Controverse technique
Imagerie de la Femme 2008;18:171-173 © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Controverse technique
La mammographie de dépistage avant 50 ans Jean-François Delaloye Département de gynécologie-obstétrique et de génétique, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, 1011 Lausanne, Suisse. Correspondance : J.-F. Delaloye, à l’adresse ci-dessus. Email :
[email protected]
S
i le risque absolu de développer un cancer du sein avant 50 ans est faible, il importe de rappeler que 20 à 25 % de tous les cas surviennent avant 50 ans [1]. Cette proportion pourrait même augmenter, si l’on croit l’augmentation de l’incidence de ce cancer chez les femmes de 25 à 39 ans habitant Genève [2]. Le tissu mammaire n’étant pas homogène, la mammographie présente des variations de représentation liées à l’âge. La mammographie de dépistage permet de détecter des lésions précancéreuses et des cancers débutants, impalpables, avant qu’ils soient agressifs. Le cancer du sein est une maladie plus rapidement progressive avant 50 ans. La durée de la phase préclinique, à savoir le temps de séjour moyen pendant lequel le cancer se développe sans être détecté, serait de 1,5 an entre 40 et 49 ans, de 2,8 ans entre 50 et 59 ans et de 3,3 ans entre 60 et 69 ans [3]. Avant 50 ans, cette croissance rapide survient dans un sein plus dense, donc plus difficilement interprétable. L’approche diagnostique doit souvent être multimodale (fig. 1 et 2), l’échographie et l’IRM complétant les investigations.
Bénéfices du dépistage Sept des huit méta-analyses évaluant les bénéfices et les risques de la mammographie de dépistage entre 40 et 49 ans ont révélé qu’une mammographie faite tous les un ou deux ans
réduisait la mortalité de 15 % (RR 0,85 [95 % : IC ; 0,73-0,99]) après un suivi de 14 ans (tableau I) [4, 5]. Un grand essai randomisé a confirmé cette diminution du risque [6]. La réduction de la mortalité a été maximale dans les deux comtés suédois de Kopperberg et d’Ostergotland (RR : 0,52 [95 % ; IC : 0,40-0,67]) [7]. Restreignant son analyse aux essais suédois, tout en excluant celui d’un des deux comtés, le Swedish Organised Service Screening Evaluation Group a montré une réduction de la mortalité de 29 % chez les femmes dépistées (RR : 0,71 [95 % ; IC : 0,57-0,89]) [8]. Un problème méthodologique a fait surface car un seul essai avait été conçu pour étudier l’effet de la mammographie dans la tranche d’âge 4049 ans [9]. L’US Preventive Services Task Force a confirmé la réduction de la mortalité pour les femmes âgées entre 40 et 49 ans, tout en relevant des grands intervalles de confiance (IC) [10]. Quant à savoir si l’examen clinique combiné à la mammographie réduit la mortalité, l’essai canadien CNBSS-1 permet d’en douter (tableau I). Après le constat d’une augmentation de la mortalité après 8 ans et demi de suivi (RR : 1,36 [95 % ; IC : 0,84-2,21]), une réduction non significative a été observée après 13 ans (RR : 0,97 [95 % ; IC : 0,74-1,27]) [9]. La question de la valeur de la mammographie de dépistage ne se pose pas pour les femmes présentant un haut
risque de développer un cancer du sein. Une mutation du gène BRCA-1 ou BRCA-2 impose une mammographie et une IRM annuelles [11].
Effets adverses du dépistage La mammographie n’est pas sans risques. Citons avant tout celui du « sur-diagnostic », défini par l’identification d’un cancer qui ne se serait jamais manifesté si les femmes ne s’étaient pas soumises au dépistage. C’est le cas de certains carcinomes canalaires in situ qui n’auraient jamais progressé vers un cancer invasif. On estime à plus de 25 % la proportion des carcinomes canalaires in situ dépistés entre 40 et 49 ans [12]. On a accusé la mammographie de dépistage d’exposer les femmes au risque de devoir subir une mastectomie [13], bien que cinq essais randomisés et neuf études non randomisées ont montré qu’un diagnostic précoce de tumeur permettait de proposer plus souvent une chirurgie conservatrice [5, 14]. La probabilité qu’une mammographie soit faussement positive entre 40 et 49 ans varie de 0,9 à 6,5 % [15]. Les faux-positifs sont de 9,7 % entre 40 et 44 ans [16]. Le risque cumulatif de se retrouver avec une mammographie faussement positive augmente avec le nombre de mammographies [14, 16-18]. Une trop grande densité mammaire diminue la sensibilité et la spécificité de la mammo-
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Figure 1. Mammographie chez une femme de 39 ans : cancer du quadrant supéro-externe gauche, occulte à la mammographie.
