Revue du Rhumatisme 72 (2005) 7–9 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Éditorial
Incidence et prévalence : deux indicateurs exigeants Incidence and prevalence: two demanding indicatorse Mots clés : Incidence ; Prévalence ; Épidémiologie Keywords: Incidence; Prevalence; Epidemiology
L’épidémiologie descriptive produit principalement deux types d’indicateurs utiles à la description des phénomènes de santé et de morbidité : le taux d’incidence et la prévalence.
1. Distinguer incidence et prévalence Ces deux indicateurs sont destinés à décrire la fréquence d’un phénomène de santé au sein d’une population susceptible d’être atteinte. Ces deux indicateurs sont complémentaires pour décrire de tels phénomènes à la fois dans le temps et dans l’espace [1]. Tous deux ont pour but de satisfaire à un objectif de connaissance de santé de la population et chacun a ses caractéristiques propres. 1.1. L’incidence C’est un taux qui comporte trois éléments : • un numérateur qui est le compte des n cas de maladies survenus dans la population décrite au dénominateur ; • un dénominateur où l’on parle de population exposée P, population totale susceptible de développer ou d’être touchée par le phénomène ; ce qui exclut certaines situations impossibles : une maladie définie comme maladie de l’adulte ne concernera pas les enfants ; la survenue d’un cancer de la prostate ne sera calculée que parmi les hommes ; • la notion de temps, numérateur et dénominateur devant être considérés au cours de la même période. L’incidence, terme qui peut avoir plusieurs définitions [2], est classiquement le nombre de cas survenant — ce sont donc des événements — dans une population au cours d’une période donnée, tels que début d’une polyarthrite rhumatoïde, épisode de lumbago, etc. On parlera de densité d’incie
Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2003.12.008
dence en l’exprimant en nombre d’évènements par personnes– années, c’est-à-dire le nombre de personnes exposées N pendant la période étudiée t, ce qui autorise les personnes qui ne sont plus exposées au cours de cette même période — en particulier celles qui développent la maladie — à figurer dans le calcul au dénominateur pour leur durée d’exposition seulement I = n/(N × t). En indiquant le nombre de nouveaux cas apparus dans la période et en permettant la comparaison de taux d’incidence d’une maladie au cours de différentes périodes successives, elle donne une notion sur la dynamique de la maladie dans la population. 1.2. La prévalence Appelée aussi prévalence instantanée (point prévalence), elle est calculée à une date donnée. C’est — stricto sensu — une proportion qui comprend : • un numérateur qui est le compte des n cas de maladies existants (quelle que soit la date de début) dans la population décrite au dénominateur ; • un dénominateur qui comprend l’ensemble de la population N susceptible de développer ou d’être touchée par le phénomène ; ce qui exclut de la même façon certaines situations impossibles. Elle décrit des états — et non des évènements, par exemple les sujets actuellement atteints de polyarthrite rhumatoïde, ou souffrant actuellement d’arthrose dans une population donnée à un instant donné P = n/N. Ce compte de tous les cas existants dans la population permet de déterminer le poids de la maladie, d’en dériver les besoins en santé de la population, de planifier sa prise en charge et de déterminer les conséquences économiques sur la charge en soin. Il existe une relation entre incidence I et prévalence P, sous réserve que la maladie soit un phénomène stable de durée moyenne d dans la population : P = I × d (approximation de P = I × d/(1 – I × d)).
