REVUE FRAN(~AISE D ALLERGOLOGIE
ETD'IMMUNOLOGIECUNIQUE
Mastocytoses cutan6es b6nignes de I'enfant Y. de PROST
On rassemble sous le terme de mastocytoses un groupe d'affections caractdris~es par l'accumulation de mastocytes dans la peau et parfois dans certains organes. Chez l'enfant la mastocytose cutande b~nigne est de loin l'atteinte la plus frdquente, l ' a c c u m u l a t i o n se fait essentiellement dans la peau au niveau du derme superficiel, elle atteint rarement d'autres organes. Les formes syst~miques s~v~res et hdmatologiques ne seront pas aborddes ici. On peut diviser les formes cliniques de mastocytoses cutandes chez l'enfant en 3 grands groupes : - les mastocytoses cutan6es b6nignes (urticaire pigmentaire) - les mastocytomes - les mastocytoses cutandes diffuses Les mastocytoses cutandes bdnignes peuvent survenir/~ tout gtge mais le plus souvent avant l'fige de 2 ans (Plus de 50 %). L'6tiologie est inconnue, il n'y a pas de transmission h6rdditaire malgr6 la description de rares cas familiaux ou chez des j u m e a u x [4, 6]. Le pronostic des mastocytoses cutan6es bdnignes cutandes de l'enfant est excellent avec une disparition des l~sions dans un ddlai plus ou moins long.
Service de Dermatologie, H6pital Necker-Enfants Malades, 149, rue de Serves, 75743 PARIS CEDEX 15. Tir6s/~ p a r t : Dr Y. de Prost, adresse ci-dessus.
DESCRIPTION CLINIQUE Les mastocytoses c u t a n 6 e s b 6 n i g n e s classiques Elles ont dtd d6crites 6galement sous le terme d'urticaire pigmentaire. C'est de loin la manifestation clinique la plus fr6quente. La maladie peut d~buter g tout fige parfois d~s la naissance mais le plus souvent elle s'installe dans les premiers mois de la vie [3, 5]. L'atteinte cutan6e se pr6sente sous la forme de macules, de papules, voire de nodules pigment6s, rose-brun parfois jaunfitres. Les dldments sont ronds ou ovalaires, souvent disposds suivant les axes de tension de la peau. Ils sont en n o m b r e variable, allant d'une dizaine d'616ments ~t plus d'une centaine. Ils peuvent sidger sur toute la pattie du tdgument mais pr6dominent le plus souvent sur le tronc, r6gulierement r~partis de fagon sym~trique. Ils peuvent ~galement si6ger sur la tete, le cuir chevelu, les paumes, les plantes et la r6gion p6rindale. Les ~ldments sont souvent plus larges chez l'enfant que chez l'adulte. La p i g m e n t a t i o n est plus marqu6e lorsque les 61dments deviennent plus anciens. Le diagnostic de mastocytose peut etre confirmd cliniquement par la positivit6 du signe de Darier. Ce
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PROST Y. de. - Mastocytoses cutan6es benignes de renfant. Rev. ft. Allergol., 1995, 35 (2), 135-137.
© Expansion Scientifique Franfaise, 1995
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signe consiste fi provoquer une rdaction papuleuse, blanchfitre, entourde par une nappe 6ryth6mateuse, plus ou moins urticarienne aprhs frottement de la peau. La rdaction peut 6tre bulleuse. Ce signe est expliqu6 par la libdration d'histamine et de mddiateurs provoqu6 par le traumatisme sur les infiltrations mastocytaires. I1 ne doit 6tre recherch6 qu'une fois car les frottements r6pdt6s peuvent entralner une r6action systdmique avec un flush, un cedhme du visage, un malaise, voire une syncope. Le reste de l'examen clinique est normal. I1 existe un dermographisme dans un tiers ~ la moiti6 des cas suivant les s6ries. I1 n'y a pas d'addnopathie ni d'hdpato-spldnom6galie dans la forme cutan6e bdnigne. Des 6pisodes de flush avec malaise, prurit, urticaire, parfois douleurs abdominales peuvent Otre provoquds par de multiples facteurs. Ces facteurs sont des stimulateurs de la libdration d'histamine, de prostaglandines ou de ddriv6 de l'acide arachidonique par les mastocytes. Les frottements rdp6t6s, bains chauds ou froids, les changements de temp6rature, l'alcool, certains m6dicaments, (voir tableau n°l) peuvent entrainer ces 6pisodes qui durent de 15 h 30 minutes.
