Impact de la note d’un procureur précisant les indications autopsiques : exemple de l’institut médicolégal de Montpellier

Impact de la note d’un procureur précisant les indications autopsiques : exemple de l’institut médicolégal de Montpellier

La revue de médecine légale (2016) 7, 105—113 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL Impact de la note d’un ...

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La revue de médecine légale (2016) 7, 105—113

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

ARTICLE ORIGINAL

Impact de la note d’un procureur précisant les indications autopsiques : exemple de l’institut médicolégal de Montpellier Impact of a written policy from the city prosecutor on autopsy indications: Example of Montpellier Forensic Institute G. Dobrowolski a,*, P.A. Peyron a, C. Barret b, A. Meusy a, É. Baccino a a

´ decine le ´ gale, de ´ partement de me ´ decine le ´ gale, ho ˆ pital Lapeyronie, CHRU de Montpellier, Service de me 371, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier, France b ´ publique de Montpellier, 34040 Montpellier, France TGI de la Re Disponible sur Internet le 21 juillet 2016

MOTS CLÉS Recommandations no européennes R(99)3 ; Droit comparé ; Réforme de la médecine légale ; Épidémiologie thanatologique ; Autopsie ; Institut médicolégal ; Observatoire national de la médecine légale

Résumé Contexte. — La France est actuellement l’un des pays européens les moins autopsieurs et il persiste dans ses différentes juridictions des écarts de taux d’autopsie très variables malgré la réforme de la médecine légale de 2011. L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact de la note diffusée en 2014 par le procureur du TGI de Montpellier et précisant les indications autopsiques, sur l’activité de l’IML montpelliérain. Mate´riel et me´thode. — Nous avons comparé le contenu de cette note avec les recommandations européennes et les textes de référence de plusieurs pays, puis nous avons évalué son impact sur le nombre d’autopsies réalisées (total et selon le mode de décès), à partir de l’étude des bases de données de l’IML depuis 2011. Ces chiffres ont ensuite été rapportés à ceux de l’ONML. Re ´sultats. — Cette note respecte globalement les standards internationaux. Depuis sa diffusion, une augmentation annuelle statistiquement significative du nombre d’autopsies a été constatée (+17 %). Cette hausse concerne principalement les autopsies de décès accidentels (+30 %), naturels (+38 %) et suicidaires (+74 %) ( p = 0,0372). Le faible recul de cette étude n’a toutefois pas permis de lier directement cette augmentation avec la note « Barret », compte tenu de la tendance à l’augmentation du nombre d’autopsie depuis 5 ans. Conclusion. — Il conviendrait de mettre en place une législation nationale ou de généraliser ce type de directive locale, pour mettre la France en conformité avec les standards internationaux et mettre fin à une politique du cas par cas, souvent responsable d’une forme d’arbitraire. # 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (G. Dobrowolski). http://dx.doi.org/10.1016/j.medleg.2016.06.001 1878-6529/# 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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G. Dobrowolski et al.

KEYWORDS European recommendation no. R (99) 3; Comparative law; French forensic reform; Forensic epidemiology; Autopsy; Forensic institute; National Institute of Legal Medicine

