Mycétome fongique de la main : à propos du premier cas tunisien

Mycétome fongique de la main : à propos du premier cas tunisien

Journal de Mycologie Médicale (2010) 20, 223—226 CAS CLINIQUE/CASE REPORT Mycétome fongique de la main : à propos du premier cas tunisien First repo...

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Journal de Mycologie Médicale (2010) 20, 223—226

CAS CLINIQUE/CASE REPORT

Mycétome fongique de la main : à propos du premier cas tunisien First report of eumycetoma of the hand in Tunisia H. Tiouiri Benaissa a,*, L. Ammari a, K. Aoun b, M. Mokni c, B. Kilani a, E. Chaker d, T. Ben Chaabane a a

ˆ pital La Rabta, Tunis, Tunisie Service de maladies infectieuses, ho Laboratoire de mycologie et parasitologie, institut Pasteur, Tunis, Tunisie c ˆ pital La Rabta, Tunis, Tunisie Service de dermatologie, ho d ˆ pital La Rabta, Tunis, Tunisie Laboratoire de mycologie et parasitologie, ho b

Rec¸u le 18 janvier 2010 ; accepte´ le 3 juin 2010 Disponible sur Internet le 23 juillet 2010

MOTS CLÉS Mycétome fongique ; Pseudallescheria boydii ; Itraconazole ; Main

KEYWORDS Eumycetoma; Pseudallescheria boydii; Itraconazole; Hand

Résumé Les mycétomes actinomycosiques ou fongiques sont des infections fongiques nécrosantes qui affectent les membres inférieurs, en particulier le pied. Nous rapportons le premier cas tunisien de mycétome fongique de la main dû à Pseudallescheria boydii. Observation. — Un ouvrier agricole âgé de 48 ans consulte pour des nodules tuméfiés indolores fistulisés à la peau de la main et du poignet droits. À l’examen, la main est bosselée, tuméfiée, siège de multiples fistules couvertes de croûtes noirâtres au niveau des faces dorsale et palmaire. Il n’y a pas d’adénopathie satellite, ni de fièvre. La radiographie du poignet montre une carpite fusionnante et destructrice. Le diagnostic de mycétome a été confirmé par la mise en évidence de grains et de filaments mycéliens à l’examen histologique. Les critères morphologiques de la culture permettent l’identification probable de P. boydii. Le patient a reçu du kétoconazole 400 mg/j durant 14 mois sans amélioration. Il est traité ensuite par itraconazole 400 mg/j pendant 18 mois entraînant la cicatrisation complète des lésions. Après un recul de six ans les fistules ne sont pas productrices ; cependant, il persiste une déformation osseuse de la main avec une ankylose du poignet. # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Eumycetoma is a chronic, necrotizing infection of fungal origin that usually occurs on a lower extremity, especially the foot. We describe the first case in Tunisia of eumycetoma of the hand due to Pseudallescheria boydii. Case report. — A 48-year-old agricultural worker presented with a swelling and painless cutaneous nodules of the right hand and wrist that drained spontaneously. No trauma of the hand was noted. Examination of the hand revealed multiple crusted sinus tracts in the palm and

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (H. Tiouiri Benaissa). 1156-5233/$ — see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.mycmed.2010.06.001

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H. Tiouiri Benaissa et al. on the back of the hand. The right hand appeared swollen and deformed. There was no adenopathy or fever. Radiographic examination showed bone involvement with destruction of the wrist bones. The diagnosis of eumycetoma was confirmed by histological evidence (stained sections) that showed granules containing fungal hyphae and positive culture for P. boydii. Initially, treatment with ketoconazole (400 mg daily for 14 months) failed. The patient subsequently received itraconazole (400 mg daily for 18 months) and a marked improvement was obtained. Six years after treatment was stopped, there had been no recurrence, but bone involvement resulted in permanent deformity with wrist ankylosis. # 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Les mycétomes actinomycosiques ou fongiques touchent essentiellement la ceinture intertropicale, particulièrement la zone nord tropicale allant du 108 au 258 de latitude nord. Cependant, des cas sporadiques sont régulièrement rapportés dans les régions à climat tempéré. En Tunisie, où a été décrit le premier cas mondial de mycétome actinomycosique par Gem et al. en 1892 [9]. Cette affection est très rare [2,3,6]. En effet, seulement 61 cas dont 12 fongiques ont été rapportés en plus d’un siècle. En marge d’une observation exceptionnelle de mycétome fongique de la main, nous rappellerons les difficultés encore d’actualité du diagnostic clinique et biologique de ces mycoses ainsi que les problèmes parfois dramatiques de leur prise en charge.

