Biochemical SystematlcsandEco/ogy, Vol. 8, pp. 55 to 63.
0305 1978/80/0301 0055$02.00/0
rP)PergamonPressLtd. 1980. Printedin England.
La Syst matique Infrasp cifique de I'Anthyllis vulneraria (Leguminosae) Vue la Lumi re de la Biochimie Flavonique JEAN-FRANCOIS GONNET Laboratoire de Phytochimie, Departement de Biologie Vegetale 741,43, boulevard du 11 Novembre 1918, F-69621 Villeurbanne Cedex, France
Key Word Index-Anthy/lis vulneraria; analysis.
Leguminosae; infraspecific chemosystematics; fiavonol glycosides; factor
A b s t r a c t - T w e n t y - s i x experimental populations of A. vulneraria were surveyed for leaf flavonoids. The distribution of 35 flavonol glycosides showed, after factor analysis, the existence of four distinct chemical taxa, each exhibiting characteristic glycosides of 7-methylkaempferol. These results, and others obtained from further factor analysis, are discussed in relation to Couderc's taxonomic studies, and allow a better definition of infraspecific units of A. vu/neraria. Flavonoid and morphological data are generally correlated.
Introduction L'analyse factorielle des correspondances, appliqu6e ~ la distribution des heterosides flavoniques chez des populations representatives de huit taxa d'Anthy/I/s vulnerar/a avait permis de reconnaTtre, au sein de ce complexe infraspecifique, la coexistence de quatre groupes d'affinites chimiques [1].* La pr6sente etude se propose donc de confronter maintenant ces resultats biochimiques, completes depuis par ceux d'analyses supplementaires, aux diagnoses morphologiques de Couderc [2] en vue de parvenir ~ une definition plus precise et plus complete des unites taxonomiques de I'Anthyllis vulneraria et des affinites pouvant exister entre elles. Dans ce contexte, il est au prealable essentiel de rappeler quelle a ete la demarche experimentale de Couderc et qui I'a conduit simplifier notablement, en ne retenant que six sous-especes, une systematique jusque I~ fort embrouillee et inutilisable le plus souvent. La plupart des travaux ant6rieurs, en admettant la possibilite de phenomenes d'hybridation entre individus interf6conds, avaient en effet abouti cfi *Pour tout ce qui traite de I'aspect technique de I'analyse flavonique et du traitement math6matique des r~sultats ainsi que de I'origine du mat6riel v6g6tal, nous renvoyons le lecteur ~ ce precedent article [1 ]. t- En ce qui, concerne la v~ritable incidence de celui-ci, il a d'ailleurs pu etre montre qu'elle ne s'exerce qu'au niveau du developpement heteroblastique, les individus d'une meme population, observes au meme stade physiologique etant tous pratiquement identiques [12]. 55
pulv6riser I'esp¢ce, reconnue de plus comme trCs polymorphe, en d'innombrables sousesp¢ces, vari6t6s ou formes [3-8]. Avant d'entreprendre toute etude taxonomique, les premiers travaux de Couderc ont doric et6 consacres & la determination du mode de reproduction de I'A. vulneraria. L'etude de sa biologie florale a ainsi permis de montrer que I'esp¢ce est en fait presque exclusivement autogame [9, 10], I'hybridation entre individus etant en r6alit6 exceptionnelle et donnant naissance le plus souvent ~ des individus steriles m~les, quelquefois recontres dans la nature [2]. De la sorte, le seul mode d'evolution possible reste la mutation, chaque population pouvant alors 6tre consideree comme une entite genetiquement isolee, evoluant pour son propre compte ~ partir d'une souche commune. Darts ces conditions, il n'y a rien de surprenant ~ pouvoir observer au sein de I'esp¢ce, un trCs grand nombre des formes tr¢s voisines, ne differant entre elles que par des caractCres extr~mement t6nus et de tous ordres, morphologiques aussi bien que biochimiques. En consequence, la reconnaissance de toutes ces formes intermediaires ou non, apparaft bien illusoire et conduirait ~ la limite ~ 61ever chaq ue population au rang de taxon infrasp6cifique. Se refusant 6videmment ~fi souscrire ~ un tel point de vue, Couderc, dans un but essentiellement pratique ~ donc propos~ de ne retenir qu'un petit nombre d'unit6s syst6matiques, d6finies chacune sur la base de crit¢res solides et non soumis au polymorphisme [11].t Cependant,
