la réanimation néonatale : soins ou maltraitance?

la réanimation néonatale : soins ou maltraitance?

J Rhdiatr hkriculture 2001 ; 14 : 358-62 0 2001 l?ditions scientifiques et mMic&s DOSSIER Elsevier SAS. Tous droits tCserv& la rhnimation nhonatale...

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J Rhdiatr hkriculture 2001 ; 14 : 358-62 0 2001 l?ditions scientifiques et mMic&s

DOSSIER

Elsevier SAS. Tous droits tCserv&

la rhnimation nhonatale soins ou maltraitance 3 D.Mitanchez-Mokhtari

1, S. Gosme-Sbguret

:

2

1service de r6onimation nbonatale, hbpital Necker-Enfants Malades, 149- 16 I, rue de Yvres, 75743 Pariscedex 15, France ; 2 service de &animation r+onatale, h6pital Saint-Vincent-de-Paul, 74-82, avenue Denfett-Rochereau, 75674 Paris cedex 14, France

-_ resume Chospitalisation d’un nouveau-ne, souvent tr&s pr6mbtur6, en service de reanimation nkuwtale souleve d’intenses sentiments chez les parents. Cimpression dune a maltraitance B au b&4, du fait de I’hypertechnicite de ces services, peut parfoit ?tre 4voquee. La prise en charge globale de I’enfant par I’equipe pluridisciplinaire de la reanimation, la prise en compte du confort de l’enfant, la clarte des informations don&es et la qualite de la relation Ctablie entre parents et soignants sont des elements essentiels de I’hospltalisation. Ils viennent sans doute attenuer les sentiments de culpabilite et les craintes de mabitance des parents et de I’equipe elle-meme. Q 2001 Editions scientifiques et m6dicales Elsevier SAS. tous droits &ewes

maltraitance

/ reanimation

neonatole

Eik a&de de se rendre imm6diatement ct sa mzzternitb, accompagnhe de son mari qui vient, heureusement, de rentrer du travail. Inquiets, ils sent refws rapidementpar la sage-femme de garde, qui aprh un bref examen, appelk Ibbst&icien de garde. ArrivP immbdiatement, cehi-lri: annonce que k travail est en tours. Le travail ? Mais ceh impliquet-i1 un accoucbement, demande le couple Sans doute. Ma&me L.

est enceinte

25 semaines, disent /es so&ants.

Paul Va& Vari&, ha& pbikmphiquc~, discourr aux rhiwgim, C~UWCS, Bibliotbkqur dc h P&S& NRif Galhard 1957, ml 1, p. 920.

six

mois ir peine,

Elk sent son bPb&

bouger depuis un mois, elle ne peut absolument pas rbaliser ce qubn est en train de hi dire. Et puis, tout shcc&e, pose d’uneperjhion

pour tenter de ralentir le

rythme des contractions, organisation d’un transfert a&s une maternitt! de K niveau 3 N a$n que le bJb/ et la m&e puissent he

NJ’imagine l’extr&me konnement, la stupeur de l’organisme que vous viola, dont vous mettez au jour les palpitants trkors, faisant tout a coup p&her jusque dam ses profondeurs les plus retirCes I’&, la lumihre, les forces et le fer, produisant sur cette inconcevable substance vivante qui nous est si hanghe en soi-meme, et qui nous constitue, le choc du monde exthieur.. . Quel coup et quelle rencontre ! . . . ))

de

l’un prPs de lhutre. Quel

C’est une $&se-couche,

se dit la femme

b/bP ?

sidpree et

incapable depenser maintenant. Son compagnon sembk plus calme. II parait plus inquiet pour sa femme que pour kur bPbe? Un reji4s sauvage de ce qui se passe ah

son corps

I’envahit. Ilfaut retenir, h toutprix ce b/bJ qui n’estpas rtel, pasfini du tout, rt peine commencP. ELk sait bien que I’enfant qu’eLk a imagim?, pour kquel elk a commen& ri acheter quelques jolies bras&es n’estpas celui

naitre d six mois

quklle sent huloureusement Elk

358

maintenant ahs son ven-

tre, a&s un u&us quklk percoitpour a

la premi&e fois.

