sous sa forme he´boı¨dophre´nique et dont le premier signe e´vident est bien souvent un crime affreux ou un de´lit tre`s bizarre. La personnalite´ [d’Isidore] comporte de tre`s nombreux traits de schizophre´nie : « flou de la pense´e, troubles graves de l’attention, discordances nombreuses, impossibilite´ de contacts affectifs ve´ritables, de´tachement affectif anormal, indiffe´rence, mais aussi hostilite´ a` l’occasion e´voluant par bouffe´es sans motivation rationnelle » ; « e´voque le diagnostic d’une he´boı¨dophre´nie, c’est-a`-dire d’une forme mineure de schizophre´nie se traduisant essentiellement par des passages a` l’acte antisociaux, des comportements pervers et une e´volution dissociative probable », « il n’a eu contre [sa premie`re victime] qu’une bouffe´e de haine brutale, inexplicable et dont les motivations n’ont rien de rationnel a` l’examen, elles ne justifient en tout cas pas les meurtres de la femme et de l’enfant ». Isidore be´ne´fice d’un non-lieu au titre de l’article 64 du Code pe´nal. Il est alors interne´ a` l’aˆge de 21 ans a` Henri Colin, via l’Infirmerie Psychiatrique de Paris. A` l’arrive´e, il est de´crit de la fac¸on suivante : « pre´sentation floue, e´vasive, bizarre ; indiffe´rence, me´connaissance de sa situation ; mais pas de phe´nome`nes psycho-sensoriels ou de´lirants actuellement exprime´s ». Il est rapidement « calme », « nie les faits dont il [est] inculpe´ mais paraıˆt trop bien s’adapter a` sa situation pre´sente ». Il « travaille avec assiduite´ a` l’ergothe´rapie » et « suit e´galement par correspondance des cours de me´canique ». Six mois apre`s son entre´e, Isidore s’e´vade « apre`s avoir minutieusement pre´pare´ cette e´vasion et s’eˆtre fait aider de deux autres malades ». Il est re´inte´gre´ une dizaine de jours plus tard, apre`s avoir e´te´ « renvoye´ aux services de la Police franc¸aise » par la douane allemande. En 1971, il s’e´vade de nouveau en e´tant arme´ d’un rasoir, puis un outil est trouve´ « dissimule´ dans sa chaussure ». Par la suite, devant une « ame´lioration de son e´tat mental et de son comportement », Isidore be´ne´ficie a` partir de 1973 de plusieurs permissions, en famille mais aussi pour passer diverses e´preuves du CAP de me´canique automobile. A` la fin de l’anne´e, il est transfe´re´ sur son service de secteur. 6.4.2. Viviane, admise en 1970 En 1970, Viviane, aˆge´e de 48 ans, est incarce´re´e dans les suites de l’homicide altruiste de son mari. Elle lui a administre´ « du Mogadon1 et du Neuleptil1 me´lange´ a` son vin puis a ouvert ses veines pensant qu’il e´tait sans connaissance » ; « Je me suis affole´e, il e´tait oppresse´, j’avais peur qu’il souffre, qu’il ait mal, j’ai pris la lame, j’ai coupe´, il ne s’est pas re´veille´. » Elle a ensuite tente´ de se suicider en absorbant « une bonne dose » de Laroxyl1 et de

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Mogadon1. Viviane pre´sentait une symptomatologie de´pressive depuis environ deux ans et « pensait qu’elle e´tait enceinte des œuvres d’un autre homme, ou bien qu’elle avait un cancer dans le ventre ». Elle « ne voulait pas mourir en laissant son mari tout seul dans la mise`re et la tristesse », d’autant qu’il e´tait « grabataire », « impotent ». En de´tention elle pre´sente un syndrome de´pressif me´lancolique avec « auto-accusation » et « refus d’aliments » et est adresse´e dans ce contexte au service Henri Colin. En de´but de se´jour, le meˆme tableau clinique est observe´ : « inhibition importante, anxie´te´, mais surtout ide´es de´lirantes d’indignite´, d’auto-accusation (je suis une ordure), d’incurabilite´, de perse´cution [. . .], tædium vitae, persistance des ide´es de suicide », « culpabilite´ intense [. . .] est persuade´e qu’elle va eˆtre condamne´e a` mort ». En 1971, elle be´ne´ficie d’un non-lieu au titre de l’article 64. Elle est de´crite comme « tre`s ame´liore´e par le traitement » associant Tofranil1 et Nozinan1. En 1972, le placement d’office est converti en placement volontaire afin d’organiser « quelques permissions d’un mois » dans la famille de Viviane qui « s’engage a` la prendre en charge sur le plan de l’he´bergement et de la re´insertion sociale ». Sa sortie en liberte´ est ensuite accorde´e apre`s plusieurs mois de vie a` l’exte´rieur, sans aucun incident signale´, obtention d’un logement, assurance de trouver du travail et entourage familial conse´quent.

