Revue de Pneumologie clinique (2011) 67, 129—135
ARTICLE ORIGINAL
Incidence de la maladie thromboembolique veineuse chez des hommes admis dans un service de pneumologie pour affection respiratoire aiguë Incidence of venous thromboembolism in men admitted to a pneumology unit for acute respiratory disease I. Aissa a,∗, I. Rachdi a, K. Ben Miled b, H. Ghedira a a b
Service de pneumologie I, Pavillon I, hôpital Abderrahman Mami, 2080 Ariana, Tunisie Service de radiologie, hôpital Abderrahman Mami, Ariana, Tunisie
Disponible sur Internet le 30 novembre 2010
MOTS CLÉS Maladie thromboembolique veineuse ; Risque ; Prophylaxie ; Milieu médical ; Pneumologie
∗
Résumé Introduction. — La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) est une source importante de morbidité et de mortalité dans le monde entier. Elle représente une des complications survenant en milieu médical hospitalier. L’objectif principal de ce travail est d’estimer l’incidence de la MTEV dans un service de pneumologie. Méthode. — Nous avons mené une étude prospective sur des patients hospitalisés dans un service de pneumologie pour pathologie aiguë. Nous avons utilisé une fiche analytique médicale, un écho-Doppler veineux des membres inférieurs pratiqué à j1 et j10 d’hospitalisation. La probabilité clinique de survenue de MTEV a été évaluée par le score de Wells. Résultats. — Sept des 100 patients inclus ont développé une MTEV (IC95 % : 2—12) parmi lesquels quatre ont présenté une embolie pulmonaire. Les patients ayant une MTEV sont âgés de 60 ans ± 12. L’incidence de la MTEV est de 20 % (IC95 % : 12,2—27,8) chez les patients hospitalisés pour cancer bronchique, de 7,14 % (IC95 % : 2,1—12,18) chez les patients ayant une tuberculose pulmonaire et de 4,54 %(IC95 % : 0,46—8,62) chez les patients hospitalisés pour décompensation aiguë de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). La durée d’hospitalisation a été prolongée pour le traitement de la MTEV (21 ± 4,41 jours contre 12 ± 5 jours en l’absence de survenue de MTEV [p < 0,001]). L’analyse des différents facteurs de risque montre qu’un Performance Status supérieur à 2 (p = 0,005) et le cancer bronchique (p = 0,028) sont les deux facteurs les plus incriminés dans la survenue de la MTEV. Celle-ci est associée à une mortalité de 2 %.
Auteur correspondant. Adresse e-mail : imen
[email protected] (I. Aissa).
0761-8417/$ — see front matter © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.pneumo.2010.04.003
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I. Aissa et al. Conclusion. — La MTEV est une réalité qu’il faut prévenir dans l’exercice pneumologique face à des situations à risque essentiellement en cas de cancer bronchique ou de Performance Status > 2. © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.
KEYWORDS Venous thromboembolism; Risk; Prophylaxis; Medical inpatients; Respiratory diseases
Summary Background. — Venous thromboembolism (VTE) is a major source of morbidity and mortality all over the world. It is one of the complications arising in a hospital environment. The main aim of this study is to estimate the incidence of VTE in respiratory inpatients. Method. — The authors carried out a prospective study on acute respiratory disease inpatients. A medical analytical index card was used. An echo-venous Doppler of lower limbs was practiced on D1 and D10 of hospitalization. The Wells scored was used to estimate the clinical probability of the occurrence of VTE. Results. — Seven of 100 patients studied developed VTE (95% CI : 2—12%), four of which presented a pulmonary embolism. The patients with VTE are 60-years-old ± 11.67. The incidence of VTE includes 20% (95% CI : 12.2—27.8%) of the patients hospitalized for bronchial cancer, 7.14% (95% CI : 2.1—12.18) of the patients presenting pulmonary tuberculosis and 4.54% (95% CI : 0.46—8.62%) of the patients hospitalized for exacerbation of chronic obstructive pulmonary disease (COPD). The duration of hospitalization was prolonged for the treatment of VTE (21 ± 4.41 days for these patients compared with 12 ± 5 days in the absence of VTE (P < 0.001)). The analysis of the various risk factors shows that a Performance Status > 2 (P = 0.005) and lung cancer (P = 0.028) are the factors most incriminated in the occurrence of VTE. It is associated with a mortality of 2%. Conclusion. — VTE is a reality which is necessary to prevent in respiratory inpatients in situations at risk, especially in patients with lung cancer and with a PS > 2. © 2010 Published by Elsevier Masson SAS.
