Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique 45 (2005) 456–463 http://france.elsevier.com/direct/REVCLI/
Revue générale
Mastocytoses systémiques : leurs traitements Systemic mastocytosis and its treatment A. Pradalier a,*, J.L. Molitor a, F. Teillet b a
Service de médecine interne IV, centre d’Allergie de l’Ouest Parisien, hôpital Louis-Mourier, 178, rue des Renouillers, 92701 Colombes, France b Service d’hématologie biologique, hôpital Louis-Mourier, 178, rue des Renouillers, 92701 Colombes, France Reçu le 11 mai 2005 ; accepté le 8 juillet 2005 Disponible sur internet le 29 août 2005
Résumé Devant des symptômes compatibles avec une mastocytose systémique, une augmentation persistante de la tryptase sérique justifie la réalisation d’un prélèvement de moelle osseuse. La maladie est souvent liée à une mutation activatrice de C-kit. La caractérisation de la mutation la plus fréquente, Asp-816-Val, est utile pour l’indication thérapeutique. En l’absence de perspective curative, la décision de traiter une mastocytose systémique dépend de la gravité des symptômes, mise en balance avec les effets secondaires des médicaments utilisables. Dans les formes indolentes, les symptômes liés à la libération des médiateurs mastocytaires peuvent être prévenus par les antihistaminiques ou traités par un corticoïde. Quand la mastocytose a une expression tumorale agressive, ou est associée à une autre maladie sanguine clonale, l’interféron alpha, donne un taux de réponse tumorale de 20 %. La cladribine (un analogue nucléosidique) est un recours dans les formes agressives résistantes à l’interféron. L’imatinib, inhibiteur de la tyrosine-kinase, peut être actif, sauf si la mutation de c-kit est Asp-816-Val (qui implique une résistance à ce médicament). © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Symptoms suggestive of systemic mastocytosis plus repeatedly elevated serum tryptase levels are sufficient indication for a bone marrow examination. This disease is frequently caused by an activating mutation of C-kit. Identification of the most frequent mutation, Asp-816-Val, can be useful therapeutically. As there is still no cure for this disease, treatment decisions should be based on the severity of the symptoms balanced against the side effects of the drugs that can be used. With an indolent course, symptoms related to the release of mast cell mediators can be prevented by treatment with an antihistamine or a corticosteroid. In patients experiencing aggressive growth of mast cells, alphainterferon, which has a 20% response rate, can be used. Cladribine, a nucleosidic analogue, can be used when there is resistance to alphainterferon. The recently introduced tyrosine kinase inhibitor, imatinib, may be effective in the treatment of this disease, except when the C-kit mutation is Asp-816-Val, which is associated with resistance to this drug. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Mastocytose ; C-kit ; Imatinib Keywords: Mastocytosis; Therapy; C-kit; Imatinib
1. Définition Les mastocytoses sont un ensemble clinico-histologique hétérogène mais caractérisé par la prolifération et la présence en quantité anormale de mastocytes dans un ou plusieurs tissus. Par définition, cette prolifération n’est pas liée à un autre * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Pradalier). 0335-7457/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.allerg.2005.07.002
processus pathologique tel que maladie systémique, néoplasie, infection [1]. La classification WHO des mastocytoses est présentée sur le Tableau 1 [2].