trancher quant à la nature actinomycosique ou fongique de l’agent causal. Une triple biopsies cutanée, synoviale et osseuse a été effectuée. L’examen anatomopathologique des différentes pièces conclut à un mycétome fongique fistulisé à la peau avec atteinte articulaire et synoviocapsulaire sans extension osseuse quoique les radiographies du poignet droit aient montré une carpite fusionnante et destructrice avec des encoches au niveau des os du carpe (Fig. 2). En mai 2000, le patient est mis dans un premier temps sous kétoconazole 200 mg  2 par jour. Une discrète amélioration est constatée avec diminution de l’inflammation et tarisse[(Figure_1)TD$IG]ment de la presque totalité des fistules préexistantes avec

Observation M. Ahmed G., âgé de 48 ans, originaire de Dar Chaabane, dans le nord tunisien, est hospitalisé en avril 2000 dans le service des maladies infectieuses pour suspicion de mycétome du poignet droit. Ce patient est un ouvrier agricole, sans antécédents pathologiques notables et n’ayant jamais quitté la Tunisie. Le début de la symptomatologie remonte au mois de juin 1991, marqué par l’apparition de nodules tuméfiés indolores de la main et du poignet droits, qui se sont rapidement fistulisés à la peau, laissant sourdre un écoulement purulent. Aucun traumatisme précédant ces lésions n’a été signalé. Pendant des années, le patient se contente de consulter occasionnellement des médecins généralistes qui lui prescrivent plusieurs traitements dont le cotrimoxazole, reçu pendant plusieurs semaines en 1999, sans aucune amélioration. Devant la persistance des lésions voire l’installation progressive d’une impotence fonctionnelle de la main infectée, il consulte dans des services d’orthopédie puis de maladies infectieuses où il est hospitalisé. L’examen physique à l’admission trouve un patient en bon état général. La main droite est déformée, tuméfiée, bosselée, siège de plusieurs fistules du dos et de la paume, souvent couvertes de croûtes noirâtres (Fig. 1) ; on ne palpe pas d’adénopathies satellites. Le reste de l’examen somatique est normal, en particulier la température. Le bilan sanguin ne révèle qu’une augmentation modérée de la VS à 37 à la première heure, le reste des paramètres biologiques étant normaux en particulier l’hémogramme, les enzymes musculaires et les fonctions hépatique et rénale. Les prélèvements lésionnels initiaux ont ramené à chaque fois des grains blanchâtres muriformes mais les différentes cultures sont restées négatives, ne permettant pas de

Figure 1 Mycétome de la main. A. Main tuméfiée, bosselée siège de multiples fistules couvertes de croûtes noirâtres. B. Présence de nodules cutanés cicatrisés au niveau de la face dorsale du poignet. Eumycetoma of dorsal hand. A. Enlarged, deformed right hand with blackish crusted sinuses tracts in the palm and wrist. B. Scattered nodules on the back of the hand.

Mycétome fongique de la main : à propos du premier cas tunisien [(Figure_2)TD$IG]

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ces caractéristiques morphologiques et la présence de grains ont permis de retenir l’étiologie mycosique probablement due à Pseudallascheria boydii (P. boydii). Devant l’échec thérapeutique, le kétoconazole est remplacé par l’itraconazole à raison de 200 mg/j à partir du mois de juillet 2001. Au terme de 18 mois de traitement, l’évolution est favorable, avec cicatrisation complète des fistules, mais le poignet reste ankylosé avec un aspect radiologique inchangé. La tolérance hépatique de l’itraconazole est bonne. Néanmoins, devant l’étendue des lésions, les orthopédistes proposent une résection chirurgicale, non conservatrice, mais le patient refuse l’amputation. Il est revu à la consultation au mois de décembre 2008, les fistules sont toujours cicatricielles avec le même handicap moteur du poignet.

Discussion

Figure 2 Radiographie du poignet : présence d’encoches osseuses au niveau des os du carpe. X-ray of the wrist: mottled destruction of carpal bones.

cependant un poignet toujours tuméfié et impotent et apparition de nouvelles fistules productives. Le contrôle radiologique au terme de six mois de traitement montre le même aspect de carpite. Parallèlement, de nouveaux prélèvements des sillons fistuleux sont réalisés, avec culture des sérosités ramenées sur milieux de Sabouraud placés à différentes températures. Des colonies mycosiques ont poussé au bout de dix jours à 288C sur des tubes avec et sans actidione. Elles sont blanc nacré à beige légèrement surélevées et plutôt duveteuses. L’examen microscopique a montré de très nombreux filaments mycéliens enchevêtrés, de deux à trois microns d’épaisseur et la présence de conidies ovoïdes uniques en position latérale et surtout terminale (Fig. 3). L’ensemble de

[(Figure_3)TD$IG]

Figure 3 Examen microscopique de la culture : présence de filaments mycéliens enchevêtrés ornementés en position terminale de conidies ovoïdes uniques. Mycologic examination of culture: hyphae were tangled and septate with tufted conidies.