Introduction
Patients et méthodes
La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) est une maladie qui regroupe deux entités : la thrombose veineuse profonde (TV) et l’embolie pulmonaire (EP). La MTEV est une source importante de morbidité et de mortalité dans le monde entier. Elle représente une des complications survenant en milieu chirurgical et médical hospitalier. L’incidence annuelle de la TV serait de 60 à 100 pour 100 000 habitants et pour l’EP de 23 à 107 pour 100 000 habitants [1]. Cette incidence augmente avec l’âge de fac ¸on exponentielle, et atteint des chiffres plus élevés pouvant atteindre 1000 pour 100 000 habitants pour la population âgée de 70 à 79 ans [2]. Il a été démontré que l’EP était à l’origine de 10 % des décès en milieu hospitalier et constitue la première cause de mortalité, non-directement imputable au motif d’admission [3]. Près de 75 % de ces décès sont observés en milieu médical [4]. Cependant, cette maladie multifactorielle tend à être négligée en milieu médical et la prophylaxie antithrombotique n’est pas suffisamment utilisée en comparaison avec les milieux chirurgicaux. En milieu pneumologique, les patients hospitalisés sont hétérogènes. Cependant, les données actuelles sont insuffisantes pour la mise en place d’une conduite à tenir spécifique aux patients hospitalisés pour une affection respiratoire aiguë ou chronique. C’est dans ce contexte que se situe l’intérêt de notre travail dont les objectifs visent à estimer l’incidence de la MTEV chez des patients hospitalisés en milieu pneumologique et dégager les facteurs de risque thromboemboliques rencontrés ces patients ainsi que la mortalité.
Il s’agit d’une étude prospective sur des patients hospitalisés pour affection respiratoire aiguë dans un service de pneumologie. L’étude avait débuté au mois de février 2009 jusqu’au mois d’août 2009. Pour chaque patient, une fiche analytique a été établie à l’admission permettant de relever les données démographiques, le motif d’hospitalisation et les facteurs de risque thromboembolique. Ont été inclus les patients hospitalisés pour : asthme aigu grave, tuberculose pulmonaire, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) en décompensation, cancer bronchique, insuffisance respiratoire aiguë, pneumopathie, pneumothorax, pleurésie, ainsi que les patients ayant une cardiopathie associée. La probabilité clinique de MTEV a été évaluée par le score de Wells (Annexe 1), score utilisé pour le diagnostic des deux composantes de la MTEV : TV profonde et/ou d’EP ; ce test a été utilisé pour le dépistage systématique de la MTEV à l’admission en vu de l’exclusion des patients, puis repris entre le neuvième et le 12e jour d’hospitalisation soit systématiquement soit devant la présence de symptomatologie clinique évocatrice de MTEV. Ont été alors exclus de cette étude, tous les patients sous traitement anticoagulant à l’admission et ceux ayant un score de Wells ≥ 2,5 signifiant une probabilité clinique de MTEV modérée à élevée sans MTEV. Aucun des patients inclus n’a bénéficié dès son hospitalisation d’une prophylaxie médicale pour la MTEV, ce qui justifiait notre choix d’ordre éthique de restreindre la population d’étude et de se limiter à la probabilité clinique faible. Un écho-Doppler veineux des membres inférieurs a