2. Aspects cliniques Classiquement, les mastocytoses s’expriment par leurs symptômes liés à la libération des médiateurs mastocytaires
A. Pradalier et al. / Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique 45 (2005) 456–463 Tableau 1 Classification « who » des mastocytoses (ref. [1,2]) 1. mastocytose cutanée • mastocytose cutanée maculopapulaire (urticaire pigmentaire) • mastocytose cutanée diffuse • mastocytose cutanée 2. mastocytose systémique indolente • mastocytose systémique • mastocytose médullaire isolée 3. mastocytose systémique associée à une maladie hématologique, clonale de lignage non mastocytaire 4. mastocytose systémique agressive • avec éosinophilie 5. leucémie mastocytaire 6. sarcome mastocytaire 7. mastocytomes extra-cutanés
libérés lors des poussées et/ou par les symptômes liés à l’infiltration mastocytaire (Tableau 2) : prurit, flush, lésions de type urticaire pigmentaire ou maculopapulaire, syncope, douleurs gastriques, nausées, vomissements, diarrhées, douleurs osseuses pouvant être liées à une ostéoporose, à des lésions lytiques voire à des fractures, hépatosplénomégalie, symptômes neurologiques voire psychiques selon le (ou les) organes infiltrés. Sur le plan biologique, la dégranulation mastocytaire se traduit par une augmentation de la tryptase et de l’histamine sériques. Il est habituel de distinguer, depuis la classification internationale de 2000, mastocytose cutanée et mastocytose systémique [1]. La première est observée, surtout chez les enfants. Elle survient le plus souvent dans la première année de la vie, se présente avant tout sous la forme d’une urticaire pigmentaire, plus rarement d’un mastocytome ou d’une mastocytose cutanée diffuse généralement avec un signe de Darier. Son évolution, avec ou sans traitement, est favorable dans 94 % des cas [3]. La mastocytose systémique (MS), en revanche, est présente plus souvent chez l’adulte. Elle est définie par la présence de mastocytes en excès dans divers organes notamment moelle, os, foie, système gastro-intestinal, ganglions, rate. L’excès mastocytaire sera mis en évidence dans les prélèvements de moelle, en premier lieu par un myélogramme puis, si nécessaire, par une biopsie ostéomédullaire ou plus rarement dans les biopsies réalisées sur les autres organes. Cependant, parfois, il faut savoir répéter les biopsies. Ainsi, Butterfield et Li [4] sur 21 patients biopsiés observent dans
17 cas (83 %) l’infiltration médullaire à mastocytes, mais dans quatre cas (17 %) une seconde biopsie fut nécessaire. Les patients positifs à la première biopsie avaient des taux de tryptase et de PGF2 plus élevés, et plus souvent une splénomégalie que ceux ayant nécessité deux biopsies, traduisant que ces derniers présentaient probablement un stade plus précoce de MS. Le diagnostic de mastocytose systémique est surtout fondé sur l’étude histologique et immunohistochimique des prélèvements de moelle osseuse. Actuellement, nous disposons de techniques pouvant mettre en évidence la tryptase et la chymase, enzymes du mastocyte, au niveau des tissus étudiés, mais les techniques d’histochimie ne permettaient pas de discriminer entre un mastocyte normal ou « néoplasique ». Sotlar et al. [5] ont recherché les marqueurs CD 25 des mastocytes de la moelle. Soixante-douze des 73 patients étudiés ayant une mastocytose systémique avaient des mastocytes exprimant CD25, aucun des 75 témoins. De plus, tous les patients présentant des mastocytes marqués par CD25 présentaient des mutations du C-kit. Ainsi, la recherche du CD25 apparaît comme un marqueur immunohistochimique discriminant les populations normales et néoplasiques de mastocytes, et est utile pour le diagnostic de mastocytose systémique [6,7]. Valent et al. [2] ont confirmé ces faits dans la grande majorité des cas, les mastocytes médullaires de la MS présentent des anomalies morphologiques et expriment volontiers les marqueurs CD25 et CD2. La présence de mastocytes anormaux et un taux élevé de tryptase sont des éléments essentiels du diagnostic de MS [8]. Cependant, ils peuvent aussi paraître morphologiquement normaux et c’est la recherche d’autres critères mineurs (Tableau 3) qui permettra de retenir le diagnostic de mastocytose systémique. Un critère majeur et un critère mineur sont nécessaires ou au moins trois critères mineurs [1]. La MS est actuellement considérée par de nombreux auteurs comme un syndrome myéloprolifératif impliquant la lignée mastocytaire, des progéniteurs aux mastocytes matures. Elle correspond à une affection persistante clonale des progéniteurs myélomastocytiques originaires de la moelle. L’évolution naturelle de la MS est variable : de nombreux patients restent de longues années à un stade indolent, d’autres, en revanche, ont une évolution agressive dès le diagnostic. Ainsi, classiquement, on distingue sur les critères cliniques, immunohistologiques et histochimiques, [1] :
Tableau 2 Manifestations cliniques de la mastocytose systémique Symptômes liés aux médiateurs mastocytaires Syncopes récurrentes Choc anaphylactique Diarrhée avec douleurs abdominales Ulcère peptique Douleurs osseuses Céphalées Flushs récurrents D’après Marrache et al. [16].