Summary France is currently one of the European countries, with the lowest rate of judicial autopsies. Moreover autopsy rates still vary within the country despite the 2011 French forensic reform. The purpose of this study was to assess the impact of the Montpellier city Prosecutor note, which precised indications within his jurisdiction on the IML activities. As part of this study, we have compared the prosecutor’s recommendations with international policies. We have then reviewed the National Institute of Legal Medicine statistics from the past 5 years to evaluate how this note impacted on the number of autopsies (total number of autopsies and according to cause of death). A significant annual increase in autopsy (+17 %) has been seen since the release of this note, which mainly complies with international standards. The autopsies on individual who died from accidents, natural cause and suicides have increased by 30 %, 38 % and 74 % (24  5 [SD] [P = 0.0372]), respectively, but prosecutor note is too recent (2 years) to draw definite conclusions but the trend is clearly towards an increase. For France to comply with the international standards, it would be beneficial to either apply a national legislation or extend the same local guidelines that have positioned Montpellier jurisdiction as the first French jurisdiction in 2015. # 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Si la première autopsie médicolégale semble attribuée à Bartoloméo da Varignana en 1302 à Bologne, c’est sous l’impulsion de l’école française avec Corvisart, Bichat et Laennec au début du XIXe siècle, que l’examen autopsique (scientifique et médicolégal) a connu un essor considérable relayé ensuite par les écoles autrichienne avec Rokitanski et allemande avec Virchow. La France qui a longtemps été, comme en témoigne les noms d’Orfila, Tardieu, Brouardel, etc., à la pointe de la médecine légale durant le siècle dernier est paradoxalement l’un des pays européens les moins autopsieurs actuellement [1]. Bien que le gouvernement ait ratifié comme les autres états membres européens depuis le 2 février 1999 la recommandation no R (99) 3 du conseil de l’Europe [2] relative à l’harmonisation des règles en matière d’autopsie médicolégale, les chiffres d’autopsies rapportés au nombre d’habitants restent très variables en Europe et dans le monde, et la France est l’un de ceux qui en réalise le moins. À titre d’exemple, chaque année environ 9500 examens autopsiques ont lieu en France, contre 95 000 dans un pays tel que le Royaume-Uni qui compte approximativement le même nombre d’habitants (Tableau 1). Au sein même des différentes juridictions françaises, ce taux varie également du simple au quadruple si l’on se réfère aux derniers chiffres du rapport de l’IGAS sur la médecine légale de 2013 (Tableau 2). La réforme de la médecine légale intervenue en 2011, avait entres autres buts celui d’uniformiser les pratiques et de tendre à diminuer ces écarts régionaux. Mais force est de constater, malgré le faible recul dont nous disposons qu’elle

Tableau 1

ne semble pas avoir changé radicalement ces écarts pour l’instant et que les examens autopsiques restent largement sous-utilisés. Or, la défense de la liberté des citoyens passe par une politique pénale équitable et identique, quels que soient leurs ressorts de Cour d’appel, y compris pour la détermination de la cause et du mode de décès. Les magistrats devraient donc pouvoir s’appuyer sur des recommandations nationales bien précises, à l’instar des européennes, pour ordonner une autopsie judiciaire dans le cadre d’une enquête judiciaire en application des articles 60, 74 et 77-1 du Code de procédure pénale ou d’une information judiciaire en application des articles 156 et suivants. En cette période parfois d’aveuglement envers la fantasmatique « virtopsie », faisant que certains auteurs suggèrent qu’elle pourrait substituer bon nombre d’autopsies pourtant déjà peu nombreuses, il faut rappeler la réalité, a savoir qu’au sein d’une juridiction comme celle de Montpellier, seulement 32 % des décès qui relevaient d’une autopsie médicolégale selon les recommandations européennes, en ont bénéficié en 2012 [3]. À partir de ce constat et soucieux d’harmoniser les pratiques au sein de sa juridiction Christophe Barret, procureur du tribunal de grande instance de Montpellier, avait rédigé une note diffusée début 2014 à l’ensemble des intervenants (magistrats, commandant de gendarmerie, directeur départemental de la sûreté publique de l’Hérault et de la police aux frontières) afin d’optimiser la prise en charge des morts suspectes. Nous proposons d’analyser cette note par rapport aux recommandations européennes et internationales, puis d’évaluer son retentissement sur l’activité de l’IML montpelliérain en termes de nombre d’autopsies réalisées.

Nombre d’autopsies pour 1000 habitants en 2013 selon le dernier rapport de l’IGAS sur la médecine légale.

IML

Autopsies

Royaume-Uni Washington DC Brésil Suisse Romande France

94 814

63 181 775

87 814 400 9312

201 000 000 1 800 000 65 281 000

Population par IML

Nombre d’autopsies pour 1000 habitants 1,50 1,25 0,44 0,22 0,14

Impact de la note d’un procureur précisant les indications autopsiques Tableau 2

107

Nombre d’autopsies pour 1000 habitants en 2013 selon le dernier rapport de l’IGAS sur la médecine légale.