Incidence de la maladie thromboembolique veineuse chez des hommes été alors systématiquement pratiqué à l’admission chez les patients inclus dans l’étude. Par ailleurs, on a recherché chez tous les patients, les principaux facteurs de risque de la MTEV décrits dans la littérature. Ces facteurs de risque ont été subdivisés en facteurs cliniques et facteurs biologiques. Parmi les facteurs de risque cliniques, nous avons recherché : un âge ≥ 60 ans, le tabagisme, le degré d’autonomie ou Performance Status (PS) > 2, l’obésité, les antécédents de MTEV, l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance coronarienne, les varices, la décompensation aiguë de BPCO, le cancer bronchique et la tuberculose pulmonaire. Les facteurs de risque biologiques sont la polyglobulie, la thrombocytose et le groupe sanguin A. Tous les patients inclus ont bénéficié dès leur admission d’examens paracliniques comprenant un dosage des D-Dimères plasmatique par le test VIDS-DD Elisa, un bilan d’hémostase et un écho-Doppler veineux des membres inférieurs. Entre le neuvième et le 12e jour d’hospitalisation, ont été relevés de manière systématique chez tous les patients inclus les signes anamnestiques et cliniques pouvant évoquer une MTEV avec réévaluation du score de Wells qui a guidé la conduite ultérieure. Pour les patients à faible probabilité clinique de MTEV, un dosage des D-Dimères a été entrepris. Si le taux est inférieur à 500 g/l, la MTEV a été éliminée ; dans le cas contraire, ces patients ont été explorés comme ceux ayant une probabilité clinique modérée ou élevée par un électrocardiogramme, une radiographie du thorax, des gaz du sang artériel et un écho-Doppler veineux des membres inférieurs. En présence de signes cliniques d’EP ou en présence d’une TV des membres inférieurs à l’échographie, un angioscanner thoracique a été pratiqué. En présence de signes formels échographiques ou sur l’angioscanner de MTEV, un traitement médical curatif par héparine non fractionné ou héparine de bas poids moléculaire (Enoxaparine) a été démarré. Certains résultats ont été exprimés en moyenne ± écarttype. D’autres résultats ont été exprimés en valeur centrale ± intervalle de confiance (IC). On a établit des comparaisons à l’aide du test de Fisher et Student, on a considéré la significativité pour un p < 0,05.
Tableau 1
131 Caractéristiques générales de la population. Pourcentage de la population (%)
Sexe Hommes Tranches d’âge (ans) 19—29 30—39 40—49 50—59 60—69 70—79 Motifs d’hospitalisation Tuberculose pulmonaire Décompensation de BPCO Cancer bronchique Pneumopathie Pleurésie Asthme aigu grave
100 10 10 15 29 20 16 28 22 20 14 13 3
BPCO : bronchopneumopathie chronique obstructive.
évidence de phlébite. Les patients ayant une MTEV sont âgés de 60 ans ± 12 ; aucun d’entre eux n’avait été sous traitement anticoagulant préventif comme c’était le cas des autres patients inclus. Parmi ces sept patients avec MTEV, quatre avaient été hospitalisés pour un cancer bronchique, deux pour une tuberculose pulmonaire et un pour décompensation aiguë de BPCO. L’incidence de la MTEV serait donc de 20 % (IC95 % : 12,2—27,8) chez les patients hospitalisés pour cancer bronchique, de 7,14 % (IC95 % : 2,1—12,18) chez les patients ayant une tuberculose pulmonaire et de 4,54 % (IC95 % : 0,46—8,62) chez les patients hospitalisés pour décompensation aiguë de BPCO (Fig. 2). Chez quatre des six patients ayant une TV des membres inférieurs, des signes cliniques, dominés par la douleur spon-
Résultats Durant la période d’étude, 198 patients ont été hospitalisés, soit 100 patients inclus et 98 exclus. Pour les 100 patients inclus, l’âge moyen était de 52 ± 16 ans. Tous les patients sont de sexe masculin étant donné le mode de recrutement du service. La majorité des patients sont tabagiques soit 80 %, avec une moyenne de consommation de 22 ± 20 PA. Le motif d’hospitalisation le plus fréquent est la tuberculose pulmonaire (28 %) suivie par la décompensation aiguë de BPCO (22 %) et le cancer bronchique (20 %). Les pneumopathies et les pleurésies sont retrouvées chez respectivement 14 % et 13 % des patients. Enfin, un asthme aigu grave a été noté chez 3 % des patients (Tableau 1). Sept des 100 patients étudiés ont développé une MTEV (7 % [IC95 % : 2—12]) parmi lesquels quatre ont présenté une EP (Fig. 1). Un des patients présentant une EP n’avait aucune
Figure 1. Incidence de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) dans la population.