7. De 1975 a` 2019 : mutations socie´tales et e´volution des pratiques 7.1. Un partenariat privile´gie´ avec les services de secteur L’inade´quation entre certains malades difficiles et la nouvelle organisation sectorielle ne devait eˆtre, selon Cujo et al. [31], qu’une « maladie de jeunesse des secteurs », « temporaire ». Un peu plus de quarante ans plus tard, le constat est plutoˆt celui d’une pe´rennisation du fait des modes d’hospitalisation de plus en plus ouverts sur l’exte´rieur, de la paupe´risation des moyens humains et financiers, de la suppression de lits, de locaux peu adapte´s dans certains services (absence d’unite´ ferme´e, de chambres d’isolement. . .), du personnel parame´dical de plus en plus re´duit et fe´minise´, etc. A` cela peuvent de´sormais s’ajouter la logique e´conomique pre´valente et le poids exerce´ par l’administratif en termes de raccourcissement des dure´es moyennes de se´jour. Nous pouvons aussi souligner la stigmatisation socie´tale due a` la me´diatisation de certaines affaires d’homicide impliquant des auteurs atteints d’une pathologie psychiatrique et la dynamique politique se´curitaire exerc¸ant une pression sur les e´quipes de secteur dans les prises en charge de patients de profil « me´dicole´gal » [3,8,51,53,54,68,71,73]. Paralle`lement, la pe´riode est marque´e par la cre´ation (en 1986) et le de´veloppement a` travers tout le territoire franc¸ais de 26 Services Me´dico-Psychologiques Re´gionaux (SMPR) qui vont de`s lors prendre en charge des patients pre´sentant des troubles psychiatriques en de´tention [1,36,51]. A` partir de 2010, l’offre de soins pour les personnes de´tenues est comple´te´e par l’ouverture d’Unite´s Hospitalie`res Spe´cialement Ame´nage´es (UHSA) [58]. Du fait de ce de´veloppement de la psychiatrie en milieu pe´nitentiaire, la proportion de patients originaires de de´tention est de´sormais moins importante dans le service [3]. La deuxie`me partie du XXe sie`cle a e´galement e´te´ marque´e par une e´volution des pratiques expertales. En effet, une tendance a` responsabiliser davantage les malades mentaux semble s’amorcer autour des anne´es 1980 [6,7,35,64,66,73,75], sous l’influence de divers facteurs : article 122-1 du nouveau Code pe´nal introduisant la notion d’irresponsabilite´ pe´nale atte´nue´e [13,27,62], possibilite´s de prise en charge spe´cialise´e en de´tention, courants politiques, e´coles de pense´e des experts. . . [3].