IML

Autopsies

Population par IML

Nombre d’autopsies pour 1000 habitants

France Bordeaux Marseille Lyon Saint-Étienne Pointe-à-Pitre Angers Nice Montpellier Evry Besançon Rennes Lille Nancy Limoges Garches (Poincaré) Nîmes Clermont-Ferrand Grenoble Poitiers Amiens Tours Reims Brest Toulouse Dijon Caen Rouen Strasbourg Nantes

9312 737 682 744 186 150 279 257 337 344 144 191 491 252 111 518 200 141 253 174 145 163 99 101 255 97 112 132 149 147

65 2 2 2

0,14 0,29 0,27 0,27 0,19 0,19 0,17 0,17 0,16 0,14 0,12 0,12 0,12 0,12 0,11 0,11 0,11 0,11 0,10 0,10 0,10 0,09 0,09 0,08 0,08 0,08 0,08 0,07 0,07 0,07

1 1 2 2 1 1 4 2 4 1 1 2 1 1 1 1 1 3 1 1 1 2 2

281 499 491 756 969 797 646 525 108 413 168 564 033 079 974 563 829 341 493 760 524 825 152 290 291 264 470 832 113 212

Matériel et méthode Dans un premier temps, nous avons comparé les recommandations issues de la note du procureur du tribunal de grande instance de Montpellier aux recommandations internationales actuelles. Pour ce faire, nous avons examiné le Code de procédure pénale (CPP) ou, à défaut, les textes de référence qui encadrent les autopsies médicolégales des pays ou zones géographiques suivantes : Europe, Suisse, Royaume-Uni, États-Unis, Canada. Puis, dans un second temps, afin de pouvoir évaluer l’impact de cette note sur l’activité de l’institut médicolégal (IML) de Montpellier, nous avons utilisé la base de données internes du service matérialisées sous la forme de tableurs Excel1 de janvier 2012 jusqu’à ce jour. Cette liste exhaustive est remplie par les praticiens du service qui renseignent notamment l’identité, l’âge de la personne autopsiée, la date ainsi que la cause et le mode du décès supposés au terme de l’autopsie. Cinq modes de décès ont été utilisés pour ce travail et peuvent être définis de la façon suivante :  décès naturel : comprend tous les décès où une maladie est à l’origine de la suite d’évènements ayant entraîné la mort ;

000 812 532 892 237 958 279 106 892 573 208 968 197 273 053 699 203 041 291 575 665 820 739 647 984 078 880 942 892 218

 décès accidentel : comprend tous les décès où un évènement extérieur est à l’origine de la suite d’évènements ayant entraîné la mort et où il n’y a aucun élément d’intention dans les circonstances ayant entraîné l’événement extérieur ;  suicide : comprend tous les décès où un évènement autoinfligé est à l’origine de la suite d’évènements ayant entraîné la mort et où la personne a l’intention de causer sa propre mort ;  homicide : comprend tous les décès où un évènement extérieur est à l’origine de la suite d’évènements ayant entraîné la mort et où des preuves indiquent une certaine intention de la part d’une autre personne de l’avoir causé ;  décès indéterminé : tous les décès que l’investigation ne permet pas de classer dans l’une des catégories ci-dessus sont classés comme étant de nature indéterminée. Il convient de souligner qu’en pareil cas, la cause du décès peut être connue. L’effet de la note « Barret » a été testé dans des modèles linéaires déterministes additifs. La distribution des variables était présumée normale. Pour chaque série chronologique de données, nous avons utilisé un nombre d’autopsie par année, ce qui écartait le risque d’autocorrélation des données du

108 fait de la saisonnalité. Il a d’abord été recherché une tendance significative. Si une tendance était significative, elle était conservée dans le modèle où l’effet de la note « Barret » était testé. Le modèle complet comprenait ainsi : Xt = Zt + Bt + et Avec Xt : nombre d’autopsies réalisées l’année t Zt : tendance linéaire de l’évolution du nombre d’autopsies Bt : effet de la note « Barret » Un seuil de significativité de 0,05 a été retenu pour tous les tests pratiqués. L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel SAS Enterprise Guide version 6.1 (SAS Institute, Cary, N.C.).

