Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 3
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LU POUR VOUS Sous la direction de Catherine Spielvogel
Attention aux masses médiastinales ! Perioperative cardiorespiratory complications in adults with mediastinal mass. Incidence and risk factors Béchard P, Létourneau L, Lacasses Y, Côté D, Bussières JS. Anesthesiology 2004;100:826-34. L’anesthésie représente un risque devant toute masse médiastinale antérieure. La chute du tonus des muscles respiratoires qui fait suite à l’anesthésie et à l’utilisation de curares provoque un « affaissement » de la cage thoracique qui conduit à une compression de la trachée et de la carène par les masses médiastinales solides. Ce phénomène peut induire des difficultés majeures de ventilation, que l’on peut anticiper lors de la consultation par l’étude précise de la position des masses médiastinales et de leur rapport avec la trachée, ainsi que par l’appréciation du diamètre de la trachée et des bronches souches en tomodensitométrie. La prédiction des complications liées à la présence de masses médiastinales a été évaluée dans cette étude conduite par une équipe canadienne. Sur une période de 6 ans, les dossiers de 98 patients adultes, correspondant à 105 anesthésies, ont été revus. Les signes et symptômes présentés par ces patients étaient regroupés en trois catégories : minimes à modérés (toux, dyspnée d’effort, douleur thoracique, fatigue et paralysie de corde vocale) et sévères (orthopnée, stidor, cyanose, turgescence jugulaire et syndrome cave supérieur). Tous ces patients ont eu un examen tomodensitométrique permettant de mesurer le diamètre trachéal dont la restriction était exprimée en % du diamètre de la trachée en zone non comprimée et le volume de la masse médiastinale. Des explorations fonctionnelles respiratoires étaient effectuées systématiquement. Les complications étaient classées en peropératoires (difficultés ou impossibilité de ventilation, désaturation artérielle en oxygène à FIO2 = 1, instabilité hémodynamique) et postopératoires (nécessitant ré-intubation, assistance ventilatoire, bronchoscopie, antibiothérapie ou inhalation de bronchodilatateurs). Dans cette série, 32 patients ont subi une médiastinoscopie, 29 une sternotomie, 20 une médiastinostomie antérieure, 12 une thoracotomie, 8 une thoracoscopie, 6 une exploration cervicale et 5 une biopsie ganglionnaire. De tous les patients, 21 % avaient un lymphome, 15 % un thymome, 14 % des métastases et 10 % une maladie de Hodgkin. On a utilisé une
anesthésie générale chez 97 des 105 interventions, et 79 patients ont été curarisés. On a dénombré quatre complications en peropératoire et 11 en postopératoire. Paradoxalement et malgré la présence de 8 cas de sténose trachéale supérieure à 50 %, aucune difficulté de ventilation n’est survenue en peropératoire. En postopératoire, le pronostic vital était engagé dans 7 des 11 cas de complications (pneumopathie, œdème des voies aériennes, atélectasie). Une analyse multivariée a permis d’authentifier comme facteurs de risque de complications périopératoires l’existence de signes et de symptômes cardiorespiratoires préopératoires, la présence d’un épanchement péricardique en tomodensitométrie, une compression trachéale supérieure à 50 % et un syndrome mixte lors de la réalisation des épreuves fonctionnelles respiratoires. On n’a pas évalué les répercussions de l’étiologie de la masse médiastinale comme facteur de risque, ce qui est regrettable, les masses solides (lymphome, Hodgkin) étant a priori plus à même de se compliquer de compression trachéale que les masses moins denses (thymome). Cette étude apporte plusieurs informations susceptibles de modifier la pratique clinique : – l’incidence des complications liées à la présence d’une masse médiastinale est moindre chez l’adulte que chez l’enfant. Ceci tient probablement au fait que la compliance de la cage thoracique est inférieure chez l’adulte et que, de ce fait, les modifications induites par l’anesthésie sont moins importantes. Cependant, les auteurs ont toujours veillé à disposer d’un bronchoscope rigide dans le bloc opératoire lorsqu’un patient ayant une masse médiastinale devait être opéré ; – les difficultés liées à une compression trachéale étaient moins fréquentes sous anesthésie que ce qui pouvait être attendu. Ceci tient en partie au fait que, dans la série rapportée, les patients les plus graves étaient a priori opérés sous anesthésie locale ; de plus, un certain nombre d’interventions s’effectuaient en décubitus latéral et d’autres consistaient en une sternotomie, situation dans laquelle la compression trachéale est moins prononcée ; – les complications postopératoires sont plus fréquentes chez l’adulte et surviennent essentiellement au cours des premières 48 heures, qui nécessitent donc une surveillance particulière ; – les signes cliniques préopératoires sont des facteurs de risque de complications, et il faut en tenir compte pour déterminer la stratégie des soins périopératoires. ■ Francis BONNET Hôpital Tenon, Paris.