aussi /impression que s’t?vanouitcet enfant imagi-

Mardi, 19 h 50 : Madame L. ressent des contractions

naire qui peupkzit ses rheries. Elle souhaite que tout cela

a!ouloureuses ou, du mains, soufie a&s k has de son

ne soitpas arrivd revenir quelques heures en arrih-e. Sil

ventre. Elle &imagine pas encore ce que cela peut he.

meurt, ce sera sa faute. Cette premihe

&e

qui la

JOURNAL DE PtDIATRIE ET DE PUtRICULTURE n-6 - 2001

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traverse, l’pblouit. Et /iI mouwait, ceh ne serait-il pas

Comment expliquer ce gou&

mieux que de naitre encore fetus ? Lhmbivaknce de ses

ce qui hi

entre ce qu’elle ressent et

est renvoy6: une routine de p@ection

sentiments ne s’exprime pas, marj la pt%Ptre toU!ernent.

technique, des mats apaisants, mais aussi tem’bkment

his,

pruahts.

c’est LhwivPe ah

une grand8 maternit& connue

(( On va dormer toutes ses chances h votre

de tous, vue ri la t&vision. Elk devient k personnage

bbb&. En rPanimation, il bth$iera

iwt!el d’une mauvaise s&ie amhicaine. Elle est rapide-

approprih ir son &at et de tous ks examens &essaires >).

ment instalke en chambre. Les visagesautour d’elle sent

Mais ne va-t-on pa bi faire ma1 ? Une pe@sion

calmes. Mais ks discours m&es

un si petit bras, est-ce faisable ? Et une intubation ?

mesurh deviennent

de tow ks soins sur

tewzifiants. Combien de temps pouwa-t-on empt?cher

Comment va-t-on rentrer un tube a2 force ahs la gorge

hriv~e

de son enfant et l’obliger li respirer ? I1 nj a pas pire

du bPbe ? Combien de temps ks midicaments,

sa volontt!pi elk, pouwont-ils (( tenir w, k u retenir )) ? Mercredi, midi : elk est emmenPe en Salk de naissance. Court-circuit efiayant de quatre mois, @act%, disparus h jamais, ce temps qui lui t%aitdti, qui leur hait dri. Elle ne soufiepas, elle est absente d’elk-m&e,

se voit h

distance, se regarde accoucher avec sa phidurak

qui

lhnesthbie,

son

comme sont anestbPsihs sa pens/e,

psychsme. Un temps suspendu, des actes qui s’enchafnent. Son compagnon qui luiprend la main. Pas laioie prhue.

Un Pgarement, une eweur.

L’kquipe est attentive, prhente,

elk a expliqut que le

bkbbe’seraittrh rapidementpris en chargepar kp&diatre et le rkanimateur de l’b6pital. Que tout seraitfaitpour l’aider.

maltraitance que celk faite 2 un he

totakment

dhnuni et incapabk de signzjier sa volontP, son &saccord, defiic

de protester. Ih peuvent lui faire n’importe

quoi. Madame L. sait qu’elk et son enfant sent d&s une ah meilkures maternith qui soit. Et si justement c2tait .h la makbance ? Tout faire pour sauver un enfant.

Tout ? Qu’est ce que ceh

veut dire (c tout

faire >,? Et si c’hait de lhcharnement ? Brusquement k mot rhonne.

L’acharnement, c’est bien vouloir faire

vivre de force a+ la chair. Shttaquer h la chair de son 6664 contre hi, contre elle. Alors qu’il n’estpas contre elle justement, mais qubn lh PloignP&elk. Jeudi matin : Madame L. se souvient avec howeur de h soirie. L;zttente de son mari, parti voir kur petite$Lk - elk rPaliseri peine qu’il s&it bien de son b&bf$lk -

Quelle aide ? Comment aider un bibC qui n’a que six

ceh devait h-e la surprise de lhccouchement, le sexe,

mois de ((fabrication Mah

bier, en &a, comme ils disent.

A mourir peut-he

k ventre ? Comment raider ?

