Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité

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ARTICLE IN PRESS

PRPS-517; No. of Pages 23

Pratiques psychologiques xxx (2019) xxx–xxx

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

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Psychologie du travail

Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité The intervention process in occupational health: Understanding the challenges of action through activity analysis S. Rouat ∗, B. Cuvillier , E. Laneyrie Laboratoire GRePS (E.A.4163), université Lumière Lyon 2, 5, avenue Pierre-Mendès-France, 69676 Bron cedex, France

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : ´ 2018 Rec¸u le 4 decembre Accepté le 14 novembre 2019 Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Intervention Santé au travail Étude de cas Processus d’intervention

r é s u m é Introduction. – La qualité de l’action en santé au travail nécessite de s’intéresser à sa dynamique de développement et cela peut passer par un travail d’analyse de l’activité de l’intervenant, de ce qu’il parvient à opérer dans son action et les obstacles qu’il rencontre. Objectif. – Cet article se centre sur l’analyse du processus d’intervention en santé au travail que nous tentons d’éclairer grâce à l’étude de cas. Méthode. – À partir d’une approche diachronique et par la méthode de l’étude de cas, nous cherchons à saisir les obstacles auxquels l’intervenant se confronte, les ajustements qu’il accomplit pour mettre au jour, à partir de cette activité réflexive, des processus de développement de l’action en santé au travail. Le cas d’intervention analysé est celui d’un journal.

∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (S. Rouat), [email protected] (B. Cuvillier), [email protected] (E. Laneyrie). https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002 ´ e´ Franc¸aise de Psychologie. Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv ´ ´ 1269-1763/© 2019 Societ es.

Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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Résultats. – Les résultats porteront à discuter le sens des ajustements opérés par l’intervenant dans la mise en œuvre de l’intervention et de ce qui lui résiste. Conclusion. – Les difficultés rencontrées ont une fonction de révélateur que l’évaluation des effets d’une intervention peut prendre en compte. Elles instruisent les voies possibles du développement de l’action en santé au travail. ´ e´ Franc¸aise de Psychologie. Publie´ par Elsevier © 2019 Societ ´ ´ es. Masson SAS. Tous droits reserv

a b s t r a c t Keywords: Intervention process Occupational health Transformation Case study

Introduction. – The quality of action in occupational health requires attention to its dynamic, for example analysing the activity of the intervenant consultant: what he manages to do in his activity and the obstacles he encounters. Objective. – This article proposes to feed the knowledge on the intervention from a qualitative approach and centered on the intervention process. Method. – Using the case study, the article shows the real of the intervention, its obstacles and the adjustments it imposes. The case studied is in a journal. Results. – This intervention process shows the effects of variation caused by lack of accession and support from management and the trade unions, the difficulty of passing from knowledge to action. Conclusion. – The difficulties have a function of revelation which the evaluation of the effects of an intervention can take into account. ´ e´ Franc¸aise de Psychologie. Published by Elsevier © 2019 Societ Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction Les interventions dans le champ de la santé au travail se multiplient et prennent des formes différentes même si la prévention des risques psychosociaux (RPS) reste la clé d’entrée privilégiée par les entreprises. Toutefois, il est encore nécessaire de comprendre les mécanismes qui sous-tendent les interventions. En un sens, les travaux se portent davantage sur les résultats que sur les processus de mise en œuvre. De la même manière, les approches qui sont privilégiées pour évaluer la pertinence ou l’efficacité des actions de prévention sont largement quantitatives (Expertise collective INSERM, 2011). Nous nous inscrivons ici dans une approche qualitative et axée sur le processus pour mieux connaître les dynamiques d’intervention dans le champ de la santé au travail. Nous choisissons pour cela de recourir à l’étude de cas pour éclairer l’analyse du processus d’intervention et sa mise en œuvre. Cette méthode permet de décrire l’intervention et d’analyser les tensions éprouvées dans l’activité d’intervention. De plus, nous choisissons d’observer l’activité de l’intervenant pour saisir les obstacles auxquels il se confronte et les ajustements qu’il accomplit. Notre question est la suivante : Comment l’analyse de l’activité de l’intervenant en santé au travail peut-elle alimenter la connaissance sur le processus de développement de l’action en santé au travail et sa visée transformatrice ? Comment les arbitrages qu’opère l’intervenant entre son cadre d’intervention et la réalité de son travail nous renseignent sur le processus d’intervention et le contexte social dans lequel il se déroule ? Ainsi, l’analyse du réel de l’activité de l’intervenant peut être mise au service d’une théorie de l’action en santé au travail. Ce qui se fait mais également ce qui n’est pas fait, ce qui aurait pu être fait permet de Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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comprendre mieux les dynamiques qui aiguillonnent l’action des intervenants comme celle des acteurs et professionnels1 lorsqu’ils s’engagent à transformer les conditions et l’organisation du travail. Après avoir discuté les cadres d’intervention de la santé au travail, les processus qui soutiennent ou empêchent son développement, nous envisagerons l’intérêt de convoquer l’étude du processus d’intervention et l’analyse du réel de l’activité de l’intervenant (Clot, 1999). Nous présenterons ensuite les implications méthodologiques de cette recherche. Enfin, les résultats nous porteront à discuter des réalisations et ajustements opérés par l’intervenant dans la mise en œuvre de l’intervention et de quelques questions clés sur l’action en santé au travail. L’intervention est un objet d’étude travaillé par différentes disciplines, voire sous-disciplines. Les auteurs de l’article la travailleront à partir de la psychologie du travail et de l’ergonomie de l’activité avec une orientation en clinique de l’activité. Enfin, l’intervention mise au travail ici relève d’une intervention-recherche conduite par une intervenante, au sens où celle-ci s’inscrit dans la recherche qu’elle met au service de l’action et que cette dernière est matière à penser et nourrir la connaissance sur l’action. 2. Santé au travail et intervention : les obstacles au processus d’intervention sur l’organisation Le champ de l’intervention en lien avec les problèmes de santé au travail regroupe des pratiques et modèles théoriques différents qui peuvent s’envisager selon des visées différentes. Celles-ci permettent d’opérer des distinctions aux plans théoriques et méthodologiques. Un type de visée est celui de l’adaptation aux risques. On peut citer dans cette approche les modèles axés sur la prévention et la gestion des risques qui s’inspirent principalement des théories du stress professionnel et de l’épidémiologie. Un autre est celui du développement du pouvoir d’agir des individus et des collectifs qui relève de la clinique du travail et en particulier de la clinique de l’activité. Nous choisissons ici de souligner deux obstacles majeurs à l’intervention qui vise une transformation de l’organisation du travail. 2.1. L’obstacle lié à l’usage privilégié des interventions individuelles Les cadres d’interventions qui visent l’adaptation aux risques s’organisent sur deux niveaux principalement : un niveau organisationnel et un niveau individuel. Les interventions organisationnelles (ou prévention primaire) visent à modifier l’organisation du travail pour l’adapter aux contraintes et ressources des professionnels de terrain. Les interventions individuelles ont deux principaux objectifs : aider les professionnels à gérer les exigences du travail plus efficacement en améliorant leurs stratégies d’adaptation ou en soulageant les symptômes du stress ; et traiter, rééduquer et réhabiliter les individus ayant souffert ou souffrant de troubles générés par le stress (Cooper & Cartwright, 1997 ; Leka & Cox, 2008). Ce modèle pour agir en santé au travail se veut stratégique dans la mesure où il suggère des moyens d’agir à différents niveaux en articulant des réponses organisationnelles et individuelles ; si tant est que l’impossibilité d’agir à la source des problèmes peut conduire à renforcer, à défaut, les ressources et capacités individuelles. C’est un plan d’action pour permettre à une entreprise de s’adapter aux risques et répondre aux exigences réglementaires qui privilégient ce paradigme de l’action pour protéger la santé. Du point de vue des pratiques d’interventions dans les entreprises, on observe une utilisation plus importante des interventions axées sur l’individu (Bacharach & Bamberger, 2007 ; Courtemanche & Bélanger, 2000 ; Giga, Noblet, Faragher, & Cooper, 2003 ; Hansez, Bertrand, & Barbier, 2009 ; Martin, Karanika-Murray, Biron, & Sanderson, 2014 ; van Der Klink, Blonk, Schene, & Van Dijk, 2001 ; Vézina, Bourbonnais, Brisson, & Trudel, 2006), bien que certains travaux nuancent ces conclusions (Agence

1 Nous précisions que dans le cadre de l’article nous parlerons des « acteurs » lorsque nous ferons référence aux acteurs en charge des questions de santé au travail et qui remplissent une fonction à ce titre : membre de direction, Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), Comité Social et Économique (CSE), élus du personnel, médecin du travail. . . ; et des « professionnels » ou du « groupe des professionnels » pour parler des professionnels de terrain.

Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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européenne pour la sécurité et la santé au travail, 2010 ; Bergerman, Corabian, & Harstall, 2009). Cette persistance des interventions individuelles est donc un obstacle à l’action sur l’organisation. En effet, le manque de volonté collective d’agir sur l’organisation du travail et la tendance à individualiser les problèmes sont les principaux freins à l’utilisation d’interventions organisationnelles (Askenazy, 2006 ; Buscatto, Loriol, & Weller, 2008 ; Hepburn et Brown, 2001 ; Lhuilier, 2010 ; Loriol, Boussard, & Caroly, 2006 ; Rouat, Troyano, Cuvillier, Bobillier-Chaumon, & Sarnin, 2017). Ces processus d’individualisation des problèmes sociaux conduisent au risque de psychologisation des réponses données aux problèmes de santé au travail. Mais on note également que ces formes d’individualisation sont fortement liées à la qualité des relations sociales et aux difficultés de coopération (Rouat et al., 2017). 2.2. L’obstacle lié au déni des conflits du travail Il est maintenant bien connu qu’un des obstacles majeurs à l’intervention sur l’organisation est le déni des conflits du travail. Ce conflit est celui du décalage – qui paraît évident pour ceux et celles qui théorisent sur le travail et en font leur objet d’étude et de travail, mais loin d’être évident pour les professionnels qui le conc¸oivent et l’organisent – entre la tâche ou la prescription, l’activité et son réel (Caroly, 2002 ; Clot, 2008 ; Daniellou, 1996). Ce déni des conflits du travail peut être maintenu par des dispositifs qui n’opèrent pas dans et à partir du travail réel. À côté de ce déni des conflits du travail, il en existe un autre : le déni du conflit de critères sur la qualité du travail. Les entreprises ont en commun qu’elles parviennent à fonctionner et viser une performance sans que soit véritablement remis en question qu’il existe un conflit sur la qualité du travail entre ceux qui dirigent, ceux qui conc¸oivent, ceux qui managent, ceux qui exécutent, etc. (Clot, 2010). La clinique de l’activité prend d’ailleurs ce conflit comme objet de l’action pour développer l’activité et transformer l’organisation. Si ces modèles de prévention et de gestion des RPS se diffusent de fac¸on importante dans les entreprises avec plus ou moins de succès, ils sont la cible de plusieurs critiques, mettant en cause, entre autres, l’éloignement par rapport aux problématiques du travail réel. En outre, les interventions à visée adaptative, recourent majoritairement à des échelles de mesure du stress pour identifier les sources de stress (Brun, Biron, & Ivers, 2007 ; Cox et al., 2000 ; Vézina et al., 2006). Ces outils établissent des constats pour que les acteurs puissent corriger des procédures et adapter des mesures organisationnelles ou individuelles. Si leur principal apport est le diagnostic des situations à risque, ils ne peuvent constituer des instruments pour explorer les conflits du travail. La référence au prisme du stress installe l’action dans un modèle de causalité, celui d’un sujet plutôt passif exposé à un risque psychosocial. Elle ne permet pas l’expression de ce que les professionnels construisent pour travailler et peut maintenir le déni des conflits du travail. Lorsque l’intervention choisit de mettre au premier plan la conflictualité sur le travail comme outil de transformation de l’organisation du travail, elle opte pour des dispositifs méthodologiques qui s’implantent au cœur de l’activité des collectifs. Ainsi, on peut considérer que l’intervention dans le champ de la santé au travail s’organise à partir de deux continuums : l’adaptation aux risques versus de développement du pouvoir d’agir individuel et collectif ; et la tendance à la psychologisation versus le travail sur le travail et la qualité du travail. Ces deux continuums constituent un cadre d’analyse des processus d’intervention qui distingue les visées adaptatives et développementales. 3. Que nous apprend la confrontation au réel de l’intervention ? Nous souhaitons montrer les limites des approches méthodologiques qui étudient l’évaluation des effets des interventions ou qui jugent de leur efficacité. Même si, et sans que cela fasse consensus, la prévention primaire est considérée comme la plus efficace (Bourbonnais et al., 2006 ; Gilbert-Ouimet et al., 2011 ; Kelloway & Barling, 2010 ; Leka & Cox, 2008 ; Logan & Ganster, 2005 ; St-Arnaud, Gignac, Gourdeau, & Vézina, 2010 ; Stavroula & Cox, 2008. . .), on observe que ces considérations ne sont pas toujours étayées par une évaluation des effets de l’intervention et que les méthodes d’évaluation ne considèrent pas pleinement le processus d’intervention. Ainsi, plusieurs auteurs invitent à mettre en œuvre des cadres d’interventions plus variés sur cette question (Egan et al., 2007 ; Biron & KaranikaMurray, 2013 ; Cox, Karanika, Griffiths, & Houdmont, 2007 ; Langley, 2009 ; Murta, Sanderson, & Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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Oldenburg, 2007 ; Pettigrew, Woodman, & Cameron, 2001 ; Semmer, 2011). Ils suggèrent également de s’axer davantage sur le rôle que jouent les processus et variables contextuelles qui influencent l’intervention. En effet, les travaux qui cherchent à apprécier l’efficacité des interventions sont majoritairement issus de l’épidémiologie et privilégient les mesures quantitatives, peu adaptées pour saisir le processus d’intervention. De plus, ils prennent comme objet de mesure des indicateurs tels que l’absentéisme et l’état de santé, considérés comme des indicateurs de troubles, non de santé au sens du développement de l’activité (Clot, 2008). Nous avons donc choisi d’étudier autrement la qualité des interventions menées dans les entreprises à partir d’une approche qualitative et centrée sur l’objet du processus de mise en œuvre. Le processus d’intervention se construit dans le réel de l’intervention, dans les ajustements et réajustements qui contraignent et soutiennent son développement. Nous choisissons ici, à partir d’une analyse d’intervention, d’apprécier ce qui échappe à la maîtrise de l’intervenant par l’analyse du réel de l’activité de l’intervenant entendu comme ce qu’il fait mais aussi ce qu’il ne fait pas, ne peut pas faire, et ce qu’il pourrait faire (Ibid.). L’analyse de cette activité se nourrira de ce qui fait la distinction entre ce que l’intervenant est censé faire, aux buts et aux moyens affectés (Léontiev, 1984), et le travail réel, c’est-à-dire ce qu’il fait réellement pour répondre à la tâche (Kostulski, Clot, Litim, & Plateau, 2011). On sera aussi attentif aux actions comme le résultat d’arbitrages entre plusieurs actions possibles, « au carrefour de plusieurs horizons en tension » (p. 131). On s’intéressera donc à l’activité d’un intervenant à un moment donné et dans un lieu donné. Il s’agit également de mettre en lumière les processus explicatifs des actions, des ajustements que suscite la conduite d’une intervention. Bien que peu nombreux, nous trouvons quelques auteurs qui ont étudié les ressorts de l’action dans le déploiement d’une démarche d’intervention. Laneyrie (2015) a utilisé l’analyse de l’activité d’acteurs d’horizons et de niveaux hiérarchiques différents durant le déploiement d’une démarche de prévention primaire comme moyen de mobilisation. Kostulski et al. (2011) reviennent sur une intervention pour mettre en évidence les moyens sur lesquels l’action peut se construire en clinique de l’activité. Lhuilier et Amado (2012) ont publié un numéro spécial « souffrance au travail et clinique de l’intervention » dans lequel les auteurs analysent des interventions réalisées à partir de situations concrètes ainsi que les méthodologies d’interventions déployées et les difficultés rencontrées. Toutefois, les contributions ne ciblent pas précisément le réel de l’activité de l’intervenant. Étudier les ressorts de l’action c’est aussi étudier l’action des protagonistes dans l’intervention (professionnels et intervenants). Nous nous occuperons ici de celle de l’intervenant. Nous chercherons à relever des faits saillants permettant de rendre compte de ses actions, ce qu’elles produisent chez les professionnels, et ce qu’il en fait pour la conduite de l’intervention. 4. Méthode 4.1. Implications méthodologiques Notre démarche a consisté à construire un cadre de formalisation d’une activité d’intervention réalisée par l’intervenant. Cette activité réflexive permet de discuter certaines questions de l’action en santé au travail. En outre, nous nous sommes concentrés dans le cadre de l’article à discuter des écarts entre l’intervention telle qu’elle était censée être faite et l’intervention réelle. 4.1.1. L’étude de cas d’intervention par la narration Nous avons conduit une recherche de terrain qui a consisté à participer et à mettre en œuvre plusieurs processus d’intervention dans des entreprises diverses2 . Rendre compte de la variation d’un processus relatif à l’intervention a nécessité de recourir à une approche diachronique du phénomène en question, c’est-à-dire à insérer les situations et les phénomènes que l’on cherche à comprendre dans la dimension temporelle (Montangero & Pons, 1995, p. 622). Cette approche permet de mettre en relief les effets des variations de l’intervention sur son processus.

2 Ici, nous centrerons nos résultats sur une seule intervention, le format de l’article ne permettant pas d’exposer l’ensemble des processus d’intervention.

Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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La description du processus d’intervention s’est faite à l’aide de la reconstitution de cas (story et narrative history). Fraccaroli (2002) choisit le concept de séquence d’événements comme moyen de rendre compte des processus mis en œuvre à un moment donné. Nous nous sommes confrontés aux traces de l’intervention pour réaliser une autoconfrontation de l’intervenant aux traces de son activité (Petit, Querelle & Daniellou, 2007). Nous choisissons dans le cadre de l’article de mettre au travail le réel de l’activité de l’intervenant pour travailler ce qui peut influencer son développement ou l’empêcher, comme une manière de travailler plus largement au développement de l’action en santé au travail. La grille d’analyse que nous présentons par la suite est une tentative de description de l’observation des séquences d’événements et du réel de l’activité de l’intervenant. La signification de ces temps est organisée d’un point de vue chronologique, mais également d’un point de vue social et organisationnel. En effet, « les événements n’ont pas une signification « objective », invariable et détachée de leur contexte d’apparition » (Fraccaroli, 2002, p. 143). Au-delà des événements, c’est la logique qui sous-tend la signification des événements qui importe le plus. Décrire un processus implique nécessairement un effort d’interprétation des logiques sous-jacentes. Ce sont ces significations qui donnent du lien aux événements qui structurent l’intervention comme un tout. Il s’agit alors de passer de « l’histoire d’un cas » à « l’étude d’un cas » (p. 144). Ainsi, notre analyse s’est attachée à présenter les séquences d’événements dans leurs contextes d’apparition et à tisser du lien entre ces différents événements successifs qui structurent le processus. Enfin, l’étude de cas consiste « à rapporter un événement à son contexte et à le considérer sous cet aspect pour voir comment il s’y manifeste et s’y développe » (Hamel, 1997, p. 10). Dans cette perspective, « il s’agit, par son moyen, de saisir comment un contexte donne acte à l’événement que l’on veut aborder » (Ibid.). Pour Leplat (2002), « un cas est un objet, un événement, une situation constituant une unité d’analyse » (p. 2) et a une épaisseur temporelle plus ou moins grande dans la mesure où il peut s’agir d’une situation considérée à un moment donné ou d’une situation dans son développement. 4.1.2. Présentation de l’intervenante : sujet dans l’activité L’intervenante en santé au travail était employée dans le cadre d’une thèse en CIFRE en Psychologie du travail par une structure spécialisée dans la prévention des RPS. Elle était membre d’un collectif constitué de sociologues et de psychologues. L’intervenante, qui avait alors eux ans environ d’expérience, avait pour tâche de piloter cette intervention. Sa formation universitaire et son expérience l’ont amenée à construire un positionnement en clinique du travail. En outre, ses visées d’interventions comportent des implicites théoriques ou « théories sous-jacentes » (Berthelette, 2002) qui guident son action, ce qui sera expliciter ci-dessous. D’une certaine manière, ils aiguillonnent son action. Ils sont autant le produit d’un exercice intellectuel que d’un genre professionnel (Clot, 1999) nourri dans l’expérience concrète de l’intervention et des temps d’élaboration du collectif d’intervenants (qu’il s’agisse des temps de réunion, de régulation, de conception, de préparation des diverses activités qui rythment une intervention). Enfin, ce genre professionnel lui a notamment permis de construire un positionnement affirmé dans l’intervention qui s’écarte de celui de l’expert pour parvenir à mettre au centre de l’action le savoir des acteurs et des professionnels sur le travail réel. 4.2. Le modèle d’intervention utilisé Le modèle d’intervention que nous avons utilisé a été construit à partir de 3 niveaux de réflexions : • la visée du changement organisationnel issue de la prévention primaire ; • les ressources méthodologiques issues de la démarche ergonomique (qui associe transformation des situations de travail et engagement des acteurs de la prévention) ; • les conditions de réussite retenues dans la littérature concernant la mise en œuvre d’interventions. L’intervention à laquelle nous nous intéressons est de type primaire. Il s’agit donc de développer un processus d’intervention permettant la mise en place de changements. Étudier le processus d’intervention, c’est-à-dire sa dynamique de développement, nécessite de comprendre comment s’imbriquent processus d’intervention et dynamique de changement. Le processus que nous visons Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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fait référence à la manière dont évolue l’intervention à partir de l’analyse de la demande jusqu’à la détermination d’orientations de changement. Nous pensons que cette progression de la connaissance à l’action est un passage significatif du processus d’intervention. Tout changement demande de garantir ces processus permettant de passer d’un état à un autre, passer de la définition à l’action. Le modèle s’inspire également des apports de l’ergonomie sur les conditions et les étapes clés de l’intervention (Coutarel, Caroly, Vézina, & Daniellou, 2015 ; Dugué, Petit, & Daniellou, 2010 ; Guérin, Laville, Daniellou, Duraffourg, & Kerguelen, 2001 ; Petit & Coutarel, 2013) qui décrit les étapes clefs d’une intervention. Celle-ci débute par l’analyse de la demande, la formulation d’une proposition d’intervention et la mise en place de structures de pilotage et de groupes de travail. Cette condition permet de s’assurer de la participation de l’ensemble des acteurs dans l’analyse, la production de connaissances et la conception d’actions de changement. De plus, ces structures garantissent le suivi et la régulation entre les partenaires sociaux dans la mesure où le déroulement de l’intervention dévoile de multiples enjeux qui peuvent agir sur les compromis et décisions élaborés. La manière dont les questions sont posées dans l’entreprise et la manière dont les problèmes à résoudre sont discutés vont considérablement orienter l’intervention. Mais celle-ci va également dépendre de la capacité de l’entreprise à s’approprier et mettre en œuvre les résultats de l’action. La conduite de l’intervention doit, par conséquent, se centrer à la fois sur la production de résultats à atteindre et « un processus à initialiser et à accompagner, guider par le souci de pérennisation de l’action » (Guérin et al., 2001, p. 264). Pour favoriser le changement, le diagnostic doit aller se confronter à d’autres interprétations et points de vue (Ibid.). Cette confrontation va permettre l’élaboration de solutions et elle nécessite le concours d’acteurs organisationnels qui vont traduire l’originalité des problématiques particulières de l’organisation et des ressources dont elle dispose. Les effets du diagnostic ne dépendent pas seulement de la pertinence de celui-ci, mais assez largement, de la fac¸on dont il aura été mis en circulation dans l’entreprise, afin d’influencer les processus de décision. Il est visiblement moins utile de rechercher des résultats immédiats pour se diriger vers une action de long terme, car l’enjeu de l’intervention ne repose pas seulement sur la découverte d’une solution au problème, mais sur la construction de ce dernier en y associant les acteurs concernés. Il s’agit là d’une conception de l’intervention plus dynamique. Ainsi, l’intervention n’est pas réduite à la mise en œuvre d’une expertise technique, mais elle est également une pratique sociale. De plus, l’intervention cherche à définir des possibilités nouvelles aux niveaux collectif, institutionnel et organisationnel pour développer le pouvoir d’agir. L’intervention doit ainsi influencer les processus qui configurent durablement les situations de travail (Coutarel et al., 2015). Pour cela, il est important d’agir pour transformer l’activité des autres acteurs (concepteurs et managers par exemple). Ainsi, l’intervention est un acte pédagogique (Dugué et al., 2010). Pour agir sur l’activité des acteurs de la prévention, il est nécessaire de transformer leurs représentations des situations de travail. Ainsi, le processus d’intervention peut avoir des effets sur l’action de celles et ceux qui y participent. Il est une occasion d’apprentissage et peut renforcer les capacités collectives des acteurs, pour que le travail devienne ou redevienne un objet de pensée. Le processus d’intervention permet la découverte de marges de manœuvre nouvelles qui sont, la plupart du temps, enfermées dans les conflits sociaux et les jeux d’acteurs. Ainsi, l’intervenant peut être attentif à ce que l’intervention contribue à construire dans l’entreprise et qui résiste au temps ; et à la manière dont vont se structurer les représentations des acteurs, les positions de chacun dans l’intervention. Enfin, le modèle d’intervention que nous avons choisi pour conduire ces interventions cherche à se dégager des logiques d’individualisation, à développer une action durable et à considérer l’intervention comme un facteur de maturation de l’entreprise. La qualité du processus d’intervention réside, en effet, dans sa capacité de transformation de trois dimensions : les situations de travail ; les représentations que les acteurs ont des problèmes reliés à la santé au travail et des réponses à engager pour les prévenir ; la qualité des liens de coopération entre les acteurs chargés des questions de santé au travail (Rouat, 2010 ; Rouat & Troyano, 2018 ; Rouat et al., 2017). En ce sens, l’intervention doit alimenter une dynamique psychosociale, plac¸ant au cœur de l’action la confrontation entre acteurs, favorable à la maturation de l’entreprise sur les questions de santé au travail (Fig. 1). Pour finir, pour envisager le processus d’intervention, nous nous sommes référés aux conditions de réussite dégagées par la plupart des travaux et qui favorisent l’intervention, notamment : le soutien

Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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Fig. 1. Les dimensions liées à la capacité transformatrice de l’intervention.

Fig. 2. Représentation temporelle de l’intervention.

de la haute direction (financier notamment) ; l’implication du collectif ; la bonne préparation de la démarche ; l’implication de tous les niveaux hiérarchiques ; la reconnaissance des problèmes ; la transparence de la direction ; la qualité du débat entre acteurs ; l’approche participative ; la réunion d’équipes pluridisciplinaires ; etc. (Brun et al., 2007 ; Cox et al., 2000 ; Hansez et al., 2009 ; Murta et al., 2007 ; Nielsen & Randall, 2012 ; Rouat, 2010 ; St-Arnaud et al., 2010). 4.3. Description de la grille d’analyse Nous avons construit une grille d’analyse des interventions qui comprend les étapes et les actions qui doivent être réalisées dans un processus et qui constitue un cadre pour l’intervenant. Nous l’avons construite en prenant appui sur la littérature (cf. ci-dessus) qui donne des informations sur les cadres d’intervention et les conditions de réussite des interventions ainsi que sur l’expérience professionnelle de l’intervenante. En effet, celle-ci avait déjà réalisé une dizaine d’interventions avant celle qui est présentée ici et elle avait construit cette expérience aux côtés de collègues expérimentés. Nous avons donc construit un outil pour décrire et analyser une intervention (Rouat & Sarnin, 2018). Huit étapes sont proposées pour intervenir en favorisant un changement dans l’organisation, à partir de l’expression du problème ou de la situation problématique jusqu’à la décision institutionnelle d’orienter des actions spécifiques, propices à une amélioration des situations de travail et de la santé. Ces huit étapes sont regroupées dans quatre temps de maturation qui sont : • • • •

la définition de l’intervention ; le diagnostic ; la définition de préconisations ; la décision relative au changement.

