Le dialogue entre chercheurs et praticiens en gestion locale ; la capitalisation conjointe des savoirs théoriques et des savoir-faire au service des collectivités locales

Le dialogue entre chercheurs et praticiens en gestion locale ; la capitalisation conjointe des savoirs théoriques et des savoir-faire au service des collectivités locales

Géographie, E´conomie, Société 4 (2002) 337–345 Vies et expériences professionnelles Le dialogue entre chercheurs et praticiens en gestion locale ; ...

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Géographie, E´conomie, Société 4 (2002) 337–345

Vies et expériences professionnelles

Le dialogue entre chercheurs et praticiens en gestion locale ; la capitalisation conjointe des savoirs théoriques et des savoir-faire au service des collectivités locales Improvements in the public provision of local government services by a useful dialogue between researchers and practitioners; the joint capitalization of theoretical knowledge Jean Bouinot * Université Panthéon-Sorbonne, 191, rue Saint-Jacques, 75005 Paris, France

Résumé L’amélioration de la qualité et de l’efficacité de l’offre de services publics produits en régie —c’est-à-dire par les fonctionnaires des collectivités locales eux-mêmes—, repose sur un dialogue entre ces derniers et le monde de la recherche capitalisant conjointement savoirs théoriques et savoirs-faire. Un dialogue fructueux implique la reconnaissance des particularités des services publics et devrait porter en priorité sur les thèmes suivants : Comment formuler un projet de territoire ? Comment concevoir une ingénierie financière adaptée à l’aménagement urbain ? Comment fonder une démarche marketing propre à la promotion d’un territoire ? Comment identifier les facteurs de succès ou d’échec d’un territoire ? © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Improvements in the quality and delivery of those public services produced “en régie”, i.e. by local bureaucrats themselves, depends crucially on the establishment of a functioning dialogue

* Auteur correspondant.. Adresse e-mail : [email protected] (J. Bouinot). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 1 2 9 5 - 9 2 6 X ( 0 2 ) 0 0 0 2 5 - 4

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between this latter group and the wider scientific community. Only in this way will it be possible to capitalise equally on theoretical knowledge and local experience and skills. A fruitful dialogue builds upon the recognition of a particular local setting as far as public services are concerned and should accord priority to the following themes and questions: How to conceive and design a planning project; how to create the financial tools necessary for urban planning projects; how to design marketing strategies to promote a particular area; how to identify those factor contributing to the success or failure of particular regions. © 2002 E´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Fourniture de services publics locaux; Ingénierie financière; Management d’un développement local; Marketing d’un territoire; Projet de territoire; Savoirs théoriques; Savoirs-faire. Keywords: Financial engineering; Knowledge; Management of local development; Public provision of local government services; Regional and urban marketing; Skills; Strategic plan.

1. Introduction : la fertilisation croisée En gestion en général et en gestion financière plus particulièrement on sait bien que les progrès ne sauraient venir de l’expérimentation en laboratoire conduite en respectant la règle « toutes choses égales par ailleurs ». Les avancées portent tout autant sur le développement des compétences des hommes requises par l’action que sur les instruments d’action eux-mêmes dont l’efficacité dépend de leurs utilisateurs et du contexte dans lequel ils en font usage, La priorité doit ainsi être accordée à la fertilisation croisée des savoirs théoriques et des savoir-faire par le jeu d’une relation circulaire : l’observation scientifique de l’action est de nature à améliorer cette dernière laquelle ainsi modifiée va à son tour susciter la construction de nouvelles connaissances et ainsi de suite. Dès lors s’impose un dialogue entre chercheurs et praticiens de l’administration locale. Au-delà des enjeux les plus évidents on soulignera également la nécessité de promouvoir le pouvoir d’expertise des agents de la fonction publique territoriale pour les mettre en mesure de rivaliser sur un pied d’égalité avec le personnel dirigeant des grands groupes privés qui cherchent naturellement à accroître leur portefeuille de délégations de services publics locaux et peuvent y parvenir d’autant plus facilement qu’ils ont l’opportunité de constituer des pools de capital humain à l’échelle nationale voire internationale. En d’autres termes disons que l’objectif revient à instituer une concurrence loyale entre acteurs de la gestion directe et acteurs de la gestion déléguée, ceci pour éviter que la décentralisation ne se dissolve dans l’économie de marché et ne s’affaiblisse sous l’impact de tendances lourdes à la recentralisation. Pour terminer ce propos introductif il n’est pas inutile de donner quelques précisions sur ce que nous appellerons les invités au dialogue. Du côté des chercheurs, on pense en premier lieu aux spécialistes des sciences de gestion mais on se retournera tout autant vers les historiens pour aider à cultiver la mémoire de la ville, vers les sociologues pour décrypter les cultures locales, etc. En pratique il n’est guère de science humaine qui ne soit conviée à apporter sa contribution.

