J Radiol 2004;85:1671-2 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2004
éditorial
Irradiation médicale de l’enfant. Attention aux conclusions hâtives H Brisse (1), D Sirinelli (2), C Adamsbaum (3), JF Chateil (4), M Claudon (5), A Geoffray (6), P Petit (7), L Rausin (8) et M Panuel (9) La publication en janvier 2004 dans le British Medical Journal de l’article de P. Hall et coll., « Effect of low doses of ionising iradiation in infancy on cognitive function in adulthood: swedish population based cohort study » (1), sur l’effet des basses doses de radiations ionisantes dans l’enfance sur les fonctions cognitives à l’âge adulte, a attiré l’attention du Groupe Radioprotection de la Société Francophone d’Imagerie Pédiatrique (SFIP). Les auteurs de cet article évaluent le développement psychomoteur d’enfants âgés de moins de 18 mois et irradiés entre 1930 et 1959 pour un angiome de la face ou du scalp. Ils étudient pour chaque tranche d’irradiation ( de 0 à plus de 250 mGy) le niveau de scolarité des enfants et leurs résultats aux tests psychomoteurs effectués lors de la visite médicale d’incorporation à l’armée. Ils constatent une diminution de 50 % du taux d’accès à l’université chez les enfants ayant subi une irradiation cérébrale supérieure à 250 mGy. Les résultats des tests cognitifs et les capacités d’apprentissage apparaissent également moins bons dans cette tranche d’irradiation. Aucun effet n’est par contre mis en évidence pour une irradiation inférieure au seuil de 100 mGy. Dans leurs conclusions, les auteurs comparent ces doses d’irradiation à celles délivrées en scanographie cérébrale, en particulier dans le cadre des traumatismes crâniens mineurs.
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(1) Département d’imagerie, Institut Curie, 26 rue d’Ulm, 75015 Paris. (2) Service de Radiologie et Echographie, Hôpital Clocheville, 49 rue Béranger, 37044 Tours cedex 1. (3) Service de Radiologie, Hôpital Saint Vincent de Paul, 82 av Denfert Rochereau, 75634 Paris. (4) Unité de Radiopédiatrie, Hôpital Pellegrin, Place Amélie Raba Léon, 33076 Bordeaux Cedex. (5) Service de Radiologie, Hôpital Brabois Enfants, CHU Nancy, rue du Morvan, 54511 Vandœuvre Cedex. (6) Service de Radiologie, Fondation Lenval, 57 av de la Californie, 06200 Nice. (7) Service de Radiologie, Hôpital de la Timone, 254 rue Saint Pierre, 13385 Marseille cedex 5. (8) Service de Radiologie, CHR Citadelle, B 4000 Liège, Belgique. (9) Service de Radiologie, Hôpital Nord, Chemin des Bourellys 13915 Marseille cedex 20. Correspondance : H Brisse E-mail :
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Cet article est intéressant puisqu’il n’existe que très peu de publications sur les effets cliniques des basses doses d’irradiation. Néanmoins, l’importance du sujet et la diffusion large des conclusions de cet article suscitent un certain nombre de réflexions et commentaires. En ce qui concerne la méthodologie, les critères d’inclusion nous paraissent discutables. On ne peut qu’admirer le travail épidémiologique réalisé sur les effets de cette irradiation « thérapeutique » de plus de 2 000 patients – que l’on jugerait aujourd’hui abusive à la lumière des connaissances actuelles sur les pathologies hémangiomateuses de la face. Il faut néanmoins s’interroger sur les critères d’inclusion des enfants dans cette étude rétrospective ; rien ne permet en effet d’exclure que certains des hémangiomes irradiés à visée essentiellement esthétique aient pu s’accompagner de troubles hémodynamiques ou de lésions endocrâniennes, qui auraient pu avoir en euxmême des conséquences sur le développement psychomoteur des enfants ; à titre d’exemple, les sujets de l’étude avaient plus de 70 ans lorsque l’association d’hémangiomes et de lésions cérébelleuses (syndrome PHACE) a été décrite dans la littérature (2). En ce qui concerne l’évaluation des doses délivrées aux enfants, il faut noter d’une part la très grande variabilité des valeurs ; d’autre part, le mode d’irradiation luimême semble avoir été de différents types. Ces irradiations se sont déroulées sur trois décennies ; les plus anciennes il y a environ 70 ans. On peut ainsi regretter l’absence d’analyse critique par les auteurs de l’évaluation des doses délivrées. La comparaison des effets délétères du radium-226 et des rayons X délivrés en TDM n’est notamment pas clairement exposée dans la discussion. Quelle que soit la qualité des dossiers cliniques de cette institution suédoise, les contrôles de qualité et d’évaluation des doses de l’époque permettaient-ils une évaluation précise des basses doses et avec quelle marge d’erreur ?
