Revue du Rhumatisme 72 (2005) 86–88 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Fait clinique
Une cause rare de tarsalgie : la fracture du cuboïde par insuffisance osseuse An uncommon cause of foot pain: the cuboid insufficiency stress fracturee Michel Franco *, Laetitia Albano, Ina Kacso, Hacène Gaïd, Philippe Jaeger Service de néphrologie, hôpital Pasteur, 30, avenue de la Voie-Romaine, 06002 Nice, France Reçu le 8 décembre 2003 ; accepté le 1 mars 2004 Disponible sur internet le 23 mars 2004
Résumé Nous rapportons un cas de fracture par insuffisance osseuse du cuboïde chez une patiente de 33 ans, présentant plusieurs facteurs de risque : corticothérapie pour un lupus avec insuffisance rénale, hémodialyse depuis trois ans, hyperparathyroïdie sévère. L’imagerie par résonance magnétique permit le diagnostic, qui fut confirmé au quatrième mois par la radiographie montrant un liseré de condensation perpendiculaire aux travées osseuses. Les fractures de fatigue du cuboïde rapportées dans la littérature sont observées chez le sportif jeune ou comme complication d’une rupture de l’aponévrose plantaire et d’une fasciotomie plantaire. Les fractures par insuffisance osseuse du pied concernent les métatarsiens, le calcanéus, le talus et exceptionnellement le cuboïde. Les particularités physiopathologiques de cette localisation rare sont évoquées. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We report a case of a bone insufficiency fracture of the cuboid in a 33-year-old female patient with many risk factors of bone insufficiency: long term steroid treatment for lupus erythematosus, renal failure, hemodialysis since three years and severe secondary hyperparathyroidism. Early diagnosis was established using magnetic resonance imaging, and confirmed four months later on radiography, showing typical line of sclerosis perpendicular to bone trabeculae. Literature review shows only few detailed cuboid stress fracture case reports: four cases in young athletes, one case complicating plantar fascia disruption and one case after plantar fasciotomy. Insufficiency fracture of the foot bones involve mainly the metatarsals, the calcaneus, the talus, whereas cuboid location seems exceedingly rare. Physiopathological characteristics of this uncommon fracture are mentioned. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Fracture de contrainte ; Cuboïde Keywords: Stress fracture; Cuboid
Le pied est un des sites privilégiés des fractures de contrainte et plus particulièrement des fractures de fatigue. Les localisations les plus fréquentes sont les métatarsiens, le
calcanéus, l’os naviculaire [1,2]. Les fractures de contrainte du cuboïde sont particulièrement rares. Nous en rapportons un cas révélant une insuffisance osseuse chez une patiente de 33 ans.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Franco). e Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine.
1. Observation
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2004.03.001
Mme R., 33 ans, est traitée par prednisone (en moyenne 15 mg/jour) depuis l’âge de 23 ans pour un lupus érythéma-
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teux. En 1998 est diagnostiquée une glomérulonéphrite extramembraneuse qui évolue malgré le traitement immunosuppresseur vers une insuffisance rénale terminale prise en charge en hémodialyse au début 2000. L’aggravation progressive de l’hyperparathyroïdie secondaire à l’insuffisance rénale justifie une parathyroïdectomie en juin 2002, la parathormone intacte (PTHi) étant alors à 940 ng/L (n < 65). En décembre 2002 la patiente présente une douleur du tarse gauche, de type mécanique, apparue sans traumatisme ni activité physique inhabituelle. L’examen note une zone douloureuse pré- et sous-malléolaire externe. La radiographie ne montre ni fracture ni anomalie architecturale du pied. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) montre une fracture du cuboïde gauche, sous forme d’un trait en hyposignal sur les séquences T1 (Fig. 1) et T2 ; il existe aussi une petite fracture de l’apophyse antérieure du calcanéum gauche. La scintigraphie osseuse réalisée un mois après l’IRM montre une hyperfixation linéaire du cuboïde gauche (Fig. 2) ainsi qu’un foyer calcanéen gauche et de l’os naviculaire droit. Le bilan biologique est le suivant : calcémie 2,2 mmol/L, PTHi 25 ng/L, 25 OH vitamine D3 16 ng/ML (n = 10–75), alumi-
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Fig. 3. Radiographie du pied gauche au 4e mois (incidence oblique) : bande de condensation verticale du cuboïde (flèche).
némie 11 µg/L (n < 45) ; les marqueurs du remodelage osseux sont dans les limites normales basses, en rapport avec le taux bas de PTHi : activité phosphatase alcaline 71 (n = 39–105), ostéocalcine 13 ng/ML (n = 7–39), cross-laps 2660 pmol/L (n = 2500–3000 en préménopause). L’absorptiométrie osseuse biphotonique à rayons X montre une densité minérale osseuse diminuée au fémur (0,71 g/cm2, T score –2 DS) et au rachis ( 0,83 g/cm2, T score –1,6 DS). Le traitement comporte une limitation de l’appui, et une augmentation de l’apport calcique et de vitamine D (alfacalcidol 0,25 µg IV trois fois par semaine). En avril 2003 la radiographie montre une bande d’ostéosclérose du cuboïde, typique d’une fracture de contrainte en voie de consolidation (Fig. 3).