? Encore ces id&esde mart. Inexpri-

L’attente de son retour. Son visage un peu fermP quand

mables. Une m&e ne ditpas ceh. Jamais. fit-ce que ks

il est revenu. Sa hscription fantomatique du service.

autres femmes le pensent ? I3 ce que mon mari le pense ?

Les habits de papier, le m&&in qui ne donne aucune

On ne separkpas a&ant tout ce moruk I1 estjuste lir.

nouvelle prt!cise, qui dit que Anna est instalke confor-

Vont-ils maltraiter mon b/bbt en le faisant vivre de

tablement, qu’elk sembk bien supporter sa machine. Ses

force ? Veut-il vivre de grb ou de force ?

mats lui reviennent. Elk a peu dormi, juste une heure

Et elk, a-t-elk voulu accoucber de gr4 ou a? force ? Qui

ou deux sur le matin, avant k petit-d+uner.

en elk a voulu cela ? Non, rien en elk nh souhaitP cekz. Et pourtant, la culpabilh! est intense. Et si elk y hit pour quelque chose ahs tiih,

cette maltraitance-l2 ?

son enfant est sorti. On le lui montre, minuscule,

tout rouge, inerte. Elk nh rien vu, sauf qu’il tenait ahns ks mains rhnies

dime jeune

sage-femme, et on

I’emmtne vraiment rapidement. Elk a maintenant envie de dorm& d’oublier & neplus

Comment peut-on * supporter une machine )>? Elk veut alkr la voir tout de suite. Pourtant ce sera impossible, pas de visite k matin lui dit son compagnon. I1 lui faudra attends 14 b ; et y alkr seule. Son mari doit rkgkr une quuntitk de cboses indispensables, professionnelks surtout. Son ipisiotomie ne la faitpas trop sou.ix

Elle se sent capable cly alkr

seuk et debout.

he Iri Puisqubn lui a enleve’son bPb6, c’estqu’elk n’est pas capable de k porter elle-m&e.

Elle pouwait sans

doute lui faire mal, le faire tomber. On lui explique tout de suite que son bPbCa lhir de vouloir se bathe. perj%on

On va l’intuber, lui poser une

et k transf+er immbdiatement avec k re’ani-

mateur descendu k chercber, hns voit & de sa fen&e,

k bhiment

L’entrbe ahs k service est suwt!aliste. Dhbord, il faut sonner et attendre. Mais pendant cette attente, elk voit - le service est vitri! - ah gens shgitent, en costume vert

&age. 02s qu’elle k

ou bku. Ih ont des cbapeaux depapier, &s masques de

voudra, ahs quelques heures, elk pouwa alkr k voir.

papietz 113parknt, elk en voit deux qui rient. Elk ne

au troishe

Comment ces soignants peuvent-ils he comme si tout cekz &ait normal ? JOURNAL

qu’elk

le service de &animation

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aussi calmes,

voit pas ks bPbPs.Mais, commentpeut-on

rire &ant

elk ? Comment nepas se sentir maimenPepar ces rires ? 359

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En$n, on hi fait signe. Un mkdecin seprkente, qui hi explique ce qubn a fait ItAnna, ce qu’e1.k vafaire pour rentrer, une aide-so&ante va Paidet: I1 la reverra hns quelques minutes, prPs de la couveuse dAnna. I1 a I’air calme et attentsflui auk,

mais elle a a+

de ce qu’il vient de lui dire. El.

tout oubliP

n’entendait que les

alarmes qui sonnaient. La voile habilke et conduite avec douceur ahant une petite chambre, par un couloir a’hert. Elle n’est pas rentrke directement ohs le grand couloir des soignants. Elle est ri part. Le m&ecin lui ouvre la Porte. Elle se rekzve les mains. Elle s’estprobablement resalie, rien qu’en mettant ses sur-chaussures de papier. I1faut faire attention d ne pas contaminer Anna, se dit-elk Eli2 s’approche rt petits pas de la couveuse, et la dkouvre, sous une feuille de phstique h bulk,

minuscule, encore

plus petite q&bier soir. Maintenant commence & temps de la &animation : immkdiat

et infini,

dam

un double

mouvement

d’immobilitk et de j&ite. Madame L. ne voit pas le temps passer quand elle est avec Anna, mais il s’Ptire ind&niment

le so& la nuit, oh tout peut arriver.