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I. Aissa et al.
Figure 2. Incidence de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) en fonction du motif d’hospitalisation.
tanée, l’œdème du membre inférieur et le signe de Homans ont été notés ; les deux autres étaient asymptomatiques. La TV est proximale (fémoro-poplitée) dans cinq cas et distale (surale) dans un cas. Elle est localisée à gauche pour cinq des six patients. L’atteinte bilatérale a été observée chez un seul patient. Pour trois des six patients ayant une TV, l’évolution a été marquée par la survenue de signes cliniques d’EP. Deux de ces patients sont décédés rapidement, l’un à j10 et l’autre à j17 probablement d’une EP non diagnostiquée ; pour le patient décédé à j10, la mort était survenue avant la deuxième évaluation dans un tableau d’insuffisance respiratoire aiguë et avant la pratique de l’angioscanner ; concernant le patient décédé à j17, il était traité pour sa TVP par HBPM à dose curative (enoxaparine : 0,6 mL × 2/jour) depuis cinq jours, puis décédé également dans un tableau d’insuffisance respiratoire aiguë, avant la pratique de l’angioscanner. Le troisième a présenté des signes d’EP à J19 confirmée par angioscanner thoracique ; Il s’agissait d’une thrombose segmentaire et bilatérale. L’évolution a été bonne sous traitement curatif à base d’héparine non fractionnée.
Tableau 2
Enfin, chez le septième patient, on a noté la survenue à j10 d’hospitalisation d’une EP segmentaire et bilatérale asymptomatique, sans TV des membres inférieurs. Un traitement curatif par héparine a été instauré avec une bonne évolution. Donc, quatre des six patients ayant une TV confirmée étaient cliniquement symptomatique ainsi que trois parmi les quatre patients ayant présentés une EP. La durée d’hospitalisation est comprise entre dix et 39 jours pour les 100 patients ; aucun patient n’avait quitté le service avant le neuvième jour. La durée d’hospitalisation a été prolongée pour le traitement de la MTEV ; elle est de 21 ± 4,41 jours pour ces patients contre 12 ± 5 jours en l’absence de survenue de MTEV (p < 0,001). La survenue d’une MTEV est associée à une mortalité de 2 %. Par ailleurs, on a constaté que 90 % des patients ont des facteurs de risque de la MTEV. En analysant des différents facteurs de risque des patients ayant eu une MTEV et des patients sans MTEV, il semble qu’un PS > 2 (p = 0,005) et le cancer bronchique (p = 0,028) soient les deux facteurs incriminés dans la survenue de la MTEV (Tableau 2).
Discussion L’incidence de la MTEV dans notre étude est estimée à 7 % (IC95 % : 2—12). En analysant les données de la littérature concernant l’incidence de la MTEV en milieu médical, on constate que cette incidence varie considérablement selon la nature de l’affection médicale aiguë en cause. En effet, dans certaines situations médicales en particulier l’infarctus du myocarde et l’accident vasculaire cérébral, le risque paraît important et l’intérêt de la prophylaxie semble aujourd’hui acquis. Dans de nombreuses autres circonstances médicales et particulièrement en milieu pneumologique, la situation est beaucoup moins claire. En effet, les essais contrôlés sont beaucoup moins nombreux. L’incidence globale de MTEV en milieu pneumologique n’a pas été évaluée et les données concernent les facteurs de risque sont isolées. Plusieurs auteurs ont cherché particulièrement à évaluer le risque de la MTEV chez des patients en décompensation de BPCO. En fait, des études ont démontré que la
Comparaison des patients avec et sans MTEV en fonction des facteurs de risque cliniques.