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comme le souligne d'ailleurs I'auteur, un tel point de vue dont I'utilit6 pour le classificateur demeure ind6niable reste obligatoirement incomplet sur le plan biologique, donc relativement arbitraire, puisqu'il subordonne des rapprochements syst6matiques ~ la confrontation de caractCres dont le relev6 est statique. Dans ces conditions, chaque taxon, aussi bien d6fini soit-il morphologiquement, reste critiquable puisque subsiste toujours un doute sur les voies qui ont conduit les populations qui le constituent ~ la manifestation morphologique observ6e: plusieurs populations peuvent avoir en effet atteint un degr6 de similitude morphotogique peut-6tre suffisant pour permettre leur insertion dans un seul et m~me taxon, mais par des voies totalement diff6rentes ~ partir de souches ~galement diffCrentes; il s'agit alors d'une simple convergence qui ne justifie pas, quant au fond, la reunion des populations concern~es. Pris isol~ment, tes caract¢res biochimiques, peut-~tre plus maniables que les caractCres morphologiques car plus proches de I'information g¢netique mais de ce fait moins synth~tiques car moins polyg~niques, conduisent m6anmoins comme ces derniers, une vision a priori arbitraire et partielle du probl~me. Par contre, I'¢tude critique des conclusions syst~matiques 'classiques' ~ la lumi¢re des r¢sultats biochimiques, doit permettre de nuancer I'expression des niveaux d'affinit~s morphologiques, sans toutefois pr~tendre 8 une certitude absolue quant ~ la definition de cercles de parente vraie. Dans cette optique, on dCterminera en premier lieu le degr~ d'affinites morphologiques entre les diff~rents taxas d~crits par Couderc, par confrontation de leurs diagnoses respectives d'une part et ~ I'aide de r~sultats d'analyses factorielles des correspondances appliqu6es aux mesures biom~triques d'autre part [2]. Ensuite, les affinites biochimiques entre populations et taxa telles qu'elles avaient ~t~ ~tablies auparavant [1, 13] seront pr~cis6es, notamment avec I'apport de resultats obtenus I'issue de nouveaux calculs effectu~s sur la matrice de distribution des het6rosides entre populations. Enfin, on ~valuera ~ I'int~rieur de chacun des * A u c u n e population appartenant ~ ce taxon n'a pu ~tre analys~e du point de vue de son contenu en h6t¢rosides.
JEAN-FRANCOIS GONNET
cercles d'affinit6s morphologiques le d6gr6 d'homog~n6it6 biochimique des populations constitutives, pour pouvoir appr6cier ensuite le bien fond6 des rapprochements op6r6s entre populations d'abord et taxa infrasp6cifiques ensuite.
DMinition des cercles d'affinit6s morphologiques A cet effet, les caract~res int6ressant la tige, les feuilles, I'inflorescence et le fruit ont 6t6 compares d'un taxon & I'autre. A I'exception de la sous-esp6ce hispida IBoiss. et Reut.) Rouy, caract6ris6e par une tige gr~le ~ port gracile, toutes les autres sousesp~ces possCdent une tige relativement robuste; celle-ci est g6n6ralement dress6e sauf chez la sous-esp¢ce borealis (Rouy)Jalas (tige rampante trCs basse) et la sous-esp¢ce vulnerarioides (AII.)Bonj. (tige couch6e). Deux types de ramification cohabitent chez I'Anthy//is vulneraria: ramification importante, caract~re associ6 ~ une taille assez ~lev~e de la plante (taille maximale sup6rieure ~ 30 cm) des sousesp¢ces forondae (Sennen)Cullen, vu/garis (Koch)Willk. et Lange var. vulgaris var. polyphy//a Ser., vulgaris var. maritima (Koch) Willk., qui s'oppose ~ la ramification en g6n6ral r6duite, en relation avec une taille moindre, des sous-esp¢ces a/pestris Hegetschw. et Heer*, borea/is, hispida, vu/nerarioides et vu/garis var. rubiflora (DC.) Willk. La pilosit~ caulinaire en g6n6ral apprim6e et courte chez les sous-esp~ces a/pestris, borealis, vu/garis var. vu/garis, var. maritima et var. rubriflora, devient bien d~velopp6e et dress6e chez les sous-esp¢ces vu/garis var. polyphylla, hispida, vu/nerarioides et forondae. La morphologie foliaire est I'un des caract¢res essentiels de la clef 6tablie par Couderc. Chez les sous-esp¢ces forondae, vulnerarioides, vu/garis var. vu/garis, var. po/yphylla et var. rubriflora, les feuilles radicales portent des folioles lat6rales bien d6velopp¢es et en g6n6rat nombreuses (de 7 ~ 15); ~ t'oppos~, la sousesp¢ce vu/garis var. rnaritima les sous-esp~ces borea/is et hispida poss~dent des feuilles caract6ris6es par un trCs grand d6veloppement de la foliole terminale, qui va de pair avec un nombre toujours r6duit de folioles lat6rales (de 1 ~ 5); celles-ci sont d'ailleurs parfois absentes, sp~cialement chez la sous-esp~ce alpestris. A noter 6galement 1'6paisseur plus grande et la couleur vert-glauque, particuli~res a la sousesp~ce hispida.