Le mastocytome (ou mastocytome solitaire) Comme son n o m l'indique il s'agit d'une ldsion u m q u e souvent presente tres tot dans la vie, a la naissance ou dans les premiers mois qui va augm e n t e r de volume p e n d a n t quelques mois puis r6gresser s p o n t a n 6 m e n t aprbs une pdriode variable qui peut durer plusieurs ann6es. I1 s'agit de 16sions, en r6gle, nodulaires, d'un brun plus ou moins fonc6 avec parfois une tendance jaungtre qui rend difficile le diagnostic diffdrentiel avec un x a n t h o g r a n u l o m e annulaire. Les 16sions sont rondes ou ovalaires et mesurent de l ~t 5 cm de diambtre. Elles ont parfois un aspect en peau d'orange. Le signe de Darier est positif. I1 doit 6tre distingu6 dans cette forme nodulaire du faux signe de Darier que l'on peut observer au cours de certains h a m a r t o m e s musculaires lisses. La rdaction obtenue dans ce dernier cas est un gonflement apr6s fcottement de la 16sion mais il n'y a jamais de ldsions urticariennes blanchfitres ni de bulles. L'6volution spontandment involutive du mastocytome ndcessite une simple surveillance. I1 est inutile d'en pratiquer l'ex4rhse.
Mastocytose cutan6e diffuse de l'enfant I1 s'agit d'une forme beaucoup plus rare qui survient le plus souvent dans la pdriode n6onatale ou trbs t6t dans la vie. L'infiltration mastocytaire est ici beaucoup plus importante. L'atteinte cutande peut ~tre relativement diffuse, sous la forme de larges papules souvent jaunfitres, d'infiltrations
cutandes, 6ryth6mateuses, irrdgulibres et de ldsions bulleuses provoqu6es par les moindres frottements. C'est dans ces formes que des signes syst6miques peuvent survenir avec des crises de flush, prurit, 6]6vation de la tempdrature, vomissements, douleurs abdominales, diarrh6e, et parlois 6tat de choc. C'est dans ces formes que l'on peut retrouver une infiltration mastocytaire touchant d'autres organes comme l'appareil digestif, les os, voire une extension mddullaire. Ces formes sortent 6videmment du cadre des mastocytoses cutan6es b6nignes.
Diagnostic et conduite ~ tenir Le diagnostic d'une mastocytose cutande bdnigne est en rhgle facile, sur les dldments cliniques d6jg d6crits et la pr6sence d'un signe de Darier. Dans ces formes classiques la biopsie n'est pas indispensable. Dans les formes de diagnostic plus difficile, la biopsie permet le diagnostic. I1 faut 6viter de biopsier une ldsion qui a 6t6 frott6e auparavant, ne pas faire l'anesth6sie locale trop pr6s de la 16sion afin d'dviter une ddgranulation des cellules mastocytaires r e n d a n t alors le diagnostic histologique plus difficile. L'identification des mastocytes qui infiltrent le derme est difficile sur des coupes colordes par les techniques standards car elles ne mettent pas en 6vidence leur granulation cytoplasmique. I1 faut utiliser des colorations sp6ciales, comme le bleu de toluidine ou le giemsa. L'infiltrat est plus ou moins important, il est localis6 dans la partie superficielle du derme et est fait de cellules ovalaires ou fusiformes poss6dant dans leur cytoplasme les granulations caract6ristiques. Darts les formes plus nodulaires ou les m a s t o c y t o m e s l'infiltrat est plus massif, occupant la quasi-totalit6 du define, les cellules sont plus volumineuses, ovalaires ou cubiques par tassement les unes contre les autres, ~ n o y a u arrondi, ~ cytoplasme 6osinophile. Dans les formes bulleuses le clivage est de si6ge variable mais le plus souvent sous-dpidermique, la cavit6 contient souvent des mastocytes.
Quel bilan faut-il pratiquer devant une mastocytose cutan6e b6nigne ? L'excellent pronostic de la mastocytose cutan6e bdnigne fait qu'il faut avant tout rassurer les parents et limiter au m a x i m u m le bilan. Les atteintes syst6miques sont exceptionnelles au cours de cette forme. Le bilan doit cependant comporter une radiographie des membres, pour 61iminer s y s t 6 m a t i q u e m e n t une localisation osseuse ; celles-ci, certes rares, doivent Otre reconnues car dans certains cas elles peuvent imposer l'interdiction de sports violents et dangereux. Les Rev. fr. Allergol., 1995, 35, 2.
/MASTOCYTOSES CUTANEES BEN1GNES DE L'ENFANT " T A B L E A U I. - M 6 d i c a m e n t s • • • • • •
Aspirine Alcool Morphine Codeine Polymixine B Thiamine
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histamino-lib6rateurs • • • • *
d. t u b o c u r a r i n e Quinine Produits de contraste Scopolamine Decamethonium
Liste n o n e x h a u s t i v e . D ' a p r ~ s B i B a c c o et al. [3].
