Rec¸u le : 11 juillet 2014 Rec¸u sous la forme re´vise´e le : 8 de´cembre 2014 Accepte´ le : 19 avril 2015
Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com
Quel est votre diagnostic ?
Masse he´patique unique et isole´e chez une femme aˆge´e H. Fouratia,*, W. Fekia, M. Boudabbousc, Y. Hentatia, K. Ben Mahfoudhb, A. Amouric, E. Daouda, Z. Mnifa a
Service d’imagerie me´dicale, CHU He´di Chaker, route El Ain Km 0,5, 3000 Sfax, Tunisie Service d’imagerie me´dicale, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie c Service de gastro-ente´rologie, CHU He´di Chaker, route El Ain Km 0,5, 3000 Sfax, Tunisie b
Observation Patiente aˆge´e de 72 ans, diabe´tique sous insuline, au stade de complications de´ge´ne´ratives, consulte dans le service de gastro-ente´rologie pour une douleur de l’hypochondre droit irradiant vers l’e´paule dans un contexte d’alte´ration de l’e´tat
ge´ne´ral fait d’asthe´nie, anorexie et d’amaigrissement non chiffre´e. Le bilan biologique est normal en dehors d’une discre`te cholestase he´patique sans cytolyse. Une e´chographie abdominale (fig. 1), angioscanner (fig. 2) et une IRM he´patique (fig. 3 et 4) sont re´alise´s.
Figure 1. a. E´chographie. b. E´chographie couple´e au doppler couleur.
* Auteur correspondant. e-mail :
[email protected],
[email protected] (H. Fourati). http://dx.doi.org/10.1016/j.frad.2015.04.007 Feuillets de radiologie 2015;55:247-252 0181-9801X/ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
247
H. Fourati et al.
Feuillets de radiologie 2015;55:247-252
Figure 2. Scanner abdominal sans (a), puis apre`s injection de PDC aux temps arte´riel (b), portal (c) et tardif (d).
Figure 3. IRM he´patique : se´quences : T2 STIR (a), T1 (b), 3DT1 EG sans injection de gadolinium (c).
248
Masse he´patique unique et isole´e chez une femme aˆge´e
Figure 4. IRM he´patique : se´quences injecte´es aux temps arte´riel (a), portal (b) et tardif (c).
Quel est votre diagnostic ?
249
H. Fourati et al.
Diagnostic Lymphome he´patique primitif.
Analyse de l’imagerie L’e´chographie abdominale a montre´ une volumineuse masse du secteur late´ral droit du foie, hypoe´choge`ne a` centre hypere´choge`ne (fig. 1 a) traverse´e par des structures vasculaires respecte´es, non thrombose´es et non envahies (fig. 1 b). Un comple´ment par angioscanner he´patique pour meilleure caracte´risation de la masse a montre´ que cette masse est spontane´ment hypodense (fig. 2 a), faiblement rehausse´e au temps arte´riel (fig. 2 b), avec une prise de contraste qui s’intensifie sur les temps portal (fig. 2 c) et tardif (fig. 2 d). Le centre de la masse est hypodense traverse´e par une branche portale respecte´e perme´able. Une IRM he´patique a montre´ : une masse lobule´e du foie droit se pre´sentant en hypersignal T2 (fig. 3 a), hyposignal T1 (fig. 3 b, c) dont la cine´tique vasculaire est superposable a` celle de´crite sur le scanner (fig. 4 a–c). Sur les se´quences en diffusion, une baisse de l’ADC a e´te´ retrouve´e avec un coefficient mesure´ a` 1,410 3. Le centre de la masse est ne´croticofibreux. La masse est responsable d’une re´traction de la capsule he´patique en regard. Une ponction biopsie de la masse et du foie sain a e´te´ re´alise´e guide´e par la TDM. L’examen anatomopathologique de la masse a re´ve´le´ une infiltration he´patique par un lymphome B a` grandes cellules (CD 20+) et une he´patite chronique active avec fibrose septale cirrhoge`ne dans le foie non tumoral. La patiente a e´te´ transfe´re´e dans un service d’he´matologie avec comple´ment de re´alisation des examens comple´mentaires dont la biopsie oste´o-me´dullaire qui s’est re´ve´le´e sans anomalies. Elle a e´te´ mise ensuite sous chimiothe´rapie avec bonne re´ponse au traitement.
