Ann Pathol 2005 ; 25 : 328-30
Cas pour diagnostic
Une tumeur osseuse de siège inhabituel An unusual site for a bone tumor Samia Hannachi Sassi (1), Boubaker Sassi (2), Karima Mrad (1), Rym Dhouib (1), Imen Abbes (1), Maha Driss (1), Khaled Ben Romdhane (1) (1) Service de Cytologie et d’Anatomie Pathologiques, Institut Salah Azaiez, Bab Saadoun, 1006 Tunis, Tunisie. (2) Polyclinique les berges du lac, Tunis, Tunisie. Hannachi Sassi S, Sassi B, Mrad K, Dhouib R, Abbes I, Driss M et al. Une tumeur osseuse de siège inhabituel. Ann Pathol 2005 ; 25 : 328-30.
Observation
Accepté pour publication le 15 juillet 2005 Tirés à part : S. Hannachi Sassi, Villa 7, impasse 3, rue des Mères de Tunisie, les Jardins d’El Menzah, El Manar I, 2092 Tunis, Tunisie. e-mail :
[email protected]
328
Il s’agit d’un garçon âgé de 12 ans qui consultait pour des gonalgies de type mécanique et inflammatoire, atraumatiques, évoluant depuis 2 ans et qui étaient rebelles au traitement médical. Elles siégeaient au niveau de la face externe du genou droit. L’examen du genou droit révélait une douleur localisée au condyle externe et une amyotrophie importante du quadriceps chiffrée à — 6 cm. La mobilité du genou et de la hanche était normale. Il n’y avait pas d’adénopathie loco-régionale. Le reste de l’examen orthopédique était normal. Le bilan biologique était également normal. Les radiographies standards mettaient en évidence une condensation condylienne externe hyperfixante à la scintigraphie osseuse. Une IRM du genou droit avec injection de Gadolinium (figure 1) était pratiquée d’emblée (la TDM n’a pas été réalisée). Elle montrait la présence d’une image nodulaire de 5 mm de grand axe en cocarde avec une zone périphérique hyperintense, rehaussée par l’injection de produit de contraste et centrée par une image sans signal sur toutes les séquences. Cette lésion osseuse siégeait au niveau du condyle fémoral externe droit jouxtant le cartilage de croissance. L’exérèse chirurgicale en bloc fut réalisée par une fenêtre externe sous conjugale de l’épiphyse fémorale inférieure droite. L’examen histologique (figure 2) montrait un tissu osseux immature richement vascularisé. Ce tissu était constitué de travées ostéoïdes grêles bordées de cellules ostéoblastiques en couronne. Entre ces travées, une riche vascularisation de type capillaire était notée. Il
FIG. 1. — IRM : le nidus jouxte par en bas le cartilage de conjugaison de l’extrémité distale du fémur. FIG. 1. — MRI : the nidus is just below the growth plate of the distal femur.
FIG. 2. — Travées ostéoïdes bordées d’ostéoblastes et entourées d’une vascularisation capillaire abondante. FIG. 2. — Osteoid trabeculae are lined by osteoblasts and surrounded by many capillaries.
n’a pas été observé de remaniements inflammatoires ni de signe histologique de malignité. L’évolution, avec un recul de 3 ans, était favorable sans récidive locale.
Quel est votre diagnostic ?
© Masson, Paris, 2005
Une tumeur osseuse de siège inhabituel
Diagnostic : Ostéome ostéoïde épiphysaire L’ostéome ostéoïde (OO) est une tumeur osseuse bénigne rare représentant 11 % des tumeurs bénignes et 5 % de l’ensemble des tumeurs primitives. Il survient typiquement entre 5 et 25 ans avec une prédilection masculine nette : sex ratio 3-4 : 1 [1]. La lésion est ubiquitaire. Elle atteint préférentiellement la corticale des diaphyses des os longs des membres inférieurs (tibia et fémur) dans 50 % des cas et le rachis dans 10 % des cas [2]. La localisation épiphysaire est très rare : 12 cas ont été rapportés [1, 3, 4]. La lésion affecte essentiellement le sexe masculin dans 11 cas avec un âge moyen de survenu de 12,25 ans (8 à 18 ans). L’extrémité fémorale distale est le siège le plus fréquent dans 7 cas sur 12 comme dans notre cas. L’OO se caractérise habituellement par des douleurs diurnes et nocturnes qui sont calmées par la prise des anti-inflammatoires non stéroïdiens ou de salicylés. Dans les formes épiphysaires, la symptomatologie est caractérisée par l’association aux douleurs de manifestations articulaires à type de gonflement, une diminution de la mobilité articulaire et surtout la présence d’une importante amyotrophie du quadriceps [1, 3, 4] qui est présente dans notre observation. Ces manifestations articulaires font souvent poser le diagnostic de monoarthrite et font donc retarder le diagnostic [4]. Ce retard diagnostique varie de 2 à 48 mois avec une moyenne de 14,41 mois [1, 3, 4] qui est retrouvé dans notre cas (24 mois). Selon Damsin [3], la présence d’amyotrophie musculaire dans l’OO épiphysaire prouve l’organicité des troubles et devrait faire rechercher une cause locale ou régionale des douleurs et permet ainsi de récuser une origine psychiatrique des douleurs rapportée dans plusieurs publications [3, 4]. À côté des formes intra-épiphysaires, il existe aussi des formes plus périphériques d’OO épiphysaire : sous-périosté ou intra-articulaire qui donnent, en plus de la symptomatologie classique, des signes d’une pathologie de corps étranger intra-articulaire avec atteinte synoviale plus marquée [3]. Le diagnostic lésionnel nécessite la réalisation d’une scintigraphie osseuse et d’un examen tomodensitométrique. La scintigraphie montre une hyperfixation très intense non spécifique, comme dans notre cas, mais qui aide au diagnostic topographique de la lésion et permet en particulier d’éliminer une pathologie intraarticulaire.
