Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive 2007, 17, 3, 99-100
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Éditorial
LA PRATIQUE CLINIQUE DES TCC : SOYONS DE VRAIS SKINNERIENS ! N. DUCHESNE (1), S. RUSINEK (1) (1) 32 avenue d’Assas, 34000 Montpellier (2) U.F.R. de Psychologie (A2 434) - Université de Lille 3 - B.P. 06149, 59653 Villeneuve d’Ascq cedex
Vous zappez parfois distraitement sur l’éditorial, pour gagner du temps ? Vous auriez tord cette fois-ci ! Celui-ci va vous gagner du temps et peut être de l’argent. En effet, malgré une reconnaissance d’efficacité établie, un nombre maintenant important de praticiens formés aux thérapies comportementales et cognitives (TCC) et une demande importante de la part du public, une proportion encore limitée de thérapeutes propose effectivement notre mode de prise en charge. Disons-le sans détours : pour les psychiatres le payement à l’acte de la consultation de psychiatrie sans distinction de contenu est renforçateur des sessions courtes, et donc dissuasif de la pratique consciencieuse des psychothérapies, et des TCC en particulier : l’entretien de la relation collaborative, la désensibilisation par habituation, la discussion socratique, l’entraînement à de nouvelles conduites et le travail émotionnel étant fort coûteux… en temps. Pour les psychologues il en va de même, la rentabilité de séances d’une heure est très difficile à obtenir, d’autant que dans les représentations de beaucoup de patients si un psychiatre peut en médecin, ne les recevoir que quelques minutes pour le peu qu’il daigne signer une ordonnance en fin de consultation, un psychologue se doit de passer un temps minimum avec eux ; dans ces représentations, si le psychiatre peut être payé à l’acte, le psychologue est payé à l’heure ! Nous avons pu constater en septembre 2006 à Paris, lors du congrès européen de TCC, le décalage criant de diffusion de cette approche entre la France et les autres pays européens, qui en partie doit être due à ce problème de rentabilité, ce qui oriente la réflexion sur les conditions structurelles du système français d’accès aux psychothérapies. Faut-il baisser les bras et espérer assez d’abnégation (ou de masochisme) aux candidats thérapeutes pour continuer sur cette voie… ou chercher des pistes de conciliations entre les contraintes françaises et nos impératifs techniques et matériels ? Correspondance : N. DUCHESNE, à l’adresse ci-dessus. e-mail :
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Pour les abonnés de ce journal, dont nous faisons partie, nous pensons que la réponse sera quasi unanime : soyons masos ! Mais masos ne veut pas obligatoirement dire stupides, alors voici quelques pistes, que nos prochaines rencontres tenteront d’approfondir, sur les moyens de faire face aux obstacles fonctionnels à la pratique des TCC : Le plus grand chantier collectif nous semble être l’ajustement des outils cognitivo-comportementaux (validés pour la plupart sur des séances d’une heure hebdomadaire) sur des pratiques plus proches de la demi-heure de consultation : Dans chaque domaine d’application, des aménagements aux programmes devraient envisager, dans la mesure du possible, des séances plus brèves, et/ou réparties sur 2 entretiens peu éloignés (plus les consultations sont espacées, plus leur contenu est dense). Actuellement, les partages de pratiques indiquent que la plupart des thérapeutes alternent des séances longues de TCC avec des entretiens de soutiens plus brefs – compensatoires – et moins impliquant. L’Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive (AFTCC) se propose, par les groupes d’intérêt cliniques ou des échanges sur le site, d’être l’interface d’échanges de pratiques sur ce thème. Une autre piste possible est la recherche de solutions techniques. Il existe aujourd’hui de nombreux moyens d’évaluation (tests de personnalité, évaluations journalière, etc.) qui sont informatisés et réduisent à la fois les temps de passations et ceux de cotations, comme certains exercices d’habituation peuvent être établis à partir de logiciels communs et une fois expérimentés en compagnie du thérapeute peuvent être réutilisés seul à son domicile. Les solutions techniques sont aussi de l’ordre de l’enregistrement des séances que les patients puissent retravailler ensuite seuls pour réduire les reformulations, des expositions simultanées dans plusieurs pièces du local du thérapeute, celui-ci passant périodiquement pour suivre les exercices à différentes étapes (comme les kinésithérapeutes peuvent parfois accompagner plusieurs personnes sur des appareils différents), ce type de travail pouvant être aussi accompagné par des psys stagiaires ce qui permet
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N. DUCHESNE, S. RUSINEK