Comment donner sens ri ce qu’e1.k voit et ce qu’elle vit ici : une vie relay/e par des machines, une technique intimement mf!lPeb l’humain. Madame L. vientjour aprh jour voir, et bienthtporter sa jille. Le temps est trap long, trap court. Jamais exactement adaptk comme autrefois. Anna est k? depuis un mois maintenant. Elk s’estaahptie, elle aussi, ir la machine, aux bruits, aux visages, auxparoles deuces ou maladroites. I1 lui arrive encore, bien stir de se sentir maltraitie : hsque

les infirmit%es, occupkes ailleurs, ne viennent

pas tout de suite lui mettre Anna ah

les bras, lorsque

les nouvelles luiparaissent un peu moinr bonnes, que tel mkdecin a un peu fronc6 les sourcik lorsque lhkzrme a son& plw intenshent

que d’autres fois, qu’il a fallu

r&tuber Anna aprh une premiere tentative d’extubation trap prkoce pour I’enfant. Mais, elle sait aussi que la reanimation est un lieu de soins. Soin et besoin sont de la mime famille. Elle

Notre attention au confort de I’enfant et aux liens qui l’unissent a ses parents font partie de notre travail quotidien, en parallele avec les soins d’urgence rt?alis&. La prise en charge en rkmimation ntonatale concerne une population trts variee en termes &age gestationnel et de pathologie. La limite inferieure de viabilite qui correspond a la limite de prise en charge des nouveau-n& est aux alentours de 23-24 semaines d’amenorrhee. Les situations pathologiques rencontrees concernent le premature entre 24 et 37 semaines d’amenorrhte, le nouveau-ne malformt, le nouveau-& a terme asphyxie ou en situation de detresse respiratoire, etc. Dans toutes ces situations, le role de l’tquipe soignante est de donner a l’enfant sa chance de vivre dans les limites des moyens techniques disponibles, en appliquant le principe de bienfaisance et en respectant I’enfant qui vient de naitre en tant qu’individu. Quel que soit le motif de l’hospitalisation, il s’agit de relayer les fonctions vitales defaillantes : respiratoire, metabolique, digestive, neurologique. Tout un ensemble de machines vient se substituer a l’organisme impuissant a assurer les fonctions vitales : respirateur, sonde gastrique ou catheter central, perfusions medicamenteuses. Ces moyens techniques paraissent au premier abord invasifs et agressifs. Cependant, ils sont adapt& aux (( tout-petits )) et representent une partie de la specifkitt de la neonatologie. Ainsi, les techniques de ventilation artificielle sont particulieres a ces enfants, les differentes protheses (catheters, sondes d’intubation, etc.) sont adaptees a leur taille. Cette sptcificite limite l’agressivite de la prise en charge medicale et paramedicale. La surveillance de toutes les fonctions est assume par des enregistrements mecaniques : scope pour la frequence cardiaque, capteurs pour l’oxygtnation du sang par la mesure de la saturation transcutante de l’oxygene, capteurs thermiques. La mise en route d’alarmes sonores, lorsque les parametres enregistres sont perturb&, represente une agression sonore au premier abord, mais gage visible et audible de surveillance, ces alarmes acquierent dans un second temps, une fonction de reassurance.

imagine des soins douloureux, mais elle voit aussi que les inj&miPres donnent des soins qui ressembht

aux

soins maternels, ri:ceux qu’elle peutfaire avec Anna : le change, le bain, 12s paroles.

quipe soignante Comment, dans nos services de reanimation ntonatale, tentons-nous de pallier cette agression physique et psychique que peut reprtsenter une hospitalisation pour le nouveau-m5 ? 360

douleur du nouveau-n6 Nous avons bien du mal a savoir ce que ressent l’enfant. De nombreuses etudes se penchent sur le ressenti de la douleur chez le premature. Au tours des dernitres anntes, une prise de conscience de l’existence de la douleur chez le nouveau-n& m&me trts premature, est De nombreux moyens antalgiques sont apparue. actuellement disponibles et largement utilises. 11 existe une grande varitte en termes de molecules disponibles JOURNAL