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Du côté des praticiens la variété des interlocuteurs n’est pas moins grande. Au premier chef on citera évidemment les élus et les fonctionnaires locaux. On n’oubliera pas pour autant les administrations centrales, notamment la direction générale des collectivités locales et la direction générale de la comptabilité publique, détentrices de sources d’informations statistiques indispensables à des recherches quantitatives. Et on n’omettra pas d’inviter au dialogue ceux qui sont en position de « passeurs » d’idées nouvelles issues tant de la recherche que du terrain, les formateurs d’une part, les consultants d’autre part. Comment aboutir à un dialogue fructueux entre autant de partenaires ? En partageant une vision commune du service public local, c’est-à-dire un ensemble de convictions qui sont autant de conditions à respecter pour atteindre cet objectif. La première partie de nos propositions animées par ce souci sera précisément consacrée à leur exposé, la deuxième développant des directions ou thèmes de dialogue à privilégier dans le futur pour consolider le service public local face aux dangers ou dérives évoqués précédemment.

2. Les conditions requises pour un dialogue fécond Quatre conditions interdépendantes, constituant autant de préalables au dialogue, nous semblent devoir être satisfaites pour partager une approche identique du service public local à savoir : • reconnaître la relativité des outils de gestion aux cultures nationales et locales, • respecter la spécificité du service public, • surmonter le complexe d’infériorité de la gestion publique à l’égard de la gestion privée, • raisonner enfin l’ouverture à la concurrence. Précisons à présent leur contenu respectif. 2.1. Première condition : reconnaître la relativité des outils de gestion aux cultures nationales et locales Ce qui est efficace Outre-atlantique ne l’est pas nécessairement en France et il faut éviter, comme l’ont trop souvent fait nos écoles de gestion, de se laisser magnétiser par les « théories » et les techniques du management américain. L’indispensable adéquation des instruments de gestion à leur environnement culturel a fait l’objet d’une brillante démonstration par P. d’Iribarne dans son ouvrage publié en 1989 sous le titre La logique de l’honneur. L’auteur, polytechnicien, a consacré plusieurs années à l’étude sur le terrain du fonctionnement de trois usines, respectivement américaine, hollandaise et française, réalisant « les mêmes productions avec des équipements quasi identiques » (p.15). Sa conclusion est résumée dans la formule suivante « Les rivages du Pacifique sont riches de recettes séduisantes. Mais que faire quand leur application scrupuleuse ne suscite, chez nos ouvriers et nos cadres, qu’ironie ou révolte ». En effet, en France perdure et domine la logique de l’honneur héritée de la chevalerie du Moyen Age. Conséquence ou plutôt exemple de conséquence précis : les tableaux de bord à l’américaine portant jugement sur les performances des hommes

