Les urgences hypertensives

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Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 56 (2007) 174–182 http://france.elsevier.com/direct/ANCAAN/ Mise au point Les urgences hypertensives Hyperte...

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Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 56 (2007) 174–182 http://france.elsevier.com/direct/ANCAAN/

Mise au point

Les urgences hypertensives Hypertensive emergencies M. Escande*, B. Diadema, M.-C. Icard, J.-.P Peyre Service de cardiologie et gériatrie, CHG Allauch, BP 28, 13718 Allauchn, France Reçu le 28 juin 2007 ; accepté le 30 août 2007 Disponible sur internet le 18 septembre 2007

Résumé L’urgence hypertensive est difficile à définir chez l’hypertendu en pratique clinique, alors qu’il s’agit d’une situation fréquente. Son épidémiologie et sa physiopathologie sont décrites brièvement. Sur le plan clinique, l’urgence hypertensive est grave par ses complications immédiates au niveau des organes cibles, tant cérébrales que cardiovasculaires ou rénales. Le traitement de la crise hypertensive reste pragmatique, car il existe peu d’essais randomisés concernant les substances et posologies à utiliser. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Hypertensive urgencies are common clinical occurrences in hypertensive patients. The definition of hypertensive urgencies (target blood pression) were not consistent, but involved often target end-organ damage in emergencies. Epidemiology and physiopathology are briefly described. Treatment practices of hypertensive crisis were difficult because of the lack of evidence supporting the use of one therapeutic agent over another and its posology. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Urgences hypertensives ; Crises hypertensives ; Traitement antihypertenseur Keywords: Hypertensive urgencies; Hypertensive crisis; Antihypertensive treatment

1. Introduction et définition Définir la poussée hypertensive n’est pas évident, car cela revient à fixer des limites arbitraires à une variable en l’occurrence la pression artérielle (PA). Il s’agit d’une élévation brutale et significative de la PA, surtout de sa composante systolique, entraînant des symptômes cliniques, reflet de la mauvaise tolérance des organes cibles à un niveau tensionnel anormalement haut. À noter, qu’en routine clinique, on se contente de mesurer la pression artérielle périphérique, alors que l’estimation de la pression artérielle centrale, celle qui perfuse les organes cibles

* Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Escande).

serait bien plus intéressante, mais elle reste difficile actuellement à réaliser en pratique et surtout en urgence. Toute élévation de la pression artérielle systolique (PAS) n’est pas pathologique pour autant puisque la PA augmente physiologiquement à l’effort, par exemple, ou lors d’une bradycardie et dans ce cas, cette élévation tensionnelle doit être respectée. Toute élévation asymptomatique de la PA y compris celle découverte rétrospectivement après automesure ou MAPA ne sera pas prise en considération du moins en urgence. En revanche, la vraie crise hypertensive est celle qui, mal tolérée cliniquement, réalise une véritable urgence hémodynamique réclamant un bilan diagnostique et thérapeutique rapide. Pour le JNC7 de 2003, il s’agit d’une élévation de la PA supérieure à 180/120 mmHg avec atteinte viscérale, réclamant une thérapeutique antihypertensive, mais pas obligatoirement normotensive [1].

0003-3928/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ancard.2007.08.008