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2. Estimation des indicateurs La méthode de mesure idéale de la prévalence est celle qui fait le compte du numérateur et du dénominateur dans une étude unique, utilisant la même source pour l’un et l’autre : l’enquête en population menée sur un échantillon obtenu par sondage. Dans ce cas, du fait d’une certaine variation d’échantillonnage, la réalité n’est appréciée qu’en partie : suivant les lois de la statistique, on obtiendra un taux avec un intervalle de confiance. Pour l’enquête EPIRHUM, les investigateurs ont réalisé en 2001 une enquête auprès d’un échantillon de plus de 9000 personnes avec une méthode de sondage à deux degrés qui a permis de compter un nombre de cas identifiés au cours de la période de l’enquête (quelques mois). Celle-ci est réalisée à un moment unique dans la vie de chaque patient : il s’agit donc d’une prévalence instantanée des spondylarthropathies (0,34 % [0,20–0,45]) [3] et de la polyarthrite rhumatoïde (0,31 % [0,18–0,48]) [4]. Dans le cas particulier d’un recensement exhaustif tel que le recensement de la population française mené en 1999, au cours duquel on compterait le nombre de malades, le calcul est exact, représente bien la totalité des cas parmi la totalité de la population exposée et produit un taux exact sans intervalle d’incertitude. Une telle opportunité est exceptionnellement offerte à l’épidémiologiste. L’estimation d’un taux d’incidence peut reposer sur la même méthode. En effet, si l’échantillon est observé pendant une période, de façon longitudinale, et au mieux prospective, il devient alors possible de détecter tout nouveau cas survenant dans l’échantillon observé. La deuxième grande catégorie de méthodes regroupe celles qui obtiennent les informations du numérateur et du dénominateur à partir de deux sources différentes. Les données du dénominateur sont généralement tirées des données du recensement en utilisant un recensement dont la date est la plus proche de la période ou du moment de l’étude. Les données du numérateur peuvent être issues d’un registre de population bien définie à base géographique, c’est-à-dire identifiant tous les cas résidents dans la zone y compris ceux qui sont soignés ailleurs que dans la zone d’étude et excluant les cas soignés dans la zone d’étude mais résidents ailleurs. Il existe actuellement très peu de tels registres en rhumatologie : en Angleterre (Manchester) et en Norvège (Oslo), alors qu’ils sont développés en France avec les registres des cancers, les registres des maladies cardiovasculaires et les registres des maladies congénitales. L’un des enjeux majeurs pour ce type de registre est d’atteindre l’exhaustivité des enregistrements dans la zone géographique visée. Il importe de respecter la même définition du territoire géographique couvert au numérateur et au dénominateur. La finalité de ces estimations n’est pas de décrire le détail du profil clinique et de l’évolution de ces malades, encore moins économique, ce qui doit faire l’objet d’études particulières, éventuellement réalisables à partir des cas identifiés dans ces registres. On peut également obtenir une estimation du numérateur par une simple revue de dossier des professionnels suscepti-
bles d’accueillir ces patients. Cette méthode est éventuellement sujette à sous-estimation. C’est le cas de plusieurs enquêtes de prévalence ou d’incidence notamment pour la polyarthrite rhumatoïde [5] où l’on n’est pas complètement sûr de l’exhaustivité des cas puisqu’un certain nombre de patients peut ne pas être comptabilisé si le diagnostic n’est pas fait, ou si les patients n’ont pas vu un rhumatologue. Toute autre méthode qui ne prendrait pas en compte de façon homogène un numérateur, un dénominateur et une définition précise de la période de temps ou de l’instant considéré peut difficilement produire un estimateur fiable. Une autre distinction des études épidémiologiques descriptives rassemble celles qui traitent de l’épidémiologie des syndromes et des symptômes comme l’étude COPCORD [6] ou d’autres grandes études centrées sur une autre définition des pathologies et de leur morbidité [7]. Dans ces cas c’est par exemple la douleur ou la présence d’une maladie de l’appareil locomoteur telle que le déclarent les personnes interrogées qui est l’événement ou l’état d’intérêt. Le point de vue est alors souvent celui du patient par leur perception ou par leur motif de recours aux soins d’un point de vue économique. Les mêmes règles épidémiologiques de taux d’incidence et de prévalence que précédemment sont appliquées. La seule différence réside dans l’approche taxinomique. Il s’agit d’un autre phénomène de santé, avec une définition et une approche différente. 3. D’autres dénombrements existent Il existe d’autres façons de compter les maladies qui satisfont à d’autres objectifs, généralement de type gestionnaire ou économique et social : • le compte des maladies prises en charge au titre des affections longue durée (ALD) de la sécurité sociale a pour objectif clair de structurer la gestion médicalisée des maladies graves. En rendant service aux patients par une meilleure prise en charge de leur maladie, il s’adresse aux formes les plus graves de ces maladies. Cette approche ne fait que le compte des cas rentrant dans une définition particulière sans rapport avec la définition clinique ni épidémiologique de la maladie puisqu’il s’agit par exemple dans le cas de la polyarthrite rhumatoïde « des formes évolutives graves de la maladie et d’affections apparentées ». Par ailleurs, ce compte est destiné à estimer un pourcentage des dépenses induites au sein du budget de la sécurité sociale. C’est en l’occurrence une proportion de dépenses. Même si on peut la rapporter à un dénominateur comme les données du recensement, cet indicateur n’a pas de finalité épidémiologique, d’autant que la règle d’application de la définition des cas admis en ALD peut être sujette à variation dans le temps ; • grâce au PMSI, la DREES1 établit des statistiques régulières permettant une gestion médicalisée des sujets hos1
Ministère de la santé.