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attentent à cette logique de l’honneur ; le sens du devoir est suffisamment ancré pour qu’il ne soit point besoin de le mettre en doute par des mesures visant à s’assurer que le travail a été correctement accompli. Les micro-cultures ou cultures locales ne peuvent non plus être ignorées pour conduire avec succès le développement économique d’un territoire. 2.2. Deuxième condition : respecter voire promouvoir la spécificité de la gestion des services publics locaux Cette spécificité résulte de quatre particularités par rapport à la gestion privée que l’on rappellera brièvement comme suit : • En premier lieu, la gestion d’un service public local, comme d’ailleurs de tout service public, doit satisfaire simultanément un critère d’efficacité et un critère d’équité. Il est évident que la gestion privée n’est pas soumise à la deuxième contrainte citée, ce qui lui laisse des marges de manœuvre supérieures. • En second lieu, l’horizon de la gestion publique locale est, ou devrait être, singulièrement plus élevé que celui de la sphère marchande de l’économie ; ainsi une opération majeure d’urbanisme comme celle de Lyon-Confluence — soit le redéploiement du site de la presqu’île entre Saône et Rhône — se conçoit et se planifie sur un horizon de trente ans. Des durées aussi élevées ne se retrouvent point en gestion privée. • En troisième lieu, la gestion publique territoriale a pour objet l’aménagement et le management de l’espace ; c’est un objectif central de son action alors que pour les entreprises l’espace représente simplement un facteur de production au sens de sol support de ses activités. • En quatrième et dernier lieu, la gestion d’une collectivité locale, et plus particulièrement celle d’une ville, se caractérise par l’exercice simultané d’une multitude de métiers, l’état civil, l’assainissement, la restauration scolaire, etc., qui pour leur grande majorité ne peuvent être éludés. A contrario les entreprises ont la possibilité de sélectionner leurs activités et s’adonnent depuis bientôt deux décennies à un recentrage sur leurs métiers de base regroupés autour de deux ou trois grands pôles. La conséquence de ces quatre particularités devrait se concrétiser par une « importation » extrêmement prudente des outils de gestion dits modernes et forgés initialement pour les besoins des entreprises privées. En bref, on ne saurait adopter les instruments du management privé (souvent de simples gadgets qui durent le temps d’une mode) par simple décalcomanie. Sauf exception, des adaptations profondes s’imposent pour prendre en compte notamment le critère de l’équité, lui-même approche modernisée de la notion d’égalité qui peut conduire à des discriminations dites « positives » (soit offrir plus aux citoyens défavorisés). 2.3. Troisième condition : surmonter un complexe d’infériorité à l’égard de la gestion privée tenue comme le modèle supérieur de performances A y regarder de plus près, les collectivités locales ont su par exemple se mettre à l’heure de l’informatique et d’Internet aussi bien que les entreprises. Et elles possèdent

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des savoir-faire en matière de budgétisation et de planification financières dans l’ensemble en avance sur les pratiques du privé. A cette occasion on regrettera la quasi absence de recherches en langue française sur l’efficacité comparée de la gestion directe et de la gestion déléguée d’un service public. Les anglo-saxons ont pour leur part multiplié depuis trente ans les analyses comparatives en la matière et avec le perfectionnement progressif des travaux prenant en compte, outre les différentiels de coûts, les différentiels de qualité et la promotion de l’équité les résultats sont devenus très mitigés : lorsqu’on dépasse les seules considérations de prix de revient, la supériorité de la gestion d’un service public par le privé devient de moins en moins évidente (Bouinot, Bermils, 1995 : 135–142). 2.4. Quatrième et dernière condition : maîtriser l’ouverture à la concurrence des collectivités locales Avec la disparition des frontières, dans le cadre de la construction européenne plus particulièrement, les guerres traditionnelles de clocher entre villes voisines ont pris et une nouvelle force et un visage différent. Ainsi la rivale de Toulouse est désormais tout autant Hambourg que Bordeaux autour d’un enjeu majeur en termes d’emploi à savoir l’assemblage final des nouveaux Airbus. Les compétitions territoriales prennent donc une importance croissante et la réponse passe par un renforcement de la compétitivité des territoires mais cette direction de solution ne trouve que de simples sources d’inspiration dans les pratiques du privé parce qu’elle est d’une complexité autrement plus élevée. Pour l’essentiel on notera qu’une ville doit se montrer attractive simultanément auprès de cibles variées et hétérogènes, les ménages résidants, les touristes, les entreprises déjà implantées sur le site de la ville et dont on souhaite prévenir l’éventuel départ, les entreprises extérieures que l’on souhaite attirer, les fournisseurs de capitaux auprès desquels on cherche à obtenir les meilleures conditions de prêts, etc. Et pour affirmer son attractivité une ville doit se montrer compétitive sur un spectre large de facteurs tels que la qualité des équipements scolaires et culturels, la compétence professionnelle de la main-d’œuvre locale, le volume des incitations financières en faveur des implantations nouvelles, etc. En d’autres termes, une ville se présente comme un « panier d’attributs » dont la valorisation est autrement sophistiquée que la promotion d’une savonnette ou d’une voiture.