L’examen tomodensitométrique reste l’examen de choix en apportant la preuve diagnostique en montrant une image lacunaire cernée d’un liseré dense. En plus, le scanner permet un repérage millimétrique des lésions épiphysaires jouxtant le cartilage de croissance pour une meilleure planification de la résection en bloc du nidus [1, 3]. Macroscopiquement, le nidus réalise une masse tumorale de quelques millimètres à 10-15 mm au maximum. À la tranche de section, la lésion est bien limitée, d’aspect brun-rougeâtre ou blanc-jaunâtre pour les lésions les plus calcifiées [2]. L’aspect histologique est similaire quelque soit le siège de la lésion. Le nidus est formé de travées ostéoïdes entrecroisées dans un stroma richement vascularisé. Ces travées ostéoïdes sont bordées d’une couronne de cellules ostéoblastiques régulières. Des cellules ostéoclastiques peuvent se voir et sont rarement au contact des travées osseuses. Des foyers de calcifications sont retrouvés habituellement au centre du nidus. Ce dernier est séparé de l’os avoisinant par une fine bande fibro-vasculaire. Le diagnostic différentiel radiologique de l’OO épiphysaire se pose avec les lésions épiphysaires bien limitées dans un os en pleine croissance : l’abcès de Brodie et le chondroblastome. Ces lésions ne posent pas de problème de reconnaissance histologique. En effet, l’absence de nécrose et d’infiltrat inflammatoire leucocytaire permet d’écarter un abcès de Brodie. L’absence d’une composante cellulaire mononucléée monomorphe associée à des cellules géantes multinucléées réactionnelles et des foyers de matrice cartilagineuse permettent d’éliminer formellement un chondroblastome [4]. Le principal diagnostic différentiel histologique se pose avec l’ostéoblastome. Pour certains auteurs, les 2 lésions ont un aspect histologique similaire. Pour d’autres auteurs, les deux lésions peuvent être séparées par leur taille ou par leur siège dans l’os. En faveur du diagnostic d’ostéoblastome, l’architecture tumorale est plus désordonnée et les ostéoblastes sont plus actifs. De plus, la lésion est radiologiquement plus expansive avec peu de sclérose réactionnelle périphérique [2]. En conclusion, cette localisation épiphysaire rare de l’OO est particulière par sa symptomatologie articulaire, l’amyotrophie importante du quadriceps et le retard diagnostique. De plus, cette localisation soulève un problème de conduite thérapeutique face au cartilage de croissance. ■
329
Samia Hannachi Sassi et al.
Ann Pathol 2005 ; 25 : 328-30
Key words: bone tumor, epiphysis, ostroid osteoma. Mots-clés : tumeur osseuse, épiphyse, ostéome ostéoïde.
[2]
Références
[3]
[4] [1]
330
Minkoff J, Jaffe L, Menedez L. Limited posterolateral surgical approach to the knee for excision of osteoid
osteoma. Clinical Ortopaedics and Related Research 1987 ; 223 : 237-46. Forest M, Tomeno B, Vanel D. Orthopedic Surgical Pathology. Churchill livingstone, 1988. Dasmin JP, Aufaure P, Sirinelli D, Carlioz H. Un cas d’ostéome ostéoïde épiphysaire. Rev Chir Orthop 1987 ; 73 : 63-5. Van Horn JR, Karthaus RP. Epiphyseal osteoid osteoma. Two case reports. Acta Orthop Scand 1989 ; 60 : 625-7.