ˆ rete´ a` l’Unite´ Pour citer cet article : Azoulay M, et al. Histoire et fonctions des Unite´s pour Malades Difficiles (1re partie). Du quartier de su pour Malades Difficiles de Villejuif, plus d’un sie`cle de prise en charge. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.002

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Depuis les anne´es 1975, les services de secteur sont ainsi les partenaires privile´gie´s du service Henri Colin [3,8,51,53,54,56,68,69,71,73], ce qui se refle`te dans les motifs d’admission : diminution relative des cas me´dico-le´gaux, fre´quence des troubles du comportement et/ou des violences physiques survenant au sein de l’institution sectorielle (sur personnel parame´dical, me´dical ou autres patients), importance des motifs institutionnels, re´gulie`rement mis en avant dans les demandes. Nous pouvons ainsi citer : « la politique de secteur qui est la noˆtre ne nous permet pas. . . ou plus. . . ou plus jamais d’accueillir des placements ferme´s », « la modification de nos locaux dans le sens d’une ouverture ne nous permet plus ou au prix d’insurmontables difficulte´s d’accueillir de nouveau M. X » [1,3,46,69]. Un autre motif d’admission fait par ailleurs son apparition dans les demandes au XXIe sie`cle : la chimiore´sistance [3]. 7.2. Profil des patients accueillis Dans une e´tude re´alise´e en 2016 [47], la population masculine admise a` Henri Colin se re´partit en deux cate´gories diagnostiques :  quasi-exclusivite´ de de´lires chroniques (95 %), se distribuant en 69,6 % de schizophre´nie paranoı¨de, 17,4 % de schizophre´nie dysthymique, 4,3 % de schizophre´nie catatonique, 4,3 % d’he´boı¨dophre´nie et 4,3 % de paranoı¨a ;  5 % de troubles de personnalite´ (majoritairement de type antisocial). Concernant la population fe´minine :  60 % de schizophre´nie (paranoı¨de, dysthymique et catatonique) ;  40 % de troubles graves de personnalite´ de type borderline. Plus de trois-quarts des patients hommes (78,3 %) sont adresse´s via leur service de secteur, 17,4 % via la de´tention (SMPR ou UHSA) et 4,3 % via l’Infirmerie Psychiatrique de la Pre´fecture de Police de Paris (IPPP ou I3P). L’ensemble des patientes sont transfe´re´es de leur service de secteur. 7.3. Cadre le´gislatif Sur le plan le´gislatif, le service Henri Colin et les trois autres ˆ rete´ historiques (Montfavet, Sarreguemines et services de su Cadillac) se de´veloppent sans aucune assise re´glementaire jusqu’en 1986 : ces e´tablissements prennent alors leur nom actuel d’Unite´s pour Malades Difficiles (UMD). Le de´cret du 14 mars 1986, dans son 12e article, les de´finit comme des structures « a` vocation interre´gionale, implante´es dans un centre hospitalier spe´cialise´ et qui assurent l’hospitalisation a` temps complet des patients pre´sentant pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance ˆ rete´ ne´cessaires ne puissent eˆtre mis en œuvre et les mesures de su que dans une unite´ spe´cifique » [33]. L’arreˆte´ du 14 octobre 1986 « relatif au re`glement inte´rieur type des UMD » pre´cise leur fonctionnement, la population concerne´e, les modalite´s d’admission et de sortie ainsi que les droits des patients [2,5,8,16,38,46,51– 53,69]. Il est re´actualise´ par le de´cret du 1er fe´vrier 2016 portant application des dispositions de la loi du 27 septembre 2013 relative aux soins psychiatriques, dans lequel la notion « [d’]e´tat dangereux majeur » disparaıˆt et les objectifs the´rapeutiques de ces structures sont re´affirme´s [34]. 7.4. E´volution de l’institution Aux alentours des anne´es 1975, sous l’influence de la sectorisation psychiatrique et de la psychothe´rapie institutionnelle, la fonction soignante e´volue d’un roˆle se´curitaire de

