Cas clinique
Maladie de Launois-Bensaude : une lipomatose cervico-faciale rare Launois-Bensaude disease: A rare cervico-facial lipomatosis
M.-B. Tschopp1, O. Meyer2, A. Golay1 1
Service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques, Département de médecine communautaire, de premier recours et des urgences, Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Genève, Suisse. 2 Service de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique, Département de chirurgie, Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Genève, Suisse.
Résumé Un patient de 53 ans, d’origine portugaise, établi en Suisse depuis 1980, présente depuis 1998 une lipomatose symétrique à prédominance cervicale ou maladie de Launois-Bensaude. Il s’agit d’une pathologie rare, caractérisée par la présence de multiples lipomes de disposition symétrique, non encapsulés, à prédominance cervico-faciale. Elle survient surtout chez l’homme entre 35 et 50 ans et est fréquemment associée à un alcoolisme, une hépatopathie, une intolérance au glucose, une hyperuricémie et un cancer des voies aérodigestives supérieures. Le traitement médical a peu d’effet sur la maladie, mais corrige les perturbations métaboliques et le surpoids. Le seul traitement efficace est chirurgical et doit être envisagé après un sevrage alcoolique. Il repose sur l’exérèse chirurgicale et la liposuccion. Il est réputé difficile en raison du caractère hémorragique et infiltrant des masses lipomateuses et de la tendance à la récidive, surtout après liposuccion.
Mots-clés : Maladie de Launois-Bensaude – lipomatose – alcoolisme – chirurgie. Summary We discuss the case of a 53-year-old Portuguese patient diagnosed with Launois-Bensaude syndrome, a symmetrical lipomatosis with predominant localization in the neck area. This disease is a rare disorder characterized by multiple, symmetrical lipomas predominantly localized in the upper part of the trunk, neck and face. It develops between 35 and 50 years of age, more often in a male population. It is associated with diabetes, alcohol intake, liver disease, hyperuricemia and upper respiratory tract malignancy. Medical treatment is aimed at correcting metabolic disorder but surgical removal of masses and liposuction are the only effective therapies. Success is limited because of the infiltrative nature of lipomas, frequent postoperative bleeding and a high rate of recurrences.
Key-words: Launois-Bensaude disease – lipomatosis – alcoholism – liposuction.
Anamnèse et examen clinique Correspondance : Alain Golay Service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques Hôpitaux universitaires de Genève Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4 CH-1211 Genève 14 Suisse
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Il s’agit d’un homme portugais, qui vit en Suisse depuis 1980. Il est marié depuis 1985 et a un fils de 25 ans en bonne santé. Il a travaillé pendant 10 ans en tant que jardinier, puis a effectué des travaux dans une entreprise de nettoyage jusqu’en 2011, date à laquelle il a été mis au bénéfice d’une assurance invalidité. L’anamnèse familiale révèle une possible
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lipomatose chez le père, décédé à l’âge de 65 ans, mais deux frères et une sœur indemnes. Il est en bonne santé habituelle. Il a consommé une à deux bières par jour, avec du vin et du Porto une fois par semaine jusqu’en 2003, puis déclare avoir quasiment stoppé sa consommation d’alcool sur les conseils de son médecin traitant. Le patient a remarqué l’existence de lipomes après son mariage. Les lésions
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sont initialement apparues au niveau de la nuque, puis se sont étendues progressivement vers les épaules, la région para- cervicale basse et les régions mastoïdiennes. Petit à petit, ils sont devenus de plus en plus volumineux, localisés au niveau du cou, des bras et du tronc, épargnant presque complètement les avant-bras et complètement les membres inférieurs.