Facteurs de risque cliniques de MTEV
MTEV (+) (n = 7)
MTEV (−) (n = 93)
Total (n = 100)
p
Âge ≥ 60 ans Tabagisme PS > 2 Obésité Antécédents de MTEV Insuffisance coronarienne Varices Insuffisance cardiaque Décompensation aiguë de BPCO Cancer bronchique Tuberculose pulmonaire
4 7 6 0 1 0 1 1 1 4 2
32 73 29 5 0 3 2 6 21 16 26
36 80 35 5 1 3 3 7 22 20 28
0,209 0,33 0,005 0,99 0,07 0,99 0,19 0,408 0,99 0,028 1
MTEV : maladie thromboembolique veineuse ; PS : Performance Status ; BPCO : bronchopneumopathie chronique obstructive.
Incidence de la maladie thromboembolique veineuse chez des hommes BPCO est considérée comme un facteur de risque de MTEV. De même, il a été prouvé que la MTEV fait partie des facteurs étiologiques de décompensation de BPCO [5—7] du fait de l’hypoxie chronique, la polyglobulie et donc d’une hypercoagulabilité. L’alitement, l’insuffisance cardiaque congestive, l’hypertension artérielle pulmonaire, le tabac, l’obésité, l’âge avancé représentent d’autres facteurs de risque de MTEV chez ces patients. S’y associe dans les cas les plus sévères, le risque propre lié à la ventilation mécanique, à la sédation et à l’insuffisance cardiaque droite [8]. L’insuffisance respiratoire aiguë chez les BPCO est considérée comme un facteur de risque thromboembolique veineux majeur [9]. Une étude rétrospective sur des patients hospitalisés pour une MTEV [3], a montré que 18 % des patients porteurs de TV et 34 % des patients admis pour une EP, étaient en décompensation de leur BPCO. Plusieurs études de méthodologies et d’effectifs différents ont essayé d’évaluer la prévalence de la MTEV chez des patients hospitalisés pour décompensation de BPCO [10—15]. Celle-ci a été estimée entre 0 et 45 % dépendamment de la technique de diagnostic utilisée. Dans deux petites études anciennes menées sur des patients hospitalisés pour décompensation de BPCO [10,11] on a retrouvé des incidences différentes de MTEV respectivement de 8,9 % et 44,8 %. Dans ces études, la phlébographie a été la technique utilisée pour la détection de MTEV. Dans une autre étude ayant utilisé l’écho-Doppler veineux des membres inférieurs chez 33 patients, aucun événement thromboembolique n’a été détecté [12]. Plus récemment, dans une étude menée chez 56 patients admis pour décompensation de BPCO, tous soumis à une écho-Doppler veineux des membres inférieurs, Erelel et al. ont retrouvé une TV seule chez quatre patients (7,1 %), une EP seule chez trois patients (5,3 %) et une EP associée à une TV chez deux patients (3,5 %) soit une prévalence de MTEV de 16 % [13]. De même, une autre étude franc ¸aise menée chez 50 patients hospitalisés pour décompensation de leur BPCO, a retrouvé une prévalence de 20 % de MTEV [14]. Dans une étude plus large menée chez 196 patients admis pour décompensation de BPCO et soumis à une échoDoppler veineux des membres inférieurs après dix jours d’hospitalisation, Shonofer et Kohler ont trouvé une incidence de MTEV de 10,7 %. Cette étude a par ailleurs, exclut les patients ayant un facteur de risque majeur concomitant tel qu’une insuffisance cardiaque, un cancer ou un antécédent de MTEV [15]. Cette incidence paraît plus réelle et serait liée uniquement à la BPCO. Dans notre série, l’incidence de MTEV chez les patients en décompensation de BPCO est moins importante. Elle est estimée à 4,54 % (IC95 % : 0,46—8,62 %). Cette différence par rapport aux autres études, pourrait être due à un effectif de patients en décompensation de BPCO recrutés moins important. Par ailleurs, un seul essai clinique randomisé a été réalisé exclusivement chez des patients en décompensation de BPCO sous ventilation mécanique. Ces patients ont rec ¸u à titre préventif soit une HBPM (nadroparine 3,800 UI ou 5,700 UI) soit un placebo. Ceux qui ont rec ¸u une HBPM, avaient une incidence de MTEV significativement moindre par rapport au placebo (15,5 % contre 28,2 %, p = 0,045) [16].