Résultats Description de la note et mode de diffusion Dans sa note du 30 janvier 2014, le Procureur Barret listait les circonstances pour lesquelles une autopsie médicolégale devait être ordonnée dans le cadre de l’ouverture d’une procédure pour recherche de la mort dans le cadre de l’article 74 du CPP. Il rappelait également dans cette note, que cet acte indispensable à la manifestation de la vérité, réalisé de manière professionnelle et dans le respect de la dignité des personnes décédées et de leur famille pouvait ne se voir opposer aucun motif d’ordre personnel, et qu’il était réalisé dans l’intérêt de tous et de l’ordre public. Il listait les deux cas de figure :  le premier où l’autopsie devait systématiquement être ordonnée, quelle que soit la position qui aurait pu être prise par le médecin ayant constaté la mort qui comprenait les situations suivantes :  mort consécutive à une infraction ou un fait volontaire, y compris en cas de suicide a priori évident,  mort violente par arme à feu, y compris accident de chasse,  mort violente par asphyxie ou par pendaison, y compris en cas de suicide a priori évident,  mort par intoxication (stupéfiants, médicaments, aliments, etc.), y compris en cas de suicide a priori évident,  mort dans une enceinte pénitentiaire, de justice, de rétention ou de garde à vue, qu’elles qu’en soient les circonstances,  mort dans le cadre d’un accident du travail, hors accident de la circulation,  mort « inexpliquée » du nourrisson,  mort « inexpliquée » en l’absence de levée de corps ;  le deuxième où l’autopsie pouvait être prescrite, selon les circonstances en cas de :  mort par accident de la route, lorsque les circonstances sont inconnues ou suspectes, ou à raison de l’identité ou du comportement de la victime (par exemple sous l’emprise de stupéfiants ou de toxiques), ou pour s’assurer de l’identité de la victime (victime carbonisée ou démunie de documents d’identité, ou non reconnue par un proche) ou lorsqu’un sur-accident

G. Dobrowolski et al. ayant concerné le corps ne permet pas a priori de déterminer si un seul véhicule est en cause dans le décès,  mort par accident domestique, lorsqu’une responsabilité pénale sera certainement ou pourrait être recherchée,  mort inattendue survenue à la suite de soins médicaux ou chirurgicaux, dans les mêmes circonstances. Afin de s’assurer de la bonne diffusion de cette note, elle fut expédiée une seconde fois aux mêmes intervenants en date du 19 mars 2015.

Description des recommandations internationales Recommandation européennes En Union européenne. Actuellement et depuis le 2 février 1999, c’est toujours la recommandation no R (99) 3 du conseil de l’Europe [2] relative à l’harmonisation des règles en matière d’autopsie médicolégale, qui fait référence à ce sujet. Ce texte stipule que des autopsies devraient être réalisées dans tous les cas de mort non naturelle évidente ou suspectée, quel que soit le délai entre l’événement responsable de la mort et la mort elle-même, en particulier dans les cas suivants :  homicide ou suspicion d’homicide ;  mort subite inattendue, y compris la mort subite du nourrisson ;  violation des droits de l’homme, telle que suspicion de torture ou de toute autre forme de mauvais traitement ;  suicide ou suspicion de suicide ;  suspicion de faute médicale ;  accident de transport, de travail ou domestique ;  maladie professionnelle ;  catastrophe naturelle ou technologique ;  décès en détention ou associé à des actions de police ou militaires ;  corps non identifié ou restes squelettiques. Au Royaume-Uni, cas particulier européen. Au RoyaumeUni, le système repose sur le « coroner » qui est en pratique le seul habilité à saisir le médecin légiste pour la réalisation d’une autopsie médicolégale. Théoriquement, la police peut également la demander, mais cette procédure est exceptionnelle. Là aussi ce sont les textes législatifs par le biais du « Coroners and Justice Act 2009 » [4], qui précise les situations où le coroner doit être informé par toute personne, et a fortiori un médecin, lorsqu’elle a des raisons de croire que :  la personne est décédée de mort violente ou non naturelle ;  la cause du décès est inconnue ;  la personne est décédée en détention. De manière plus précise, le « Guide to Coroner Services » édité par le ministère de la Justice du gouvernement