de ne pas laisser seul le patient dans des phases critiques et de le renforcer continuellement. Cependant, rappelons que la rentabilité qui nous mènera à diffuser plus encore les TCC et à apporter de meilleurs soins aux patients doit conserver notre éthique, et que par exemple, un stagiaire à un rôle et des devoirs bien définis, comme son maître de stage. Ainsi, si le suivi d’une exposition peut être très pédagogique, comme l’est la cotation des questionnaires, etc., il n’en est pas moins vrai que la pédagogie demande aussi un temps d’investissement du maître de stage, un soutien continuel, et pourquoi pas une rétribution méritée. Il est aussi possible de penser au développement des techniques de responsabilisation maximales du patient (son cahier certes, sa tenue de dossier, la bibliothérapie, l’aménagement des tâches assignées…). Enfin, l’appui possible par des patients expérimentés, membres d’associations de patients, ou de Groupes d’Entraide Mutuels, en position de co-thérapeute référent, pourrait au cas par cas être tentée. La diffusion des pratiques de groupe, maintenant validées dans de nombreuses indications, ajoutant en plus une dynamique collective, est une piste d’avenir encore insuffisamment développée. Faute d’être correctement rétribuée, elle implique actuellement (hors d’un tarif d’hospitalisation) d’être adossée à un entretien individuel alors seul facturé. En pratique ambulatoire libérale, il est fréquent que deux praticiens s’associent sur la constitution d’un groupe et fassent alors chacun régler la moitié des participants. D’autres pistes sont aussi à développer : Le partage des informations sur les ouvertures conventionnelles, afin d’utiliser au mieux les cotations de reconnaissance d’acte possibles, mérite attention : au delà du tarif standard « CNPsy + MPC + MCS » à 41€, le travail avec des patients orientés par leur médecin référent peut être facturé, en l’annonçant à l’avance, en Honoraire Libre « HN » dont les dépassements sont à la charge des patients, pouvant être motivé pour certains actes de psychothérapie, ou en Dépassement Exceptionnel (DE) à utiliser avec tact et modération pour un motif précis (urgence ou horaire particulier) dont le surcoût peut être pris en charge par les mutuelles. Peu de praticiens connaissent l’ALQP003 (acte technique pour évaluation quantifiée, utilisable pour la passation d’échelles), à 69,12 €. Hors orientation par le médecin généraliste, la sécurité sociale autorise un dépassement jusqu’à 47€, aux frais du patient, ce qui peut nous rebuter évidemment. Nous souhaitons tous la reconnaissance spécifique du travail psychothérapique, ce à quoi
s’emploie le bureau exécutif de l’AFTCC auprès des instances dirigeantes. Pour les praticiens non-conventionnés (les psychologues libéraux, les médecins généralistes thérapeutes et quelques psychiatres), l’entraînement à l’affirmation de soi par des jeux de rôle (et la réflexion confraternelle) permet de requérir plus efficacement des honoraires proportionnels au travail accompli. Est-il nécessaire de rappeler que les TCC sont les techniques psychothérapiques les mieux validées, et qu’un effort appliqué sur une période déterminée de temps est porteur de résultats durables à moyen terme. Le bénéfice en terme d’économies de santé a été clairement démontré. Le fatalisme serait bien peu comportementalisme, aussi, retroussons nos manches pour ces nouveaux défis. Rappelons nous des principes et de la simplicité de la résolution de problème. Le conseil d’administration de l’AFTCC est préoccupé au premier chef par cette question : les actions de congrès et les réunions scientifiques n’agissent-telles pas puissamment sur notre motivation à poursuivre cette pratique exigeante ; nous avons tous éprouvé le profit personnel énorme que procurent les rencontres professionnelles, par l’apport scientifique et le partage humain pratique. La multiplication de groupes d’intervision chaleureux et dynamiques en est le relais local indispensable, encore trop peu répandu. Les membres actifs peuvent entretenir et améliorer leurs compétences, voir s’ouvrir à l’utilisation éventuelle de matériels nouveaux. Suivre l’évolution continuelle des techniques ou la clarification précise des ingrédients vraiment actifs d’un protocole se soins permet un travail plus ciblé, économique en moyens. L’AFTCC, qui offre déjà – cas unique ! – une supervision clinique individuelle par des praticiens rémunérés pour cela, réfléchit à développer davantage encore l’accompagnement de supervision clinique pour les jeunes diplômés, et l’incitation encadrée à l’auto entraînement des outils TCC, gage d’appropriation des techniques et d’amélioration des compétences par la découverte émotionnelle des mécanismes mis en œuvre. Il serait en tout cas bien dommage, avec les compétences que nous avons, de « lutter continuellement contre le temps », et de travailler dans un stress permanent. La qualité de notre pratique et notre bon équilibre de thérapeute ne sont-t-ils pas parmi nos challenges thérapeutiques préalables, sinon prioritaires ? Et vous ? Quelles pistes avez-vous exploré pour ajuster une pratique consciencieuse aux contraintes financières ? Ecrivez-nous : Nous diffuserons prochainement les contributions constructives.