3. Les thèmes de dialogue à privilégier dans le futur Les propositions que nous allons formuler sont sélectives ; elles portent la marque d’un point de vue personnel sujet à contestation. Disons que nous avons retenu comme parti, en cohérence avec les propos précédents, de mettre l’accent sur des instruments de gestion tournés prioritairement vers la promotion de la compétitivité, compétitivité face aux collectivités concurrentes, compétitivité face aux entreprises spécialisées dans la gestion déléguée des services publics.

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Quatre directions ou thèmes de dialogue seront évoqués dans cet esprit. Dans chaque cas, l’objectif du dialogue entre chercheurs et praticiens restera le même : construire un savoir dépassant la simple recette valable pour une collectivité et donc transposable aux autres. 3.1. Premier thème : la formulation d’un projet de territoire ou plan stratégique à long terme De quoi s’agit-il ? De la définition d’une ambition socio-économique sur le long terme présentant au moins deux caractéristiques fondamentales : être partagée par l’ensemble des acteurs du territoire, affirmer un futur voulu distinctif des collectivités rivales, ce qui implique en préalable une analyse concurrentielle fine. L’expérience pionnière en la matière revient à la ville de Barcelone (Barcelona 2000 : Economic and social strategic plan, 19 mars 1990, 63 pages). Depuis lors on a assisté à des tentatives dispersées en France. Toutefois on peut espérer dans un avenir proche un développement des plans stratégiques à long terme qualifiés de projets d’agglomération sous l’impulsion de la loi Voynet (article 26 de la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999) et surtout sous la poussée de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains) du 13 décembre 2001 qui impose l’exposé dans les documents de planification urbaine d’un projet d’aménagement et de développement durable. Espoir qui deviendra réalité utile si l’on élabore rapidement un socle conceptuel général accompagné de guides méthodologiques à partir des quelques expériences disponibles et si l’élaboration d’un projet de territoire déterminé fait aussi appel aux conseils du monde universitaire. La voie a été montrée, nous semble-t-il, par la ville de Turin dont le plan stratégique 2010 a été le fruit, comme maître d’œuvre, d’un conseil scientifique constitué d’un groupe d’universitaires présidé par le Professeur Roberto Camagni, spécialiste de réputation internationale de l’économie régionale et urbaine. 3.2. Deuxième thème : l’ingénierie financière de l’aménagement urbain L’état de l’art dans un domaine aussi fondamental est médiocre : les ouvrages sur le savoir-faire sont très rares ; les pratiques manquent de solidité à voir le nombre de ZAC « plombées » au cours de la décennie passée (le déficit total aurait été largement supérieur à 50 milliards pour la seule région Ile-de-France). Des progrès pourraient et devraient être accomplis grâce à un dialogue entre universitaires et praticiens portant sur les points suivants cités à titre d’exemples non exhaustifs : • d’abord normaliser la présentation comptable des bilans de ZAC, en particulier les nomenclatures, pour pouvoir disposer d’éléments statistiques de comparaison. Dans l’état actuel chaque aménageur structure ses bilans à sa façon, • ensuite formaliser l’équilibre financier d’une ZAC et adopter, en les adaptant, des outils issus de la théorie de la finance d’entreprise, principalement le calcul du taux de rendement interne à partir du concept de valeur actuelle nette et le calcul de l’effet de levier de la structure de financement sur le résultat final,