Discussion Les lymphomes non hodgkiniens primitifs du foie sont tre`s rares, ils repre´sentent moins de 1 % des lymphomes extraganglionnaires et seulement 0,016 % de tous les cas de lymphome non hodgkinien [1], alors que l’atteinte secondaire du foie chez les patients atteints de lymphome non hodgkinien syste´mique est estime´e a` plus de 50 % des cas [2]. Plus de 250 cas ont e´te´ de´crits dans la litte´rature [1]. Les crite`res de de´finition de ces lymphomes non hodgkiniens he´patiques sont : l’absence de sple´nome´galie ou d’ade´nopathies pe´riphe´riques a` l’examen clinique ; une TDM thoracoabdomino-pelvienne normale en dehors de la masse he´patique ; une biopsie oste´o-me´dullaire et une ponction lombaire ne´gatives ; l’absence de cellules lymphomateuses sur l’he´mogramme [1].
250
Feuillets de radiologie 2015;55:247-252
Le lymphome he´patique primitif survient habituellement chez des individus d’aˆge moyen (aˆge me´dian variant de 48 a` 53 ans selon les e´tudes), avec une pre´dominance masculine (ratio : 1,7 a` 2,3) [3]. La pathoge´nie du lymphome primitif du foie est inconnue [3], mais plusieurs facteurs e´tiologiques ont e´te´ propose´s. En effet, plusieurs auteurs ont rapporte´ une augmentation de son incidence chez les patients infecte´s par le virus de l’he´patite C [4,5]. Une e´tude mene´e par Ramos-Casals et al. [6] a conclu a` un lien e´troit entre le virus de l’he´patite C, les de´sordres immunitaires et le lymphome non hodgkinien. D’autres auteurs ont rapporte´ une association de l’infection par le virus de l’he´patite B avec le lymphome primitif du foie, cependant la relation causale n’est pas encore prouve´e [1,7]. D’autres virus pourraient eˆtre implique´s dans la pathoge´nie du lymphome primitif du foie comme l’EBV (Epstein-Barr virus) et le VIH. L’association entre la survenue d’un lymphome non hodgkinien primitif du foie et l’immunode´pression a e´te´ aussi de´crite, surtout chez les patients atteints d’un syndrome d’immunode´ficience acquise ou les transplante´s [1]. Dans notre observation, la patiente avait une he´patite B chronique confirme´e par l’examen anatomopathologique du foie non tumoral. Plusieurs pre´sentations cliniques ont e´te´ de´crites dans la litte´rature notamment la survenue d’une douleur de l’hypochondre droit (56 a` 71 %), une perte de poids (35 %), une hyperthermie (22 %), un icte`re (4 %), une asthe´nie (13 %), une anorexie et des sueurs (8 %) [3]. A` l’examen physique, une he´patome´galie est retrouve´e dans 75 a` 82 % des cas [8] sans sple´nome´galie ni d’ade´nopathie pe´riphe´rique. Sur le plan biologique, une perturbation du bilan he´patique (e´le´vation des ASAT, des ALAT et des phosphatases alcalines), une e´le´vation des LDH, de la beˆta-2-microglobuline sont souvent retrouve´es. Un dosage normal de l’alpha-fœtoprote´ine et de l’ACE doit orienter le diagnostic vers un lymphome plutoˆt qu’une autre tumeur solide he´patocytaire ou secondaire [8]. Aucune imagerie n’est spe´cifique du diagnostic de lymphome a` localisation intrahe´patique. Le plus souvent, on retrouve une masse unique (60 a` 71 %), des masses multiples (25 a` 35 %) ou plus rarement une infiltration diffuse (3,8 a` 5 %) qui est associe´e a` un mauvais pronostic [9,10]. L’e´chographie est un bon examen de de´pistage, qui montre classiquement des le´sions hypoe´choge`nes, voire iso- ou ane´choge`ne [11]. Au scanner, les lymphomes he´patiques correspondent habituellement a` de volumineuses masses tre`s hypovascularise´es, ne´crose´es et pre´sentant un rehaussement faible et marginal [12,13]. Dans la se´rie de Sanders et al. [12], 50 % des le´sions ne se rehaussent pas, 33 % des le´sions se rehaussent de fac¸on he´te´roge`ne et une prise de contraste sur le pourtour de la le´sion est plus rarement pre´sente (16 % des cas). Apre`s la chimiothe´rapie, des calcifications peuvent apparaıˆtre dans la le´sion [1,14].