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Dans tous ces cas, l’hospitalisation du patient est indispensable pour surveillance continue. Mais, à partir de quels chiffres de PAS ou de pression artérielle diastolique (PAD) peut-on affirmer qu’il s’agit d’une urgence hypertensive ? À partir de 220 et 140 mmHg [2], selon les recommandations françaises de 2002. Mais, la tolérance clinique prime, ainsi que le niveau tensionnel de base et le caractère aigu de l’élévation de la pression. En effet, il faut distinguer urgence et poussée hypertensive ; pour l’Afssaps en 2002, l’urgence hypertensive est une élévation tensionnelle avec souffrance viscérale immédiate engageant le pronostic vital [2]. Chez le patient âgé, du fait de la variabilité de la PAS, le diagnostic d’urgence hypertensive est encore plus difficile et doit davantage donner d’importance à la tolérance clinique qu’aux chiffres manométriques bruts. En effet, à cet âge, l’élévation brutale de la PAS entraîne plus rapidement des lésions des organes cibles, réversibles dans un premier temps, d’où l’intérêt d’un repérage précoce et d’un traitement adapté. Les signes d’alerte seront soit neurologiques, (des céphalées, des vertiges, un déficit neurologique moteur, sensitif ou du langage ou une crise comitiale ou un syndrome confusionnel), soit cardiaques (œdème aigu pulmonaire dit flash, accès de fibrillation auriculaire, crise d’angor ou syndrome coronaire aigu), soit vasculaires (dissection aortique ou rupture d’anévrisme), soit rénaux, (insuffisance rénale plus ou moins aiguë), soit oculaire (glaucome) ou ORL (épistaxis). Que dire de l’hypertension artérielle (HTA) accélérée ou maligne ? Qu’elle n’a pas disparu des urgences. Elle est définie par une PA égale à 220/140 mmHg au moins et par un fond d’œil stade IV, une créatininémie élevée, une protéinurie et dans 50 % des cas on retrouve une étiologie. De même, l’HTA réfractaire ou résistante au traitement réclame un bilan complet et un renforcement de la thérapeutique avec trithérapie au minimum, mais pas toujours d’extrême urgence. 2. Épidémiologie et physiopathologie Dans une étude déjà ancienne (1996), Zampiglione et al., ayant colligé 341 urgences hypertensives, n’ont retrouvé que 108 véritables urgences avec une PAS supérieure ou égale à 220 mmHg, ou une PAD supérieure ou égale à 130 mmHg, dont une majorité d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou encéphalopathie ou insuffisance cardiaque aiguë [3]. Ces résultats sont identiques à ceux rapportés par Blumenfield et Laragh [4] en 2001 (Fig. 1). Il faut se rappeler que le seuil d’autorégulation du débit cérébral est déplacé chez l’hypertendu, vers les PA plus hautes, et qu’une baisse trop importante, mais surtout trop rapide de la PA peut aggraver l’ischémie cérébrale dite de « pénombre » en tissu non viable, d’autant qu’il existe en amont une sténose artérielle. Savoir qu’au moment d’un AVC, 75 % des patients ont une PA élevée, mais ils ne sont plus que 40 %, une semaine plus tard. Donc, il faut distinguer poussée hypertensive, conséquence de celle cause de l’AVC.

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Fig. 1. Urgence hypertensive et complications [4].

3. Clinique La crise hypertensive est moins fréquente qu’il n’y paraît, car elle ne peut se résumer à une simple élévation de la PA. Il faut donc être certains des chiffres de PA, et pour cela disposer de plusieurs mesures casuelles, au moins trois, en position couchée, après avoir rassuré le patient pour diminuer l’effet blouse blanche inhérent à toute atmosphère d’urgence. Après avoir affirmé le diagnostic, il faut en préciser les circonstances : S’agit-il d’une urgence hypertensive chez un patient hypertendu connu, traité ou non, ayant pris une ration sodée plus importante, ayant fait un exercice inhabituel, ou d’une hypertension d’origine iatrogène ? S’agit-il d’une HTA résistante au traitement ? S’agit-il d’un patient non compliant à son traitement antihypertenseur ? Ou s’agit-il d’une première poussée révélant une HTA et peut-être même son étiologie (prise de réglisse ou de corticoïdes, rénale, surrénalienne…) ? S’agit-il d’une poussée hypertensive concomitante d’un AVC ischémique ou d’une hémorragie cérébroméningée avec ou sans altération de la conscience. Autant de questions à se poser et autant de circonstances différentes à gérer. L’examen clinique cardiovasculaire doit être soigneux, complété par un ECG et une échocardiographie à la recherche d’une souffrance myocardique d’une dysfonction ventricule gauche systolique ou diastolique. Il faudra doser l’albumine sur un échantillon d’urine et vérifier créatinémie, ionogramme sanguin et urinaire albuminurie, BNP et troponine. Après examen, on pourra demander un scanner cérébral, voire un avis neurologique spécialisé et un bilan cognitif. L’urgence est en effet au diagnostic de souffrance viscérale aiguë, conséquence de la montée brutale de PAS, mais surtout

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au traitement rapide visant à corriger progressivement l’élévation tensionnelle pour améliorer le pronostic.