Nous reprenons ces différentes étapes en explicitant à chaque fois les objectifs visés et les moyens nécessaires pour y parvenir. Cette explication met en relief l’idée de progression de la démarche et de maturation organisationnelle (Fig. 2). Nous avons également repris, sous forme de tableau, la grille d’analyse utilisée reprenant les étapes du cadre d’intervention, en précisant, pour chacune des étapes, les objectifs et les actions censées être réalisées par l’intervenant et par les acteurs de l’entreprise (Tableau 1). L’analyse du cas d’intervention s’appuie sur cette grille d’analyse. Pour rendre compte a posteriori du processus d’intervention, nous nous sommes confrontée aux traces de l’intervention. Nous avons Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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Tableau 1 Grille d’analyse de l’intervention. Temps et étapes

Objectifs

Temps 1 : définition du cadre

Ce premier temps fait référence à la manière dont l’organisation va formuler le problème à l’origine de sa demande. L’expression du problème et de la demande relèvent souvent de processus d’individualisation. L’analyse de la demande tend à ouvrir alors des pistes de questionnements sur l’organisation et l’activité. Ce temps favoriser la conflictualité sur l’objet de l’intervention et la méthode pour nourrir des rapports favorables de coopération qui pourront se pérenniser après l’intervention Permettre la discussion sur la nature, la visée et les modalités de l’intervention avec l’ensemble des acteurs concernés et qui composeront le comité de pilotage Définir les règles de la démarche : confidentialité, volontariat, implication des acteurs Favoriser l’adhésion et la participation des professionnels pour connecter la démarche au travail réel

Étape 1 : construction de l’intervention

Étape 2 : implantation de la démarche

Temps 2 : diagnostic

Actions de l’intervenant

Actions des acteurs

Constituer un comité de pilotage paritaire Animer une ou plusieurs réunions pour co-construire la démarche et le cadre et obtenir sa validation par le collectif

Intégrer le comité de pilotage en tant qu’instance décisionnaire, paritaire et garantes des orientations stratégiques données aux actions

Aider les acteurs à mettre en œuvre une action de communication sur la démarche à destination de l’ensemble du personnel Constituer un groupe de travail diversifié favorable à l’instauration de conditions de mise en débat et d’élaboration collective

La direction communique, en lien avec les partenaires sociaux, la démarche et encourage la participation du personnel La direction, en lien avec l’intervenant et le comité de pilotage, constitue un groupe de travail Quelques professionnels volontaires intègrent le groupe de travail

Ce temps correspond à la réalisation du diagnostic des situations de travail vécues par les salariés. Ce diagnostic nécessite de construire des instruments et des critères d’échantillonnage élaborés en concertation avec le groupe de travail. Il tend à transformer les représentations que les acteurs ont du travail

Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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Tableau 1 (Continued) Temps et étapes

Objectifs

Actions de l’intervenant

Actions des acteurs

Étape 3 : réalisation du diagnostic

Identifier les facteurs de RPS en interrogeant les situations qui sont susceptibles de produire de la souffrance et de déterminer les ressources, les facteurs de satisfaction et de plaisir au travail

Les professionnels invités participent aux entretiens s’ils acceptent La direction soutient l’intervenant dans l’organisation du diagnostic

Étape 4 : restitution des résultats

Permettre la contextualisation des résultats, l’approfondissement du diagnostic et le débat

Il organise le diagnostic et invite les participants Il fait le diagnostic à l’aide d’outils qualitatifs, des observations directes et peut être complété par un questionnaire. Il privilégie les entretiens individuels et collectifs de type semi-directif. Il réalise les entretiens au sein de l’entreprise et consacre pour chaque entretien une durée d’une heure à une heure trente et l’enregistre avec l’accord de la personne Il interprète les résultats à l’aide d’une grille d’analyse Il réalise la restitution des résultats dans un cadre officiel. La première restitution est réalisée avec le groupe de travail Il facilite l’échange propice à l’appropriation Il effectue la seconde restitution auprès du comité de pilotage Les modalités de présentation sont relativement les mêmes pour les 2 instances. Le contenu des résultats est identique et peut reprendre les nuances apportées par le groupe de travail

Temps 3 : définition des préconisations

La définition des préconisations s’inspire des résultats du diagnostic et suit une méthodologie permettant l’élaboration progressive et organisée. Ce temps cherche à associer les professionnels de terrain à la définition des pistes de changement Permettre l’élaboration par le groupe de travail d’un plan d’action constitué de propositions de changement destinées au comité de pilotage

Il anime les séances de travail selon une méthode consistant à faire travailler le groupe de travail sur 3 tâches : (1) identifier les zones problématiques à partir des éléments disponibles dans le diagnostic ; (2) faire des regroupements de problématiques, construire et caractériser des catégories qui désignent des cibles vers lesquelles le changement doit tendre ; (3) proposer des pistes de changement en lien avec les catégories construites

Le groupe de travail participent aux séances de travail et élabore des propositions en lien avec les problématiques identifiées dans le diagnostic et les ressources disponibles Les participants peuvent aussi bien proposer de modifier des procédures de l’organisation, en imaginer de nouvelles ; d’en compléter certaines, etc.

Étape 5 : structuration du plan d’action

Le groupe de travail discute des résultats, définissent s’ils sont fidèles aux situations qu’ils connaissent dans l’organisation Le comité de pilotage discute également des résultats Les acteurs valident le diagnostic

Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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Tableau 1 (Continued) Temps et étapes

Objectifs

Étape 6 : restitution du plan d’action

Temps 4 : la décision

Étape 7 : l’appropriation organisationnelle

Étape 8 : décision de changement

L’étape de restitution du plan d’action intègre déjà d’une certaine manière le temps de réflexion sur le changement. Le changement implique une réflexion sur les effets de ce changement sur le milieu et sur son coût. Réfléchir au changement demande à l’organisation un temps d’appropriation des éléments soulevés dans l’étude. Ce temps est important pour ancrer l’intervention dans la durée Permet d’enraciner et de faire exister les résultats de l’intervention et d’instaurer les conditions d’une action durable qui engage l’ensemble des acteurs

Acter une orientation de changement. La décision peut porter sur des niveaux plus ou moins localisés (formation des managers, modification de prescriptions, réactualisation des fiches de postes, etc.)

Actions de l’intervenant

Actions des acteurs

Il organise la restitution en réunissant le comité de pilotage et le groupe de travail Il présente le plan d’action en prenant soin de rappeler quelques éléments clés de la démarche et du diagnostic Il anime le débat autour du plan d’action Son intervention s’arrête généralement là

La direction accueille le groupe de travail Au moment de la restitution, la direction n’est pas censée se prononcer sur le plan d’action mais elle peut le faire Le groupe de travail argumente et illustre certaines propositions La direction fait le lien entre les propositions d’action et la faisabilité

Il se tient à la disposition de l’entreprise pour présenter la démarche et les résultats dans les instances élargies (CHSCT, CSE, CE) Celui-ci n’agit plus dans le processus d’intervention et prend soin de faire rejoindre deux processus : celui de l’intervention réalisée et celui du changement L’intervenant peut aider à la réflexion préalable sur la mise en œuvre des procédures liées au changement et à la manière dont ces procédures participeront à la mise en place d’un futur processus durable

Ils définissent les moyens de diffuser l’intervention dans l’entreprise et d’y associer les l’ensemble des acteurs. La direction organise pour cela une ou plusieurs restitutions du travail réalisé et du plan d’action

La direction prend la décision de changement et la communique, en justifiant les propositions non prises en compte

RPS : risques psychosociaux ; CHSCT : Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail ; CSE : Comité Social et Économique.

