Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique 105 (2019) S16–S18
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Mémoire original
Le contact postéro-supérieur dans l’épaule est-il physiologique ?夽 Is posterosuperior contact a normal occurrence in the shoulder? Philippe Clavert a,∗,b , Alexandre Hardy c , Simon Bertiaux d , Nicolas Holzer e , Matthieu Sanchez f , Christophe Levigne g , Jérôme Garret g , Mikaël Cheli h , Lisa Peduzzi i , Jean Grimberg j , Yves Lefebvre k , et la Société francophone d’arthroscopiel a
Service de chirurgie du membre supérieur, Hautepierre 2, CHRU de Strasbourg, avenue Molière, 67200 Strasbourg cedex, France Faculté de médecine, fédération de médecine translationnelle (FMTS), institut d’anatomie, 4, rue Kirschleger, 67085 Strasbourg cedex, France CHU d’Ambroise-Paré, 92100 Boulogne-Billancourt, France d Hôpital privé de l’Estuaire, 505, rue Irène Joliot-Curie, 76620 Le Havre, France e Hôpitaux universitaires de Genève, 4, rue Gabrielle Perret-Gentil, 1211 Genève 4, Suisse f Clinique Jouvenet, 6, square Jouvenet, 75016 Paris, France g Clinique du parc Lyon, 155, boulevard Stalingrad, 69006 Lyon, France h Institut universitaire locomoteur et du sport, CHU de Nice, 30, voie Romaine, 06000 Nice, France i Centre chirurgical Émile-Gallé, CHU de Nancy, 49, rue Hermite, 54000 Nancy, France j Clinique Jouvenet-Ramsay GDS, 6, square Jouvenet, 75016 Paris, France k Rhéna clinique de Strasbourg, 16, allée de la Robertsau, 67000 Strasbourg, France l 15, rue Ampère, 92500 Rueil-Malmaison, France b c
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 4 juillet 2019 Accepté le 2 septembre 2019 Mots clés : Épaule Coiffe des rotateurs Conflit postéro-supérieur Physiologie
r é s u m é Introduction. – Le conflit postéro-supérieur de l’épaule correspond par définition à un contact de la face profonde de la jonction des tendons des muscles supra-épineux et infra-épineux avec le labrum postérosupérieur, en position d’abduction et de rotation latérale maximales. Il en résulte le plus souvent une lésion significative ou non de ce tendon et un délabrement labral postéro-supérieur en miroir. Hypothèse. – L’objectif primaire était de définir si ce contact était observé de fac¸on systématique chez les patients ne présentant pas de lésion de la coiffe des rotateurs. Méthodologie. – Cent épaules chez 100 patients ont été inclues dans cette étude. Tous les patients ont été opérés en position semi-assise. Après introduction de l’arthroscope par voie postérieure, la présence ou non d’un contact entre la face articulaire de la coiffe et le labrum postéro-supérieur était notée lors de la réalisation d’un mouvement d’armé du bras à 90◦ d’abduction et 90◦ de rotation latérale (armé 90/90) puis d’un mouvement d’armé du bras à 140◦ d’abduction et une rotation latérale maximale (armé 140/Max). Résultats. – Un contact a été observé dans 69 % des cas pour l’armé 90/90, et dans 94 % des cas en position d’armé 140/Max. Nous avons retrouvé une corrélation entre l’existence de lésions de la coiffe et/ou du labrum et la réalisation d’un mouvement d’armé du bras régulier chez le patient concerné (p = 0,035). Discussion. – Le contact entre la face profonde du tendon du muscle supra-épineux et le labrum postérosupérieur est physiologique. Le fait de répéter un mouvement d’armé du bras peut être responsable de lésions macroscopiques de la face profonde de la coiffe et du labrum postéro-supérieur. Niveau de preuve. – IV, étude fondamentale. ´ ´ es. © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv
DOI de l’article original : https://doi.org/10.1016/j.otsr.2019.09.005. 夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Orthopaedics & Traumatology: Surgery & Research, en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P. Clavert). https://doi.org/10.1016/j.rcot.2019.09.006 ´ ´ 1877-0517/© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv es.