localisations sihgent le plus souvent sur les os longs pres des articulations, elles sont h type d'osteocondensation mais des atteintes avec demineralisation ont 6galement et6 decrites. Elles sont en general sans gravit6. Le reste du bilan pent c o m p o r t e r une n u m e r a t i o n formule sanguine, non pas pour 41iminer une forme leucemique qui est tout ~ fait exceptionnelle et avec un tableau de gravit6 clinique totalement different, mais pour eliminer systematiquement une hypereosinophilie apanage de certaines formes diffuses et une polyglobulie qui a 6te rarement rapportee en association de formes 6tendnes. TRAITEMENTS
I1 n'y a pas de traitement specifique de la mastocytose et d'ailleurs celui-ci n'est pas necessaire car le pronostic est excellent et la plupart des formes sont trhs bien supportdes. Des recommandations sont cependant ndcessaires pour eviter une degranulation mastocytaire avec liberation d'histamine ou d'autres mddiateurs qui peuvent entrainer les signes ou malaises dej~t ddcrits plus haut. Ces recommandations sont avant tout de ne pas Dotter les enfants, n o t a m m e n t lorsqu'il faut les secher aprhs le bain, d'eviter le contact brutal avec l'eau, qu'elle soit froide ou chaude et, chez les enfants en fige de se baigner, d'dviter les plongeons sans s'4tre mouille, auparavant. Les recommandations alimentaires sont inutiles dans ces formes bdnignes et les aliments classiquement incrimines ont souvent ddj5 6te pris par les enfants sans entrainer la moindre poussee. L'attitude a avoir devant la prescription de certains m e d i c a m e n t s liberateurs d'histamine (tableau I) est plus complexe. I1 apparait raison-
nable de dire aux parents de preferer le paracetatool ~t l'aspirine qui est u n degranulant classique et d'eviter la codeine dans les sirops tussiplegiques. La polymyxine B classiquement contreindiquee n'est pratiquement plus utilisee. L'attitude a avoir au cours d'une anesthdsie gendrale est 6galement complexe. Les r e c o m m a n d a t i o n s sont utiles dans les formes cutandes diffuses ou dans les formes ~ type de mastocytose cutanee benigne comportant de nombreux elements. I1 est indispensable que le diagnostic de mastocytose cutande soit mentionn6 sur le carnet de sante et qu'une lettre soit faite aupres de l'anesthesiste q u a n d l'intervention est prdvue. Les medecins anesthesistes connaissent les medicaments reputes histamino-libdrateurs en sachant que de nombreux anesthdsiques possedent cette propridte [2]. Les m e d i c a m e n t s les plus dangereux sont les curares qui ne sont pratiquement plus utilises en anesthesie. Parmi les hypnotiques, le midazolam, l'etomidate, le propofol et les agents halogends ne sont pas histamino-liberateurs. Parmi les analgesiques il faut 61iminer la morphine et administrer avec prudence les autres morphinomimetiques. L'induction et l'entretien de l'anesthdsie peuvent ~tre effectuds avec l'halothane ou l'isoflurane. De nombreux anesthesistes conseillent de premediquer par un anti-H1 et un anti-H2. I1 faut 6viter la survenue d'une hypothermie, prdchauffer les liquides de perfusion et avoir de l'adrenaline portee de mains p o u r traiter un 6ventuel choc anaphylactique. En dehors de ces conditions particulieres le traitement de fond ne sera utilis6 que dans les formes prurigineuses et les formes cutandes etendues avec episode de flush. Les a n t i h i s t a m i n i q u e s anti- H 1 amdliorent parfois le prurit, le traitement peut 6tre complete par la prescription d'anti-H2. Le cromoglycate de s o d i u m peut 6tre utile lorsqu'il existe des manifestations digestives. Dans certaines formes etendues ou bulleuses la nifedipine et le ketotifen ont 4t6 proposes avec une amelioration inconstante. Les autres traitements ont 6te proposes dans des formes 6tendues uniquem e n t chez l'adulte : corticotherapie locale sous occlusion, puvatherapie, voire m e m e interferon alpha 2 b. [ 1]
RI~Ft~RENCES 1. B a r t o n J., L a u k e r R., S c h e c h t e r N. - T r e a t m e n t o f u r t i c a r i a p i g m e n t o s a w i t h corticosteroids.Arch. Dermatol., 1985, 121, 1516-I523. 2. B o n n e t B l a n c J . M . - R i s q u e a n e s t h e s i q u e et m a s t o c y t o s e . Ann. DermatoI. Venereol., 1992, 119, 796-798. 3. D i b a c c o R.S., D e l e o V.A. - M a s t o c y t o s i s a n d t h e m a s t cell. Y. Am. Acad. Dermatol., 1982, 7, 709-722. 4. F e n s k e N.A., L o b e r C.W., P a u t l e r SE. - C o n g e n i t a l b u l l o u s u r t i c a r i a p i g m e n t o s a . Arch. Dermatol., 1985, 121, 115-118. 5. G u z z o C., L a u k e r R., R o b e r t s J. et coll. - U r t i c a r i a p i g m e n t o s a . Arch. Dermatol., 1991, 127, 191-196. 6. O k u T., H a s h i z u m e H., Y o k o t e R. - T h e f a m i l i a l o c c u r e n c e o f bull o u s m a s t o c y t o s i s . Arch. Dermatol., 1990, 126, 1478-1484.
Rev. fr. Allergol., 1995, 35, 2.