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et de moyens d’utilisation. Les derives morphiniques sont utilises par voie intraveineuse a la phase aigue ou lors dun geste invasif (pose de catheter central) ; des anesthtsiques locaux par voie percutante lors des prelevements sanguins. Plus recemment, l’utilisation de glucose concentre associe a la suction de la dtine est apparu comme un moyen antalgique simple et e&ace, particulierement chez le nouveau-n? premature [ 11. Pour le bebe en dttresse vitale, il convient d’amtnager le temps et l’espace afin de diminuer au maximum les stimuli agressifs : c’est ainsi que l’on veillera a la diminution des stimulations lumineuses et auditives, que l’on regroupera les temps de soins et que l’on respectera autant que possible les temps de repos du b&be. Le nursing est un aspect important des soins apportts a l’enfant et contribue a atttnuer l’inconfort secondaire aux traitements. Differentes mesures calment et rassurent I’enfant : l’installation dans une position confortable dans sa couveuse au sein dun espace delimite par un lange, un foulard port6 par sa mere et depose aux cot& de sa t&e, les massages, les paroles deuces prononctes au moment des soins.. . Du chaos de l’eclatement corporel suivant l’accouchement du premature, les soins infirmiers redonnent contenant et espace corporel, redonnent sens : d la fois sens des cinq sens et sens de paroles sur ce qui est fait a l’enfant. Comment cela est-il possible pour le soignant ? A la maniere dun champ chirurgical qui dtlimite la zone d’investigation, le temps operatoire, l’investissement de l’infirmiere passe de la partie au tout. La partie represente la ntcessaire diminution de l’apprehension globale du sujet pour r&liser un soin localist et technique, suivi par un reinvestissement global de l’enfant avec a ce moment des paroles d’enveloppement, des caresses de retablissement de la continuite corporelle, reconstruisant ainsi le tout. Elles ne se sentent plus alors maltraitantes, mais soignantes. L’ensemble de ces petits soins quotidiens reprtsente un element important pour les parents qui considerent bien souvent leur enfant agresst par toute la technologie qui les entoure, et se sentent eux-m&mes agresses par les evenements qu’ils subissent. Les sentiments v&us par les parents, lors du premier contact visuel, sont si forts qu’ils peuvent entrainer une veritable sideration. La petitesse du corps de leur btbe, sa fragilitt renforcee par l’importance du materiel technique mis en ceuvre pour sa survie leur renvoient une image tres Cloignee de l’image idtalisee et narcissique de l’enfant construite durant la grossesse. Pour kiter que cette premiere rencontre avec la realitt soit vecue comme une deflagration brutale, il est ntcessaire d’amtnager un espacetemps pour permettre aux parents d’imaginer, de preparer cette rencontre. Les parents vont effectuer un

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tnorme travail psychique qui ira de la mart brutale de l’enfant parfait, veritable morceau de leur narcissisme, a l’investissement de l’enfant reel, malade ou en danger de mort. Le premier travail psychique est done la reconnaissance de l’individuation de l’enfant, particulier, unique, s’inscrivant dans la lignee transgenerationnelle. Toutefois, du fait de son immaturite, ou de sa pathologie, le bebe ne peut &tre materne comme il l’aurait tte dam une situation banale. Les parents, en particulier la mere, se sentent deposstdes de leur role nourricier et protecteur, l’equipe medicale les remplacant et leur donnant un sentiment d’incapacite, d’impuissance et les induisant de ce fait a projeter sur elle des sentiments de toute-puissance, auxquels s’adjoignent des projections agressives : projections sur l’exterieur de l’ambivalence de leurs propres sentiments a l’egard du btbe qui les fait si peu parents. L’Cquipe, par sa discretion et son attention, se fera le temoin de la boucle interactive entre le bebe et ses parents : la reconnaissance par les soignants de ces echanges est &cue par les parents comme une reparation narcissique. Un bebe bien installt dans sa couveuse renvoie a ses parents une image de confort et de detente, alors meme qu’il est entoure par toutes sortes de fils et de tuyaux. Le role de l’equipe soignante est d’atdnuer cette impression d’agressivite en rassurant les parents chaque fois que cela est possible sur l’evolution de leur btbt, en mettant en avant des evenements simples et non techniques comme : (( il commence a manger aujourd’hui ; il aime Ctre dans cette position ; le bain le d&tend bien ; etc. )). 11 s’agit de redonner au bebe un statut (( d’enfant normal P), en depit de l’entourage medical. La participation directe des parents a certains soins simples, la mise de leur enfant dans les bras dts que son ttat le permet, mCme lorsqu’il est intubt, et la pratique du (( peau a peau )) limite l’impression de passivite et d’eloignement qu’ils eprouvent et qui est t&s douloureuse. 11 est important qu’ils comprennent que leur role ne se resume pas h une simple presence, mais que leur bebe est sensible a leur voix, a leurs caresses parce qu’il les reconnait.