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Symptômes liés à l’infiltration mastocytaire Urticaire pigmentaire Insuffisance médullaire Hépatomégalie, ascite, hypertension portale, insuffisance hépatocellulaire Splénomégalie Diarrhée avec malabsorption Dénutrition Lacunes osseuses, ostéoporose sévère
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Tableau 3 Critères « who » pour le diagnostic de mastocytose systémique (ref. [2]) Critères majeurs Critères mineurs
Infiltrats denses, multifocaux, de mastocytes dans la moelle ou d’autres organes en dehors de la peau a) Mastocytes dans la moelle ou d’autres organes extracutanés présentant une morphologie anormale (> 25 %) b) Mutation D816V du C-kit dans des organes extracutanés c) Mastocytes exprimant dans la moelle CD2, CD25 ou les deux d) Tryptase sérique > 20 ng/ml • Diagnostic de mastocytose systémique établi si au moins un critère majeur et un critère mineur ou trois critères mineurs • Autre mutation au niveau du codon 816 c-kit compte comme un critère mineur
• la mastocytose systémique indolente ou les signes cliniques sont mineurs (la manifestation cutanée prédomine sans anomalie hématologique ou signes cliniques ou biologiques d’une atteinte sévère d’organe) et les mastocytes généralement matures, à bon pronostic ; on y rattache souvent un sous-groupe, la mastocytose médullaire isolée ; ce diagnostic reposant, par définition, sur la présence de l’infiltration mastocytaire uniquement au niveau médullaire ; • les mastocytoses systémiques, dont le pronostic est habituellement réservé ou mauvais, dont ; C la mastocytose systémique agressive ; C la mastocytose systémique associée à une maladie hématologique ayant pris naissance à partir d’un lignage non mastocytaire ; C la mastocytose systémique agressive avec éosinophilie ; C la leucémie à mastocytes. Il est important de signaler que nombre de mastocytoses systémiques ne s’accompagnent pas de lésions cutanées d’urticaire pigmentaire. Aussi, devant des symptômes suggérant la libération de médiateurs mastocytaires [9–11], faut-il penser à la MS et la rechercher de parti pris. Outre les prélèvements médullaires ou d’autres organes, on s’aidera des dosages de la tryptase. Ce dosage est très utile au diagnostic quand il est retrouvé élevé à plusieurs reprises, surtout en Tableau 4 Schéma du C. kit
dehors d’un épisode clinique [12], bien que n’étant pas totalement spécifique de la mastocytose (il peut être observé dans des épisodes anaphylactiques sévères, d’autres pathologies allergiques intenses ou certaines maladies hématologiques [13]). Dans ces cas, une vérification du diagnostic par prélèvement médullaire doit être réalisée. La MS agressive se caractérise par une large infiltration de plusieurs organes par les mastocytes, et des symptômes graves correspondant à l’envahissement mastocytaire et la libération intense des médiateurs : syncopes, chocs récurrents, flushs récurrents, diarrhée avec douleurs, hépatomégalie, ascite, hypertension portale, splénomégalie, ostéoporose sévère, malabsorption intestinale (etc.). Quant à la leucémie à mastocytes, de pronostic gravissime, on doit la considérer comme une maladie typiquement hématologique caractérisée par une importante infiltration médullaire et sanguine par des mastocytes anormaux. Sur le plan génétique, la mastocytose systémique se caractérise classiquement par la présence de mutations au niveau du gène C-kit présent sur le chromosome 4. La protéine correspondante C-kit (ou KIT, ou CD117) présente à la surface des mastocytes, transmembranaire et possédant une activité tyrosine-kinase, sert de récepteur au Stem Cell Factor (SCF) (Tableau 4). La mutation la plus fréquemment rencontrée porte sur le codon 816 (remplacement d’un acide aspartique par une valine ASP-816-VAL (D816V) ou une tyrosine ; plus sou-
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vent mutation D816V). Schématiquement, la présence de cette mutation, entraîne l’absence de régulation du C-kit et une stimulation non contrôlée du SCF sur son récepteur C-kit responsable de la prolifération et de l’activation des mastocytes [6,12,14]. Le récepteur C-kit tyrosine kinase, joue un rôle essentiel dans le développement des érythrocytes, des mélanocytes, des mastocytes et des cellules de Cajal. Aussi, comme nous l’avons vu, la stimulation excessive de ces récepteurs ou une mutation s’accompagnant d’une expression plus forte conduit à l’apparition de tumeurs se développant à partir des mastocytes ou, autre exemple, de celles dérivant des cellules de Cajal, origine de tumeurs mésenchymateuses (tumeur stromale gastro-intestinale) [15]. Ces données mises en évidence ces dernières années sont à la base de l’utilisation de médicaments inhibant les tyrosinekinases tel l’Imatinib (Glivec*) dans le traitement des mastocytoses systémiques [16–18] mais aussi des tumeurs mésenchymateuses C-kit positives ; nous y reviendrons. D’autres types de mutation ont été également rapportés (D816F, D816Y, D820G, E839K, etc.). L’effet de ces mutations n’est pas toujours connu.