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pitalisés et de leurs hospitalisations. La présence du diagnostic médical dans les résumés d’unités médicales et des groupes homogènes de malades (GHM) selon une définition qui ne correspond pas non plus à la définition de la classification clinique et épidémiologique, vise clairement à l’obtention d’un coût par groupe de pathologies. Le seul dénominateur concerné pour la stratégie de développement des GHM est ici le total des personnes hospitalisées dans l’année. Il faut noter qu’il s’agit d’un compte de séjours et non de personnes, et que ces séjours peuvent être multiples pour un même individu ; • les études marketing des laboratoires de l’industrie pharmaceutique visent un autre objectif : elles ont pour but de décrire le niveau de gravité des différentes formes de la maladie, et leur distribution dans le but de planifier les stratégies commerciales, de développer des niches d’indications particulières. Ce sont généralement des études sans dénominateur qui ne fournissent pas de taux mais simplement la description de cas dont il est souhaitable pour leur promoteur qu’ils soient le plus représentatifs possible du marché visé. Ces approches rejoignent des préoccupations des tutelles publiques dès lors que celles-ci doivent reverser une partie de leur budget pour réguler et mieux assurer la prise en charge des patients.
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définie et commune au compte des cas parmi la population exposée (ou personnes-années), et qu’une prévalence doit s’appuyer sur un dénominateur représentatif, une définition claire et un compte juste des cas. En conséquence, au vu de la complexité de mise en œuvre d’une étude d’incidence ou de prévalence, toute ressemblance existante ou ayant existé entre les résultats d’études menées dans un autre objectif économique, gestionnaire, ou socioéconomique, et les données de l’épidémiologie ne peut donc être rien d’autre qu’une coïncidence heureuse.
Remerciements à François Alla et Serge Briançon (école de santé publique EA 3444 – faculté de médecine, université Henri-Poincaré– Nancy-I) pour leur relecture attentive de ce manuscrit et leurs conseils.
Références [1]
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4. Complexité, exigence et risques d’erreurs
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L’épidémiologie descriptive est donc faite pour connaître la distribution et la dynamique d’une maladie dans une population et pour générer des hypothèses concernant des pistes étiologiques ou des facteurs de risques. L’épidémiologie descriptive est particulièrement difficile à mettre en œuvre en raison des fortes exigences de qualité qu’elle suppose et de la difficulté d’obtenir des données véritablement fiables. Comme en matière d’assurance-qualité, au fur et à mesure que l’exigence de qualité augmente, les efforts à fournir deviennent de plus en plus importants et le gain se réduit. De ce fait, l’épidémiologie descriptive est parfois ingrate car beaucoup d’efforts sont nécessaires pour obtenir des chiffres d’apparence très simple. Elle se heurte également à de nombreux risques d’erreurs bien connus des épidémiologistes, ce sont les problèmes des biais de définition (critères de définition, critères de classification), des biais de sélection (échantillonnage) et des biais de mesure (territoire, zone géographique), la recherche de sous-groupes, les problèmes d’exposition, des facteurs de risque, les problèmes d’âge et de gravité. Le principal message est de se rappeler qu’un taux d’incidence associe trois composantes : un numérateur comportant des cas survenus dans une population exposée et représentative qui constitue un dénominateur, le tout dans une période
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Bouyer J, Hémon D, Cordier S, Derrienic F, Stücker I, Stengel B, et al. Épidémiologie. Principes et méthodes quantitatives. Paris: Les éditions Inserm; 1993. Tapia Granados JA. On the terminology and dimensions of incidence. J Clin Epidemiol 1997;50:891–7. Saraux A, Guillemin F, Guggenbuhl P, Fardellone P, Fautrel B, Masson C, et al. Prevalence of spondylarthropathies in France — 2001. Ann Rheum Dis 2003;62:90–1. Guillemin F, Saraux A, Guggenbuhl P, Fardellone P, Fautrel B, Masson C, et al. Prevalence of rheumatoid arthritis in France — 2001. Ann Rheum Dis 2003;62:75. Guillemin F, Briancon S, Klein JM, Sauleau E, Pourel J. Low incidence of rheumatoid arthritis in France. Scand J Rheumatol 1994;23: 264–8. Cardiel MH, Rojas-Serrano J. Community based study to estimate prevalence, burden of illness and help seeking behaviour in rheumatic diseases in Mexico City. A COPCORD study. Clin Exp Rheumatol 2002;20:617–24. Symmons D. Population studies of muskuloskeletal morbidity. In: Silman AJ, Horchberg MC, editors. Epidemiology of the rheumatic diseases. Oxford University Press; 2001. p. 5–28.
Francis Guillemin * École de santé publique, EA 3444, faculté de médecine, université Henri-Poincaré–Nancy-I, BP 184, 54505 Vandœuvre-les-Nancy, France Adresse e-mail :
[email protected] (F. Guillemin). Reçu le 24 octobre 2003 ; accepté le 26 décembre 2003 Disponible sur internet le 04 mars 2004 * Auteur correspondant.