Impact de la note d’un procureur précisant les indications autopsiques britannique [5], liste les situations où un coroner doit investiguer et éventuellement faire procéder à une autopsie :  décès naturel quand le défunt n’est pas sous la responsabilité d’un médecin ou quand le médecin qui l’a suivi n’est pas en mesure de signer le certificat de décès ;  décès de cause inconnue ;  décès au cours d’une opération ou avant récupération des effets de l’anesthésie ;  décès au travail ou secondaire à une maladie professionnelle ;  mort subite inexpliquée ;  mort non naturelle ;  mort secondaire à des violences ou de la négligence ;  mort suspecte ;  décès survenu en prison, en garde à vue, ou au cours d’une mesure de rétention. En Suisse. Pour ce qui est des recommandations suisses, c’est le Code de procédure pénale qui nous renseigne [6]. L’article 253 relatif aux morts suspectes stipule que si, lors d’un décès, il y a des indices, notamment de la commission d’une infraction, qui donnent à penser que le décès n’est pas dû à une cause naturelle ou que l’identité du cadavre n’est pas connue, le ministère public ordonne un premier examen du cadavre par un médecin spécialiste afin de déterminer les causes de la mort ou d’identifier le défunt. Puis, au besoin, si les doutes subsistent, il ordonne la mise en sûreté du cadavre et de nouveaux examens par un institut de médecine légale et, au besoin, son autopsie. Il n’est en revanche nullement listé de cas dans lesquels une autopsie devrait être réalisée. Recommandation américaines Aux États-Unis. Sur le modèle du Royaume-Uni, ce sont, ici aussi, les institutions médicolégales représentées par les « coroners » et les « Chief medical examiners » qui décident de la réalisation d’une autopsie et non les enquêteurs ou les magistrats. Les recommandations peuvent être très peu différentes selon les états, mais comme le rappellent Vincent J. et Dominick DI MAIO dans l’ouvrage Forensic Pathology [7], une autopsie médicolégale est recommandée dans les cas suivants :  morts violentes (accidents, suicides, homicides) ;  morts suspectes ;

Figure 1

109

 morts subites et inexpliquées ;  décès en détention ;  décès naturels lorsque l’individu n’était pas sous la responsabilité d’un médecin, ou que celui-ci est décédé dans les 24 premières heures qui suivent son admission à l’hôpital. Au Canada. Même si les lois d’application qui encadrent les situations nécessitant le signalement d’un décès au coroner peuvent différer entre les différentes provinces et territoires canadiens, la loi sur la recherche des circonstances et des causes des décès [8] impose à toute personne, et a fortiori un médecin, de signaler un décès lorsqu’elle a des raisons de croire que celui-ci est survenu dans une des situations suivantes :     

actes de violence ; homicides ; décès au cours d’une grossesse ; décès inexpliqué ou inattendu ; décès secondaire à une négligence, à une faute professionnelle, à l’inconduite ou au manquement aux exigences professionnelles.

Puis après une enquête médicolégale, l’institut médicolégal ou le coroner peut être saisi pour la réalisation d’une autopsie.

Impact de la note « Barret » en termes de nombre d’autopsies réalisées (total et selon le mode de décès) Sur le nombre total d’autopsies Si l’on s’intéresse à l’activité de l’IML de Montpellier, on constate que le nombre d’autopsies réalisées durant l’année civile est passé de 380 en 2013, à 423 en 2014 et 523 en 2015, ce qui représente une augmentation successive de 11 % puis 23 %. Là où l’augmentation était de 6 % en moyenne sur les années post-réforme de la médecine légale, c’est-à-dire après 2011, elle est passée à 17 % depuis la diffusion de cette note, rappelant aux principaux requérants d’autopsie la conduite à tenir au sein de la juridiction de Montpellier. Si l’on compare l’activité autopsique au sein de l’IML en comparant l’avant et l’après de la note « Barret », on constate que la moyenne annuelle d’autopsie (m) dans le groupe post-note a bondi de 35 % en passant de 350 à 473 examens autopsiques (Fig. 1 ) et qu’il existe une ten-

Comparaison du nombre moyen d’autopsies par an à l’IML de Montpellier avant et après la note « Barret ».

