La fracture, la densité minérale osseuse et les marqueurs biochimiques du remodelage. Une épopée de l'ostéoporose

La fracture, la densité minérale osseuse et les marqueurs biochimiques du remodelage. Une épopée de l'ostéoporose

Annales d’Endocrinologie 68 (2007) 73–88 Compte rendu de congrès Huitièmes rencontres nationales des internes en Endocrinologie, Diabète et Maladies...

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Annales d’Endocrinologie 68 (2007) 73–88

Compte rendu de congrès

Huitièmes rencontres nationales des internes en Endocrinologie, Diabète et Maladies Métaboliques : résumés des internes La fracture, la densité minérale osseuse et les marqueurs biochimiques du remodelage. Une épopée de l’ostéoporose E. Ghanassia Service de diabétologie, centre médical, Le Grau du Roi Sous la Direction du Dr Jean-Louis Richard. D’après les présentations faites lors des Journées Internationales d’Endocrinologie Clinique Henri-Pierre Klotz, Paris, 11–12 mai 2006 Zoom avant : du handicap à la dynamique de la matrice osseuse La prévention du handicap et de la perte d’autonomie est un enjeu majeur de santé publique [1], du fait, entre autres, de l’augmentation de la moyenne d’âge de la population, de l’espérance de vie et d’une sensibilisation des soignants et des pouvoirs publics. Dans ce cadre, l’un des objectifs thérapeutiques majeurs est la prévention des fractures ostéoporotiques et, donc, le traitement de l’ostéoporose, pathologie multifactorielle de déterminisme nutritionnel, comportemental et génétique, entre autres. Les études épidémiologiques et fondamentales sur ce thème, de plus en plus nombreuses ces dernières années, se sont mutuellement enrichies les unes des autres afin de fournir aux multiples intervenants les connaissances nécessaires à une pratique clinique de qualité et au développement de nouvelles thérapeutiques. Ainsi, l’épidémiologie a permis de fournir au clinicien l’ensemble des facteurs de risque d’ostéoporose que sont l’âge avancé, le sexe féminin, certaines comorbidités (endocrinopathies, alcoolisme, tabagisme), la sédentarité, un apport de calcium insuffisant, une densité minérale osseuse (DMO) basse, un IMC bas et des antécédents personnels et familiaux de fractures [2]. L’étude de la physiologie du tissu osseux a permis de mieux cerner les mécanismes concourant à la fragilité osseuse : géométrie de l’os, microarchitecture et remodelage. Ainsi, aujourd’hui, l’ostéoporose peut être considérée selon trois échelles : une échelle clinique (incidence des fractures), une échelle macroscopique (DMO) et une échelle histophysiologique (microarchitecture et remodelage osseux). D’un point de vue pratique, le clinicien se pose deux questions : ● quels sont les patients qui doivent bénéficier d’un traitement de l’ostéoporose et, donc, comment prédire leur risque de fractures ? ● Si la décision de traiter un patient est prise, comment s’assurer de l’efficacité du traitement ? Si l’on considère les trois échelles précitées, il semble évident qu’on ne peut utiliser l’incidence des fractures, pour des raisons aussi bien éthiques que de bon sens et c’est là le principal problème posé par la médecine préventive : elle nécessite des marqueurs prédictifs d’efficacité. De nombreuses études ont alors mis en évidence la corrélation entre l’incidence des fractures et la DMO, attribuant à celle-ci le statut d’« hémoglobine glyquée » de l’ostéoporose doi:10.1016/j.ando.2007.01.004

