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Les événements coronariens aigus après angioplastie coronaire : quels sont les bénéfices de l’angioplastie dans l’angor stable ? M.-F. Seronde, F. Schiele Service de cardiologie, Centre hospitalier universitaire de Besançon Université de Franche-Comté, EA 392, Besançon
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Introduction L’angioplastie coronaire a évolué considérablement sur le plan de l’efficacité et de la sécurité et permet une revascularisation non chirurgicale de lésions simples comme de lésions complexes, dans des situations d’angor stable comme de syndrome coronarien aigu. En 2004, sur le million de procédures d’angioplasties réalisées aux Etats-Unis, plus de 85 % l’ont été chez des patients stables [1] et pourtant, alors que l’angioplastie permet une réduction de mortalité en cas de syndrome coronarien aigu, le bénéfice clinique de ces procédures en situation stable est mal documenté, à part chez les patients à haut risque, avec atteinte du tronc commun de la coronaire gauche. Plusieurs études, avec un effectif relativement faible, ont démontré un bénéfice de l’angioplastie par rapport au traitement médical avec moins d’ischémie myocardique [2-3], une amélioration de la fonction ventriculaire gauche et même une réduction des événements [3]. L’étude « COURAGE » (Clinical Outcomes Utilizing Revascularization and Aggressive Drug Evaluation) [4], plus récente, a sérieusement remis en question le bénéfice d’une angioplastie systématique chez les patients en angor stable par rapport au traitement médicamenteux. Le but de cet article est de préciser, au vu des données actuelles, quel est le bénéfice clinique de l’angioplastie chez les patients en angor stable, en particulier en termes de mortalité ou infarctus. AMC pratique
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Les événements coronariens aigus chez les patients en angor stable Le pronostic de l’angor stable, qu’il soit estimé à partir de données de registre ou d’études randomisées, varie dans des proportions de 1 à 10, car la population du coronarien stable est très hétérogène. Les études épidémiologiques réalisées entre 1970 et 1990 en Europe montrent que le risque de décès est compris entre 2,6 et 17,6 pour 1 000 patients-années [5]. Dans la population de Framingham, sur une période de deux ans, les risques d’infarctus et de décès sont, respectivement, de 14,3 % et 5,5 % chez l’homme et de 6,21 % et 3,8 % chez la femme [6]. D’autres données, apportées par les études randomisées dans l’angor stable, montrent que les risques d’infarctus et décès sont compris entre 0,5-2,6 % et 0,9-1,4 % par an [7]. Les facteurs pronostiques les plus importants sont la fonction ventriculaire gauche et l’étendue des lésions coronaires, facteurs utilisés dans la construction de scores de risque pour l’angor stable. Si on admet que l’ischémie myocardique chronique est une cause fréquente d’insuffisance cardiaque [8] et que des sténoses significatives sont plus souvent rencontrées chez les patients ayant un syndrome coronarien aigu, il semble logique de penser que la revascularisation coronaire permet de modifier favorablement le pronostic de ces patients. Des études cliniques ont confirmé © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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ces hypothèses, en particulier en montrant une diminution de l’ischémie myocardique parallèle à l’amélioration des symptômes [2-3].
Effets bénéfiques du traitement médicamenteux L’étude « COURAGE » est intéressante car elle est récente et a permis d’évaluer l’impact de la revascularisation en addition à un traitement médicamenteux « moderne » et avec un suivi relativement long. Le message général était qu’une stratégie d’angioplastie initiale et systématique n’apporte pas de bénéfice clinique par rapport au traitement médicamenteux (éventuellement complété ultérieurement par la revascularisation [4]). Cette étude a fait l’objet de nombreuses critiques, mais elle a eu le mérite de clarifier de nombreux points sur le pronostic des patients avec angor stable, avec et sans angioplastie. Le bras contrôle de l’étude COURAGE montre que, sur une période moyenne de 4,6 ans, le risque de décès ou d’infarctus est de 18,5 % (environ 4,1 % par an), dont 8,3 % de décès et 12,3 % de syndrome coronarien aigu. Bien que la fonction ventriculaire gauche était généralement conservée (FEVG moyenne de 60 %), l’étude n’a pas particulièrement sélectionné des patients à faible risque, puisque 70 % avaient une atteinte multi tronculaire, 34 % étaient diabétiques et 39 % avaient déjà eu un infarctus. Ce résultat, apparemment décevant pour l’angioplastie, a été obtenu grâce à un traitement médicamenteux remarquablement complet, appelé justement « Optimal Medical Treatment », tant pour ce qui est des mesures hygiéno-diététiques que pour les médicaments de prévention secondaire. Le pourcentage de fumeurs est passé de 23 à 17 %, celui des patients pratiquant plus de 150 minutes de marche par semaine de 58 à 66 %, le niveau moyen de pression artérielle est passé de 131 à 123 mm Hg, celui du LDL cholestérol de 82 à 72 mgL et l’hémoglobine glyquée des patients diabétiques n’a pas augmenté durant les cinq ans de l’étude. Enfin, les taux d’utilisation des 28
médicaments de prévention secondaire étaient particulièrement élevés (aspirine et autres anti-plaquettaires 96 %, bêtabloquants 85 %, IEC 72 % et statines 93 %). Il est admis que l’efficacité du traitement médicamenteux va au-delà du contrôle de l’ischémie myocardique et des symptômes, car il limite le risque d’événement coronaire aigu. Cette « stabilisation » des lésions athéromateuses par le traitement médicamenteux est bien documentée pour trois classes médicamenteuses : les statines [9], les inhibiteurs de l’enzyme de conversion [10] et les antiplaquettaires par diminution du risque de thrombose [11].