P. Clavert et al. / Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique 105 (2019) S16–S18
1. Introduction La possibilité d’un contact physiologique entre la face profonde du tendon du muscle supra-épineux et le labrum et/ou le rebord glénoïdien postéro-supérieur, lors d’un mouvement d’armé du bras (abduction et rotation externe ou position ABER), est décrite depuis de nombreuses années [1–5]. Plusieurs hypothèses physiopathologiques ont été avancées pour expliquer ce contact sachant que la mobilité intrinsèque de l’articulation scapulo-humérale est limitée par ces deux structures [3–5] : • une instabilité ou micro-instabilité antérieure [6–8] induit une rotation latérale excessive lors de la réalisation d’un mouvement d’abduction et rotation latérale et donc un contact entre face profonde de coiffe et labrum postéro-supérieur ; • une translation postérieure du centre de rotation de l’épaule en rapport avec une rétraction des structures capsulaires postérieures, translation à l’origine d’un contact plus précoce entre labrum postéro-supérieur et face profonde de coiffe en position ABER [9–11] ; • enfin une diminution de la rétrotorsion humérale favorise également un contact précoce labrum-face profonde de coiffe [2]. Lorsque ce contact devient symptomatique, on parle alors de conflit postéro-supérieur [12,13] ou « internal impingement » dans la littérature anglo-saxonne [1]. Cette pathologie est essentiellement rencontrée chez les sportifs de lancer ou les sportifs répétant une rotation externe maximale en position d’abduction du bras [14]. Ce conflit est également décrit chez certains travailleurs manuels ; il est alors observé dans une tranche d’âge plus élevée [14,15]. L’hypothèse de travail de cette étude était que le contact entre la face profonde du tendon du muscle supra-épineux et le labrum postéro-supérieur est physiologique. L’objectif primaire était de définir si ce contact était observé de fac¸on systématique chez un patient ne présentant pas de lésion de la coiffe des rotateurs. L’objectif secondaire était de juger si le mouvement d’armé répété pouvait avoir une influence sur ce contact et sur d’éventuelles lésions observées. 2. Matériel et méthodes Il s’agit d’une étude mono-centrique, mono-opérateur, non interventionnelle. Cent épaules chez 100 patients ont été inclues dans cette étude. Les critères d’inclusion étaient : patient opéré sous arthroscopie d’une instabilité antérieure, d’une tendinopathie non rompue de la coiffe des rotateurs ou d’une pathologie extra-articulaire. Les critères d’exclusion étaient : l’existence d’un conflit postéro-supérieur connu, une hyperlaxité, une instabilité postérieure ou multidirectionnelle, une lésion de coiffe ou une raideur scapulo-humérale. Du dossier médical était collectés : l’âge, le sexe, le Sport, et l’activité professionnelle en prenant attention de demander si ces activités étaient pratiquées avec armé du bras répété ou non. Tous les patients ont été opérés en position semi-assise (Beach-chair position), sous anesthésie loco-régionale et anesthésie générale, sans curarisation. L’arthroscope a été introduit dans l’interligne articulaire gléno-humérale, par voie optique postérieure standard. L’examen a été réalisé sans eau dans un premier temps, puis répété avec du sérum physiologique sans adrénaline. L’arthropompe a été réglée à 30 mmHG. Successivement ont été réalisé : • un mouvement d’armé du bras à 90◦ d’abduction et 90◦ de rotation latérale (armé 90/90) ;
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• un mouvement d’armé du bras à 140◦ d’abduction et une rotation latérale maximale (armé 140/Max). Nous avons étudié les rapports entre le labrum et la face profonde de la coiffe postérieure et supérieure (tendons du supraépineux et/ou de l’infra-épineux), l’existence de lésions tendineuses (rupture partielle profonde), l’existence de lésions labrales postéro-supérieures (dégénérescence/désinsertion), d’éventuelles lésions chondrales de la tête humérale. La série comprenait 67 % de patients masculins, âgés de 41 ans en moyenne (18 à 64). Dans 71 % des cas il s’agissait du côté dominant. Dix-sept pour cent des patients effectuaient un mouvement d’armé du bras régulier, dans le cadre de leur activité sportive (en compétition ou de loisir) : 5 attaquants au handball, 6 joueurs de tennis, 3 lanceurs de javelot et 3 joueurs de waterpolo. 