LA SYSTEMATIQUE INFRASPI~CIFIQUE DE L'ANTHYLLIS VULNERARIA (LEGUMINOSAE)
Une repartition ~ peu pros similaire des sousesp~ces est observee ~ I'examen de la morphologie des feuilles caulinaires: ces dernieres ont des folioles egales ou subegales chez les sous-esp~ces vulgaris var. polyphylla, var. maritima et var. vulgar/s, forondae et vulnerarioides, alors que chez les sous-expeces alpestris, boreal/s, hispida et vulgaris var. rubriflora, la foliole terminale est plus developpee que les lat6rales. Ces deux types de feuilles, radicales et caulinaires, presentent cfi I'interieur d'un m~me taxon, une pilosite identique: la face superieure est g~neralement glabre, sauf chez les sousespeces hispida et vulnerar/oides; la face sup~rieure porte une p/los/t6 qui est apprimee chez les sous-esp~ces alpestr/s, boreal/s, vulgaris et ses vari~tes, hirsute ou dressee chez les sous-especes hispida, vulnerar/oides et forondae. Quant aux capitules, de grande taille et fournis chez les sous-especes boreal/s, vulgar/s,/Is sont de taiile plus reduite chez les sous-especes a/pestris, forondae, vulnerarioides et hispida. Enfin, la sous-esp~ce vulnerarioides se singularise au niveau de la morphologie du fruit, par un pedoncule plus court que la gousse. Une morphologie tres homog~ne dans son ensemble conduit donc ~fi rapprocher les quatre varietes de la sous-esp~ce vulgar/s, qui ne different entre elles que par des caracteres relativement tenus. Au voisinage de ce premier groupe, viennent se placer les sous-esp¢ces borea//s et alpestris auxquelles on reconnaftra une certaine autonomie, basee dans les deux cas, sur la morphologie foliaire: reduction poussee, voire absence des folioles lat6rales; ces deux taxa se distinguent entre eux par la forme des folioles: ovales chez la sous-esp~ce alpestris, falciformes, repli6es et ~ p/los/t6 formant un lis6re argente chez la sous-esp~ce
borea/is.
Plus eloignees du groupe central "vulgar/s" se trouvent les sous-esp~ces hispida et vu/nerar/oides qui s'individualisent par les caract~res de la tige (gr¢le et ~ port gracile tr~s particulier de la sous-esp¢ce hispida et port couche chez la sous-espece vu/nerarioides), par la p/los/t6 des feuilles (ces deux sous-esp¢ces sont les seules ~ presenter des poils sur la face superieure), par la taille reduite des capitules et enfin, pour la sous-esp¢ce h/spida, par une cons/stance particuliCre des feuilles. Enfin, avec un degr~ d'eloignement (ou de dissemblance) intermediaire entre la sousesp¢ce vulnerarioides et le groupe central se situe la sous-esp¢ce forondae qui se caract~rise,
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par rapport ~ la premiere, par I'absence de p/los/t6 ~ la face inferieure des feuilles, le port dresse et I'abondance de la ramification de sa tige, et par rapport au second par la pilosite dressee de ses tiges, de ses feuilles (face inferieure) et la petite taille de ses capitules. Outre la validation du choix opere par Couderc au moment de la selection des caracteres morphologiques, I'utilisation des methodes de la Taxonomie Numerique a permis de visualiser, d'une fa(;on tres impart/ale, les affinites entre taxa avec I'emploi de I'analyse factorielle des correspondances appliquee ~ des tableaux de mesures quantitatives relevees sur de tres nombreux echantillons [2]. L'ensemble des resultats obtenus peut etre represente par la Fig. 1 dans lequel les nuages d'individus, correspondant aux differents taxa, sont places en fonction des coordonnees de ceux-ci sur les deux premiers axes factoriels, qui explicitent 64% de ia variance (la prise en consideration des coordonnees sur le 3 ° axe porte le recouvrement de celle-ci ~ une valeur superieure ~ 80% sans modification de la disposition observee). La repartition des individus en differents groupes, qui correspondent sensiblement aux taxa de I'etude morphologique apportant ainsi la preuve de I'homogen6ite des populations, s'effectue dans le sens horizontal (c'est ~fi dire sur I'axe