3. Traitement des mastocytoses systémiques Malgré les avancées récentes dans la connaissance de la physiopathologie et dans la classification des mastocytoses, aucun traitement curatif définitif n’existe actuellement. Les objectifs du traitement sont doubles [12] : • le contrôle des symptômes lié à la libération des médiateurs et notamment de l’histamine, mais aussi des autres médiateurs (prostaglandines, tryptase) ; • le contrôle de la prolifération mastocytaire au niveau des divers tissus. D’une manière générale, les formes indolentes ou peu agressives seront traitées avant tout par les antihistaminiques, les corticoïdes ou la PUVAthérapie. Les formes agressives, au contraire, feront l’objet d’un protocole plus important impliquant chimiothérapie, cladribine, interféron ou les inhibiteurs de tyrosine kinase [8,19,20].
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3.1. Prévention du choc par libération des médiateurs L’état de choc plus ou moins sévère allant d’une manifestation urticarienne intense à un choc hypotensif sévère de mécanisme non anaphylactique doit être prévenu avant tout par l’élimination des facteurs déclenchants (Tableau 5). Il est classique de supprimer de l’alimentation les aliments histaminolibérateurs ou riches en histamine, certains médicaments ayant une action histaminolibératrice [15]. De même, bien que le mécanisme ne soit pas clair, les traumatismes même mineurs, les suites d’intervention chirurgicale, les changements de température, les piqûres et morsures d’insectes... sont à éviter, dans la mesure du possible, car ils favorisent la dégranulation mastocytaire. • Les inhibiteurs de celle-ci (cromoglycate, kétotifène) ont été tentés au long cours [21–23]. Ils sont de faible efficacité. • Les anti-H1 ont une place très importante [12,24]. On les utilise généralement au long cours, en tenant compte de leur tolérance et, bien entendu, pour les anciens anti-H1 de leurs propriétés sédatives ou anticholinergiques. Selon le résultat clinique, les doses peuvent être augmentées. Malheureusement, aucune étude contrôlée de grande taille, de leur intérêt, n’a été réalisée, vu le petit nombre de porteurs de MS. Pour les patients ayant des manifestations gastrointestinales, on peut prescrire, parallèlement aux anti-H1, des anti-H2 [25,26] (cimétidine, ranitidine ont été utilisées) pour leur intérêt sur les épisodes diarrhéiques et les douleurs abdominales. Ces dernières années, l’efficacité des inhibiteurs de la pompe à protons a conduit à une diminution d’utilisation des anti-H2. Avant toute anesthésie générale, la plupart des auteurs conseillent de prémédiquer les patients par un anti-H1 associé à un anti-H2. Certains proposent même de tester les patients porteurs d’une mastocytose, avant l’anesthésie [16,27], par prick ou intradermo, aux anesthésiques généraux qui vont être utilisés. Il n’y a pas, dans la littérature, de contre-indications à l’usage de gaz inhalés. En cas de chirurgie prévue, on mettra en route un traitement prophylactique [28].