Quand bien même les doses absorbées pourraient être parfaitement comparables, l’impact de ces faibles doses apparaît surestimé comparativement aux travaux menés chez le fœtus et récemment colligés dans la publication 84 de l’ICRP (3), alors même que le fœtus est considéré comme plus sensible au radiations ionisantes que le nourrisson. Même chez le fœtus, la toxicité des rayons X sur le système nerveux central est difficile à démontrer pour des doses inférieures à 100 mGy. En effet, en dessous de ce seuil, l’incidence spontanée d’arriération mentale est bien plus importante que l’effet potentiel du rayonnement sur la diminution du QI (3). En ce qui concerne les doses délivrées en scanographie pédiatrique, la valeur de 120 mGy citée par les auteurs est effectivement retrouvée dans la littérature mais correspond à des examens réalisés avec des paramètres d’exposition élevés (> à 120 kV et 300mA) utilisés chez l’adulte (4). De nombreuses publications ont fait suite à l’article de Brenner et coll. (4) en 2001 dans le sens d’une optimisation des doses en scanner pédiatrique (5) ainsi qu’une publication détaillée de l’ICRP (publication 87) (6). Les niveaux de dose de référence décrits en 2000 pour la TDM cérébrale chez l’enfant étaient compris entre 40 et 70 mGy (7) et les doses employées par les radiopédiatres sont aujourd’hui encore plus faibles. A titre d’exemple, sur un fantôme de 16 cm, pour un scanner réalisé chez un grand enfant avec des paramètres de 120 kV et 220 à 280 mA, le CTDI pondéré est compris entre 40 et 60 mGy. Chez le nouveau-né, des doses absorbées encore plus basses peuvent être obtenues avec des paramètres de 90 mAs et 100 à 120 kV, le CTDI étant alors compris entre 30 et 40 mGy. Les doses pédiatriques, et a fortiori celles délivrées pour le nourrisson sont donc en dessous du seuil de 100 mGy décrit par les auteurs et se situent précisément dans la tranche (0 à 100 mGy de l’étude) où aucun effet clinique n’a été rapporté dans la cohorte des enfants irradiés.
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Enfin, l’article publié par P. Hall et coll. ne fait pas référence au principe de justification des actes radiologiques. La notion de bénéfice/risque est largement intégrée dans les protocoles d’exploration des différentes pathologies. Ce principe est bien sûr valable pour tous les patients mais trouve un écho particulier chez le jeune enfant. Dans la tranche d’âge mentionnée par l’article (entre 0 et 18 mois), la substitution par l’échographie transfontanellaire a depuis longtemps permis de diminuer le nombre de scanners crâniens pratiqués (en dehors des traumatismes). L’IRM est aujourd’hui l’examen de choix pour toute pathologie neuropédiatrique et le scanner dans cette tranche d’âge a des indications très limitées. En matière de traumatisme crânien, exemple choisi par les auteurs, les pédiatres et radiopédiatres s’accordent depuis longtemps sur l’absence d’utilité du scanner dans les traumatismes minimes et les critères cliniques prédictifs de lésion intracrânienne sont bien établis. Par contre, la TDM reste – et doit rester – l’examen de première intention en cas de signes d’appel de gravité, tels que : vomissements répétés ou après intervalle libre, signes neurologiques focaux, troubles de la conscience, embarrure, polytraumatisme
et dans les cas de suspicion de maltraitance (8, 9). Dans toutes ces situations d’extrême gravité potentielle, le bénéfice du scanner crânien est largement supérieur au risque éventuel de l’irradiation et l’erreur médicale serait en l’occurrence de ne pas pratiquer l’examen. En conclusion, les articles alertant sur les risques des radiations ionisantes chez l’enfant restent essentiels pour la communauté radiologique dans son combat quotidien pour la diffusion et l’application des règles élémentaires de radioprotection ; toutefois, leur diffusion doit s’accompagner d’une information plus complète sur les pratiques réelles en imagerie, sur les indications respectives des techniques et sur l’importance de l’évaluation systématique du rapport bénéfice/risque, indispensable avant tout geste médical, diagnostique ou thérapeutique.
H Brisse et al.
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Références 1.
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9.
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