Masse he´patique unique et isole´e chez une femme aˆge´e
En IRM, le LNH est de signal variable, habituellement en hyposignal en ponde´ration T1, hypersignal en ponde´ration T2 et ne prenant pas ou peu le gadolinium. Parfois, le LNH est iso-intense en T1 et hypo- ou iso-intense en T2 [15,16]. Dans la se´rie de Michael et al. [17], un rehaussement pe´riphe´rique de la le´sion a e´te´ de´crit, ainsi qu’un rehaussement a` la phase arte´rielle qui se renforce a` la phase portale [17], ce qui e´tait le cas dans notre observation. L’inte´reˆt de l’IRM re´side dans le diagnostic des formes diffuses, devant une forte suspicion clinico-biologique de LNH du foie, non visualise´ par l’e´chographie et le scanner [11]. La TEP si elle est re´alise´e, peut eˆtre utile au diagnostic de lymphome non hodgkinien primitif du foie en montrant une fixation du FDG au niveau des sites des le´sions he´patiques [1]. Sur le plan imagerie, dans notre observation, deux signes se´miologiques sont releve´s : le premier signe est le respect des vaisseaux au sein d’une le´sion tumorale ; le deuxie`me signe est la re´traction capsulaire. En effet, dans la forme la plus classique du lymphome he´patique, la tumeur est le plus souvent unique, parfois volumineuse la le´sion respecte les vaisseaux et les voies biliaires. Par ailleurs, la re´traction capsulaire en regard d’une le´sion focale he´patique est rare : la pre´valence de ce signe dans la litte´rature est de 2 %. Elle a e´te´ de´crite pour la premie`re fois dans des observations d’he´mangio-endothe´liome e´pithe´loı¨de, et il existe une relation entre la re´traction capsulaire et le stroma re´action fibreux histologique. En l’absence de traitement anti-tumoral pre´alable, la valeur pre´dictive de malignite´ de ce signe semble significative. Il peut cependant eˆtre observe´ dans des le´sions be´nignes telles que l’he´mangiome scle´reux et la fibrose confluente [18]. Le diagnostic de lymphome primitif du foie est fait graˆce a` l’examen anatomopathologique avec e´tude immunohistochimique [1,7]. La preuve histologique reste donc indispensable pour retenir le diagnostic, elle est obtenue par une ponction– aspiration, une biopsie e´choguide´e ou laparoscopique, voire par laparotomie exploratrice [7]. L’immunohistochimie est essentielle pour diffe´rencier les lymphomes des autres tumeurs malignes. Le lymphome primitif du foie peut eˆtre confondu avec une he´patite, des tumeurs he´patiques primitives, des me´tastases he´patiques et une infiltration secondaire du foie par un lymphome syste´mique [1,13]. L’imagerie aide a` diffe´rencier entre ces diffe´rentes maladies et recherche des le´sions extrahe´patiques qui sugge`rent une atteinte syste´mique d’un carcinome ou d’un lymphome avec une atteinte secondaire du foie [1]. Diffe´rentes modalite´s the´rapeutiques ont e´te´ rapporte´es dans la litte´rature associant une chirurgie, une chimiothe´rapie, une radiothe´rapie ou une combinaison de ces diffe´rents moyens. La dure´e me´diane de survie dans la litte´rature e´tait de 15,3 mois (0 a` 123,6 mois) [1,13].