Tableau 5 Facteurs déclenchant les crises mastocytaires (liste non exhaustive d’après l’AFIRMM) Médicaments
Traumatismes
Aliments histaminolibérateurs Aliments riches en histamine
Salicylés, AINS, morphiniques, codéine, protamine, amphétamines, macromolécules (dextran) Produits de contraste iodés Anesthésiques généraux (D tubocurarine, halothane) Antibiotiques (polymyxine B, colimycine, néomycine) Antihypertenseurs (réserpine, hydralazine), thiamine, quinine, scopolamine, pilocarpine, chymotrypsine ACTH Interventions chirurgicales, coups... Changements de température (bains, efforts) Stress et émotions Piqûres de guêpes, d’abeilles, morsures de serpents Alcool, crustacés, tomates, épices, blanc d’œuf, fraises, bananes, ananas, fruits exotiques, cacahuètes, noix, noisettes, chocolat Vin, choucroute, fromages fermentés, charcuterie, conserves, notamment de poisson, fruits de mer
AFFIRM : Association française pour les initiatives de recherche sur le mastocyte et les mastocytoses, 3, avenue Georges V, 75008 Paris.
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Le traitement curatif du choc ou des hypotensions sévères ne diffère pas de celui du choc anaphylactique et repose avant tout sur l’adrénaline pouvant être associée à un corticoïde injectable. En cas d’ostéoporose, on pourra utiliser des diphosphonates chez les patients présentant une atteinte osseuse et au fil du temps une ostéoporose. Des essais de pamidronate (Arédia*, Ostepam*), de clodronate (Clastoban*, Lytos*) associés à un apport vitaminique D3 et de calcium ont été publiés [29]. Brunel et al. [30] ont ainsi rapporté le cas d’un patient présentant de multiples lésions cutanées, des fractures vertébrales liées à une ostéoporose et un envahissement mastocytaire massif à la biopsie ostéomusculaire. Le traitement par interféron était mal toléré et n’apportait pas d’amélioration clinique. Associé à ce produit, au 6e mois de traitement, le pamidronate, 90 mg en perfusion par mois, permit une disparition rapide et spectaculaire des douleurs dorsales et six mois plus tard, il était constaté une augmentation de 15 % de la DMO à l’absorptiométrie osseuse. De plus, à un an, une nouvelle évaluation montrait une disparition de l’infiltration mastocytaire médullaire et une régression des lésions cutanées mises, cette fois, sur le compte de l’interféron. Les essais de radiothérapie sur les localisations osseuses ont été pratiquement abandonnés. Enfin, sur les lésions cutanées, la puvathérapie a été tentée (psoralene et UVA). Gobello et al. [31] ont récemment comparé l’effet de deux doses d’ultraviolet A (dose moyenne 60 j/cm2/jour/15 jours contre 130 j/cm2/jour/10 jours) sur respectivement 10 et 12 adultes présentant une urticaire pigmentaire. Ces auteurs ont observé une diminution de l’infiltration mastocytaire dans la peau lésée à la fin du traitement chez la majorité des patients. Le prurit avait régressé. La qualité de vie avait augmenté significativement et persista durant les six mois du suivi. Cependant, aucune différence ne fut enregistrée selon la dose d’UVA utilisée. Bien que ce type de thérapeutique entraîne une rémission partielle, aucun consensus n’a été établi sur le traitement d’entretien, la manière de gérer les rechutes, ni les risques au long cours [32]. Quant à l’action sur les autres médiateurs que l’histamine, des essais d’antagonistes des leucotriènes ou d’inhibiteurs de leurs récepteurs sont en cours [33]. Il en est de même des essais d’aspirine en faible dose utilisée, au moins théoriquement, pour inhiber la production de PGD2. 3.2. médicaments proposés pour lutter contre la prolifération mastocytaire 3.2.1. Les corticoïdes Le mode d’action des corticoïdes est encore mal compris. Cependant, ceux-ci, notamment la dexaméthasone, suppriment la libération des médiateurs de l’inflammation induite par la stimulation des récepteurs mastocytaires Fc epsilon R1. Le mode d’action passe par une inhibition de l’activation de la phosphatidyl-inositol 3 kinase bloquant ainsi la cascade intracellulaire conduisant à la dégranulation mastocytaire [34]. La plupart des auteurs conseillent l’utilisation de prednisone