puisqu’elle est aujourd’hui utilisée en pratique courante pour diagnostiquer l’ostéoporose et évaluer l’efficacité du traitement [3]. Cependant, plusieurs faits marquants établis ces dernières années peuvent contribuer à affiner la démarche actuelle : ● les variations de la DMO, dans un sens ou dans l’autre n’expliquent pas à elles seules les variations du risque fracturaire ; ● l’étude de la physiologie de l’os a permis de développer et de valider des marqueurs biochimiques du remodelage osseux ; ● la cinétique du remodelage osseux est corrélée au risque fracturaire, indépendamment de la DMO, de l’âge et du sexe. Étant faiblement invasifs, peu coûteux au regard de l’ostéodensitométrie et informatifs, sous réserve de respecter leurs indications et de savoir les interpréter, les marqueurs biochimiques du remodelage osseux apparaissent comme de nouveaux outils à notre disposition tant pour la prédiction du risque fracturaire que pour le suivi du traitement de l’ostéoporose. Les marqueurs biochimiques du remodelage L’os est un tissu dynamique formé de trois types de cellules : ostéoblastes (OB : cellules de la formation osseuse), ostéocytes (constituant le tissu osseux minéralisé) et ostéoclastes (OC : cellules de la résorption). L’activité des OB et des OC et leur conséquence sur la dynamique osseuse sont analysables à l’aide de marqueurs spécifiques. Les marqueurs de la formation sont : les PAL osseuses, le fragment N-terminal du propeptide du procollagène de type I (ostéocalcine et PAL totale sont moins utilisées). Les marqueurs de la résorption sont : les fragments C-terminaux et N-terminaux des télopeptides (CTX et NTX) sanguins et urinaires (et, plus anecdotiquement, l’hydroxyproline urinaire et les phosphatases acides tartrate-résistantes). Ils présentent cependant l’inconvénient d’une variabilité quotidienne intra-individuelle et, d’autre part, ils reflètent le remodelage de l’ensemble du tissu osseux, indépendamment du site. La prédiction du risque fracturaire Les marqueurs sont augmentés après la ménopause et il existe une corrélation entre la perte de masse osseuse et le taux de certains marqueurs. Des études prospectives ont également montré une corrélation entre l’incidence des fractures ostéoporotiques et les marqueurs du remodelage, indépendamment de la DMO, chez des femmes ménopausées de différentes tranches d’âge [4]. Ainsi, chez les femmes âgées, après ajustement à la DMO, un taux de marqueurs dépassant la limite supérieure retenue pour une femme préménopausée multiplie par 2 le risque relatif de fracture. Cela a souligné l’intérêt d’une approche combinant l’évaluation clinique, la DMO et les marqueurs du remodelage afin de quantifier le risque de fractures [5]. Une telle approche a été évaluée par rapport à l’utilisation de la seule DMO chez les sujets des études de cohorte EPIDOS et

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OFELY. Le risque relatif de fracture de l’extrémité supérieure du fémur à dix ans est augmenté de 70 à 100 % en utilisant l’approche combinée. Cela montre : ● que les sujets les plus à risque de fractures ostéoporotiques sont non seulement caractérisés par une DMO abaissée mais également, indépendamment de celle-ci, par un remodelage osseux plus important ; ● que, sous réserve d’une évaluation plus précise, les marqueurs peuvent être utilisés en recherche et en pratique courante pour évaluer les risques de fracture ; ● que l’utilisation des marqueurs n’est pas à ce jour amené à remplacer la mesure de la DMO mais à la compléter. La surveillance du traitement Idéalement, la surveillance du traitement d’une maladie asymptomatique (ou trop tardivement symptomatique) comme l’ostéoporose permet d’évaluer d’une part, l’efficacité du traitement et, d’autre part, la compliance. Comme nous l’avons dit, il n’y a aucun intérêt à se baser sur la survenue de fractures comme critère individuel d’efficacité. La mesure de la DMO, actuellement utilisée, n’est informative qu’à moyen terme, après un délai de plusieurs mois, voire plusieurs années. De plus, elle ne reflète pas totalement la réduction du risque de fracture et ne donne aucune information nuancée sur la compliance. L’utilisation des marqueurs aurait ainsi plusieurs avantages : ● leur variation en réponse au traitement est bien plus rapide (quelques semaines ; ● elle est bien corrélée aux variations de la DMO (en particulier sur le site vertébral). Ainsi, plusieurs études réalisées chez des femmes ménopausées sous traitement hormonal substitutif, raloxifène et bisphoshonates ont montré que les variations à court terme des marqueurs du remodelage étaient corrélées à l’augmentation de la DMO sur les sites vertébral et radial (après un à trois ans de traitement). D’autres études ont montré que la réduction du risque fracturaire sous traitement n’était expliquée que minoritairement par l’augmentation de la DMO (entre 4 et 28 %), l’hypothèse étant même que la variation de cinétique du remodelage serait un meilleur facteur prédictif de la diminution de l’incidence des fractures, ce qui demeure le principal objectif de la prise en charge. Des études ultérieures ont ainsi démontré qu’une diminution du remodelage osseux mesurée à court terme était associée à une réduction du risque fracturaire à plus long terme sous traitement (THS, SERMs et bisphosphonates). Deux études réalisées chez des femmes ménopausées sous bisphosphonates ont montré qu’une réduction de 50–60 % des CTX et NTX, évaluée à trois–six mois, était corrélée à une diminution des fractures ostéoporotiques à trois ans. La variation des marqueurs du remodelage expliquait plus de 50 % de la réduction du risque fracturaire. De plus, un effet seuil a été décrit dans cette étude au-delà duquel une intensification thérapeutique n’apporte aucun bénéfice [6]. Références [1] Sambrook P, Cooper C. Ostéoporosis. Lancet 2006;367:2010–8. [2] Kanis J, Borgstrom F, de Laet C, et al. Assessment of fracture risk. Osteoporos Int 2005;16:581–9. [3] Marshall D, Johnell O, Wedel H. Meta-analysis of how well measures of bone mineral density predict occurrence of osteoporotic fractures. BMJ 1996;312:1254–9. [4] Garnero P, Sorney-Rendu E, Claustrat B, Delmas PD. Biochemical markers of bone turnover, endogenous hormones and the risk of fractures in postmenopausal women: the OFELY study. J Bone Miner Res 2000;15: 1526–36. [5] Johnell O, Oden A, de Laet C, Garnero P, Delmas PD, Kanis JA. Biochemical indices of bone turnover and the assessment of fracture probability. Osteoporos Int 2002;13:523–6.