F1) essentiellement en fonction de deux caracteres: le nombre de folioles laterales des feuilles radicales, d6croissant dans le sens W --, E et la Iongeur de la foliole terminale de la derniere feuille caulinaire qui est decroissante dans le meme sens. D'autres caract~res, en part/culler le nombre de folioles laterales de la derniere feuille caulinaire et la Iongueur de I'etendard agissent d'une man/ere identique mais avec une contribution beaucoup moins forte. La distribution des individus dans le sens vertical, c'est ~ dire sur F 2, s'effectue en fonct/on de la hauteur de la tige, qui est croissante cfi partir du haut du diagramme. Sur la base de ces diff6rents crit~res, le centre du graphique est occupe par la sous-esp¢ce vu/garis avec ses quatre vari~t6s; les individus du var. maritima ayant leur centre de gravite dans la partie droite du nuage, ceux du var. po/yphylla dans la partie gauche; les 6chant/lions des var. vu/garis et var. rubriflora sont, quant & eux, m~les d'une fagon inextricable. Se superpose ~ ce nuage celui constitu6 des individus de la sous-esp¢ce hispida, ce qui peut paraftre curieux a priori, la distinction de ces deux taxa s'operant instantanCment au moyen des caract~res morphologiques.
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JEAN-ERAI~OIS GONNET
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FIG. 1. CERCLES D'AFFINITES MORPHOLOGIQUES ENTRE TAXA DE L'ANTHYLLIS VULNERARIA (TAXONOMIE NUMF:RIQUE)
De part et d'autre de ce groupe central, se placent les sous-especes vulnerarioides (sur la partie W) et a/pestris (sur la partie E) dont les individus presentent les valeurs extremes dans la mesure des caract~res. La transition entre ces deux entites et le groupe central est realisee pour le premier, par I'intermediare de la sousespece forondae et pour le second par les individus de la sous-esp~ce borea/is. En ce qui concerne ces derniers, il est important de faire remarquer qu'ils sont originaires, en parts sensiblement egales, de Bretagne et d'lslande et indistinctement entremeles, ce qui confirme bien I'appartenance des populations des deux origines ~ un seul et m6me taxon.
Definition des cercles d'affinites biochimiques Le traitement, par I'analyse factorietle des correspondances, de la matrice de distribution des 35 heterosides flavoniques entre 26 populations experimentales fournies par Couderc avait conduit ~ les regrouper dans un premier temps en quatre grands cercles d'affinites chimiques (Fig. 2) [1, 13]. Cette distinction repose en premier lieu, sur la presence ou I'absence d'heterosides de methyl-7 kaempferol (ou rhamnocitrine), puis pour les premieres et ceci dans une proportion notable, sur les modes de glycosidation de cet aglycone (qui
restent d'ailleirs toujours ~ determiner). Les populations ont donc 6t6 regroupees, autour de certains heterosides-cles, de la fa¢on suivante: A Presence d'h6terosides de rhamnocitrine: (i) Taxon chimique I, defini principalement par la presence de I'heteroside n ° 22 (aglycone rhamnocitrine): subsp, vulgaris var. rubrif/ora pro parte (5 populations n ° 18, 22, 23, 26 et 28); subsp, vu/garis var. maritima pro parte (4 populations n ° 13, 14, 15 et 17); et subsp, borea/is (3 populations n ° 36, 37 et 38). (ii) Taxon chimique I/, caracteris6 par I'heteroside n ° 29 (aglycone rhamnocitrine): subsp, vu/garis vat. vu/garis (2 populations n ° 2 et 3); subsp, vu/garis var. po/yphy//a (4 populations n ° 6, 9, 11 et 12); subsp. forondae (2 populations n ° 33 et 34); et subsp, hispida (1 population n ° 30. (iii) Taxon chimique/11, proche du precedent, et defini par I'absence de I'h~teroside n ° 29 et la presence de I'heteroside n ° 26 (aglycone non identifi6 mais different de la rhamnocitrine): subsp, vu/nerarioides (2 populations n ° 31 et 32). B Absence d' heterosides de la rhamnocitrine: (iv) Taxon chimique /V. subsp, vu/garis vat. rubif/ora pro parte (3 populations n ° 19, 20 et 24); et subsp, vu/garis var. maritima pro parte (1 population n ° 16).