Examen paraclinique Le bilan biologique révèle, à la formule sanguine, une macrocytose à 103 fL. La glycémie à jeun est dans la norme, de même que la fonction rénale. Au niveau des tests hépatiques, on note une discrète augmentation des alanine aspartate aminotransférases (ASAT), à la limite supérieure de la norme (58 U/l), et une élévation des gamma glutamyltransférases (GGT) à plus de 3 fois la norme (132 U/l), ce qui parle en faveur d’une consommation d’alcool persistante. Le bilan lipidique est, en revanche, tout à fait dans les normes, sans traitement médicamenteux (cholestérol total : 4,6 mmol/l ; triglycérides : 0,9 mmol/l ; HDL- cholestérol : 1,8 mmol/l ; LDLcholestérol : 2,39 mmol/l ; cholestérol total/HDL : 2,6 ; cholestérol LDL/HDL 1,33 ; toutes valeurs extrêmement basses au vu de cette maladie). L’une des origines potentielles de cette maladie est le développement d’une résistance à l’insuline concomitamment à une prise d’alcool. C’est la raison pour laquelle le patient a bénéficié d’un clamp euglycémique hyperinsulinémique, en 2004. La sensibilité à l’insuline s’est révélée excellente au vu des résultats montrant un glucose uptake de 8 mg/kg/min. Les valeurs normales sont comprises entre 5 et 8 mg/kg/min et les valeurs < 5 mg/kg/ min auraient montré un risque important de développer un diabète, souvent associé à cette maladie. Le patient a bénéficié de biopsies de l’un des lipomes de la nuque : la lésion observée en macroscopie correspond à une tumeur d’architecture lobulée, constituée par des adipocytes matures de même taille et dénués d’atypies cyto-nucléaires.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) cervicale a retrouvé la lipomatose cervicale postérieure diffuse, intéressant le tissu sous-cutané, avec de nombreux lipomes plus individualisables et avec envahissement vasculaire, mais sans prise de contraste pathologique.
Traitement et évolution Le patient bénéficie d’une première excision chirurgicale, en anesthésie générale, de lipomes occipito-cervicaux, puis de trois reprises chirurgicales, en raison de récidives de ces lipomes, de 2000 à 2006. Ces interventions sont compliquées d’hématomes traités conservativement. Six ans plus tard, le patient est demandeur d’une nouvelle intervention, en raison de douleurs diurnes et nocturnes causées par des lipomes récidivant occipito-cervicaux (figure 1). Suite aux multiples récidives de ces lipomes et à la rançon cicatricielle de chaque excision, une liposuccion est cette fois pratiquée au niveau nucal inférieur, ainsi qu’une excision au niveau occipital en raison de la difficulté à pratiquer une liposuccion sur ce site [1]. L’excision est compliquée par un hématome, nécessitant un drainage chirurgical, sous anesthésie locale, pour son évacuation (figure 2). L’évolution post-opératoire est favorable, avec une diminution des douleurs présentes avant l’intervention.
Discussion
après avoir étudié 65 cas, la tétrade symptomatique classique de la maladie : − lipome ; − symétrie ; − diffusion ; − prédominance cervico-faciale. Dix années auparavant, l’Allemand OttoWilhelm Madelung (1846-1926) [3] avait étudié 33 malades présentant une localisation cervicale de la maladie. Depuis, le « collier de Madelung » définit la localisation cervicale exclusive de la maladie. Il s’agit d’une pathologie rare (l’incidence est de 1/25 000 hommes en Italie), plus fréquente sur le pourtour méditerranéen, à prédominance masculine nette, caractérisée par la présence de multiples lipomes de disposition symétrique, non encapsulés, à prédominance cervicofacio-tronculaire. Elle survient surtout chez l’homme entre 35 et 50 ans. Des cas familiaux sont rapportés et se transmettent selon le mode autosomique dominant à pénétrance variable. La maladie est fréquemment associée à un alcoolisme, une hépatopathie, une intolérance au glucose, une hyperuricémie et un cancer des voies aéro-digestives supérieures. L’alcoolisme chronique est le facteur déclenchant le plus fréquemment retrouvé. Le sevrage alcoolique est également, paradoxalement, rapporté [4]. L’évolution de la maladie est assez stéréotypée : après une croissance relativement rapide sur plusieurs années, l’évolution se ralentit ou se stabilise. L’arrêt de l’alcool n’entraîne pas de régressions des lésions [5].
La classification d’Enzi
La maladie de Launois-Bensaude tient son nom des Français Pierre- Émile Launois (1856-1914) et Raoul Bensaude (1866-1939) [2] qui définissent, en 1898,
La classification d’Enzi distingue deux types selon la localisation de la maladie [1] : − dans le type 1, les masses lipomateuses sont profondes, avec atrophie
Figure 1. Avant l’intervention.