par exemple, relu la proposition d’intervention, les documents et comptes rendus de réunions réalisées en cours d’intervention avec les acteurs pour les revivre, et des notes rédigées dans notre carnet de bord. Ces traces témoignent du déroulement de l’intervention, du développement de son processus et de la nature des relations qui évoluent au fur et à mesure de l’action. Ces éléments transcrits in situ contribuent à définir ce qui participe au processus d’intervention. Nous savons qu’une intervention « n’est pas l’application d’un plan initialement conc¸u qui serait progressivement mis en œuvre » (Petit, Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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Querelle & Daniellou, 2007 p. 403). Nous avons donc été attentifs aux « retournements de situations » avec lesquels il faut compter pour agir en santé au travail. Le cas d’intervention a été choisi selon l’importance donnée à l’étude du processus d’intervention auquel nous nous intéressons. En effet, nous avons choisi cette intervention car elle était selon nous riche du point de vue de l’action, c’est-à-dire qu’elle réclamait de la part de l’intervenant des ajustements et des arbitrages. Nous choisissons ici de donner à voir comment l’intervention peut mettre en difficulté, et mettre en échec l’intervenant mais aussi les régulations et remaniements qu’il parvient à construire. Notre travail ici a consisté à décrire et analyser, à partir de la grille, les écarts observés entre le modèle d’intervention, ce que l’intervenant était censé faire, et le réel de son activité. Cette grille prend, d’une certaine manière, la forme d’un prescrit, d’une image opératoire ou d’un idéal d’intervention. Ce que nous choisissons de regarder c’est la dynamique qui parvient finalement à se construire, c’est la manière dont il s’y prend pour la diriger dans un contexte qui a ses caractéristiques, qui opposent des résistances à son action. 5. Analyse des résultats Compte tenu de la forme de l’article, nous choisissons d’extraire de l’analyse du cas les événements les plus saillants qui influencent la mise en œuvre de l’action de l’intervenant, ce qui lui résistent et les opérations d’ajustement réalisées. Pour cela, nous ne respecterons pas un déroulé chronologique de l’action mais plutôt thématique. 5.1. Présentation du cas d’intervention et de la demande Nous allons maintenant présenter le cas d’intervention qui a été étudié. L’entreprise en question est un journal régional et compte une centaine de salariés, des journalistes principalement (rédacteurs et secrétaires de rédaction), répartis par domaine de spécialité (politique, culture, sport. . .), des personnels administratifs et des agents de la vente et diffusion. De plus, elle se compose d’un siège (appelé « la locale ») et de plusieurs agences départementales. Enfin, elle est une entité particulière d’une organisation plus importante et de plus grande ampleur sur le territoire. Au quotidien, elle est managée par un directeur départemental (auparavant journaliste). Le directeur régional est quant à lui installé au siège régional. C’est la direction qui a formellement fait la demande d’une intervention mais la structure intervenante a d’abord été sollicitée par la secrétaire du CHSCT (et journaliste). Toutefois, il ne s’agit pas d’une expertise CHSCT, la structure intervenante n’étant pas habilitée. Elle intervenait dans un cadre classique à partir de la sollicitation des directions. Ce processus d’intervention s’est étendu sur une période de quatre mois (de mars à juillet) mais les premières discussions avec les acteurs de la direction, médecin du travail et secrétaire du CHSCT ont débuté quelques semaines avant le commencement de l’intervention. Selon ces acteurs, la structure connaissait une crise qui nécessitait une intervention spécifique. La demande et la description du contexte restaient néanmoins très vagues, la direction régionale tenant pour responsable de la situation les problèmes individuels et les difficultés liées à l’adaptation des personnes aux changements. Le directeur départemental évoquait d’importantes transformations de ce journal depuis quelques années, à l’image du secteur professionnel. La secrétaire du CHSCT soulignait que l’entreprise avait vu son organisation se modifier considérablement, dans le cadre du regroupement de certaines compétences. Si l’entité concernée par l’étude avait été maintenue, son organisation avait été transformée en profondeur. Le changement concernant l’impression du quotidien, qui relevait désormais d’une autre entité proche, illustrait cette évolution. Elle s’accompagnait pour certains d’un sentiment de perte d’autonomie. D’autres évolutions emblématiques concernaient l’entreprise, comme le changement d’actionnaires, qui avait conduit le journal à dépendre désormais d’un grand groupe bancaire. Ce rattachement à une entité financière ne laissait pas les professionnels indifférents selon la secrétaire du CHSCT et le directeur départemental. Depuis quelque temps, des craintes se faisaient jour sur les difficultés vécues par certains salariés selon le médecin du travail. Le CHSCT s’était inquiété de difficultés nouvelles et de « tensions » assez vives exprimées justifiant une intervention. Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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5.2. Analyse du cas à partir de la grille d’analyse de l’intervention C’est ainsi que deux rencontres ont été organisées quelques mois avant l’intervention, la première avec la direction, la seconde en présence de la direction, du secrétaire du CHSCT et du médecin du travail. Lors de la première réunion, la direction souhaitait que la proposition d’intervention soit axée uniquement sur des modalités de formation des managers et de soutien psychologique pour quelques personnes. Nous avons alors souhaité ouvrir d’autres options d’intervention en organisant un échange plus élargi, impliquant d’autres acteurs, d’autres points de vue. L’échange avec le médecin et le secrétaire du CHSCT ont ouvert d’autres possibles. Ces derniers, considérant que les modalités proposées par la direction ne correspondaient pas à la réalité des problèmes rencontrés par le personnel, se sont affirmés pour réclamer la réalisation d’un diagnostic sur les situations de souffrance au travail vécues par les salariés. Nous avons constitué un comité de pilotage composé de la direction régionale, du directeur départemental, du secrétaire du CHSCT et du médecin du travail ; et un groupe de travail paritaire, constitué de journalistes, de personnels administratifs, de représentants du personnel et de l’encadrement. La convention d’intervention a fait l’objet d’allers-retours entre la direction et la structure intervenante. Elle a finalement explicité une méthode d’intervention respectant le modèle d’intervention et a fixé le nombre de journées de travail à 16 journées. Il fallait donc travailler à instaurer les conditions d’une transformation de l’organisation avec cette limite. Le diagnostic reposait principalement sur la réalisation d’un temps d’immersion et d’observation, d’entretiens semi-directifs et d’un entretien collectif. Puis, deux séances de travail devaient permettre de définir le plan d’action. 5.2.1. L’effort pour faire adhérer le groupe de travail et légitimer le cadre Nous avons rencontré une première fois les membres du groupe de travail. Cette réunion ne s’est pas réalisée comme nous l’avions envisagé. Nous les invitions à discuter collectivement de la démarche et à ajuster certains éléments méthodologiques si nécessaire. Mais d’emblée, et avant que la démarche soit présentée, nous avions l’impression que les participants ne comprenaient pas la posture de l’intervenant et son exigence à les faire participer. Ils nous attendaient dès ce premier moment dans l’expertise, alors que nous leur demandions de participer à la compréhension du problème et à la définition des moyens pour réaliser la démarche. Ce temps d’élaboration n’a pas permis l’adhésion des membres du groupe de travail dès le commencement de l’intervention. Nous sentions qu’il allait être très difficile d’intervenir. En nous plac¸ant dans l’expertise, les acteurs attendaient que l’on énonce les problèmes et que l’on trouve les solutions. Ces dernières devaient venir de l’extérieur et s’imposer à la direction pour qu’elle change l’organisation. Nous sommes néanmoins parvenus ensemble, après avoir pris le temps nécessaire pour argumenter notre approche, à valider notre démarche, définir les étapes et objectifs de l’intervention. Pour mieux convaincre, nous avons donné des exemples concrets d’interventions passées dans lesquelles on retrouvait ce rôle moteur du groupe de travail dans la construction d’un diagnostic nourri par les situations de travail et de solutions qui ne soient pas déconnectées de ce que les professionnels attendent. Ainsi, ce que nous cherchions à faire n’allait finalement pas de soi. La représentation qu’ils avaient de l’intervention et du rôle de l’intervenant ne coïncidait pas avec la représentation que l’intervenante s’était construite : cela va de soi que les professionnels souhaitent participer puisqu’ils sont les destinataires de ce travail. Nous anticipions qu’il allait falloir revenir, répéter et accorder du temps pour convaincre encore, un temps dont nous ne pouvions pas disposer à notre guise. Et encore, lorsque nous étions dans la deuxième séance de travail pour définir le plan d’action, nous avons été particulièrement sollicitée pour convaincre de la pertinence de la contribution du groupe de travail dans le plan d’action. Le groupe devait réfléchir à diverses préconisations en lien avec les catégories de problématiques identifiées3 . À chaque fois, chacune des préconisations était discutée. Le groupe a été critique à l’égard de l’intervenante qui, contre toute attente, ne donnait pas de solutions clefs en main. Quelques participants nous renvoyaient certaines questions : « Mais vous, qu’est-ce que

3 Quatre catégories ou axes de travail ont été définis par le groupe de travail : l’organisation, le management, le conflit journalistes–encadrement et le sens du métier.

Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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vous en pensez ? Vous êtes là pour cela, alors qu’est-ce qu’il faut faire ? ». Nous leur avons expliqué que les éléments qu’ils réussissaient à identifier comme des facteurs favorables à l’amélioration des situations de travail étaient possibles dans la mesure où ils étaient experts, eux, de ces situations. Nous, nous étions compétente sur un domaine : celui de la santé au travail. Nous pouvions les guider et les mettre en garde contre certains aspects, mais les solutions que nous avions à l’esprit pouvaient être valables pour une organisation et non pour la leur. D’autre part, ces quelques personnes ne souhaitaient pas prendre part à certaines préconisations envisagées envers l’encadrement, estimant que ce n’était pas leur rôle et qu’ils n’étaient pas à leur place. Elles ont finalement souhaité que l’on ne parle pas de préconisations, mais de propositions. 5.2.2. L’appréhension à entrer dans l’intervention Alors que nous débutions l’intervention, au moment de l’étape d’observation et d’immersion, un événement est survenu dès notre arrivée. Il est révélateur de la manière dont la communication fonctionnait dans ce groupe de professionnels. Il s’agit d’un conflit qui s’est exprimé entre une secrétaire de rédaction et le chef d’information. Celle-ci avait été rappelée par erreur pour travailler alors qu’elle était en congé. Ayant finalement pu être remplacée, on lui demandait instamment de rentrer chez elle, alors qu’elle était rentrée de vacances spécialement pour travailler. Dans cette relation, les phrases volaient, sans retenue et c’est le groupe des professionnels qui intervenait pour défendre sa collègue contre le chef d’information. Nous observions cette liberté de ton chez les journalistes, qui allait également gagner les séances de travail. Le fait que cette intervention constituait la première où nous étions seule à animer le groupe de travail, nous étions partagée entre l’appréhension à avoir affaire à un groupe qui peut exprimer durement ce qui lui déplaît, nous l’avions d’ailleurs ressenti dans la première réunion, et le fait que cette expression soit aussi une ressource pour l’intervention. Elle était la manifestation de la capacité à exprimer les problèmes vécus, sans détour et parfois en choisissant des mots assez durs. Ce pouvait être un levier pour instaurer les conditions d’une confrontation sur le travail et donner à notre démarche toute sa portée. Ce moment, bien qu’impressionnant, nous a rassurée sur la possibilité d’instaurer un dialogue sur le travail entre les professionnels et la hiérarchie. Le lien de subordination n’empêchait a priori pas l’expression sur les problèmes. 5.2.3. Remaniements de la méthode et instrumentalisation de la démarche Après le temps d’observation, nous avons réalisé les entretiens semi-directifs avec différents salariés4 . La réalisation des entretiens individuels avait empiété sur le planning de l’intervention et donc sur l’entretien collectif qui a, quant à lui, été réalisé après la restitution des résultats du diagnostic. La composition de l’entretien collectif a été choisie avec le groupe de travail. Nous pensions au préalable interroger des chefs d’agence, dans la mesure où ils avaient été peu représentés dans le diagnostic et les situations en agence paraissaient plus favorables qu’à « la locale » : une plus forte charge de travail mais une plus grande autonomie ressentie. Mais le groupe de travail considérait qu’il était difficile de réunir des chefs d’agence souvent très éloignés géographiquement du siège. De plus, considérant que les résultats du diagnostic restitués ne reflétaient pas suffisamment les difficultés que vivaient les secrétaires de rédaction, les participants pensaient que l’entretien devait réunir ce groupe professionnel. Dans la mesure où la direction formulait également l’argument de la difficulté de réunir les chefs d’agence, nous avons donc organisé l’entretien de manière à réunir six secrétaires de rédaction. L’autorité avec laquelle les membres du groupe de travail formulaient leurs remarques et demandes avait trouvé raison de la direction, et de l’intervention. Le diagnostic devait pour eux sonner l’alarme. C’est un aspect qui a fait l’objet dans notre activité d’un arbitrage : plutôt que de tenir, continuer de dérouler comme prévu le diagnostic (pour que toutes les catégories de métier soient entendues, pour que les ressources en place soient prises en compte), nous avons adapté notre intervention. Il s’agit d’une certaine manière d’une instrumentalisation de l’action qui devient instrument du collectif pour exprimer sa souffrance.

4 Nous avons rencontré au total 19 salariés (nous avions néanmoins invité pour cela une quarantaine de personnes), à la fois des rédacteurs, des secrétaires de rédaction, des photographes et l’encadrement, et 9 hommes et 10 femmes.

Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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De plus, pendant la sélection des personnes interrogées, certaines non retenues, nous sollicitaient malgré tout pour une rencontre. Requête à laquelle nous avons exprimé un refus justifié par les règles méthodologiques que nous avions convenues : l’échantillon devait être représentatif, constitué sur le critère du métier et constitué de fac¸on aléatoire. Il est même arrivé qu’un membre du comité de pilotage, le médecin du travail en l’occurrence, nous demande de recevoir une personne particulièrement fragilisée. Nous avions l’impression que les acteurs ne prenaient pas vraiment au sérieux ce cadre que nous imposions. Seul le contenu importait, qui allait montrer la souffrance. Il fallait donc, pour eux, entendre celles et ceux qui allaient mal. Et la direction ne voulait pas fâcher le groupe des professionnels « remontés ». Mais nous avons tenu cette exigence et dû rappeler son importance : en choisissant d’interroger uniquement les personnes en souffrance on ne se place pas au meilleur endroit pour entendre les ressources dans l’activité. Le vécu de souffrance ne pouvait être un critère de sélection. Pour autant, derrière la souffrance, se profilent des problématiques différentes. Ce choix questionne l’intervention, son périmètre et les critères qui participent à construire le cadre. La référence à l’expertise méthodologique était à ce moment un appui pour l’intervenant. La supposé représentativité grâce à l’aléatoire peut laisser de côté des personnes qui ont des choses à dire. 5.2.4. Des incidents et imprévus qui affectent l’activité et l’intervention Pendant ce travail de terrain, le directeur régional, a été à plusieurs reprises « affolé » par la réalisation de l’intervention. En effet, cette dernière ne devait concerner que ce journal départemental et en aucune manière elle ne devait se prolonger plus largement aux autres. Mais, à partir a priori d’une erreur faite par un salarié du journal responsable de l’organisation du diagnostic, qui avait transmis une liste erronée du personnel, une personne avait donc été sélectionnée par l’intervenante et invitée alors qu’elle appartenait à un autre département. L’affolement du directeur, informé de la situation, l’a conduit à nous contacter précipitamment pour nous demander une explication. Celui-ci craignait un effet de contagion de l’intervention, amenant à d’autres demandes. Nous avions alors conscience que cette posture allait sans doute freiner la diffusion de l’action qui devait rester discrète et donc peu impliquante pour l’organisation. Ici, les intentions de l’intervenante, qui cherche à construire les conditions d’une transformation de l’organisation, se heurtent à celles de la direction qui souhaite que l’intervention fasse le moins de bruit possible, qu’elle se déroule mais sans que rien ne bouge, que rien ne se voit, ou ne se dise. Nous anticipions dans notre action future des empêchements à aller sur des questions sensibles, et l’organisation du travail en est une. Nous sentions qu’il nous faudrait préserver notre cadre d’intervention, quitte à rappeler que la portée de l’action était bien de travailler sur les situations de travail et l’organisation. Avant de débuter le temps des préconisations, et alors que nous nous organisions pour cela, nous apprenions un matin que les journalistes avaient déclenché une grève. Nous l’avons appris par la direction régionale. Ayant constaté que les préconisations n’allaient être construites que dans plusieurs semaines, cette nouvelle information avait été un facteur déterminant. Alors que des tensions vives animaient l’entreprise, les journalistes, ne voyant pas les changements arriver, et constatant que la phase d’élaboration du plan d’action allait être menée en juillet, cette information fut la « goutte d’eau ». Pour eux, il était clair que la direction voulait « enterrer » l’intervention. Nous avons dû prendre un temps lors de la prochaine réunion du groupe de travail pour les soutenir, les entendre et les encourager à poursuivre le travail. Ce report était compris comme le signe que l’intervention n’était pas véritablement assumée par la direction. Cette action est très révélatrice de l’état de colère des salariés, qui n’abandonnaient « normalement » jamais leur travail. Cela est révélateur également de la hauteur de leurs attentes à l’égard du changement. Nous interprétons ce comportement collectif comme une fac¸on de lutter contre le sentiment insupportable d’être dépossédé de sa propre action dans l’intervention et plus largement de sa propre action sur son travail. Nous avions le sentiment à la fois de les inciter à s’engager dans l’intervention et, dans le même temps, ils étaient tenus à distance. Cette situation fait écho aux conflits du travail dans lesquels ils étaient pris et qui ne trouvaient de répondant à ce moment-là. Lors de la première séance consacrée à la définition du plan d’action avec le groupe de travail, une contrariété nous a conduit à recadrer les objectifs de l’intervention. Elle était liée à l’absence volontaire du représentant de l’encadrement. Cette responsable, se sentant particulièrement menacée par les journalistes présents et donc plus largement par l’intervention, n’avait pas souhaité être Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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présente à la réunion. Le groupe ne parvenait pas à penser cette absence. Il y voyait l’acte d’une fuite de l’encadrement et souhaitait alors, dans un premier temps, mettre fin à la réunion. Tout notre travail, en tant qu’intervenante, avait été de les faire réfléchir à ce fonctionnement fermé et qui reposait uniquement sur la mise en actes. Que disaient ces fonctionnements du travail en général, et des fonctionnements collectifs ? Nous les avons encouragés, par conséquent, à modifier ce fonctionnement en décidant de poursuivre la réunion. Car pendant que les acteurs posaient des actes paralysants pour le changement, finalement rien n’était fait dans le sens de la réflexion pour définir les moyens d’atténuer la souffrance des personnes. L’espace de l’intervention n’était pas encore un espace où les acteurs pouvaient élaborer dans la confiance et la sécurité. La réunion s’est finalement poursuivie et cette mise au point a permis de mettre un sens sur ce fonctionnement, de concevoir que le changement ne pouvait pas se faire ni contre ni en dehors de l’encadrement mais bien en l’associant. Ce temps a permis de faire progresser le processus d’intervention, en permettant aux acteurs d’observer leur mode de fonctionnement et d’envisager une autre manière d’interagir. Nous avons ensuite pu constituer les catégories de problématiques comme nous l’avions prévu dans notre modèle malgré un temps réduit (cf. grille d’analyse de l’intervention).