LASYSTI~MATIQUIN EFRASP~:CIFIQUDE E L'ANTHYLLIS
VULNERARIA
(LEGUMINOSAE)
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C29
ClD5 TaxonI~ C22
~ a x o n L
2
~ ~Toxon 3 C3 0 C32
• Populol"ions CmCaract'~res ~C2
~
~
FIG.2. DIAGRAMME D'AFFINITI~S BIOCHIMIQUEE SNTRE LESPOPULATIOND'ANTHYLLIS S Le dernier de ces taxa chimiques (n ° IV) regroupe donc les populations depourvues de rhamnocitrine et qui appartiennent ~ deux varietes de la sous-esp~ce vulgaris, les var. rubriflora (3 populations) et var. maritima (1 population). Sur la Fig. 2, les premieres occupent la partie W du nuage de points alors que la derni~re se trouve rejetee assez loin sur la partie E; les populations de chacun de ces deux taxa, reunies dans ce meme ensemble sous un caractore d'importance primordiale, conservent donc une certaine individualite chimique, cons¢cutive ~ la possession de caract~res propres, ainsi que cela avait ete souligne precedement [1]. Le taxon chimique III est quant ~ lui constitue de seulement deux populations, au chimisme tres homog(}ne dans son ensemble et qui sont toutes deux representatives de la sous-esp¢ce vulnerarioides. Graphiquement, ce nuage se situe ~ proximite de celui du taxon II. En ce qui concerne ce dernier, ainsi que le taxon I, il est apparu difficile d'exploiter plus avant les resultats issus du premier traitement math6matique; les donnees chimiques propres aux populations constitutives de ces deux entit6s ont donc et¢ trait6es de nouveau et separemment par I'analyse factorielle des correspondances.
C26 VULNERARIA
ANALYSEES.
De la sorte, les r6sultats obtenus avec les populations ant6rieurement reunies dans le taxon chimique I peuvent se voir representer par la Fig. 3, qui, dans un espace graphique plan (correspondant ~ F1 x F3), est celle qui restitue I'image la plus claire de la r~partition des populations et caract¢res discriminatoires telle qu'elle se pr6sente dans un espace tridimensionnel (correspondant ~ un recouvrement de la variance un peu sup¢rieur ~ 70%). . Sur la partie positive de I'axe fa.ctoriel 1, les cinq populations de la sous-espece vulgaris vat. rubriflora se trouvent rassembl¢es principalement autour de I'hCt6roside n ° 2 (aglycone querc6tine), toutes les autres, dCfinies par le caract~re n ° 15 (het6roside de rhamnocitrine), occupant la portion negative de ce m¢me axe. Les coordonn6es de routes ces dernieres sur I'axe 3 (ainsi que 2), separent les trois populations de la sous-esp~ce borealis des quatre populations de la sous-esp~ce vulgaris var. maritima, les premieres etant discriminees par I'heteroside n ° 21 (aglycone non identifie mais different de la rhamnocitrine) et 31 (rhamnocitrine) darts une moindre mesure, les secondes reunies principalement autour des caract6res n ° 16 et 18 (rhamnocitrine). Ce qui avait et6 prec6demment defini comme le premier taxon chimique regroupe donc trois
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JEAN-FRANCOIS GONNET
CI8 a C l 6
Fs c,
IL
c Coract#.res
• Subsp. vulgoris var. rubrifloro x Subsp o
vulgons vor. moritimo
Subsp borea#s
FIG. 3. LES CERCLES D'AFFINITES BIOCHIMIQUES ENTRE LES POPULATIONS CONSTITUTIVES DU TAXON CHIMIQUE I (voir Fig. 2).