4.2. Cérébrales 4.2.1. Accidents vasculaires cérébraux

4. Complications 4.1. Cardiaques 4.1.1. Syndrome coronarien aigu Le syndrome coronaire aigu peut compliquer une poussée hypertensive. Plusieurs mécanismes peuvent être évoqués : une dissection aortique étendue aux artères coronaires, un défaut de vascularisation myocardique liée à l’élévation des pressions systolodiastoliques, une rupture ou dissection de plaque d’athérome coronaire, mécanisme pouvant être incriminé à l’occasion d’une HTA d’effort ou une augmentation de la demande en oxygène du fait d’une cardiopathie hypertrophique associée (CMH). Une poussée hypertensive peut être le facteur révélateur d’une coronaropathie latente. 4.1.2. Insuffisance cardiaque diastolique aiguë C’est le cas le plus fréquent, en particulier chez le sujet âgé avec une fonction systolique conservée. Les pressions de remplissage s’élèvent et sont à l’origine de l’insuffisance cardiaque. Les facteurs favorisant sont l’arythmie atriale, la diminution de compliance du ventricule gauche, comme dans les CMH ou cardiopathies « séniles ». Le diagnostic clinique, parfois difficile en cas de forme asymptomatique ou atypique, est conforté par les données échographiques (CMH, élévation des pressions de remplissage, fonction systolique conservée) et le dosage du BNP. 4.1.3. Insuffisance cardiaque systolique En cas de cardiopathie hypertensive négligée, non traitée antérieurement, il peut exister une authentique cardiomyopathie dilatée hypokinétique de mauvais pronostic. 4.1.4. Œdème aigu du poumon flash (OAP) Ce type d’OAP est fréquent chez les personnes âgées, dont le myocarde et les vaisseaux sont peu compliants. L’élévation de la PA entraîne une augmentation très rapide de la postcharge qui dépasse vite les capacités d’adaptation du myocarde. Il en résulte une élévation brutale des pressions de remplissage à l’origine de l’OAP. Il faut toujours se méfier d’une sténose bilatérale des artères rénales dans ce genre d’OAP, et savoir la rechercher. En plus de l’élévation de la PA, il existe une rétention hydrosodée. 4.1.5. Troubles du rythme L’élévation des pressions dans l’oreillette gauche, suite à une poussée hypertensive, peut se traduire par des accès de FA. Il existe souvent des facteurs prédisposants (antécédents de fibrillation auriculaire (FA), oreillette gauche (OG) dilatée, valvulopathie).

4.2.2.1. Épidémiologie. On sait bien que parmi les facteurs de risque modifiables, l’hypertension est le facteur de risque principal, et cela pour tous les sous-types d’AVC. L’HTA est un facteur favorisant la fibrillation auriculaire, l’athérome des vaisseaux extracérébraux et la lipohyalinose des vaisseaux intracérébraux. L’HTA prédispose aux infarctus lacunaires et aux hémorragies intracérébrales spontanées. Le risque vasculaire cérébral augmente de façon linéaire avec les chiffres de PA sans valeur seuil. Le risque relatif d’AVC est multiplié par 4 chez l’hypertendu pour des chiffres supérieurs à 160/95 mmHg. Mais, les grands essais thérapeutiques ont davantage étudié le niveau de la PA de base que les « à coups » tensionnels en particulier systoliques. 4.2.2.2. Prévention primosecondaire. En ce cas, la prévention de la crise hypertensive est primordiale. En effet, toutes les études réalisées dans l’HTA indiquent une prévention significative des AVC grâce au traitement antihypertenseur quel que soit le traitement comparé au placebo. Entre 40 et 69 ans, pour chaque augmentation de 20 mmHg de PAS ou de 10 mmHg de la PAD, on double le risque de mortalité par AVC. Ce risque relatif est fortement influencé par l’âge du patient. Exprimé en taux absolu, le risque d’AVC est dix fois plus fréquent chez le sujet de plus de 65 ans que celui de plus de 45 ans pour un niveau identique de PAD. De façon générale, l’analyse des grands essais dans l’HTA montre que la diminution de la PA s’accompagne chez les hypertendus d’un bénéfice relatif de 30 à 40 % selon l’âge. Dans l’étude SYSTEUR, une diminution de 10 mmHg de la PAS pendant deux ans permet de réduire de 42 %. Le risque d’AVC (anticalcique versus placebo) [5]. En prévention primaire, ces résultats ont été confirmés par l’étude SHEP qui a démontré que le traitement de l’HTA systolique isolée (> 160 mmHg), chez les sujets âgés de 60 ans ou plus, réduit de 30 % l’incidence des AVC [6]. La baisse de la PA diastolique de 5 à 6 mmHg diminue de 30 à 50 % le risque d’AVC. Le contrôle combiné de la PAS et de la PAD réduit l’incidence d’AVC. L’HTA a été reconnue comme facteur de risque majeur des hémorragies cérébrales primitives. En prévention secondaire, l’étude PROGRESS a montré que la baisse de la PA diminue le risque d’AVC ischémique, ce bénéfice se stabilise aux alentours de 140 mmHg de PAS [7]. L’étude ouverte HYVET, pilotant 1283 hypertendus de plus de 80 ans, indique une diminution de 53 % des AVC dans le groupe traité versus absence de traitement sur un suivi de 13 mois. L’étude randomisée HYVET, traitement versus placebo, après 80 ans, est en cours d’analyse statistique [8].