surveillance a` un roˆle structure´ par les projets de soins. Progressivement, les activite´s the´rapeutiques se multiplient et se diversifient. Les psychologues effectuent re´gulie`rement des prises en charge groupales puis individuelles. Les « ateliers » conservent jusqu’a` la fin du XXe sie`cle une vocation occupationnelle, avant de s’orienter vers des me´diations the´rapeutiques avec la cre´ation d’une unite´ d’ergothe´rapie. Depuis, l’offre de soins s’est comple´te´e de prises en charge en psychomotricite´ et de groupes de reme´diation cognitive [3,38,50,51,53,56,69]. En paralle`le, les pavillons ont e´te´ re´nove´s et re´habilite´s. Actuellement, le service dispose de 53 places hommes (re´partis sur trois pavillons se´quentiels) et 16 places femmes, pour un total de 69 lits. En re´sume´, si certains e´le´ments sont reste´s constants (patients inde´sirables, jeunes, sexe masculin, pre´carite´ et isolement social), le paradigme du malade difficile a e´volue´ durant le premier sie`cle d’existence du service Henri Colin. Ainsi, le « patient type » est passe´ d’un patient dangereux pour la socie´te´ – sujet antisocial au lourd passe´ judiciaire et carce´ral – a` un patient dangereux et/ou difficile pour l’institution sectorielle – schizophre`ne paranoı¨de, chimiore´sistant, pre´sentant des troubles du comportement violents dans son service de secteur [3,52,73]. ˆ rete´ est base´e sur un En 1910, la cre´ation du quartier de su mandat se´curitaire avec exclusion hors des services de psychiatrie des malades perturbateurs et la prise en charge des alie´ne´s criminels. L’UMD de´sormais plus que centenaire n’est plus un lieu de re´tention sociale et disciplinaire mais un lieu de soins appartenant au dispositif psychiatrique public. La tradition de rele´gation s’est transforme´e en relais the´rapeutique via des prises en charge intensives et pluridisciplinaires. 8. Transition Apre`s cet article de´die´ a` l’UMD Henri Colin du Groupe Hospitalier Paul Guiraud a` Villejuif dans le Val-de-Marne, le deuxie`me volet de ce triptyque consacre´ a` l’Histoire et aux fonctions des Unite´s pour Malades Difficiles portera sur les neuf autres structures franc¸aises e´quivalentes situe´es a` Montfavet dans le Vaucluse, a` Sarreguemines en Moselle, a` Cadillac en Gironde, a` Plouguerne´vel dans les Coˆtes-d’Armor, a` Monestier-Merlines en Corre`ze, a` Albi dans le Tarn, a` Bron dans le Rhoˆne, a` Chaˆlons-enChampagne dans la Marne et a` Sotteville-le`s-Rouen en Seine Maritime. ˆ ts De´claration de liens d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts. Re´fe´rences [1] Andrieux-Lafaye ED. E´volution de la population masculine d’un service de ˆ rete´ : Le Service Henri Colin de l’Hoˆpital Psychiatrique de Villejuif (1954su 1974) [The`se pour le diploˆme d’E´tat de docteur en me´decine]. Paris: Universite´ Paris Val-de-Marne, Faculte´ de Me´decine de Cre´teil; 2005, http://www.sudoc. abes.fr/xslt/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=227599950. [2] Arreˆte´ du 14 octobre 1986 relatif au re`glement inte´rieur type des unite´s pour malades difficiles. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006072816&. [3] Azoulay M. Cent ans de prise en charge a` l’Unite´ pour Malades Difficiles Henri Colin : Quelles e´volutions ? Quelles perspectives ?. Le Kremlin-Biceˆtre: Universite´ Paris Diderot–Paris 7, Faculte´ de Me´decine; 2012 [The`se pour le diploˆme d’E´tat de docteur en me´decine, discipline : psychiatrie]http:// www.sudoc.abes.fr/xslt/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=169723194. [4] Baillarger J. Note sur les causes de la fre´quence de la folie chez les prisonniers. Ann Med Psychol 1844;2:74–80. [5] Be´ne´zech M. Re´flexions sur le nouveau re`glement inte´rieur type des unite´s pour malades difficiles. Ann Med Psychol 1987;145:516–20. [6] Be´ne´zech M. Des actuels me´susages de l’article 64 du Code pe´nal sur la de´mence au temps de l’action. Ann Med Psychol 1989;147:738–41. [7] Be´ne´zech M. Nous sommes responsables de la criminalisation abusive des passages a` l’acte pathologiques. « Le mieux est l’ennemi du bien ». J Fr Psychiatr 2001/2;13:23–4.

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