[6] Eastell R, Barton I, Hannon RA, Chines A, Garnero P, Delmas PD. Relationship of early changes in bone resorption to the reduction in fracture risk with risedronate. J Bone Miner Res 2003;18:1051–6.

Prévention et traitement de l’ostéoporose cortico-induite S. Grunenwald Service des maladies infectieuses et tropicales, CHU Purpan, Toulouse Sous la Direction du Pr Marchou. D’après les présentations faites lors des Journées internationales d’endocrinologie clinique Henri-Pierre Klotz, Paris, 11–12 mai 2006. Introduction La corticothérapie par voie générale est la première cause d’ostéoporose secondaire [1] (1 % de la population générale) et sa prévalence augmente avec l’âge : 2,5 % à 70 ans. La compréhension récente des mécanismes physiopathologiques permet de mieux appréhender les répercussions cliniques, biologiques et radiologiques et de proposer une prise en charge thérapeutique. Conséquences physiopathologiques Les corticoïdes provoquent essentiellement un trouble de l’ostéoformation mais aussi, dans une moindre mesure, perturbe la résorption osseuse et le métabolisme calcique. La diminution de l’ostéoformation [3] est secondaire à une réduction de la durée de vie des ostéoblastes [2] et à une altération de leur fonction induite par une inhibition de la synthèse de leurs facteurs de croissance (IGF1, TGF). L’augmentation de l’ostéorésorption [4] est secondaire à l’action des corticoïdes sur les hormones sexuelles mais aussi à la stimulation des ostéoclastes par le biais de la diminution de la synthèse d’OPG (ostéoprotégérine) au profit de celle de RANL6L (facteur de croissance des ostéoclastes). Enfin, les corticoïdes diminuent l’absorption intestinale du calcium et augmentent son excrétion urinaire. En revanche, la survenue d’hyperparathyroïdie secondaire, évoquée un temps, n’est pas confirmée. Biochimiquement, les remaniements osseux se traduisent par une diminution précoce, cinq semaines, des marqueurs d’ostéoformation (ostéocalcine) et par une augmentation moins nette des marqueurs d’ostéorésorption, comme le prévoyait le mécanisme physiopathologique. Conséquences cliniques Ces différents mécanismes aboutissent à une perte osseuse précoce (6 à 12 premiers mois), importante les premiers mois puis moindre et rapidement (trois mois) mais partiellement réversible à l’arrêt du traitement. Elle est variable et il n’existe pas de facteur prédictif. Cette perte de masse osseuse se traduit cliniquement par une augmentation du risque fracturaire [5,6]. Ce risque, qui touche tous les sites, est dose dépendant : s’il existe dès les faibles doses (risque relatif multiplié par 5 pour une dose de 7,5 mg par jour), il est majeur pour de fortes doses. Le retentissement osseux des corticoïdes inhalés reste controversé. Le risque relatif de fracture est supérieur à celui de personnes du même âge et de densité minérale osseuse identique [7]. Cela pourrait être expliqué par le rôle joué par la pathologie sous-jacente pour laquelle la corticothérapie a été initiée qui, elle-même, par le biais de l’inflammation qu’elle entraîne, est délétère pour l’os. Aussi, les résultats de la mesure de densité minérale osseuse doivent être interprétés prudemment chez les personnes traitées par corticothérapies et le seuil de –2,5 de TS, habituellement retenu, ne semble pas pertinent pour définir l’ostéoporose cortisonique pour laquelle le seuil de –1,5 de TS fait l’objet d’un consensus. Traitements de l’ostéoporose cortico-induite Bien que les conséquences osseuses de la corticothérapie soient bien connues, la prévention de ces complications reste insuffisante, et ce, surtout chez les patients âgés et polymédicamentés à plus fort risque de fractures.