Conclusion Le lymphome primitif du foie est une maladie rare, fre´quemment me´connue et rarement e´voque´e en imagerie. Certains signes se´miologiques peuvent cependant aider a` e´voquer ce diagnostic. Cependant, la preuve histologique avec recours a` l’immunohistochimie est indispensable pour confirmer le diagnostic.
De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.
Re´fe´rences [1]
[2]
[3]
[4]
[5]
[6] [7] [8]
[9]
[10]
[11]
[12]
[13] [14]
Walter T, Be´ziat C, Miailhes P, Scalone O, Lebouche´ B, Trepo C. Lymphome non hodgkinien primitif du foie chez un patient infecte´ par le VIH : a` propos d’une observation. Rev Med Interne 2004;25:596–600. Maher MM, McDermot SR, Fenlon HM, Conroy D, O’Keane JC, Carney DN, et al. Imaging of primary non-Hodgkin’s lymphoma of the liver. Clin Radiol 2001;56:295–301. Bronowicki JP, Bineau C, Feugier P, Hermine O, Brousse N, Oberti F, et al. Primary lymphoma of the liver: clinical-pathological features and relationship with HCV infection in French patients. Hepathology 2003;37:781–7. Chowla A, Malhi-Chowla N, Chidambaram A, Surick B. Primary hepatic lymphoma in hepatitis C: case report and review of the literature. Am Surg 1999;65:881–3. Ramos-Casals M, Trejo O, Garcia-Carrasco M, Cervera R, De La Red G, Gil V, et al. Triple association between hepatitis C virus infection, systemic autoimmune diseases, and B cell lymphoma. J Rheumatol 2004;31:495–9. Finzi L, Mariette C, Triboulet JP. Lymphome primitif du foie. Ann Chir 2001;126:812–3. Ieng Kit Lei K. Primary non-Hodgkin’s lymphoma of the liver. Leuk Lymphoma 1998;29:293–9. Caccamo D, Perves NK, Marchesvsky A. Primary lymphoma of the liver in the acquired immunodeficiency syndrome. Arch Pathol Lab Med 1986;110:553–5. Mohler M, Gutzler F, Kallinowski B, Goeser T, Stremmel W. Primary hepatic hight-grade non-hodgkin’s lymphoma and chronic hapatitis C infection. Dig Dis Sci 1997;42:2241–5. Rizzi EB, Schinina V, Cristofaro M, David V, Bibbolino C. Nonhodgkin’s lymphoma of the liver in patients with AIDS: sonographic, CT, and MRI findings. J Clin Ultrasound 2001; 29:125–9. Gazelle GS, Lee MJ, Hahn PF, Goldberg MA, Rafaat N, Mueller PR. US, CT and MRI of primary and secondary liver lymphoma. J Comput Assist Tomogr 1994;18:412–5. Sanders LM, Botet JF, Straus DJ, Ryan J, Filippa DA, Newhouse JH. CT of primary lymphoma of liver. Am J Roentgenol 1989; 152:973–6. Avlonitis VS, Linos D. Primary hepatic lymphoma: a review. Eur J Surg 1999;165:725–9. Noronha V, Shafi NQ, Obando JA, Kummar S. Primary nonHodgkin’s lymphoma of the liver. Oncol Hematol 2005;53: 199–207.
251
H. Fourati et al. [15]
[16]
252
Weinreb JC, Brateman L, Maravilla KR. Magnetic resonance imaging of hepatic lymphoma. Am J Roentgenol 1984;143: 1211–4. Mitchell DG, Semelka RC. Liver. In: Stark DD, Bradley WG, editors. Magnetic resonance imaging. 3rd ed., St Louis, Missouri: Mosby; 1999. p. 439–70.
Feuillets de radiologie 2015;55:247-252 [17] [18]
Michael M, et al. Imaging of primary non-Hodgkin’s lymphoma of the liver. Clin Radiol 2001;56:295–301. Da Ines D, Petitcolin V, Lannareix V, Montoriol PF, Joubert Zakeyh J, Boyer L, et al. Re´traction capsulaire he´patique en regard d’une le´sio circonscrite : a` propos de 26 patients avec preuve histologique. J Radiol 2009;90:1067–74.