110

Figure 2

G. Dobrowolski et al.

Évolution du nombre d’autopsies à l’IML de Montpellier selon les modes de décès supposés au terme de l’autopsie.

dance significative à l’augmentation sur les cinq années étudiées, avec une augmentation moyenne de 45  11 (SD) ( p = 0,023) autopsies par an. Sur le nombre d’autopsies selon les différents modes de décès supposés Si l’on s’intéresse maintenant au nombre d’autopsies selon le mode de décès, on constate que le nombre d’homicides, est relativement stable avec une moyenne d’environ 20 cas par an et que le nombre de décès de mode inconnu au terme de l’examen autopsique reste également relativement stable avec des chiffres autour de 90 par an. En revanche, on met en évidence depuis début 2014, date de la diffusion de la note « Barret », une nette augmentation des modes accidentel, naturel et suicidaire.

Si l’on compare la moyenne avant et après cette note « Barret », le nombre d’autopsies dont le décès est de mode accidentel, naturel et suicidaire au terme de l’autopsie a respectivement augmenté de 30 %, 38 % et 74 % (Fig. 2).

Discussion Évaluation de la note Les situations pour lesquelles le Procureur Barret recommande la réalisation d’autopsie, bien que stipulées différemment, reprennent globalement les recommandations européennes (Tableau 3).

Tableau 3 Comparaison de la note « Barret » avec les textes de référence en Europe et dans les pays anglo-saxons en matière de recommandations d’autopsie. Motifs

Pays Union européenne

Homicide ou suspicion Mort subite inattendue Violation des droits de l’homme, (torture ou mauvais traitement) Suicide ou suspicion Suspicion de faute médicale Accident de transport, de travail ou domestique Maladie professionnelle Catastrophe naturelle ou technologique Décès en détention ou associé à des actions de police ou militaires Corps non identifié ou reste squelettique Décès naturel quand défunt pas sous responsabilité médicale ou médecin « traitant » pas en mesure de certifier Décès secondaire à une grossesse

Note « Barret »

Suisse [4] Pas de recommandations listées mais si indices, qui donnent à penser que le décès n’est pas de cause naturelle ou que l’identité du cadavre n’est pas connue, le ministère public peut ordonner une autopsie

Royaume-Uni [5,6]

États-Unis [7]

Canada [8]

?

? ?

Impact de la note d’un procureur précisant les indications autopsiques La particularité canadienne que représente le décès au cours d’une grossesse, est implicitement intégrée dans cette dernière recommandation et la recommandation de réaliser une autopsie dans le cadre d’une catastrophe naturelle ou technologique est, elle, comprise dans la recommandation concernant la recherche d’une mise en cause d’une responsabilité pénale, pour infraction volontaire ou involontaire. La seule recommandation européenne véritablement absente de la note du Procureur Barret, est celle qui concerne les décès en lien avec une maladie professionnelle.

Évaluation de l’impact de la note sur le nombre d’autopsies En nombre absolu Évolution nationale globale. Les chiffres nationaux, obtenus après consultations du site de l’Observatoire national de la médecine légale (ONML) en France, montrent que les deux années qui ont suivi la réforme, ont connu une discrète augmentation avant de régresser de façon infime en 2014. L’année 2015 a, en revanche, connu une nette augmentation d’activité avec 768 autopsies supplémentaires (Fig. 3). Ces chiffres de 2015 sont tout de même à pondérer, avec le nombre important de catastrophes et faits divers pourvoyeurs d’examens autopsiques survenus cette année-là : citons notamment l’accident d’aviation civile du vol 9525 de la GermanWings qui fit en mars 150 victimes, les attentats de Paris du 13 novembre qui firent 137 morts (130 victimes et