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4.2.3. Encéphalopathie hypertensive L’encéphalopathie hypertensive est un syndrome aigu caractérisé par une augmentation « brutale » de la PA associée à l’apparition rapide de signe de souffrance neurologique. Si celle-ci est traitée efficacement et de façon précoce, les symptômes sont habituellement réversibles, mais en cas de retard dans le traitement, l’encéphalopathie hypertensive peut être fatale : hémorragie cérébrale entraînant coma et décès. Ce risque est accru en cas d’anévrisme ou de traitement anticoagulant [9]. Sur le plan physiopathologique, l’augmentation de la PA entraîne des lésions endothéliales et une rupture de la barrière hématoméningée se compliquant d’une vasodilation artérielle entraînant un œdème cérébral et des microhémorragies. Ce changement de la perfusion cérébrale a lieu au niveau de la substance blanche dans les zones pariéto-occipitales par diminution probable de l’activité sympathique de ces régions. Le diagnostic est essentiellement clinique. Le tableau s’installe sur quelques heures ou quelques jours. Il associe céphalées, nausées, vomissements, troubles visuels, syndrome confusionnel, désorientation, signes neurologiques focaux, crises d’épilepsie. Celles-ci peuvent être inaugurales, généralisées d’emblée, mais sont plus souvent focales avec généralisation secondaire. Les diagnostics différentiels à évoquer sont l’AVC, l’hémorragie méningée, l’œdème cérébral… L’encéphalopathie hypertensive associe confusion mentale, symptôme oculaire, épilepsie en rapport avec une encéphalopathie postérieure réversible objectivée en IRM. L’IRM cérébrale est actuellement le meilleur examen complémentaire permettant de rétablir le diagnostic en montrant la non-systématisation artérielle de la leucoencéphalopathie postérieure. Il n’existe pas à ce jour de grands essais thérapeutiques fixant le traitement antihypertenseur optimal dans l’encéphalopathie hypertensive. Ce traitement antihypertenseur doit être plus prudent chez les patients âgés, ou s’il existe une HTA préexistante, car une réduction agressive de la PA comporte un risque de détérioration neurologique tel qu’un déficit cognitif ou la survenue d’un infarctus cérébral. 4.3. Vasculaires 4.3.1. Dissection aortique La dissection aortique est une complication rare (< 2 %), mais particulière sur le plan du traitement, dans la mesure où elle exige une diminution rapide (en moins de 15 minutes) et très importante de la PA. En effet, les premières heures sont cruciales puisque le taux de mortalité est de 1 à 2 % par heure, et la survie à cinq ans reste de l’ordre de 20 à 40 % toutes formes confondues. Les facteurs de risque sont ceux de la maladie athéromateuse, mais, toutefois, l’HTA est presque toujours au premier plan.

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Bien que la classification de De Bakey soit la plus ancienne, c’est celle de Stanford qui dicte la conduite à tenir en urgence. Le principal symptôme est une douleur très intense, initialement médiothoracique puis migratrice : dorsale, voire lomboabdominale. Le caractère migrateur de la douleur est quasi pathognomonique, mais parfois absent. L’examen clinique objective une anisotension supérieure à 20 mmHg, une asymétrie des pouls (amisosphygnie), un souffle artériel ou une abolition d’un pouls ou d’un souffle diastolique d’insuffisance aortique. L’échographie transœsophagienne est l’examen le plus performant en urgence : il montre la membrane intimale qui divise l’aorte en deux chenaux. Le scanner spiralé est aussi très utile quand il objective une dilatation de l’aorte avec image d’un double chenal. Il peut être obtenu en urgence, contrairement à l’IRM. L’évolution spontanée des dissections aortiques intéressant l’aorte ascendante est mortelle dans 80 % des cas par rupture dans le péricarde, le médiastin ou la plèvre. La majorité des décès surviennent dans les 12 à 24 premières heures. L’évolution des dissections épargnant l’aorte ascendante est en général plus favorable avec passage à la chronicité. Les risques évolutifs sont, à court terme, une complication ischémique périphérique (rénale–digestive) et à long terme, un anévrisme justifiant des contrôles scanners ou IRM annuels et pouvant nécessiter à distance un geste de chirurgie vasculaire. Sur la Fig. 2, on retrouve l’arbre décisionnel de prise en charge proposée par la Société européenne de cardiologie en 2002 [10]. L’analgésie associée aux bêtabloquants est la première thérapeutique et peut suffire à maîtriser l’HTA. Le traitement antihypertenseur a pour objectifs de limiter l’extension anévrismale et d’éviter la rupture. L’objectif tensionnel est une PAS à 100 ou 120 mmHg avec disparition des douleurs. Si la douleur persiste malgré l’abaissement de la PAS à ce niveau, elle peut être abaissée à 80–100 mmHg pourvu que la perfusion viscérale persiste. 4.4. Rénales Lors de la crise hypertensive, une insuffisance rénale aiguë est d’autant plus marquée qu’il existe des lésions rénales préexistantes (glomérulopathies, sténose des artères rénales, traitement par cyclosporine chez les transplantés). L’insuffisance rénale peut être simplement due à la poussée hypertensive, car l’autorégulation de la perfusion rénale n’est plus assurée. Mais, chez l’hypertendu avec néphropathie, la pression intraglomérulaire devient plus sensible à la variation de la PA systémique [11]. 4.5. Chirurgicales 4.5.1. HTA postopératoire En postopératoire, les poussées tensionnelles surviennent dans les deux premières heures, elles sont de courte durée, mais nécessitent un traitement antihypertenseur d’au moins