Figure 2. Après l’intervention.
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de la graisse sous-cutanée. Il existe un risque de compression pour les localisations médiastinales (syndrome cave, compression trachéale). La localisation des lipomes dans la région cervicale, sus-claviculaire et deltoïdienne, donne un aspect pseudo- athlétique aux malades ; − dans le type 2 d’Enzi, la lipomatose est diffuse et sous-cutanée, intéressant le tronc, l’abdomen et la racine des membres, mimant ainsi une obésité. Les complications sont en rapport avec le terrain ou avec la prolifération lipomateuse. Dans les formes de type 1 d’Enzi, les localisations intramédiastinales [6] peuvent être à l’origine de syndrome cave et de compression trachéale. On peut également constater une diminution de l’amplitude cervicale, un intertrigo des plis et une gêne à l’habillage. Parmi les complications liées à l’alcoolisme chronique, outre la recherche d’hémorragie digestive et de cirrhose, il convient de dépister systématiquement un cancer des voies aéro-digestives supérieures.
L’évaluation pré-opératoire L’évaluation pré-opératoire des patients doit être minutieuse. • La consultation chirurgicale a pour but d’évaluer la maladie et son retentissement, de s’assurer de l’arrêt de la prise d’alcool et de planifier le traitement en traitant en priorité les zones les plus gênantes. • La consultation de médecine interne doit prendre en compte, dans sa globalité, l’intoxication alcoolique afin d’obtenir un sevrage, et dépister et traiter les maladies associées, notamment les troubles endocriniens et métaboliques. Une attention toute particulière doit être portée sur le bilan de l’hémostase. • Les examens radiologiques utiles sont la radiographie du thorax, en cas de suspicion de lésion médiastinale, et l’IRM cervicale ou thoracique afin de préciser l’extension au sein des tissus mous des lipomes. La biopsie est inutile pour le diagnostic de la maladie, mais s’impose en cas de doute sur une dégénérescence sarcomateuse [7]. • Il n’existe pas de traitement médical, et l’arrêt de l’intoxication alcoolique n’entraîne pas de régression des
lésions, mais semble diminuer le risque de récidive [5]. Cet arrêt est néanmoins indispensable avant d’envisager le traitement chirurgical [8].
Le traitement chirurgical conventionnel Le traitement chirurgical est le seul traitement efficace [4]. Les interventions sont souvent longues et fastidieuses, raison pour laquelle le fractionnement des interventions est indispensable. La chirurgie est difficile en raison du volume des masses graisseuses, de la dissémination des lipomes et de leur infiltration dans les tissus voisins du fait de l’absence de capsule. La tomodensitométrie permet de prévoir ces difficultés. L’infiltration peut amener à sacrifier des structures, telles que les aponévroses [4], glandes sous-maxillaires et parotide superficielle. Sont traitées en priorité les lésions qui gênent le plus, c’est-à-dire cervicales postérieures et puis antérieures, en général. Contrairement au lipome simple, les récidives après exérèse sont fréquentes [9] : en effet, la pratique d’exérèse partielle fait le lit des récidives. La chirurgie conventionnelle seule est préconisée dans les régions où le respect des structures nobles contreindique la liposuccion [7], et où une excision cutanée est nécessaire pour permettre un redrapage (région cervicale antérieure, région parotidienne). L’infiltration de la graisse au sein de la glande parotide peut justifier une parotidectomie superficielle avec dissection du nerf facial.