Figure 3

1400 1200 1000 800 600 400 200 0

111

7 terroristes), et l’accident d’autocar de Pissegrin en Gironde qui fit, en octobre, 43 morts. Ces trois catastrophes ont donc augmenté à elles seules le nombre d’autopsies dans les IML de Paris, Marseille et Bordeaux de 330. Il faut également avoir à l’esprit que l’année 2015 a connu une augmentation importante (+2,5 %) de nombre de morts sur la route si l’on en croit le baromètre de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, ce qui représente environ 85 décès supplémentaires par rapport à l’année 2014. Cette augmentation d’activité autopsique inférieure à 10 % ne peut donc être considérée comme un témoin d’une tendance structurelle. Évolution nationale par IML. Si l’on s’attache maintenant à l’évolution des différents IML français, on constate que l’évolution est très différente selon les juridictions (Fig. 4). En effet, la plupart des IML sont globalement stables, c’est le cas de : Alsace, Aquitaine, Auvergne, Bourgogne, Bretagne, Centre, Limousin, Loraine, Basse-Normandie, Haute-Normandie, Pays de la Loire, Picardie, PACA, Rhône-Alpes, Océan Indien, Guadeloupe, Guyane. Certains augmentent leur activité, c’est le cas de : LanguedocRoussillon, Midi-Pyrénées, Nord-Pas de Calais, Île-de-France, Poitou Charente, Martinique pendant que d’autres diminuent : Champagne-Ardenne, Franche-Comté. Évolution montpelliéraine. Contrairement à une tendance à l’augmentation discrète (+4 %) en France sur ces 5 dernières années, l’IML montpelliérain enregistre une croissance du

Nombre d’autopsies par an en France (source ONML consulté le 15 jan 2015).

2011 2012 2013 2014 2015

Figure 4

Nombre d’autopsies dans les différents IML français en fonction des années (Source ONML).

112

G. Dobrowolski et al.

nombre d’autopsies à deux chiffres (+12 %) sur la même période. Et si l’on considère les deux dernières années soit depuis janvier 2014 date de la diffusion de la note du Procureur Barret, la croissance du nombre d’autopsies de l’IML de Montpellier est de 17 %. Avant cette note, la tendance était de l’ordre de 6 %. Cette information permet donc d’envisager que la note « Barret » a pu participer à cette modification. Pour interpréter cette modification, il faut le faire à la lumière de certains éléments.

Nombre de décès annuel en Languedoc-Roussillon. En effet, cette augmentation intervient malgré une certaine stabilité du nombre de décès annuel dans la région du Languedoc-Roussillon. Selon l’Insee, celui-ci oscille autour de 26 500 par an depuis ces quatre dernières années. Ce nombre est également stable dans les territoires qui composent la juridiction de Montpellier avec respectivement pour l’Hérault, l’Aude et les Pyrénées Orientales les moyennes de 9606, 4018 et 5114 décès annuels. Création de l’IML de Nîmes. Cette augmentation d’activité est d’autant plus significative que depuis 2012, un nouvel IML a vu le jour dans la région (à moins de 60 km) et qu’il a en charge un territoire auparavant pour partie à la charge de l’IML de Montpellier (selon la première mouture de la réforme de la médecine légale). En effet depuis septembre 2012, l’IML nîmois est passé de 0 à 279 autopsies réalisées selon les chiffres de l’ONML. Si l’on calcule l’augmentation moyenne du nombre d’autopsies depuis la création de cet IML, elle se situe à 60 % par an (Fig. 5).