entites, bien ser assez proches les unes des autres, chacune d'elles, chimiquement homogene, correspondant & un taxon decrit sur la base des criteres morphologiques. Enfin, pour ce qui est du taxon chimique II, les subdivisions issues de la seconde analyse factorielle apparaissent un peu moins nettement que pour le taxon precedent. Les coordonnees des populations sur les trois premiers axes factoriels, correspondant ~ un recouvrement de la variance de I'ordre de 73%, sont rassemblees dans le Tableau 1. A la lecture de ces valeurs, la population n ° 30 (sous-espece hispida) apparaft occuper une position tres I'ecart de toutes les autres et peut de ce fait former une entite ~ elle seule. Quant aux populations n ° 33 et 34 (sous-espece forondae), bien que graphiquement assez eloign~es I'une de I'autre, elles peuvent ~tre r~unies dans un meme ensemble qui, dans un espace tridimensionnel, est Iocalis6 assez loin du precedent et des six autres populations; ces dernieres enfin, se voient reparties en deux groupes, assez proches, le premier constitue des populations 9, 11 et 12 (sous-espece vulgaris var. po/yphy//a), le second des populations n ° 6 (sous-espece vulgaris vat. po/yphylla) et n ° 2 et 3 (sous-espece vu/gar/s var. vu/garis). Ces
TABLEAU 1. COORDONNEES DES POPULATIONS SUR LES TROIS PREMIERS AXES FACTORIELS DE L'ANALYSE DES CORRESPONDANCES Population n °
F1
F2
F3
2 3 6 9 11 12 30 33 34
- 0,32 - 0,25 0,24 0,54 1,18 1,42 - 0,96 - 1,72 - 0,59
0,55 0,36 0,12 -0,58 0,05 0,63 3,67 1,62 0,72
- 1,31 - 1,10 1,30 -0,17 0,65 0,50 2,89 1,07 - 0,08
r6sultats reconnaissent donc I'individualit6 chimique des sous-especes hispida et reuteri; en ce qui concerne les representants de deux varietes de la sous-espece vulgaris, I'analyse les s~pare donc en deux groupes, proches a-t-il ¢t6 soulign¢ et sans correlation avec leur appartenance syst6matique, puisque I'une des populations de la vari6t6po/yphy/la se trouve m61ang6e deux populations de la variete vulgaris. En fait, il semble que cet '6cart' doive plut6t ~tre interpr~t6 comme une expression de la grande similitude de ces deux taxa, sur laquelle il sera mis I'accent plus loin, sur la base de tousles autres criteres; en consequence, il paraft pr6f~rable de r6unir d'ores et d~j~, ces deux
LA SYSTEMATIQUE INFRASPECIFIQUEDE L'ANTHYLLIS VULNERARIA (LEGUMINOSAE)
groupes de populations en un seul et plus vaste ensemble d'affinites chimiques.
Apport de la chimie flavonique & la syst6matique de I'Anthyllis vulneraria A I'inverse de sa grande homogeneite morphoIogique, le premier et plus important cercle d'affinites precedemment defini et regroupant les populations de la sous-esp~ce vulgar/s, se revele donc heterog~ne dans sa definition polyphenolique puisque I'analyse des correspondances amene & y distinguer quatre groupes: (a) le premier, correspondant aux populations des varietes vulgaris et polyphylla de la sous-espece vulgar/s, individualise essentiellement sur la base de I'heteroside n ° 29. (b) le deuxi~me, constitue de populations de la sous-espece vulgaris var. maritima, discriminees en premier lieu par I'heteroside n ° 22, mais egalement par le caract~re n ° 15 qu'elles possedent en propre au sein de la sous-esp~ce vulgar/s. (c) le troisi~me, partageant avec le precedent la presence du caractere n ° 22, mais s'en differenciant par I'absence du caract~re n ° 15 et la presence du caractere n ° 2, et reunissant des populations de la sous-espece vulgar/s va r. rubriflora. (d) le quatri~me enfin, constitue de representants des varietes marit/rna et rubriflora de la sous-esp~ce vulgaris et dont I'originalite chimique, qui reside, il faut le rappeler, dans I'absence de glycosides de rhamnocitrine, a conduit ~ laisser ces populations constituer un seul ensemble, malgre une certaine individualite montree par chacun des taxa. Bien entendu, ces resultats ne sauraient permettre en aucun cas d'elever ces groupes au rang de taxon autonome, le but etant ici, non de classer, mais plut(~t de determiner, ~ la lumi~re des conclusions des etudes biochimique et morphologique, des niveaux de ressemblance mieux fondes entre les d/verses populations etudiees. Dans cette optique, il est alors possible de reconnaftre, ~ I'interieur du grand cercle d'affinites morphologiques que constitue la sous-esp~ce vulgar/s, quatre niveaux de ressemblance: Niveau I 'vulgar/s-po/yphyl/a': il apparaTt que les populations constitutives de ces entites systematiques ne different entre elles que par des caracteres tres tenus: morphologiquement parlant, il faut en effet faire appel au port des poils ~ la base des tiges (et des petioles des feuilles radicales) pour parvenir ~ les distinguer; d'un point de vue biochimique, les differences