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• enfin modéliser l’incidence des risques de toute nature sur l’évolution de la situation financière : le praticien est en mesure de recenser les facteurs sources de dérapage financier ; sur la base de cet inventaire le chercheur sait bâtir des modèles de simulation à même d’éclairer la prise de risque des décideurs. 3.3. Troisième thème de dialogue : concevoir un marketing territorial sui generis On a déjà eu l’occasion de le souligner dans la première partie : la compétitivité d’un territoire est en quelque sorte à têtes multiples ; les cibles visées sont extrêmement diverses, de même que les facteurs d’attraction. Aussi bien le marketing territorial constitue une discipline spécifique dont les fondements restent à concevoir. Il conviendrait sans doute de commencer par une évaluation scientifique des pratiques passées et existantes pour ensuite analyser en profondeur les risques de dérive entraînés par des réalisations architecturales emblématiques. Ces dernières sont en effet de lourdes consommatrices de crédits pour un résultat incertain en ce qui concerne l’amélioration du capital image mais avec des conséquences sûrement négatives pour l’équipement des quartiers les plus défavorisés, dépourvus à due concurrence des moyens financiers nécessaires à leur mise à niveau. Il y aurait lieu ensuite de préciser la vocation intrinsèque du marketing d’un territoire à savoir définir son identité et l’affirmer dans un projet ou plan stratégique à long terme pour émerger de l’anonymat dans lequel la mondialisation risquerait de le plonger. On notera que si l’on veut véritablement déterminer l’identité d’un territoire, on ne peut se contenter des clichés et images d’Epinal. Des recherches d’historiens s’imposent pour en saisir les racines ; des analyses relevant d’une démarche ethnologique sont également nécessaires pour délimiter les contours de l’identité actuelle et sa prégnance. 3.4. Quatrième thème de dialogue : l’identification des facteurs de succès et d’échec d’un territoire Les territoires connaissent des trajectoires socio-économiques riches d’évènements, a priori imprévisibles, avec des retournements sur la longue période. Tel territoire bascule de la prospérité dans le déclin et vice versa. Ainsi les régions et les villes de l’Italie du Sud étaient les plus opulentes dans l’Antiquité ; à la fin du Moyen Age le mouvement s’inverse au profit des villes du Nord dont le devenir se diversifie à partir des années soixante : le Nord-Ouest est frappé par le déclin industriel tandis que le Nord-Est émerge comme une « Troisième Italie » grâce au dynamisme de ses districts industriels. Dans la période faisant suite à la deuxième guerre mondiale on pourrait également citer l’inversion de tendance entre la Wallonie et la Flandre ou encore entre la Ruhr et la Bavière. Sur le passé les renversements spatiaux trouvaient souvent une explication dans la précarité des ressources naturelles et plus généralement dans celle des facteurs matériels. Aujourd’hui, l’identification des facteurs de succès et d’échec devient de plus en plus délicate avec le rôle croissant de facteurs immatériels, qualifiés d’intangibles et rebelles à la quantification. Ainsi du degré de confiance que s’accordent mutuellement les acteurs clefs d’un territoire et qui semble bien constituer un facteur majeur du développement local.

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Les caractéristiques des régions qui « gagnent » ont déjà fait l’objet d’investigations significatives (Benko, Lipietz, 1992, 2000). On en retire l’idée que chaque succès ressemble à une construction de meccano, c’est-à-dire à une combinatoire singulière de facteurs généraux. Pour sa part, le père de la nouvelle économie géographique, Paul Krugman (1993), met l’accent sur le cercle inexorablement vertueux ou vicieux développé par le jeu de mécanismes cumulatifs, tels que les effets d’agglomération mais déclenché à l’origine par un évènement relevant du pur hasard. Sur les trajectoires des villes, le savoir constitué est en revanche notablement plus réduit et il y là un vaste champ de travail dont le défrichement passe par des échanges étroits entre acteurs et observateurs.