Figure 5

0.5 0.45 0.4 0.35 0.3 0.25 0.2 0.15 0.1 0.05 0

En fonction du mode de décès Si l’on s’attache plus précisément au nombre d’autopsies selon le mode de décès supposé au terme de l’autopsie, on constate que cette augmentation d’activité est essentiellement due à une augmentation d’autopsies dans le cadre de décès de mode accidentel, suicidaire et naturel. Sur ces 3 modes, seuls les décès suicidaires ont montré une tendance significative à l’augmentation (24  5 (SD) cas par an ; p = 0,0372). En revanche, il n’a pas pu être mis en évidence un effet de la note « Barret » statistiquement significatif malgré une accélération visible de l’augmentation du nombre d’autopsies depuis 2014. Pour les deux autres modes, l’absence de tendance significative s’explique sans doute par le manque de recul (nombre d’années étudiées) qui est responsable d’une faible puissance statistique. On note enfin que le nombre d’autopsies concernant les homicides est relativement stable si l’on considère son faible effectif et la variabilité statistique. En fonction du taux d’autopsies par millier d’habitants Selon l’Insee, la population du Languedoc-Roussillon comptait en 2012, date du dernier recensement, 2 700 266 habitants. Celle-ci se répartissait de la façon suivante dans les deux juridictions qui la composent :  juridiction de la Cour d’Appel de Montpellier : 1 897 759 habitants (Hérault : 1 077 627 habitants, Pyrénées Orientales = 457 793 habitants, Aude = 362 339 habitants) ;  juridiction de la Cour d’Appel de Nîmes : 802 507 habitants (Gard : 725 618 habitants, Lozère : 76 889 habitants)

Nombre d’autopsies par an à l’IML de Nîmes.

2011 2012 2013 2014 2015

Figure 6

Nombre d’autopsies pour 1000 habitants dans les différents IML Français en fonctions des années (Source ONML).

Impact de la note d’un procureur précisant les indications autopsiques auxquels il faut ajouter une partie de la population de l’Ardèche et du Vaucluse. Avec une moyenne annuelle sur les 5 dernières années de 398 autopsies judiciaires réalisées sur le ressort de la Cour d’Appel de Montpellier, le taux d’autopsies est de 0,21 pour 1000 habitants. Pour mémoire, la moyenne nationale est de 0,13 autopsies pour 1000 habitants sur les 5 dernières années. Si l’on se réfère aux chiffres du Languedoc-Roussillon depuis la note « Barret », cette moyenne est passée de 0,25 en 2014 à 0,31 en 2015 (Fig. 6). Ceux-ci font donc de Montpellier, la juridiction métropolitaine française la plus autopsieuse rapportée au nombre d’habitants, mais qui reste toutefois très en retard par rapport à nos voisins étrangers avec des chiffres cinq fois plus important en Outre-Manche et quatre fois plus aux États-Unis.

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Même si nous n’avons pas pu mettre en évidence un effet significatif de la note « Barret », à la fois en raison du faible recul mais aussi du fait de l’ouverture de l’IML nîmois il est très probable que la tendance constatée se confirme dans les années à venir. Force étant de constater que malgré son appareil législatif très productif, il n’existe, à ce jour, toujours pas de transposition des directives européennes de la R-99 3 dans le Code de procédure pénale, alors qu’elles existent depuis plus de 15 ans, l’on ne peut donc que souhaiter l’extension de telles initiatives à d’autres juridictions.

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références Conclusion Comme la « Loi de Say » en économie l’indique, l’offre créer la demande ; la réforme de la médecine légale, avec son financement forfaitaire, est très certainement responsable d’une partie de l’augmentation de l’activité de l’IML de Montpellier. En effet, une fois l’IML financé, les autopsies supplémentaires ne grèvent pas le budget de la justice en dehors des transports de corps et des examens complémentaires. Ainsi, pour le parquet, plus le nombre d’examens autopsiques est élevé, plus l’autopsie est bon marché. Ceci jusqu’à un certain nombre, défini dans la réforme de financement d’après les règles ministérielles où apparaît un effet de seuil (300 autopsies par an). Depuis 2014, date de la première diffusion de la note du procureur de la République Christophe Barret rappelant les indications autopsiques, qui respecte globalement les recommandations internationales et européennes, nous constatons une tendance à l’augmentation de l’activité autopsique à l’IML de Montpellier (+17 %), alors qu’il existait une tendance croissante modérée de l’ordre de 6 % depuis la réforme de 2011 sur la même juridiction et de l’ordre de 4 % au niveau national.

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