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Fig. 2. Recommandation 2001 de la Société européenne de cardiologie.

six heures. Ces poussées peuvent se voir dans tout type de chirurgie avec une fréquence accrue en chirurgie cardiothoracique, vasculaire et neurochirurgie par stimulation du système sympathique et des catécholamines. À noter que ces crises

hypertensives s’accompagnent le plus souvent d’hémorragie au niveau du site opératoire [11]. Par ailleurs, certains phéochomocytomes peuvent être révélés en postopératoire par une crise hypertensive.

Tableau 1 Essais randomisés sur l’urgence hypertensive d’après Cherney et Strous [12] Auteurs Hirschi et al. (niveau de preuve IIb)

Franklin et al. (niveau de preuve IIb)

Patients PAS > 200 mmHg

Et/ou PAD > 100 mmHg et atteinte des organes cibles n = 81 PAD > 130 mmHg avec figures oculaires n = 15

Pascale et al. (niveau de preuve IIb)

PAD > 120 mmHg avec atteinte des organes cibles

Angeli et al. (niveau de preuve Ib)

PAD ≥ 140 mmHg après 20 minutes de repos au lit

Protocole Nitroprussiate (NTP) 0,5 μg/kg par minute administrée en 15 mm versus uradipil (URP : 12,5 mg en 15 mm)

Suivi PA = 185/95 mmHg en 90 mm et non réévaluée à4h Effet indésirable majeur : hypotension

Nitroprussiate 0,5 μp/kg par minute administré par 0,25 μg/kg par minute pendant 15 mm versus nifédipine per os 10 mg à renouveler deux à six heures après jusqu'à PAD ≤ 120 mmHg Nifédipine (NIF) 10 mg versus captopril (CPL) 50 mg versus nifédipine SL 10 mg avec Clonidine IM 0,15 mg versus nifédipine 10 mg avec furosémide (FSM) i.v. 40 mg Nifédipine 10 mg SL versus captopril 25 mg (tous les patients recevaient un placebo)

Temps au bout duquel PAD ≤ 120 mmHg

Significations Nitroprussiate À réponse plus rapide uradipil 59 versus 20 % p < 0,05

Effets indésirables Sept majeurs (hypotensive) dans le groupe NTP versus deux dans le groupe URP

Une hypotension dans le groupe NTP

Une modification de PA Deux effets secondaires

La différence de la PA entre les groupes n'est pas significative

Sous Captopril perte du goût

1) PAD ≤ 120 mmHg et disparition des symptômes à 60 mm

1) Sept patients sur 10 sous CPL étaient répondeurs et 5 sur 10 sous NIF l'étaient 2) L'effet hypotenseur dure de 4 ± 2 heures

Aucune hypotension n'a été observée avec les substances

2) Effets secondaires NTP : nitroprussiate ; URP : uradipil ; NIF : nifédipine ; CPL : captopril ; FSM : furosémide.

Une céphalée et deux flushs sous Nifédipine

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Tableau 2 Études : urgence hypertensive Auteurs Patients Habib et al. PAD > 120 mmHg (niveau de preuve Ib) Nombre = 53 Komsuolu et al. PAD ≥ 120 mmHg (niveau de preuve Ib) Nombre = 66

Protocole Suivi Significativité NCN Po 30 mg versus placebo Cible PAD < 100 mmHg Oui NIF Po 20 mg versus NCN Po 20 mg versus CPT Po 25 mg