30 à 40 mg par 24 heures ou de betamethasone 0,1 mg/kg par 24 heures pendant deux à quatre semaines avec ensuite une diminution progressive sur quatre à six semaines. Il s’agit là cependant d’un traitement plutôt anti-inflammatoire que d’une action directe sur la prolifération des mastocytes. En cas de rechute, on reprend ce schéma. Dans ce même esprit, on utilisera dans les formes sévères de mastocytose cutanée une corticothérapie locale sous la forme crème ou gel par période de quelques semaines, en diminuant très progressivement. En cas de manifestation intestinale, une corticothérapie par microgranules gastrorésistants (budésonide, gélules à 3 mg) (Entocort*) en moyenne 9 mg en une prise le matin [16] peut être prescrite. Les doses sont à adapter à l’importance des symptômes cliniques, de même que la durée qui s’étalera généralement sur plusieurs semaines avec une diminution très progressive. Là encore, aucune étude contrôlée n’a été réalisée mais, en pratique, on appliquera les règles habituelles d’utilisation de toute corticothérapie. L’association méthylprednisolone et cyclosporine dans un cas de mastocytose systémique agressive à la dose de 100 mg par 24 heures a été tentée par Kurosawa et al. [35]. Elle entraîna une amélioration des symptômes notamment de l’urticaire pigmentaire et du nombre des poussées. 3.2.2. L’interféron alpha (Roferon*, Pegasys*, Introna*, Viraféron*) L’interféron paraît agir au niveau médullaire sur la croissance des cellules progéniteurs mastocytaires et entraîne une réponse clinique majeure chez 20 % des patients présentant une mastocytose agressive. Depuis Kluin-Nelemans et al. en 1992 [36], plusieurs publications ont fait état des résultats de l’interféron alpha dans le traitement de la mastocytose systémique. Ces auteurs se fondent sur l’analogie de la MS avec les autres syndromes myéloprolifératifs dont la leucémie myéloïde chronique où l’interféron alpha est un traitement intéressant. Des régressions de la dissémination mastocytaire ont été ainsi rapportées [37–39]. Reprenant une série de 14 cas de la littérature, Valent et al. [19] ont rapporté sept améliorations dont deux avec une régression complète d’un ou plusieurs organes envahis mais on ne connaît pas l’évolution à long terme. Casassus et al. [40] chez 20 patients utilisant des doses de un à cinq millions d’unités par mètre carré trois fois par semaine pendant six mois ont obtenu sept réponses partielles importantes avec disparition des symptômes et régression de 50 % de l’infiltration médullaire, et six réponses mineures. Les réponses importantes s’accompagnaient d’une diminution de la tryptase et de l’histaminémie. Malheureusement, la tolérance au traitement fut médiocre puisque cinq patients durent arrêter celui-ci et qu’un état dépressif fût observé chez sept patients. Comme le soulignent les auteurs, aucun cas de réponse complète ne fut observé et, à l’arrêt du traitement, des rechutes sont apparues. Cela pose le problème de la reprise du traitement et de sa durée en cas de rechute. Dans le cadre de l’Association française des patients porteurs de mastocy-
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tose (AFIRMM), ces mêmes auteurs ont débuté un traitement multicentrique utilisant l’interféron alpha et son association à la cytarabine (Aracytine*) par voie orale en cas de réponse insuffisante. Reprenant cette étude, Simon et al. [41] ont précisé les effets de l’interféron alpha 2b (Introna*, Viraféron*) pour au moins six mois (posologie de un à cinq millions d’unités par mètre carré et par jour). Chez les 13 patients améliorés, aucune modification n’était cependant visible sur la biopsie ostéomédullaire. Pour ces auteurs, l’interféron peut être proposé aux patients présentant une MS qui n’a pas répondu aux traitements symptomatiques habituels (antihistaminiques et/ou corticostéroïdes) en quelques semaines, même si cette mastocytose n’est pas très agressive. Une thérapie prolongée par l’interféron sera proposée aux patients qui ont montré une réponse positive aux premières cures. Au contraire, dans les cas de MS très agressives ou de mastocytoses associées à une maladie hématologique, il est préférable