5.2.5. L’insistance de l’intervenante à vouloir faire travailler sur le métier Alors que nous cherchions dans le diagnostic à nous effacer pour laisser aux professionnels tout l’espace pour construire un plan d’action basée sur leur connaissance du travail réel, nous avions à cœur de l’articuler avec les résultats du diagnostic et avec une problématique que le groupe avait tendance à éluder. En effet, le diagnostic faisait ressortir deux principales difficultés dans leur discours : celle de la perte de sens du métier et celle de la relation dégradée entre les journalistes et l’encadrement. Ainsi, les professionnels avaient le sentiment de perdre leur métier. Alors qu’ils se décrivaient comme des professionnels « passionnés », ils souffraient d’être constamment empêchés de faire leur travail. Ils renonc¸aient à admettre la perte de leur métier. Ils vivaient un conflit dans leurs valeurs entre ce qu’ils voulaient faire et ce que l’encadrement exigeait d’eux. L’encadrement, qui devait garantir et porter les choix de la direction, devenait alors la cible des nombreuses revendications et la cause des diverses plaintes exprimées. De plus, ce conflit de valeurs se cristallisait sur un outil en particulier. Il s’agissait d’un logiciel nouvellement intégré à la réalisation des papiers et qui pré-définissait l’ensemble des pages où allaient se fondre les papiers. Certains avaient la sensation de « faire du remplissage », de « remplir des boîtes de mots », sans aucune liberté et créativité. Enfin, les nouvelles exigences organisationnelles donnaient plus d’importance à la dimension commerciale et tendait à privilégier le registre du sensationnel dans le contenu des articles. Désormais, plutôt que d’écrire, il fallait « faire du racolage », aller chercher le sensationnel ou déguiser l’information pour qu’elle se vende mieux, devoir se résoudre à réaliser un article à partir d’un angle qui leur était imposé. Ils soulignaient également qu’ils n’avaient plus le temps de faire un travail de qualité dans la mesure où il était de plus en plus difficile de relire les papiers. Les nouvelles exigences de l’organisation venaient en quelque sorte « empêcher » la poursuite d’un travail de qualité, d’un travail éthique. Les personnes semblaient absorbées par le travail et les objectifs quantitatifs qu’elles poursuivaient, et dans le même temps, elles étaient empêchées de s’y engager pleinement. Toutefois, et même si dans le temps de définition du plan d’action, le groupe parvenait à formuler des propositions très concrètes, nous étions assez perplexe quant à ce qui nous apparaissait des détails pour le changement. En effet, elles laissaient de côté la question fondamentale du métier et de sa perte de sens. Ainsi, seules les deux premières catégories, soit l’organisation et le management, avaient été investies par les participants. Il s’agissait pour eux de deux dimensions centrales qui suffisaient à rétablir des conditions favorables à l’établissement de la coopération entre les journalistes et l’encadrement et le sens du métier. Nous sentions chez les participants un vécu de déception. Bien que nous ayons incité le groupe à réfléchir à l’importance de travailler des pistes spécifiquement liées à la question du métier, celui-ci répondait, contre toute attente et avec autorité : « le métier c’est pas le problème », car le problème était bien, selon eux, l’organisation et le management. L’activité ne devait pas être discutée. Ainsi, relativement à la problématique de l’organisation, le groupe de travail a élaboré des préconisations en lien notamment avec les aspects de la communication, de la répartition du Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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travail et des rôles, et de la participation. Puis, les préconisations concernant le management portaient sur les conditions favorables à la concertation entre encadrement et journalistes. 5.2.6. La transgression de notre cadre Dans la définition du plan d’action, le processus d’intervention s’est plus particulièrement concentré sur la définition et l’acceptation pour les acteurs d’un certain nombre de limitations dans le plan d’action, imposées par la direction. Il fallait par exemple accepter de concevoir le changement en dehors du logiciel amené à s’implanter durablement dans l’activité. Bien qu’il soit à la source de difficultés, de plaintes et du sentiment de perte du métier, la direction ne le supprimerait pas. Ces limitations semblaient pour le moins bloquer la réflexion du groupe de travail. Cette exigence très limitante nous conduisait à penser que les marges de manœuvre étaient très faibles et que l’intervention était un dispositif visant à faire accepter ce qui avait été en amont décidé. Nous avons dû déroger à notre cadre pour affiner nous-même le plan d’action en vue d’intégrer des actions engageant le collectif dans des espaces de discussion sur « l’usage » du logiciel et accompagner ce changement important pour le métier et sa vitalité. Ainsi, alors que notre cadre nous interdisait de produire nous-mêmes des propositions d’action, lors de la restitution du plan d’action au comité de pilotage, nous avons pris un temps pour formuler d’autres préconisations spécifiques que l’on pensait utiles. Ces dernières faisaient notamment référence à l’accompagnement des groupes professionnels amenés à construire un nouveau sens de leur métier. Nous pensions qu’il était nécessaire de créer des espaces pour discuter de l’activité et du métier. Par exemple, si le logiciel ne peut pas être supprimé (comme « agent pathogène » si l’on s’inspire du vocabulaire épidémiologique), il serait possible d’accompagner certains groupes professionnels à discuter de l’usage de l’outil logiciel et comment, dans les usages construits, se développe le métier. 5.2.7. L’effort pour inscrire l’action dans la durée La restitution du plan d’action s’est faite dans un cadre formel qui a réuni le comité de pilotage et le groupe de travail. Mais le médecin du travail et le secrétaire du CHSCT n’étaient pas présents. Suite aux premiers échanges, il apparaissait à la direction qu’un bon nombre des propositions formulées pouvait être applicable très rapidement. Le plan d’action proposé semblait pertinent « pour éviter de revenir sur une situation de crise ». La direction avanc¸ait que certaines propositions avaient déjà été décidées, comme l’organisation d’une réunion plénière en direction de tout le personnel. La direction prenait déjà des premières dispositions par rapport à un problème qui concernait en particulier le personnel administratif et de la vente. Ensuite, la direction a souligné que le travail réalisé par l’intervenant avait respecté les délais et les objectifs fixés au départ et qu’il était nécessaire maintenant de prendre le temps de réfléchir à des changements adaptés. Ainsi, la prochaine étape à venir était la validation du plan d’action. Il était nécessaire que les membres de la direction se concertent autour des préconisations avant de rendre leur avis aux membres du groupe de travail. Mais, après cette restitution, nous avons dû laisser derrière nous l’entreprise car la convention prenait fin. Nous avons néanmoins, dans la rédaction de notre rapport final, voulu encore contribuer à l’appropriation des éléments de l’intervention nécessaire à la décision de changement et à son inscription dans le temps. En effet, nous avons rédigé un rapport des résultats de l’intervention et l’avons diffusé à l’ensemble des acteurs impliqués dans le processus. Nous avons même inscrit dans ce rapport le compte rendu des propos tenus lors de la restitution et qui mettait l’accent sur des perspectives futures de coopération entre les acteurs. Puis, nous avons su par la suite que la direction organisait une réunion qui allait rassembler l’ensemble du personnel afin d’évoquer les évolutions de l’organisation dont des éléments relatifs à l’intervention et aux changements décidés. Malgré notre proposition, la direction n’a pas souhaité que l’intervenante soit présente. Nous analysons cela comme une volonté de restituer un contenu validé par elle seule ne donnant plus lieu à une discussion que l’intervenante risquerait de rouvrir. 5.3. Analyse du cas 5.3.1. Les obstacles et les appuis dans le développement de l’action Cette intervention s’est développée dans un milieu de travail détérioré. Des tensions entouraient l’intervention et elle s’est définie dans un contexte incertain. La demande pour nous était vague et Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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nous ne parvenions pas à en connaître véritablement les origines. L’organisation de temps de réunion auprès des acteurs a permis de mettre au jour d’autres informations. La version de la direction était que des changements s’étaient rapidement produits mettant en difficulté certaines personnes. Celle du secrétaire du CHSCT et du médecin du travail tendait à interroger d’autres facteurs organisationnels mais ces derniers ne parvenaient pas à s’exprimer précisément. Ainsi, lorsque nous avons animé la première réunion du groupe de travail, nous ne disposions pas d’une compréhension suffisante du contexte que nous allions étudier. Ce qui a contribué à « crisper » les participants et à affecter sans doute notre crédibilité. Le temps de l’analyse de la demande est un facteur clef de la construction d’une démarche. Nous pouvions aussi manquer au commencement de l’intervention, d’informations sur les enjeux stratégiques et les jeux d’acteurs (Bernoux, 2008 ; Crozier & Friedberg, 1977) qui pourtant se sont révélés déterminants dans le processus d’intervention. L’intervenant, compte tenu des tensions sociales préexistantes, peut être lui-même dans une impuissance à agir. Cela révèle à quel point l’intervention réelle peut s’éloigner de l’intervention idéale, prescrite, et la difficulté pour l’intervenante de saisir avant le démarrage de l’intervention la demande réelle et les enjeux stratégiques des différents acteurs. Ce manque d’information n’est pas irréversible mais dépend en grande partie du temps laissé à l’analyse du contexte au démarrage. Ce temps est, dans le contexte de travail des intervenants en santé au travail, largement déterminé par leur propre contexte socioorganisationnel. En effet, dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, la proposition d’intervention est censée parvenir assez rapidement aux commanditaires, ce qui empêche le temps d’élaboration du contexte et de la demande. Cela a pour effet dans l’action de commencer l’intervention avant que tous ces enjeux soient compris. Pour autant, l’intervenante était alors imprégnée d’un genre professionnel qui malgré cela, l’aidait à orienter son action à partir d’une compréhension des jeux d’acteurs construite dans son collectif et qui pré-organisait son action (Clot, 1999). C’est l’expérience collective qui permettait de construire l’attitude entre la prudence à l’égard de velléités d’instrumentalisation et l’exigence à impliquer l’ensemble du collectif pour travailler autrement ces jeux d’acteurs dans l’intervention. Par ailleurs, l’intervenante tendait à organiser l’action de telle fac¸on à ce qu’elle devienne un temps de suspension du conflit social. Mais dans le même temps, elle cherchait à articuler l’intervention et le dialogue social dans l’entreprise, en mobilisant des instances paritaires dès la définition du cadre de l’intervention. L’activité était tournée vers la possibilité de modifier les rapports sociaux dans l’entreprise. Étonnamment, car malgré les difficultés que nous avons rencontrées dans ce processus d’intervention, il a respecté la plupart des étapes envisagées. La richesse de l’analyse d’un processus d’intervention ne passe pas nécessairement que par l’éclairage des écarts entre ce que l’intervenant est censé faire et ce qu’il parvient à faire. Elle repose aussi en grande partie sur ce qui est à l’œuvre à l’intérieur des séquences qui s’enchaînent et dans l’activité dialogique entre acteurs, professionnels et intervenants. Le processus a été néanmoins plus fragile sur le temps de la décision et de la diffusion. À ce titre, on peut se poser la question de savoir ce qu’il reste d’une intervention. La priorité étant donnée aux contenus les moins menac¸ants pour l’organisation, les conditions pour assurer la mise en œuvre d’un processus durable ne sont pas toujours réunies. Comment faire en sorte que les points de vue se confrontent encore sur le travail après l’intervention ? Une perspective de recherche à investir est avec certitude les conditions d’institutionnalisation des actions de santé au travail. En particulier, nous avons éprouvé l’instabilité des acteurs présents fragilisant le processus d’intervention. Il a été difficile, en effet, de stabiliser des collectifs, d’engager les acteurs sur l’ensemble de l’intervention (notamment l’encadrement et le médecin du travail) et de les engager sur le terrain de la confrontation. En revanche, l’intervention a trouvé son soutien dans le fait que le groupe de travail était parvenu, au moment de la restitution, – et même s’il avait été réticent au début à participer à la définition du problème – à exposer voire opposer clairement des situations concrètes de travail pour argumenter les propositions d’action au comité de pilotage. La définition de propositions concrètes est favorable à la décision et au changement (Rick, Thomson, Briner, O’Regan, & Daniels, 2002). Cela n’a pas pour autant atténué notre perplexité et notre déception voyant que la question centrale du métier n’était pas investie. Nous observions et éprouvions des paradoxes les uns à côté des autres : d’un côté, le groupe de travail était réticent a priori pour proposer des modifications touchant à l’organisation du travail prescrite (notamment pour résoudre le problème de la charge de travail trop

Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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importante), sous-entendant qu’elle ne leur appartenait pas, qu’ils transgressaient un interdit lié à la division du travail. C’était pour eux à la direction de trouver les solutions. Et de l’autre côté, ils ne légitimaient pas notre invitation à les faire travailler sur le métier. Le changement devait venir, en effet, de l’organisation uniquement. Ils ne se reconnaissaient plus dans ce qu’ils faisaient et cherchaient celui qui allait redonner ce sens : la hiérarchie. Ils déléguaient la transformation du travail à la hiérarchie. Ce point est semble-t-il central et questionne une approche qui cherche à trop se centrer sur le métier au détriment d’une approche qui tend à faire dialoguer professionnels, concepteurs et dirigeants. Il ne faudrait pas que l’obstination à faire parler métier renforce des crispations sur des prérogatives du métier (sur un mode exclusif) et de protection de territoire annulant toute tentative de diffuser les enjeux du métier à d’autres niveaux de l’organisation à des fins de transformation du travail prescrit. De plus, nous voyons là une faiblesse du plan d’action car nous avons éprouvé la difficulté d’extraire du diagnostic ce qui allait permettre de construire des pistes d’action pour le changement. Alors que le diagnostic avait été validé, permettant « théoriquement » le passage à l’action, le groupe de travail refaisait continuellement le diagnostic et n’en sortait pas. Le temps de l’action n’arrivait pas à s’appuyer sur cette connaissance. La plainte prenait beaucoup d’espace, au détriment de la recherche de solutions. Les participants ne parvenaient pas à décentrer leur représentation des solutions de leur propre travail pour le penser plus largement en lien avec le collectif. Ils attendaient du plan d’action des réponses au cas par cas et pour leur situation propre. Nous voyons aussi dans cette difficulté à les engager dans un travail d’élaboration sur le changement les dilemmes dans lesquels eux-mêmes sont pris, celle d’une activité contrariée, à la fois sollicitée et empêchée et à la lassitude qui résulte des possibilités qu’ils ressentent sans pouvoir les vivre (Clot, 2008). Ce passage est peut-être nécessaire pour libérer les affects liés à une situation de souffrance. Elle questionne le temps de l’intervention, qui est pensé pour entrer dans le vif du sujet, en faisant l’impasse sur ces mouvements d’affects, sans lesquels on ne peut durablement travailler et penser le changement. Nous percevons ici une distinction majeure des modèles d’intervention axés sur le risque à éviter ou ceux axés sur le développement de la santé. Un plan d’action de prévention des risques a une portée générale pour parvenir à dresser des axes de changement organisationnel. Cette activité d’analyse sur l’activité d’intervention nous a amené à toucher les limites de la connaissance pour développer l’action. Ce passage entre connaissance et l’action est incertain, il n’est pas direct. Cette difficulté nous l’avons particulièrement éprouvée face à la réticence des professionnels à s’attaquer au métier. Cette difficulté peut provenir de ce modèle qui installe l’action dans une progression méthodologique qui semble aller de soi : celle du diagnostic au plan d’action sous-entendant qu’il faut connaître pour transformer. Ce constat nous laisse penser en effet que cette configuration de l’action place les personnes en situation d’attendre la mise en place de changements (extrinsèques) sans les vivre, sans les provoquer dans leur activité pour la développer. Cela ne semble pas favorable à la transformation des milieux professionnels à partir de la mobilisation des collectifs de travail. 5.3.2. Les limites de la connaissance pour développer l’action Dans cette continuité, on peut dire que malgré les recommandations soulignées par de nombreux auteurs concernant les conditions de réussite à réunir pour intervenir, la méthodologie permettant de construire l’action ou la détermination de préconisations n’est pas discutée dans la littérature. Les recherches, lorsqu’elles questionnent le problème des solutions, restent très discrètes sur leur construction dans l’entreprise. De plus, on a pu constater que la connaissance du risque n’est pas toujours une voie prometteuse pour définir l’action de transformation (Rouat, 2010). Les travaux réalisés semblent s’appuyer sur l’opération de renversement du problème ou des facteurs qui constituent des risques en solution logique. Si cela paraît être une évidence pour déduire une équation du « retour à la normale », on aurait tort de prétendre que « tout se passe comme si, du diagnostic à l’intervention, la voie était royale, simple et directe » (Hansez & de Keyser, 2007, p. 189). Le problème de surcharge de travail sera traité par son allègement ; le manque de reconnaissance de la part de la hiérarchie sera réparé par la formation des managers, etc. Cette conception de l’action laisse de côté l’une des ressources majeures pour construire la santé : la possibilité laissée aux professionnels d’organiser leur travail et de développer leur activité. Par exemple, cette intervention montre que le manque de reconnaissance ressenti par les professionnels ne pourra pas se résoudre par la mise en place d’une formation des managers sur les pratiques de reconnaissance. Ce vécu prend racine dans l’activité Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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empêchée et l’incapacité pour ces professionnels de se reconnaître dans leur travail et leur métier. Le manque de reconnaissance ne constitue pas « le facteur de risque » pour la santé mais il est la résultante d’une incapacité à agir. Quelle réponse logique devant l’impuissance à agir dans son travail ? L’analyse de cette activité pose pour nous une question de fond – que l’activité réalisée seulement ne posait pas si explicitement – sur la portée d’une intervention qui s’inscrirait dans une vision arrêtée de l’organisation du travail portée par une direction. L’intervention peut n’être que l’accompagnement au changement déjà pensé, et qu’il faut faire « avaler » pour la rendre digeste, une « technologie sociale » pour accompagner les mutations du travail et des organisations. 6. Conclusion Il convient de souligner l’intérêt de centrer l’évaluation des effets d’une intervention aussi du point de vue de l’analyse de la dynamique d’intervention. L’évaluation est également l’expérience de mise en œuvre d’un processus qui aide à comprendre comment se positionne une entreprise sur la question de la santé au travail. L’évaluation pose aussi la question des finalités de l’intervention qui ne sont pas nécessairement partagées par les acteurs (direction, professionnels, professionnels entre eux, intervenant). Cette question, plus politique, est souvent éludée et se limite à des indicateurs déconnectés du réel. En cela, l’analyse du réel de l’intervention apporte de précieuses informations sur les ressorts qui développent l’action en santé au travail dans les entreprises. Les difficultés rencontrées ont une fonction de révélateur que l’évaluation des effets d’une intervention peut prendre en compte. Ici la réticence à construire un dialogue sur ce que l’on peut encore espérer développer du métier a été un obstacle clinique concret dans la construction de l’action. Il nous renseigne sur la difficulté à développer le métier dans un contexte sur lequel les professionnels n’ont pas prise. La pratique d’une clinique de l’intervention peut nous aider à comprendre, à partir de l’activité de l’intervention, les dilemmes dans lesquels sont pris les professionnels eux-mêmes. Les difficultés éprouvées sont des épreuves dans l’activité mais elles instruisent les voies possibles du développement de l’action en santé au travail (Kostulski et al., 2011). L’étude de cas d’intervention s’avère utile pour travailler à une clinique de l’intervention et mieux connaître ce qui en favorise la qualité. Cette clinique suppose de donner à voir, au-delà des principes méthodologiques, la « cuisine » de l’action (Lhuilier & Amado, 2012). De notre point de vue, la clinique de l’intervention cherche à saisir ce qui constitue la qualité d’un processus d’intervention, en se dégageant de l’efficacité de ses résultats, en s’intéressant au réel de l’activité de l’intervenant, des acteurs et des professionnels et à ce qu’ensemble ils réussissent ou pas à faire. Elle les confronte aux ratés, à ce qui leur résiste, à ce qu’ils parviennent à réaliser. Que nous disent les obstacles, les remaniements, les ratés des réalités du travail et des interactions entre acteurs ? Comment ils interviennent dans la dynamique de l’intervention et comment en tirer des lec¸ons pour faire autrement et parvenir à mettre en mouvement quelque chose du métier dans l’intervention ? Par ailleurs, l’intervention n’est pas une démarche dérivée des sciences appliquées, qui se déroulerait par rapport à des résultats anticipés en appliquant sur le terrain des modèles pensés en laboratoire. L’intervenant opère donc des arbitrages entre son cadre d’intervention et la réalité de son travail qui elle-même traduit les dilemmes dans lesquels sont pris les destinataires de son travail. Il faut pouvoir les éprouver pour les développer dans des significations nouvelles. On saisit alors l’importance d’associer au développement de l’intervention celui de l’action des acteurs de la prévention et de ce qui est attendu d’eux dans le développement du pouvoir d’agir des collectifs et des individus. Comment faire interagir plus efficacement et plus durablement les conflits d’activité et l’activité collective des acteurs ? Il est important de prêter une attention clinique au niveau qui réunit ces acteurs décisionnaires qui sont engagés pour réaliser des choix de transformation des situations de travail. Par exemple, la non présence du médecin du travail et du secrétaire du CHSCT à la restitution interroge la place de ces acteurs dans la démarche d’intervention. Comment se sont-ils sentis partie prenante ? Se sont-ils trouvés inquiétés par la présence d’un tiers dans leur mission ? Cette absence pose la question de la convergence du changement organisationnel du point de vue du rôle des acteurs impliqués dans ce changement contribuant au renforcement ou à la baisse de la légitimité de ces différents partenaires institutionnels. Les autres processus d’intervention auxquels nous avons participé souligne la même difficulté lié à l’implication des acteurs. Ainsi, les enjeux des Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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acteurs ne convergent pas toujours et demandent à être expliciter sous peine de raviver des luttes de frontières professionnelles. Au terme de ce travail, nous défendons l’idée que l’on a beaucoup à gagner à travailler sur l’activité de l’intervenant mais aussi celle des acteurs de l’entreprise. L’analyse du travail est un instrument déterminant de la qualité des interventions. En effet, ce travail nous a amené à remettre en question des aspects de la méthodologie de l’intervention, souvent construites à partir de postulats a priori évidents : celui de la connaissance pour seul ressort de l’action. En effet, nous avons ici éprouvé les limites de cette conception de la transformation. L’analyse du processus d’intervention permet de (re)questionner des construits d’intervention : quel est l’objet à transformer ? Fait-il consensus ? Quels sont les rapports de force ? À quoi les acteurs en présence sont-ils prêts à renoncer pour aider à construire une vision d’un désirable, qui se déclinerait à travers l’exercice d’un métier dans un environnement que l’on construit ? Comment comprendre les positionnements opérés par l’intervenant ? Par exemple, la position d’expert peut être doublement rassurante : pour les acteurs car elle peut sécuriser un changement de fac¸on impartiale, avec les tentations pour les parties, de jouer plus ou moins consciemment de l’influence. Elle est rassurante pour l’intervenant, car elle affirme une position de sachant, au risque de ne plus voir l’aspect déstabilisant (qui échappe au cadre d’intelligibilité) du travail réel. Il y a une dimension politique, car l’intervenant peut être l’enjeu de séduction, d’influence, de dénigrement pour cautionner ce qui a été décidé en dehors du cadre de l’intervention.

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002

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Pour citer cet article : Rouat, S., et al. Le processus d’intervention en santé au travail : éclairer les enjeux de l’action par un exercice de formalisation de l’activité. Pratiques psychologiques (2019), https://doi.org/10.1016/j.prps.2019.11.002