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ne concernent, en fin de compte, aucun des heterosides que le calcul ait montr6 etre reellement discriminatoires. Niveaux II "mar/alma l" et III "rubriflora 1": du point de vue de la chimie flavonique, les caracteres propres ~ chacune de ces unites, tout de m~me assez proches (possession commune du caract~re n ° 22), ont 6t6 precises anterieurement (heterosides n ° 15 et 2 notamment); quant aux criteres taxonomiques classiques, la morphologie des feuilles radicales et caulinaires est propre ~ chaque unite, I'ensemble des autres caract~res restant assez homogene. Niveaux IV "mar/tima 2" et "rubrff/ora 2": seuls les caract~res biochimiques permettent & ce stade, de justifier de I'existence de cette entite taxonomique, puisque les populations qui la constituent sont morphologiquement indiscernables des autres populations des sous-especes vulgaris var. maritima et var. rubriflora des niveaux II et III. Dans le contexte tel qu'il vient d'etre defini, I'agencement des autres subdivisions infraspecifiques peut etre envisage de la mani~re suivante: C'est ~ proximite du niveau "maritima 1" qu I'on dolt placer les populations de la sousespece boreal/s: ces dernieres poss~dent en effet, outre I'heteroside n ° 22, I'heteroside n ° 15, sur las base duquel a precisemment 6te defini le niveau "maritima'. Outre leur habitat identique de falaise c(~ti~re, ces deux taxa presentent une morphologie similaire des feuilles radicales, caracterisee par la reduction, voire I'absence, de folioles laterales. D'autres caract~res les differencient cependant sans ambiguite: morphologiques d'abord, avec la forme des feuilles, hauteur de la tige (port rampant et folioles falciformes caracteristiques de la sous-esp~ce boreal/s et port exuberant du var marit/ma) . . . . biochimiques ensuite: heteroside n ° 21 rencontre seulement ici chez la sous-espece borealis et composes n ° 18 et 16 chez la sous-esp~ce vulgaris var. maritima. En ce qui concerne la sous-espece boreal/s, on remarquera la quasi identite chimique des populations bretonnes (n ° 37 et 38) et islandaises (n ° 36), ce qui. confirme, ~ I'image des resultats de la Taxonomie Numerique, le bien-fond6 de I'insertion des populations bretonnes dans ce taxon originaire d'lslande et qui avait et6 operee sur la base des criteres morphologiques. Les populations des sous-esp~ces forondae et h/spida quant ~ elles, ~ I'issue du traitement mathematique global (Fig. 1) auraient
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dO ~tre rapprochees du niveau I "vu/garls: ce qui est 6videmment en desaccord profond avec les conclusions de I'etude morphologique, la distinction de ces deux taxa entre eux et par rapport ~ la sous-espece vu/garis 6tant evidente aux yeux du Systematicien. L'analyse factorielle partielle a pu montrer qu'ils sont eloignes egalement sur le plan chimique, leur position centrale (sur I'axe F 1) ~ proximite du groupe "vu/garis" dans le diagramme du premier traitement trouvant son explication, au moins en partie, dans la presence de certains h6terosides du taxon chimique 1 (compos6 n ° 15 en particulier). D'autre part, il faut souligner que cette conclusion relative la sous-espece hispida dolt ~tre accueillie avec une certaine prudence, dans la mesure oQ I'analyse chimique n'a pu ~tre pratiquee que sur une seule population. Pour ce qui est de la sous-espece vu/nerarioides, I'absence dans sa diagnose chimique de I'h6t6roside n° 29 conduit, malgr6 sa proximite graphique ~ I'ecarter du niveau "vulgarispolyphy/la" dont elle differe egalemement par les heterosides n ° 26,2 et 32. Les resultats de I'analyse flavonique confirment donc ceux de I'etude morphologique. Reste enfin la question des populations depourvues de rhamnocitrine et qui, morphoIogiquement, appartiennent sans ambiguite aucune aux varietes rubrif/ora et mar/tima de la sous-espece vu/garis. Ce probl¢me n'est d'ailleurs pas propre ~ ces deux taxa, puisque I'analyse preliminaire des aglycones, qui avait porte sur un nombre de populations plus 61eve, avait montr6 I'existence de populations sans thamnocitrine 6galement chez les sousespeces vu/garis var. po/yphyl/a (1 R C - / 7 RC+), ainsi que forondae (1 R C - / 2 RC+) [1, 13], phenomene qui peut constituer, au moins ~ premiere vue, une sorte d'exception par rapport au 'chimisme-type' du taxon. Les donnees acquises par Couderc sur le mode evolutif de I'Anthy//is vu/neraria permettent de voir en ces exceptions, I'expression d'un ph6nomene de mutation ayant affect6 ~ une 6poque ant~rieure des populations maintenant pourvues, ou d6pourvues, de rhamnocitrine. II est possible de preciser le sens de cette mutation I'aide des donnees phylogen6tiques relatives aux flavonoides. Depuis Bate-Smith [14], il est maintenant admis d'une maniere g6nerale que "l'6volution flavonique va dans le sens de la disparition des hydroxyles libres [15], disparition qui peut ~tre effective par diminution du nombre de substituants du squelette flavonique, ou
JEAN FRANCOIS GONNET
exprirnee par la methylation de ceux-ci". En consequence, la rhamnocitrine etant le derive methyle en 7 du kaempferol, on dolt consid~rer les populations pourvues de cet aglycone comme representatives d'un niveau 6volutif superieur, que n'ont pas encore atteint les populations sans rhamnocitrine. Des Iors, pour les sous-especes forondae, vu/garis var. polyphylla et vu/garis var. maritima, les populations sans rhamnocitrine n'ont plus ~ #tre consid6rees comme des exceptions mais, dans la mesure oO leur appartenance b I'entite infraspecifique correspondante est morphologiquement indiscutable, comme I'expression biochimique la plus proche de la souche. A lumiere de cette derniere conclusion, les hypotheses relatives aux populations de la sousespece vu/garis var. rubriflora doivent ~tre revues. La definition et I'homogen6ite morphoIogiques de cette derniere sont absolument indiscutables; par contre une het6rog6neite totale sur le plan biochimique a ete soulignee par I'analyse des correspondances. Cette het6rogeneite peut maintenant prendre sa v@itable signification: elle ne dolt plus 6tre interpretee dans une optique purement taxonomique et aboutir ~ la reconnaissance de deux entites, "rubriflora 1'et "rubriflora2", mais plut6t dans un sens phylogenique. Sous cet eclairage, I'unit6 systematique des populations de la sous-esp~ce vu/garis var. rubriflora est retrouvee et I'on distinguera au sein de cette varlet6 seulement deux niveaux d'evolution biochimique, parallelement ~ ceux qui ont 6t6 signales pour les entites vulgaris var. po/yphy//a, var. maritima et forondae.
Conclusion II ressort de la confrontation des r6sultats chimiques et morphologiques, la possibilit6 de reconnaftre, au sein du complexe infrasp6cifique de I'Anthy//is vu/neraria, sept cercles de ressemblance correspondant aux populations rattach6es par les criteres classiques aux sousespeces: hispida; forondae, vu/nerarioides, vu/garis var. vu/garis et var. po/yphy/la; vu/gar/s var. rubriflora; vu/garis var. maritima; et borea/is. En ce qui concerne le degre d'eloignement entre ces unit~s, il semble bien difficile de 1'6valuer dans la mesure oQ il n'est pas possible de superposer, d'une maniere exacte, les resultats des differentes m~thodes d'etude. Ainsi, la variation flavonique enregistr6e au niveau du contenu flavonique des populations analys~es confirme-t-elle pleinement le bien-fonde
LA SYSTEMATIQUE INFRASPECIFIQUE DE L'ANTHYLLIS VULNERARIA (LEGUMINOSAE)
du choix de I'Anthy/lis vulneraria pour cette etude chimiosystematique ~fl1'echelle infraspecifique. Ce choix n'a pas et~ fait au hasard, mais a ~t~ subordonn6 la connaissance de son mode de reproduction, autogame, et, & travers ce dernier, ~ la possibilit~ de comprendre les variations, quelquefois importantes observees tant du point de vue morphologique que biochimique. Les resultats obtenus montrent que la biochimie flavonique, s'appuyant sur des techniques d'une finesse appropriee, est ~ meme de rendre au niveau infraspecifique, les services qui lui sont unanimement reconnus au niveau des taxa superieurs. R e m e r c i e m e n t s - L e s echantillons analyses ete fournis par Monsieur H. Couderc (Laboratoire de Taxonomie Vegetale de I'Universite Paris XI, France) ~ partir de ses populations experimentales. Les analyses factorielles ont ete effectuees au Laboratoire de Biometrie de I'Universite Claude Bernard ~ Lyon (France) par Monsieur J. D.
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Lebreton; que tous deux soient ici remercies de leur collaboration.
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