de proposer la cladribine ou une polychimiothérapie incluant l’interféron et la cytarabine orale. En 2004, Hauswirth et al. [42] ont publié cinq MS agressives traitées par interféron alpha 2b, 3 fois 3 M d’unités par semaine, seul ou associé à la prednisolone. Deux patients eurent une réponse majeure, deux une réponse partielle et le dernier patient, leucémie à mastocytes, ne réagit pas à trois mois. Quant à l’expérience rétrospective d’Hennessy et al. [20] sur 18 patients traités pour mastocytose systémique dont deux avaient de plus un syndrome myélodysplasique et un, une leucémie myéloïde aiguë, des neuf patients traités par interféron alpha par voie sous-cutanée, un seul eut une amélioration temporaire. Trois de ces neuf furent ensuite traités par Imatinib et une amélioration temporaire fut notée chez deux d’entre eux. Le patient présentant une MS avec syndrome myélodysplasique fut traité par transplantation médullaire et fut en rémission complète pendant huit ans. Celui ayant une MS associée à la leucémie myéloïde aiguë reçut cytarabine et idarubicin et resta en rémission complète pendant 16 mois. Enfin, trois patients furent traités uniquement de manière symptomatique. 3.2.3. La cladribine En 2001, Tefferi et al. [43] ont proposé d’utiliser, après échec de l’interféron, un analogue nucléosidique purinique, la cladribine (Leutastine*, Litak*) chez un patient atteint de MS agressive, perfusion de deux heures de 0,14 mg/kg par 24 heures, cinq jours de suite en cures répétées toutes les quatre à huit semaines pour un total de six cycles. L’année suivante, Escribano et al. [44] rapportaient la réapparition d’une population mastocytaire immunophénotypique normale avec la cladribine dans un cas de mastocytose systémique associée à un lymphome lymphoplasmocytaire. Puis Marrache et al. [16] faisaient état d’une étude ouverte chez quelques patients atteints de mastocytose agressive résistante ou tolérant mal l’interféron alpha, améliorée significativement après six cures ; un résultat comparable fut observé par Schleyer et
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al. [45] chez un patient porteur d’une MS agressive, lente, résistante à de fortes doses de corticoïdes et d’interféron, nettement amélioré par cladribine avec diminution des lésions cutanées et de la tryptase sérique. Enfin, Kluis-Nelemans et al. [46] ont traité dix MS, quatre indolentes, trois agressives et trois associées à une maladie hématologique, jusqu’à six cycles de cladribine, avec une relative bonne tolérance, neuf répondirent partiellement, un arrêta par apparition d’une toxidermie, un rechuta à 11 mois mais répondit à une nouvelle cure. Reste là encore à préciser au mieux les doses, le schéma thérapeutique optimum, le devenir à long terme. 3.2.4. Les inhibiteurs de tyrosine kinase Le récepteur C-kit contient, nous l’avons vu, un domaine tyrosine kinase. Aussi les molécules capables d’inhiber cette activité ont été testées dans la MS, d’autant que l’imatinib (Glivec*), le chef de file de cette série, s’est révélé efficace dans les tumeurs mésenchymateuses gastro-intestinales (TMGI) où C-kit joue également un rôle important. Dans le cadre de ces tumeurs C-kit positives, les mutations du C-kit sont décelées dans la région juxtamembranaire, mais il n’en est pas de même au cours de la MS où elles sont dans d’autres domaines. L’imatinib qui inhibe fortement les mutations juxtamembranaires est efficace dans le traitement des TMGI mais n’a pas d’activité sur les autres types de mutations du C-kit. Ma et al. [47], Zermati et al. [16] l’ont malheureusement montré récemment. Ainsi, la mutation ASP-816VAL = D816V fréquemment retrouvée dans les MS ne permet pas à l’imatinib de produire son action. Avant de tester ce produit, il est donc nécessaire chez les patients porteurs d’une MS de savoir si cette mutation du C-kit est présente ou non. Elle serait retrouvée dans environ 40 % des cas. Pardanani et al. [18,48] sur dix MS ayant un recul de traitement par l’imatinib utilisé à 100 ou 400 mg par 24 heures observèrent trois rémissions complètes cliniques et hématologiques, cinq réponses mesurables, deux non-réponses. Ces