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La diversité des incidences avancées serait liée, d’une part, à la mauvaise méthodologie et d’autre part, aux nombreux cas de MTEV non diagnostiqués du vivant des patients. Par ailleurs, dans des études autopsiques, la MTEV était diagnostiquée chez 18 à 51 % des patients ayant une BPCO et décédés [17—19]. De plus, des études se sont intéressées à l’incidence de MTEV chez les patients ayant une infection pulmonaire aiguë. D’après les résultats d’une étude cas témoin étudiant le risque thromboembolique veineux dans les suites d’une pathologie infectieuse aiguë respiratoire [20], ce risque paraît doubler dans les premières semaines, puis décroître progressivement pour revenir à l’état basal un an après l’épisode infectieux. Une autre étude rapporte une prévalence élevée des EP mortelles dans les suites d’une infection aiguë, estimée à 0,5 % dans les deux mois suivant l’infection, surtout en cas d’atteinte pulmonaire [21]. Cette incidence semble diminuer sous traitement prophylactique de la MTEV. C’est ainsi que Belch et al., dans une étude menée chez des patients ayant une infection respiratoire, ont montré que l’utilisation des HNF à dose préventive faisait passer l’incidence de la MTEV de 26 à 4 % (p < 0,01) [22]. Par ailleurs, Cade a montré que l’utilisation des héparines faisait passer l’incidence de la MTEV chez ces patients de 29 à 13 % (p < 0,05) [23,24]. L’hospitalisation pour infection aiguë constitue ainsi une indication à un traitement préventif, sous réserve de respect de l’âge ou de comorbidités type insuffisance respiratoire. Dans notre étude, aucun patient hospitalisé pour une infection respiratoire, n’a développé de MTEV. Le cancer constitue un facteur de risque de MTEV [25,26]. La localisation du cancer joue un rôle important puisqu’il semble que certains cancers sont plus souvent associés à des accidents thromboemboliques que d’autres [26,27]. La fréquence de cette association varie dans la littérature de 5 à 15 % [26,28,29]. Cette incidence semble plus fréquente en cas de localisation bronchique (OR = 1,62) [9]. C’est ainsi que l’incidence de la MTEV serait de 27 % en cas de cancer bronchique, de 25,6 % en cas de cancer du pancréas, de 15,2 % en cas de cancer du côlon et de 6,5 % en cas de cancer de la prostate [23]. Dans une étude hollandaise, l’incidence de la MTEV a été estimée chez 537 patients ayant un cancer bronchique non à petites cellules. En comparant cette incidence à celle observée dans la population générale, les auteurs ont conclu que le risque thromboembolique chez ces patients était 20 fois plus élevé que dans la population générale [30]. Dans notre étude, l’incidence de la MTEV chez les patients hospitalisés pour cancer bronchique est estimée à 20 % (IC : 12,2—27,8 %). Par ailleurs, il a été démontré que l’association entre cancer et MTEV est encore plus importante quand le cancer est au stade métastatique. En effet, une étude californienne a montré que le risque de MTEV dans l’année suivant le diagnostic de cancer était très fortement lié au stade du cancer. Pour le cancer bronchique, le risque était de 1,1 % par an pour un cancer localisé, 2,3 % pour un cancer avec extension locorégionale, et de 5 % par an pour un cancer métastatique [31,32]. Cela concorde avec nos résultats. En effet, la MTEV est observée chez quatre patients ayant un cancer bronchique. Une extension locorégionale est observée chez deux