3. Résultats Les constatations faites étaient identiques, que l’examen soit réalisé avec ou sans liquide d’irrigation. Un contact postéro-supérieur a été constaté dans 69 % des cas pour l’armé 90/90, et dans 94 % des cas en position d’armé 140/Max. Nous n’avons pas retrouvé de corrélation avec l’âge, le sexe, le côté dominant et l’existence d’une instabilité antérieure sur la constatation ou non d’un contact. Les lésions tendineuses constatées étaient une rupture partielle profonde isolée (inférieure à 50 % de l’épaisseur du tendon) dans 7 % des cas, une lésion labrale isolée dans 9 % des cas, et des lésions en miroir dans 17 % (lésions tendineuses non significatives). À nouveau, nous n’avons pas trouvé de corrélation entre ces lésions et l’âge, le sexe, le côté dominant et l’existence d’une instabilité antérieure. Par contre, nous avons retrouvé une corrélation avec la réalisation d’un mouvement d’armé du bras régulier (p = 0,035). 4. Discussion Cette étude démontre donc que le contact entre la face profonde du tendon du muscle supra-épineux et le labrum postéro-supérieur est physiologique (94 % des cas en position d’armé 140/Max). Nous avons également montré que le fait de répéter un mouvement d’armé du bras pouvait être responsable de lésions macroscopiques de la face profonde de la coiffe par véritable conflit, même si ce dernier n’est pas responsable d’une expression clinique spécifique (douleurs essentiellement). À la différence de certaines études [16], nous ne pouvons pas confirmer que l’existence de lésions d’instabilité favorise ce conflit postéro-supérieur. Des études cadavériques ont également montré que la face profonde du tendon du muscle supra-épineux peut être comprimé entre la tête humérale et le bord postérieur de la cavité glénoïdale lorsque le bras est placé en abduction à 90◦ et en rotation externe maximale [3]. Bien que physiologique, et asymptomatique, il semble qu’avec des lancers répétitifs ou des mouvements d’armé répétés, ce contact peut devenir symptomatique et devenir pathologique [17]. Limites de l’étude : il s’agit d’une étude observationnelle pure, effectuée sur des patients sous anesthésie générale, donc relâchés, même s’ils n’étaient pas curarisés. Il n’est pas possible de savoir si le tonus musculaire peut retarder ce contact ou au contraire l’aggraver. De même, il n’est pas possible d’évaluer les conséquences de la distension articulaire par l’ajout de liquide d’irrigation à 30 mmHG. L’autre limite de ce travail concerne la puissance statistique. La série ne comprend que 100 patients, dont la distribution n’est probablement pas celle de la population générale. Enfin, nous n’avons pas réalisé de mesure de torsion de l’humérus dans cette étude. Nous ne pouvons pas conclure sur l’incidence
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éventuelle d’un trouble de la rétrotorsion humérale comme éthiopathogénie du conflit postéro-supérieur. 5. Conclusion Le contact entre la face profonde de la coiffe des rotateurs et le labrum postéro-supérieur est donc physiologique lorsque la position d’armé du bras ou ABER est atteinte. La répétition de cette position peut entraîner l’apparition de lésions de la face profonde de la coiffe. L’instabilité ne semble pas être un facteur favorisant le contact de ces deux structures et ne semble pas non plus favoriser les lésions de la face profonde de la coiffe des rotateurs. Déclaration de liens d’intérêts P. Clavert : consultant et développement pour Wright/Tornier et rédacteur associé de l’OTSR ; C. Levigne : consultant et royalties pour Wright/Tornier ; J. Garret : Royalties Move UP Ortho, Wright, FH Orthopedics et consultant Arthrex, Zimmer et Pfizer ; J. Grimberg : consultant pour Smith & Nephew, Royalties pour Biomet-Zimmer . Les autres auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Financement Aucune. Contribution Tous les auteurs ont contribué à la réalisation de l’étude ou à l’exploitation des résultats. Références [1] Jobe C, Sidles J. Evidence for a superior glenoid impigement upon the rotator cuff (Abstract). J Shoulder Elbow Surg 1993;2:S19.
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