PAD < 110 mmHg Effets secondaires

Oui

Gonzalez et al. PAD 110 à 140 mmHg LBL Po 100 mg versus LBL Po PAD < 100 mmHg ou Oui (niveau de preuve Ib) Nombre = 36 200 mg versus LBL Po 300 mg réduction de la PAD de 30 mmHg Sanchez et al PAD ≥ 120 mmHg LCN Po 4 MG versus NIF Po Diminution PAD > 25 % Oui (niveau de preuve Ib) 20 mg de la PA de départ en 8 et 24 heures Nombre = 29 Effets secondaires

Jaker et al PAD ≥ 120 mmHg (niveau de preuve Ib)

NIF Po 20 mg versus CLN Po 0,1 mg répété toutes les heures

Nombre = 51 Zeller et al PAD de 116 à (niveau de preuve Ib) 139 mmHg Nombre = 15

PAD ≤ 100 mmHg

Oui

Effets secondaires Trois associations différentes de Diminuer la PAD de chlorthalidone et le CLN 20 mmHg ou PAD < 105 mmHg

Un patient a fait un AVC dans le groupe NIF 30 minutes après la prise, la PA passant de 210/125 mmHg à 120/80 mmHg Accélération de la FC sous NIF sans retentissement clinique 59 % de somnolence GP CLN Hypotension chez 11 patients répartis dans les trois groupes sans séquelles cliniques Dans le groupe hypertension sévère on retrouve des hypotensions chez les patients traités par ENL sans séquelle clinique

Rutledge et al PAD de 100 à (niveau de preuve Ib) 114 mmHg

PAD < 95 mmHg

Oui

Hirshi et al. (niveau de preuve Ib)

PAS < 180 mmHg ou PAD < 100 mmHg

Très significatif

Pas d'effets indésirables

Diminution de PAS > 20 mmHg et diminution de PAD ≥ 15 mmHg PAD ≤ 110 mmHg

Oui

Pas d'événement majeur

Oui

Pas d'événements indésirables

Significatif sur la cible PAD

Dix patients sous FNP et 12 sous NTP ont interrompu le traitement pour hypotension (NS) sans signification clinique

Tous les patients ont atteint la PAD cible pendant la 6e heure de titration Pas de différence de temps pour atteindre la valeur cible diastolique 1,5 ± 1,4 heure dans le groupe FNP versus 2 ± 2,5 heures dans le groupe NTP Réévaluation de la PAD une heure après l'arrêt de la perfusion de NTP

Quatre patients (2 FNP, 2 NTP) sont sortis de l'étude pour hypotension sans séquelle clinique

Rohr et al. (niveau de preuve IIb)

Mc Donald et al. (niveau de preuve IIb)

Panacek et al. (niveau de preuve IIb)

Pilmer et al. (niveau de preuve Ib)

HTA modéré (PAD : 100 à 114 mmHg) ENL 1,25 mg i.v. toutes les six heures versus placebo HTA sévère (PAD : 115 à 130 mmHg) Nombre = 65 ENL 1,25 mg i.v. toutes les six heures versus FSM PAS > 200 mmHg et URP IV 25 mg puis, 12,5 mg si ou PAD > 110 mmHg pas de réponse versus NIF Nombre = 53 sublingual 10 mg à répéter si pas de réponse PAD entre 200 et NIF Po 10/NIT Po 5 mg 250 mmHg ou PAD entre 110 à 140 mmHg Nombre = 161 PAD > 120 mmHg NIF Po 10 mg répétés deux fois Nombre = 20 si nécessaire versus LDL Po 200 mg suivis de 100 mg ou 200 mg au bout de deux heures si nécessaire. PAD ≥ 120 mmHg FNP 0,1 μg/kg par minute versus NTP 0,1 μg/kg par minute pour des PAD < 140 mm ou une réduction d'au moins 40 mmHg de la PAD avec augmentation Nombre = 183 progressive de la posologie PAD > 120 mmHg FNP 0,1 μg/kg par minute versus NTP 0,1 μg/kg par minute avec augmentation progressive de la posologie

Non significative

Effets indésirables Pas d'EI dans le groupe NCN Pas de différence pour les effets secondaires sauf pour la NIF qui accélère la FC Pas d'effets indésirables

Durée pour obtenir la PAD ciblée Réduction de la PA maintenue pendant 6 à 24 heures Effet indésirable Durée pour obtenir la PAD ciblée

Maintien de la PA pendant 6 à 24 heures

Nombre = 33

Effets secondaires

(suite)

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Tableau 2 (suite) Auteurs Reisin et Huth (niveau de preuve IIb)