2. Discussion
Fig. 1. IRM du pied gauche, incidence sagittale pondérée en T1 : fracture du cuboïde avec discret œdème ; petite fracture de l’apophyse antérieure du calcanéus.
Fig. 2. Scintigraphie osseuse du pied gauche (face latérale) : hyperfixation d’allure linéaire du cuboïde ; petit foyer adjacent du calcanéum.
Notre patiente a présenté une fracture de contrainte du cuboïde favorisée par une insuffisance osseuse, cette dernière liée à la corticothérapie prolongée et à l’hyperparathyroïdie secondaire à l’insuffisance rénale. Les fractures de contrainte du pied concernent rarement le cuboïde ou les cunéiformes. Greaney et al. [3] indiquent chez des recrues militaires une fréquence de 1,3 % de fracture du cuboïde, sur 839 fractures de fatigue des membres inférieurs diagnostiquées après scintigraphie osseuse ; l’atteinte du talus est évaluée à 5,5 % dans la même étude. Un seul cas de fracture de fatigue du cuboïde est signalé dans une série de 1338 fractures de fatigue du pied et du tiers inférieur de jambe chez des recrues militaires [4]. Les quelques observations détaillées de fracture de contrainte du cuboïde de l’adulte sont des fractures de fatigue [5–8] : quatre cas chez des sportifs de 20 à 27 ans, et deux cas compliquant l’un une rupture de l’aponévrose plantaire et l’autre une fasciotomie plantaire (patientes de 43 et 52 ans). Les fractures par insuffisance osseuse (FIO) du cuboïde semblent aussi rares dans les séries ayant étudié la topographie des FIO : aucun cas chez des patients de 72 et 62 ans d’âge moyen pour Soubrier [9] et Kaye [10] ; ces séries comptent respectivement 60 et 12 cas. Pour Hasselman [11] l’atteinte du tarse (cuboïde, os naviculaire et cunéiformes) représente
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1 % des FIO du pied. L’atteinte des os du pied représente 5 % [9] à 11 % [11] des FIO, selon le mode de recrutement des patients. La localisation aux métatarsiens est la plus fréquente pour Hasselman [11]. En cas de fracture des os courts, riches en os trabéculaire, les radiographies précoces montrent rarement une solution de continuité ou une réaction périostée [2] ; les lignes de condensation, traduction du processus de réparation, sont tardives et inconstantes. La superposition des os du tarse rend le diagnostic radiographique difficile et nécessite une incidence oblique pour dégager le cuboïde [5,6]. La scintigraphie peut être très évocatrice par deux particularités, présentes dans notre cas : une hyperfixation d’aspect linéaire perpendiculaire à la direction des travées osseuses et la présence d’autres foyers d’hyperfixations [2]. La tomodensitométrie [6] ou l’IRM [8,12] assurent un diagnostic précoce et précisent la situation et le trajet du trait de fracture. L’IRM est parfois moins performante que la tomodensitométrie pour visualiser la fracture qui peut être masquée par un œdème médullaire ; les séquences en T1 après gadolinium entraînent un hypersignal de l’œdème facilitant ainsi la visualisation du trait de fracture qui reste en hyposignal. Chez l’enfant l’IRM permet d’écarter les difficultés d’interprétation de la scintigraphie liées à l’hyperfixation physiologique des épiphyses [12]. La rareté des fractures de contrainte du cuboïde peut s’expliquer par sa forme et sa situation. Sa forme de prisme lui donne une résistance à la torsion [5] ; sa situation au sommet de l’arche latérale du pied n’en fait pas un os porteur : le médio-pied supporte 8 % du poids du corps, l’arrière-pied 60 % [6]. Le rôle du tendon du long péronier latéral est proposé pour expliquer certaines fractures. Le cuboïde sert de pivot à ce tendon qui coulisse dans un sillon à sa face plantaire ; un excès de forces de compression transmis par ce tendon, en particulier à la course, peut contribuer à une fracture [6]. Après fasciotomie plantaire ou rupture de l’aponévrose plantaire, la déstabilisation de l’arche latérale entraîne des contraintes nouvelles sur le long péronier latéral et sur le faisceau oblique de l’abducteur du gros orteil tendu entre la face plantaire du cuboïde et le sésamoïde interne du gros orteil, favorisant ainsi cette fracture [8].
Bien que rare, la fracture de contrainte du cuboïde doit être évoquée en cas de douleur tarsienne latérale. Les observations détaillées de la littérature sont des fractures de fatigue, ou surviennent après rupture de l’aponévrose plantaire. Les FIO comme notre cas semblent très rares ; le diagnostic précoce est au mieux réalisé par IRM ou tomodensitométrie. L’évolution est favorable après limitation d’appui de quelques semaines et éventuellement immobilisation par plâtre les premières semaines.
Références [1]
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