Malgré leur rareté, les cas de mycétomes décrits en Tunisie sont bien documentés. Ils prédominent dans les zones méridionales où la pluviométrie annuelle, voisine de 300 mm et la température moyenne, supérieure ou égale à 19 8C, leur sont favorables [5]. Notre patient remplit plusieurs facteurs de risque de cette pathologie. En effet, en plus de vivre dans l’une des zones les plus touchées du pays, son métier l’expose particulièrement à cette pathologie qui se transmet par effraction traumatique des téguments et des parties molles, le plus souvent, par l’intermédiaire de végétaux épineux [5]. Cependant, le traumatisme contaminant passe souvent inaperçu comme c’était le cas chez notre patient. Les membres inférieurs sont les localisations de prédilection des mycétomes [1], les mains étant nettement moins touchées. Notre observation est la première du genre dans notre pays. Quel que soit l’agent responsable, les mycétomes ont en commun plusieurs caractéristiques épidémiologiques et cliniques : ils évoluent lentement et restent indolores pendant de nombreux mois voire années [12] ; ils ont une tendance à s’étendre en superficie et même en profondeur envahissant progressivement tous les tissus avoisinants, dont l’os [6,11]. L’atteinte lymphatique ou viscérale est rare. Ils ont une faible tendance à la guérison spontanée. Les aspects morphologiques (couleur des grains) sont de même communs aux deux origines, fongique et bactérienne des mycétomes. En effet, des grains blancs tels que ceux observés chez notre patient sont rencontrés aussi bien au cours des mycétomes fongiques qu’actinomycosiques [3]. Dans notre cas, la couleur blanchâtre des grains initialement mis en évidence était compatible avec l’identification ultérieure de P. boydii. Cependant, si les actinomycétomes répondent relativement bien aux antibiotiques, particulièrement les sulfamides et les sulfones, les mycétomes fongiques sont peu sensibles aux antifongiques classiques [11,13]. Néanmoins, une amélioration a été observée dans certains cas avec l’itraconazole [7,12]. Ce derniers a été utilisé à des doses quotidiennes variant de 50 à 400 mg, durant des périodes dépassant parfois les six mois, afin d’éviter les rechutes dont le taux dépasserait 50 % [7,12,13]. En effet, la durée optimale du traitement antifongique reste mal codifiée et un suivi de plusieurs années est indispensable avant de pouvoir affirmer la guérison d’un eumycétome [8,12]. L’arsenal antifongique s’est récemment

226 renforcé d’un nouveau triazolé, le posaconazole qui reste un traitement de seconde intention. Cette molécule a démontré son efficacité dans le traitement de mycétome chez les patients réfractaires ou intolérants à l’itraconazole [4,10]. En plus, le posaconazole est d’un apport considérable dans le traitement du mycétome avec atteinte osseuse grâce à sa bonne diffusion dans ce tissu [4]. L’eumycétome constitue une lésion bien circonscrite des tissus cutanés et sous-cutanés ; diagnostiqué précocement une résection chirurgicale large permettra d’en éviter l’évolution vers l’atteinte osseuse [13]. Tous les cas de mycétomes, a fortiori les formes chroniques, requièrent un traitement antifongique associé à un traitement chirurgical, voire une amputation dans certains cas [11,14]. Notre patient a refusé l’amputation et nous avons maintenu chez lui l’itraconazole pendant 18 mois ; l’évolution est favorable après un recul de six ans, avec cicatrisation des fistules au prix d’une ankylose résiduelle du poignet.

Conclusion Le mycétome fongique est une pathologie rare en Tunisie et la localisation au niveau de la main est exceptionnelle. Son diagnostic est difficile et repose sur un examen mycologique soigneux. Cette affection mutilante se heurte à des difficultés thérapeutiques ; en effet l’agent causal, P. boydii est peu sensible aux antifongiques classiques et un traitement chirurgical est souvent nécessaire. L’itraconazole semble être efficace et bien toléré, néanmoins la durée du traitement reste encore non codifiée.

Conflit d’intérêt Aucun.

H. Tiouiri Benaissa et al.

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