Patients PAD ≥ 120 mmHg et < 170 mmHg

Protocole Suivi Significativité FNP 0,1 μg/kg par minute versus NTP 0,5 μg/kg par minute Augmentation progressive de la posologie pour atteindre la cible PA 110 mmHg. Si la PAD initiale est entre 110 et 149 mmHg ou la baisse de 40 mmHg de PAD. Si celle-ci est comprise entre 150 et 190 mmHg après atteinte des cibles maintien de la perfusion à dose maximale pendant deux heures puis diminution progressive sur deux heures. PAS > 210 mmHg en ENL 5 mg IV versus URP 25 mg PAS < 180 mmHg Hirsdrl et al. PAD > 110 mmHg ou IV ou NIF 20 mg sublingual ou PAD < 95 mmHg (niveau de preuve IIb) patient avec NIF 10 mg en spray PAD > 100 mmHg et atteinte des organes cibles Nombre = 168 Amélioration de l'atteinte des organes cibles aux urgences Wallin et al. PAS ≤ 160 mmHg ou Oui PAS > 200 mmHg NCN IV 5 mg/h avec (niveau de preuve Ib) PAD > 120 mmHg augmentation progressive versus PAD ≤ 110 mmHg ou Nombre = 123 placebo diminution de la PAD ≥ 25 mmHg

Effets indésirables

Un patient du groupe NIF a présenté une hypotension et un AIT

Sept hypotensions dans le groupe MCM, quatre arrêts de traitement et deux diminutions de doses (pas de séquelles cliniques) NTP : nitroprussiate ; LBL : labétalol ; ENL : enalapril : URP : uradipil ; CLN : clonidine ; NCN : nicardipine ; NIF : nifédipine ; FNP : firosénide ; FTP : fenoldopam ; CPL : captopril ; LCN : lacidipine.

5. Traitement de l’urgence hypertensive 5.1. État des lieux Beaucoup de questions restent en suspens, en particulier quant au choix des médicaments antihypertenseurs utilisés dans la crise hypertensive et surtout quant à ceux ayant un impact sur la mortalité à plus ou moins long terme. En effet, aucune étude n’a évalué la mortalité à long terme dans le contexte de l’urgence hypertensive [12]. Il n’y a pas non plus suffisamment d’essais randomisés sur l’effet antihypertenseur idéal au niveau des PA cibles. En effet, le Tableau 1 ne liste que quatre essais thérapeutiques de preuve Ib et IIb concernant les urgences hypertensives. En revanche, il y a davantage d’études sur la conduite à tenir en pratique, mais ces essais comportent peu de patients et n’ont pas atteint des niveaux de preuve suffisants (Tableau 2). 5.2. Recommandations En pratique et d’après les recommandations britanniques de 1999 [13], on vise à une réduction d’au moins 25 % de la PA (PAS et PAD) en deux heures, avec atteinte d’une PA cible de 160/100 mmHg en six heures sauf en cas de dissection aor-

tique, avec de toute façon surveillance de la PA toutes les 15 à 30 minutes jusqu’à stabilité clinique [13]. D’après les recommandations françaises de 2002, l’examen clinique initial permet de conclure à la présence au non d’une souffrance viscérale qui détermine l’attitude thérapeutique à envisager (Fig. 3) [2]. L’European Society of Hypertension (ESH) vient de publier de nouvelles recommandations en 2007 qui vont dans le même sens [15]. L’HTA sévère avec poussée survenue dans un contexte semi-urgent sans souffrance des organes cibles avec une PAS supérieure à 180 mmHg et une PAD supérieure à 110 mmHg nécessite cependant une prise en charge thérapeutique rapide. C’est dans l’AVC hémorragique que la diminution progressive de la PA est la plus bénéfique, mais il faut disposer d’une imagerie préalable pour distinguer ischémie et hémorragie cérébrale. Enfin, il y a lieu de respecter la poussée hypertensive entre 185/110 et 220/120 mmHg si on envisage une thrombolyse ou si l’on suspecte une dissection ou une nécrose myocardique associée. 5.3. Médicaments utilisés Plusieurs médicaments antihypertenseurs se sont révélés efficaces dans le traitement de l’urgence hypertensive : la

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Fig. 3. Poussées hypertensives de l’adulte.