134 patients et chez les deux autres, le cancer est au stade de métastases. La survenue de MTEV au cours de la tuberculose pulmonaire a fait l’objet de plusieurs études [33—36]. La plupart des auteurs incriminent un certain nombre de facteurs existant dans la tuberculose pulmonaire tels que le syndrome inflammatoire biologique, les troubles de l’hémostase (déficit en protéine C, déficit en protéine S, déficit en antithrombine III) et l’hypoxie chronique, d’être à l’origine d’une hyperviscosité sanguine conduisant à un état d’hypercoagulabilité responsable de la MTEV chez les tuberculeux [33—35]. La plupart des études ont rapporté une incidence de MTEV chez des malades présentant une tuberculose pulmonaire de 3 à 4 % [33,34,37]. Cependant, cette incidence est probablement sous-estimée du fait que ces études étaient rétrospectives et dans deux tiers des cas la MTEV est infraclinique ; l’incidence réelle pourrait être proche de 10 % [35]. Dans notre étude, on a rapporté deux cas de MTEV parmi les patients hospitalisés pour tuberculose pulmonaire [28] soit une incidence de MTEV chez ces patients de 7,14 % (IC 95 % : 2,1—12,8 %). Cette incidence serait plus proche de la réalité. D’après la huitième édition de l’American College of Chest Physicians (ACCP) [38], toutes les institutions devraient mettre en place un programme permettant une évaluation du risque thromboembolique. Pour les patients à risque de MTEV, une prophylaxie appropriée devrait être administrée. L’ACCP recommande la prophylaxie pour les patients hospitalisés pour une affection médicale aiguë ayant une insuffisance cardiaque congestive ou une insuffisance respiratoire sévère et chez les patients ayant une mobilité réduite associée à au moins un de ces facteurs de risque additionnels : un cancer actif, des antécédents de MTEV, un sepsis, une pathologie neurologique aiguë ou une maladie inflammatoire digestive. Parmi les facteurs de risque recherchés dans notre étude, il semble que le cancer bronchique (p = 0,028) et un PS > 2 (p = 0,005) sont significativement associés à la survenue de MTEV. L’incidence de la mortalité due à une MTEV chez les patients hospitalisés en milieu médical se situe entre 5 et 10 % [16,39,40]. Les HBPM constitue sans doute le traitement de choix. Elles sont aussi efficaces que les HNF avec un risque d’hémorragies et de thrombopénies moindre.
Conclusion Au décours de ce travail, il ressort que la MTEV est une maladie fréquente en milieu hospitalier en l’occurrence dans un service de pneumologie. Le cancer bronchique (p = 0,028) et un PS > 2 (p = 0,005) sont significativement associés à la survenue de MTEV. Il serait donc important de mettre en place de manière urgente des stratégies de prophylaxie appropriée afin d’éviter la survenue de la MTEV chez les patients hospitalisés pour cancer ou ayant un PS > 2.
Conflit d’intérêt Aucun.
I. Aissa et al.
Annexe 1. Score de Wells Antécédents d’embolie pulmonaire ou de thrombose veineuse profonde Fréquence cardiaque > 100 battements/min Alitement > 3 j ou chirurgie < 4 semaines Signes cliniques de thrombose veineuse profonde Diagnostic alternatif moins probable qu’une embolie pulmonaire Hémoptysie Cancer
1,5 1,5 1,5 3 3 1 1
A.1. Probabilité clinique Faible Moyenne Forte
Score : 0 à 2 Score : 2,5 à 6 Score : > 6
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