des doses plus élevées car il arrive qu’on doive refaire certaines incidences [26]. La mammographie provoque des douleurs chez 28 à 77 % des femmes. Celles-ci dépendent du cycle menstruel et d’un éventuel état d’anxiété, mais elles éloignent peu ces femmes des vagues successives de dépistage.
Conclusion Figure 2. Échographie mammaire chez la même patiente de 39 ans : carcinome du quadrant supéro-externe du sein gauche, révélé par l’échographie.
graphie de dépistage. La sensibilité est respectivement de 62 % si les seins sont très denses et de 88 % si le tissu adipeux remplace les structures glandulaires [19]. Les faux-positifs provoquent de l’anxiété, voire un état dépressif pendant la période des investigations. Cette anxiété grandit si le temps séparant la mammographie suspecte des examens complémentaires s’allonge et si une biopsie mammaire est pratiquée [16] ; elle n’a pas d’influence sur la fréquentation des programmes de dépistage [5, 20]. Une femme ayant vécu un résultat fausse-
ment positif se palpe ensuite plus fréquemment les seins [21-24] et consulte plus souvent son médecin [25]. Une mammographie négative peut rassurer faussement. Il n’est pas rare qu’une femme développant un cancer d’intervalle (entre deux vagues de dépistage) le banalise. Le médecin traitant peut lui aussi banaliser un nodule à ce moment-là. Une mammographie annuelle entre 40 et 49 ans délivre une dose de 0,6 mGy ; le risque lié à l’irradiation est faible, voire négligeable [5]. Il est vrai que certaines femmes reçoivent
Une phase préclinique courte, associée à une évidence que la mammographie de dépistage diminue la mortalité chez les femmes de 40 à 49 ans, devrait faire proposer une mammographie de dépistage annuelle aux femmes de 40 à 49 ans. L’American College of Obstetricians and Gynecologists recommande que les femmes de 40 à 49 ans bénéficient d’une telle mammographie tous les un ou deux ans [27]. L’American Cancer Society prône une mammographie annuelle dès l’âge de 40 ans [28]. La Canadian Task Force on Preventive Health Care ne vante ni ne condamne la mammographie de dépistage entre 40 à 49 ans ; elle insiste sur l’importance de l’examen clinique et sur l’information à donner aux fem-
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J.-F. Delaloye
Tableau I Dépistage du cancer du sein avant 50 ans : essais randomisés, d’après L.L. Humphrey et al. [4]. Essais
Âge Intervalle (ans) (mois) Mammographie seule Stockholm 40-49 24-28 Malmö I 45-49 18-24 Deux-Comtés 38-49 24-33 Gothemburg 39-49 18 Mammographie et examen clinique HIP 40-49 12 Edinburgh 45-49 24 CNBSS-1 40-49 12
Morts par cancer du sein Dépistées Contrôles 34/14 842 53/13 568 45/19 844 22/11 724
13/7 103 66/12 279 39/15 604 46/14 217
1,52 (0,80-2,88) 0,73 (0,51-1,04) 0,87 (0,54-1,41) 0,58 (0,35-0,96)
64/13 740 49/11 749 105/25 214
82/13 740 53/10 267 108/25 216
0,78 (0,56-1,08) 0,75 (0,48-1,18) 0,97 (0,74-1,27)
mes concernant les bénéfices et les risques de cet examen [29]. L’US Preventive Services Task Force recommande d’évaluer chaque année ou tous les deux ans les risques encourus par une patiente de 40 à 49 ans de développer un cancer du sein, de l’informer des bénéfices et des effets adverses de la mammographie de dépistage, de lui proposer une mammographie sur la base des bénéfices et des risques de cet examen et de continuer à conduire des études pour cette tranche d’âge [10].
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