le discours

medical

La clarte et la transparence du discours medical est probablement un des moyens les plus importants pour limiter la maltraitance ressentie par les parents. Le role du mtdecin est d’expliquer clairement les problemes posts par l’etat de l’enfant, les moyens dont on dispose pour y faire face et aussi les limites eventuelles de ces moyens. 11 est important de transmettre que les actes

361

DOSSIER

des so&rants sent avant tout r&lists le respect de leur enfant.

dam l’inttr&t et

Pour hiter trop de maltraitance, les soignants ne cessent de s’interroger sur leurs techniques, sur la necessite de la sedation mais aussi sur leurs propres investissements, sur leur desir de sauver, qui ne doit pas devenir N sauver a tout prix N. D’apres Freud, (( le motif de sauver a sa signifkation et son histoire propres, il est rejeton autonome du complexe maternel, ou plus exactement, du complexe parental.. . La mere a donne la vie a l’enfant et il nest pas facile de remplacer ce cadeau unique en son genre par quelque chose d’equivalent )) [2]. La mort de l’enfant, c’est l’impossibilid de rendre aux parents un cadeau equivalent a celui qu’ils ont recu en naissant ; la mere a reussi a les sauver du danger de mort a la naissance, eux ont choisi de passer leur vie a donner en echange une autre vie : (( celle dun enfant qui a la plus grande ressemblance avec votre propre soi P)[2]. En imaginant (( l’extrkme etonnement )) du nouveaunt en reanimation, en imaginant les intenses mouvements projectifs, de culpabilite, de haine, d’amour, qu’il suscite chez ses parents, en imaginant aussi les mouvements projectifs des soignants sur le b&be, sa famille, en tentant d’ouvrir un espace psychique pour toutes ces pensees, ces imaginations, ces affects, ne tentons-nous pas de rendre un peu moins maltraitante

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l’hospitalisation dun nouveau-& en reanimation neonatale, pour lui, comme pour ses parents, comme pour les soignants ? A& que la rencontre ne soit pas settlement un coup. Cette dtmarche implique des interrogations sur la quake de la vie sauvegardee. Quel avenir prepare-t-on a cet enfant que l’on est en train de r&nimer ? Quel sera le degre de handicap de ce nouveau-& premature ? Combien d’interventions palliatives ce bebe dont le cceur est gravement malforme devra-t-i1 subir, sans jamais vraiment guerir et mener une vie normale ? Poursuivre une reanimation acharnee peut &tre source de maltraitance a l’egard de l’enfant, de ses parents et des soignants. Limiter la maltraitance en reanimation necessite inevitablement dans certains cas de s’interroger sur l’indr& de poursuivre ou d’arreter les soins. r----

-___-..___.-

..__._

rdfkrences 1

Carbajal R, Chauvet X, Couderc S, Olivier-Martin Randomised trial of analgesic effects glucose, and pacifiers in term neonates. 319 : 1393-7.

2

M. of sucrose, BMJ 1999 ;

Freud S. Contributions 6 la psychologie de la vie amoureuse. In : La vie sexuelle. Paris : PUF; 1972. p. 53-4.

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