La liposuccion La liposuccion semble être, en apparence, une alternative intéressante à la chirurgie, car elle est simple, moins délabrante, reproductible et avec une rançon cicatricielle minimale [10]. Les suites opératoires sont plus simples, avec une moindre fréquence des hématomes, moins de pertes sanguines, moins de séromes et un temps opératoire raccourci. Néanmoins, contrairement au traitement des lipomes isolés, les indications sont ici plus limitées et ce, pour plusieurs raisons : − les caractéristiques des masses lipomateuses de la maladie sont différentes de celles des lipomes classiques, car la graisse est plus dure et il y a infiltration des tissus voisins ; − les principales localisations de la maladie, cervicales et faciales, exposent à des blessures nerveuses ou vasculaires ; − enfin, il semble que les récidives après liposuccion soient plus fréquentes qu’après exérèse, car l’excision n’est que partielle [8]. De plus, les pertes sanguines, en raison du caractère hypervasculaire des lésions, ne doivent pas être sous-estimées et peuvent justifier un fractionnement des liposuccions, voire une transfusion sanguine. Pour la majorité des auteurs, la liposuccion est indiquée seule dans les régions sans structure vasculo-nerveuse [7, 8], pour les masses lipomateuses dont le traitement ne justifie pas d’exérèse cutanée de redrapage et/ou dont la rançon cicatricielle serait trop importante en cas
Conclusion La maladie de Launois-Bensaude est réputée difficile à traiter, dans la mesure où elle se manifeste chez des sujets d’âge mûr, souvent fragilisés par une intoxication alcoolique et par la nature infiltrante et hémorragique des masses lipomateuses. Toutefois, le retentissement psychologique, et parfois fonctionnel de la maladie, doit inciter à prendre en charge ces patients très motivés et parfois désespérés. Une prise en charge médicale et chirurgicale cohérente, au cas par cas, permet de traiter ces patients dans les meilleures conditions. Tous les patients doivent bénéficier, avant toute chirurgie, d’une prise en charge médicale spécialisée et personnalisée. Le sevrage alcoolique, la correction des troubles métaboliques, l’instauration des règles hygiéno-diététiques sont demandés. Le dépistage d’un cancer des voies aéro-digestives supérieures doit être évoqué. La chirurgie n’est envisagée qu’après sevrage alcoolique. Elle est planifiée et fractionnée en tenant compte des complications hémorragiques et du vécu du patient.
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d’exérèse seule. Les localisations abdominales (type 2 d’Enzi), sus-claviculaires, cervicales postérieures et les membres entrent souvent dans ce cadre. L’association de la liposuccion à la chirurgie facilite le geste en diminuant la taille de la masse et/ou en la délimitant artificiellement. L’intérêt de cette association se trouve dans la moindre morbidité par rapport à une exérèse chirurgicale isolée, mais sans réduire la rançon cicatricielle. Déclaration d’intérêt Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article.
Références [1] Pauchot J, Golay A, Gumener R, et al. La maladie de Launois-Bensaude : description, prise en charge. À propos de dix patients opérés. Ann Chir Plast Esthet 2009;54:135-45. [2] Launois PE, Bensaude R. De l’adénolipomatose symétrique. Bull Soc Med Hop Paris 1898;1:298-318. [3] Madelung W. Ueber den Fetthals (diffuses Lipom des Halses). Arch Klin Chir 1888;37:106-30. [4] D e b a e r e PA , Va l l o n - Va n d w a l l e C , Vandervoord J, et al. [20 patients operated on for Launois-Bensaude disease]. Ann Chir Plast 1981;26:180-4. [5] Parmar C, Blackburn C. Madelung’s disease: an uncommon disorder of unknown aetiology? Br J Oral Maxillofac Surg 1996;34:467-70.
[6] Enzi G, Biondetti PR, Fiore D, Mazzoleni F. Computed tomography of deep fat masses in multiple symmetrical lipomatosis. Radiology 1982;144:121-4. [7] Grolleau JL, Rouge D, Collin JF, et al. [Launois Bensaude disease. Focus apropos of 16 cases]. Ann Chir Plast Esthet 1994;38:302-6. [8] Darsonval V, Duly T, Munin O, Houet JF. [Surgical treatment of Launois- Bensaude disease. The value of liposuction]. Ann Chir Plast Esthet 1990;35:128-33. [9] Pinski KS, Roenigk HH Jr. Liposuction of lipomas. Dermatol Clin 1990;8:483-92. [10] Biou C, Illouz G, Langman JC, et al. [Place of aspiration lipolysis in the surgical treatment of Launois-Bensaude syndrome]. Rev Stomatol Chir Maxillofac 1984;85:497-500.
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