deux échecs présentaient la mutation D816V du C-kit. Quant au problème des autres mutations, dans la région juxtamembranaire de C-kit ou dans la région catalytique, il est nécessaire d’attendre la confirmation de leur sensibilité ou non à l’imatinib mais ce que l’on sait actuellement du lieu d’action de ce produit suggère qu’il doive être bénéfique dans ces cas. Ainsi, Akin et al. [49] ont publié récemment le cas d’un patient présentant une mutation Phe 522 Cys au niveau de la portion transmembranaire du C-kit. Les mastocytes de l’aspiration médullaire en nombre excessif paraissaient matures et ne présentaient pas les marqueurs CD2, CD25 ou CD35. L’action de cette mutation fut bloquée cliniquement de manière spectaculaire par l’imatinib. D’où la recherche de nouveaux inhibiteurs de tyrosine kinase tels que le MLN518 et le PD180970. Ces deux produits sont actifs sur les mutations juxtamembranaires du kit et le MLN518 est actif également sur les mutations au niveau du site actif. Il semble donc être un candidat prometteur pour le traitement de la mastocytose systémique ou de la leucémie aiguë myéloblastique avec mutation du C-kit [50].
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Il est donc actuellement essentiel devant toute mastocytose systémique de faire une étude précise des mutations éventuelles C-kit et de leur localisation puisque le type de traitement actif en dépendra [51]. Bien entendu, ce type de thérapeutique par les inhibiteurs de tyrosine kinase est, dans l’état actuel de nos connaissances, réservé aux mastocytoses agressives ou à celle associée à une hémopathie maligne. Dans le cadre des MS associées avec une hyperéosinophilie, Pardanani et al. [52], Tefferi et al. [53] ont montré l’importance des mutations FIP1-like 1 platelet derived growth factor receptor alpha (FIP1L1-PDGFRA) que l’on retrouve dès les cellules précurseurs de la lignée mastocytaire. En présence d’une telle mutation, l’imatinib s’est révélé efficace. Enfin, citons un essai favorable de la thalidomide [55] (un seul patient) dont on connaît les propriétés immunosuppressives, mais aussi tératogènes !
Références [1]
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4. Conclusion La mastocytose systémique qui se caractérise par une infiltration de mastocytes dans un ou plusieurs tissus, se présente schématiquement sous une forme indolente ou sous une forme agressive avec infiltration d’un ou plusieurs organes et les symptômes correspondants aux médiateurs libérés. Elle peut être associée à une maladie hématologique chronique ou se présente, exceptionnellement, sous la forme d’une leucémie à mastocytes. Les symptômes liés à la libération des médiateurs mastocytaires peuvent être traités préventivement par les antihistaminiques ou les inhibiteurs de la libération mastocytaire tels que le cromoglycate de sodium. Dans les formes indolentes de MS, il n’est pas nécessaire de mettre en route une chimiothérapie. Quelques grossesses de patientes avec une MS indolente ont même été rapportées dans la littérature, sans problème particulier durant celles-ci ni à la délivrance nécessitant parfois antihistaminiques ou cromoglycate [54]. En revanche, les formes agressives de mastocytose systémique ou de mastocytose systémique associée à un désordre hématologique doivent être étudiées sur le plan moléculaire et biochimique. Lorsque la mutation touchant le C-kit est classique, l’Imatinib n’est pas efficace. Dans certaines formes associées à une maladie hématologique et résistante aux diverses chimiothérapies ou immunothérapies, une transplantation de moelle peut être proposée. L’interféron alpha peut être considéré comme un traitement de première ligne de toutes les formes sévères de mastocytose systémique, qu’il y ait mutation D816V ou non. La cladribine semble intéressante, en particulier chez les patients présentant une résistance à l’interféron. Cependant, dans l’état actuel de nos connaissances, aucune thérapeutique curative n’est connue et le traitement reposera avant tout sur une thérapeutique symptomatique et/ou immunochimiothérapique adaptée à chaque patient.
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