Reste-t-il un bénéfice de l’angioplastie par rapport au traitement médicamenteux ? Contrairement à la perception générale, les résultats de « COURAGE » ont montré l’intérêt de l’angioplastie, en complément du traitement médical, sur des critères importants comme les symptômes et la qualité de vie [12], sur l’incidence des revascularisations [4] et de la proportion de patients chez qui persiste une ischémie d’effort de plus de 5 % du myocarde (19 % versus 33 %) ; ce qui a un impact sur la mortalité) [13]. Comme cela pouvait être attendu, dans la population globale de l’étude les deux stratégies (médicale + angioplastie ou médicale seule) ont fait jeu égal pour ce qui concerne la mortalité, l’incidence des syndromes coronariens aigus non fatals, les accidents vasculaires cérébraux et les critères composites formé avec ces éléments. Le bénéfice de l’angioplastie n’est obtenu qu’en fonction du degré d’ischémie initiale et chez les patients ayant une ischémie estimée à plus de 20 % du myocarde, la réduction de mortalité par l’angioplastie est importante : 2 % versus 6,7 % (figure 1) [14]. Dans ce sens, les résultats de l’étude « COURAGE » sont concordants avec les données antérieures : dans les situations anatomiques où il existe une ischémie importante, la revascularisation améliore le pronostic [15]. AMC pratique
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Paradoxalement, on peut trouver même surprenant qu’il n’ait pas été observé, dans l’étude « COURAGE », d’excès d’événements coronariens aigus dans le groupe angioplastie. En effet, l’angioplastie expose à trois types de risques : ceux liés à la procédure elle même, ceux liés à des phénomènes de resténose et ceux liés à une thrombose de Stent, autant d’événements qui peuvent se traduire cliniquement par un syndrome coronarien aigu ou un décès et ces complications existent quelle que soit la situation d’angor, stable ou instable. En fait, dans « COURAGE », le surcroît d’infarctus péri-procéduraux a été faible en valeur absolue (35/1 148 versus 9/1 031) par rapport aux nombre d’infarctus « spontanés », survenant durant le suivi (108 versus 119). Les phénomènes de resténose, qui s’expriment généralement par une aggravation d’angor d’effort plus que par un événement aigu, ont certainement justifié des revascularisations dans le groupe « angioplastie », mais il y en a eu beaucoup plus dans le groupe « médical » en raison du contrôle ischémique insuffisant (21 % versus 33 %). Enfin, le risque de thrombose de Stent est un événement rare mais souvent dramatique, plus fréquent dans le premier mois mais qui peut survenir très tardivement en cas de Stent actif. Bien que lié à la durée et à la qualité du traitement antiplaquettaire, ce risque de thrombose de Stent, globalement de l’ordre d’1 % par an, n’a pas augmenté le nombre de décès ou infarctus durant le suivi dans le groupe angioplastie. L’étude « COURAGE » nous rassure donc quant aux risques d’accident aigu après angioplastie de l’angor stable ; ils ne sont pas plus fréquents qu’avec un traitement médicamenteux « optimal ».
Balance bénéfice/risque de l’angioplastie de l’angor stable En pratique, dans l’angor stable, c’est n’est pas la question de l’angioplastie mais plus globalement de la revascularisation coroAMC pratique
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Les événements coronariens aigus liés à l’angioplastie P < 0,02
traitement médical seul traitement médical + revascularisation
Figure 1. Bénéfice de la revascularisation sur la survie en fonction du degré d’ischémie myocardique (d’après Hachamovitch [14]).
naire qui se pose. Le choix du type de revascularisation se fait sur des considérations anatomiques et techniques (par exemple en utilisant un score comme celui de « SYNTAX »). Une récente méta analyse a comparé le traitement médical avec versus sans revascularisation (angioplastie ou chirurgie) sur 13 121 patients. Il en ressort un bénéfice sur la mortalité (OR = 0,82 [0,68 ; 0,99]) grâce à la revascularisation [16]. Ce résultat n’est pas en opposition avec celui de l’étude « COURAGE » qui, elle-même, montre que la revascularisation dans l’angor stable apporte un bénéfice, en plus du traitement médical optimal, dans les cas où persiste une ischémie myocardique impliquant plus de 5 % du myocarde. Dans le bilan de l’angor stable, il importe donc de documenter, non seulement l’existence, mais aussi l’importance de l’ischémie myocardique. Cette quantification du pourcentage de tissu ischémique revient à la scintigraphie myocardique dont le compte rendu ne peut plus se limiter à un résultat positif et à une localisation, mais doit être assorti d’une valeur quantitative de l’ischémie [13]. Dans d’autres situations où la décision doit être prise en salle de coronarographie, la mesure de réserve coronaire par un guide de pression est un examen rapide et fiable qui permet d’affirmer l’ischémie 29
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myocardique et de justifier une décision de revascularisation ou la poursuite du seul traitement médical [17]. Conflit d’intérêt : aucun. Références 1.
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Réalisé en collaboration avec les laboratoires AstraZeneca.
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