nicardipine, la lacidipine, l’uradipil, le nitroprussiate, le labétalol et le fenoldopam non commercialisé encore en France. Nous-mêmes, avons réalisé un essai ouvert déjà ancien de phase II chez l’hypertendu âgé, avec poussée hypertensive sans atteinte des organes cibles. Cette étude ancienne sur la nicardipine IV a montré chez 28 patients âgés en moyenne de 84 ans, une efficacité significative dans 65 % des cas, avec une baisse progressive de la PA sans effet indésirable majeur et en particulier l’absence de tachycardie importante [14]. Le nitroprussiate entraîne une action antihypertensive rapide en 15 minutes dans 49 % des cas alors que l’uradipil n’y parvient que dans 20 % des cas. En effet, le nitroprussiate a une faible demi-vie d’action et d’élimination, mais donne plus d’effets secondaires indésirables en particulier des hypoten-

sions le rendant moins maniable et beaucoup moins sûr que les autres substances [12]. Le fenoldapam, vasodilatateur agoniste dopaminergique, est équivalent au nitroprussiate en efficacité et en tolérance, mais il ne peut être utilisé en France. On note une meilleure efficacité au long cours de la lacidipine, anticalcique à longue durée d’action par rapport à la nifédipine, anticalcique à courte durée d’action. 5.4. Situations cliniques La nifédipine sublinguale n’est plus recommandée lors des poussées hypertensives du fait d’une baisse tensionnelle trop rapide et parfois délétère. La nicardipine 20 mg per os, de par

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son action plus progressive, doit, elle, être préférée en urgence. Le lasilix et la trinitrine ne gardent qu’une indication complémentaire en cas d’insuffisance cardiaque aiguë. Le mieux est de débuter surtout chez le patient âgé une thérapeutique antihypertensive par voie veineuse par exemple du loxen à la seringue électrique, en surveillant la PA toutes les cinq à dix minutes au début. On traitera ensuite les conséquences viscérales de la poussée, mais il conviendra de traiter de toute façon la cause de la poussée hypertensive, si on a pu la repérer. L’analgésie associée aux bêtabloquants est la première thérapeutique et peut suffire à maîtriser l’HTA en cas de dissection aortique. Dans ce cas, on propose l’utilisation lors de la poussée hypertensive d’un bêtabloquant associé au nitropruissiate afin de diminuer la PAS à 110, voire à 100 mmHg et la fréquence cardiaque. Le labétalol, par son effet alfa- et bêtabloquant, diminue la PA et la fréquence cardiaque. Il est intéressant chez les insuffisants rénaux, car la fonction rénale est préservée. Dans le phéochromocytome, le produit de choix est le labétalol, car il est formellement contre-indiqué d’utiliser un bêtabloquant seul. 6. Conclusion

[2] Poussées hypertensives de l’adulte : élévation tensionnelle sans souffrance viscérale immédiate et urgences hypertensives. Recommandations et argumentaire, mai 2002. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). [3] Zampiglione, et al. Hypertension 1996;27:144–7. [4] Blumenfeld JD, Laragh JM. Management of hypertensive crises: the scientific basis of treatment decisions. Am Heart Journal 2001;14:1154– 67. [5] Staessen JA, et al. Randomised double-blind comparison of placebo and active treatment for older. Etude Syst-Eur J Hypertens 1999;17:1671–7. [6] SHEP Cooperation Reserch Group. Prevention of stroke by antihypertension drog treatment in older persous with isolated systolic hypertension. Final results of the SHEP. JAMA 1991;265:3255–64. [7] Progress collaborative Study Group Etude PROGRESS. Lancet 2001; 358:1033–41. [8] Bulpitt CJ, Beckett NS, Cooke J, Dumitrascu DL, Gil-Extremera B, Nachev C, et al. On behalf of the Hypertension in the Very Elderly Trial (HYVET). Working Group Etude Hyvet Pilot Journal of Hypertension 2003;21(12):2409–17. [9] Alamowitch S. L’encéphalopathie hypertensive. Correspondances en neurologie vasculaire no 1–2 vol. III 1er et 2e trimestres 2003. [10] Erbel R, et al. J Diagnosis and management of aortic dissection. Recommendations of the task Force on aortic dissection, European Society of Cardiology. Eur Heart Cardiol Clin 2001:18–22. [11] Aggarwal M, Khan IA. Hypertensive crisis: hypertensive emergencies and urgencies. Cardiol Clin 2006;24:135–46. [12] Cherney D, Strous S. Management of patients with hypertensive urgencies and emergencies. J Gen Intern Med 2002;17:937–45.

Il n’est pas plus facile de définir l’urgence hypertensive que la traiter. On manque de travaux pour aider le clinicien dans une situation pourtant fréquente et susceptible d’entraîner des complications sévères. Références [1]

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[13] Ramsay LE, Williams B, Johnslon GD, et al. Guidellnes for the management of hypertension report of the third working party of the British hypertension society. J Hum Hypertens 1999;13:569–92. [14] Escande M, Diadema B. Effets antihypertenseurs de la nicardipine IV dans l’hypertension artérielle du sujet âgé. Therapie 1989;44:161–5. [15] 2007 Guideline for the management of arterial hypertension. The task force for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC). J Hypertens 2007;25:1105–87.