4. Conclusion : comment développer le dialogue ? Entre acquis, menaces et opportunités Au cours des vingt dernières années des progrès incontestables ont été accomplis en partie grâce à l’action du GRAL (groupement de recherches coordonnées sur l’administration locale fondé en 1978 sous l’égide du CNRS) et transformé ultérieurement en GRALE, le E final marquant l’ouverture à la recherche comparative dans l’espace européen. Ainsi le GRALE élabore chaque année un annuaire des collectivités locales dont la rédaction associe chercheurs et praticiens ; la première édition publiée en 1980 sous la direction de Jean Bouinot et Georges Dupuis (Bouinot et Dupuis, 1980) s’ouvre, le fait mérite d’être signalé, sur une préface du Prix Nobel d’économie Herbert Simon dont les travaux à sa sortie de l’université ont porté sur la préparation de la partie statistique du « municipal yearbook » américain ; peut être le premier exemple important de contribution d’un chercheur à la modernisation de l’administration municipale remontant à l’entre-deux guerres. Parmi les autres publications du GRAL qui illustrent la pratique réussie du dialogue entre chercheurs et praticiens, on citera l’ouvrage collectif (1995) consacré à l’analyse financière des collectivités locales sous la direction d’ A. Guengant. Au total, les chercheurs ont appris progressivement à éviter le jargon dénoncé par les praticiens et ces derniers hésitent de moins en moins à faire appel à leur concours. C’est ainsi que la communauté universitaire participe officiellement aux travaux de l’Observatoire des finances locales créé en 1995 et chargé de présenter tous les ans un rapport au Parlement et au Gouvernement sur la situation des finances locales. Au cours de la même période les chercheurs en gestion publique ont fini par recevoir leurs lettres de noblesse ; ils sont désormais reconnus comme des pairs par les spécialistes de la gestion privée pour lesquels seule celle-ci était initialement digne d’intérêt (voir l’exemple des rencontres Ville-management dont les premières se sont tenues en 1996 à Biarritz). Donc deux raisons d’espérer car ce sont a priori des acquis irréversibles mais aussi deux menaces à prendre sérieusement en considération : • désormais les DESS tendent à attirer les meilleurs étudiants au détriment des DEA, première année de doctorat, et donc première année de formation à la recherche. Le vivier des chercheurs est ainsi menacé d’appauvrissement,

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• deuxièmement, et c’est plus une contrainte qu’une menace, le lectorat francophone des revues et ouvrages spécialisés dans l’administration locale est trop étroit pour permettre aux éditeurs de multiplier les publications classiques. Marché d’autant plus étroit que nombre de travaux sont prisonniers du cadre juridique français ; il est vrai aussi qu’Internet ouvre des voies nouvelles de diffusion. Entre craintes et espoirs on peut imaginer un coup d’accélérateur sans précédent, l’établissement du 1 % Malraux en faveur de la recherche sur la gestion locale lato sensu. Plus précisément 1 % de la dotation globale de fonctionnement soit annuellement un gros milliard de crédits de recherche. On peut rêver raisonnablement : pareil investissement ne peut que connaître un taux de retour largement positif s’il éclaire par exemple la maîtrise des dépenses d’investissement dont les dérives, chaque exercice, dépassent largement la dizaine de milliards à voir les seules observations des chambres régionales des comptes. Références Benko, G., Lipietz, A., 1992. Les régions qui gagnent. PUF, Paris, 424 p. Benko, G., Lipietz, A., 2000. La richesse des régions. PUF, Paris, 564 p. Bouinot, J., Dupuis, G., 1980. Annuaire de l’administration locale – Edition 1980. Cujas, Paris, 550 p (Préface du Prix Nobel Herbert Simon). Bouinot, J., Bermils, B., 1995. La gestion stratégique des villes. Armand Colin, Paris, 208 p. D’Iribarne, P., 1989. La logique de l’honneur. Editions du Seuil, Paris, 286 p. Guengant, A. (sous la direction de), 1995. Analyse financière des collectivités locales. PUF, Paris, 241 p. Krugman, P., 1993. « First nature, second nature and metropolitan location ». Journal of Regional Science 33 (2), 129–144.