Articles scientifiques Regards sur la recherche
Ann Dermatol Venereol 2007;134:678-81
NF1 : l’analyse moléculaire dans la pratique clinique C. RIEUBLAND (1), D. VIDAUD (2), S. JACQUEMONT (1)
L
a neurofibromatose de type 1 (NF1) ou maladie de von Recklinghausen est une maladie multisystémique progressive transmise selon le mode d’hérédité autosomique dominant. Parmi les maladies génétiques les plus fréquentes, elle touche entre 1/2000 et 1/4000 individus. La moitié des cas sont familiaux, l’autre moitié sporadiques. La NF1 est diagnostiquée cliniquement par les critères définis par la conférence du National Institute of Health (NIH) de 1988 [1]. Un individu doit présenter au moins deux des sept critères suivants : – au moins six taches café-au-lait de diamètre supérieur à 1,5 cm en période post-pubertaire ou supérieur à 0,5 cm en période pré-pubertaire ; – au moins deux neurofibromes, quel que soit leur type ou un neurofibrome plexiforme ; – présence de lentigines axillaires ou inguinales ; – un gliome du nerf optique ; – au moins deux nodules de Lisch (hamartomes iriens) ; – une lésion osseuse caractéristique telle une pseudarthrose, une dysplasie du sphénoïde ou un amincissement du cortex des os longs avec ou sans pseudarthrose ; – un apparenté du premier degré (parent, fratrie, enfant) avec NF1. Le gène NF1 est un grand gène, constitué de 60 exons et localisé en 17q11.2. Il code pour la neurofibromine, protéine cytoplasmique ubiquitaire qui appartient à la famille des protéines GAP (GTPase Activating Protein). La neurofibromine est un régulateur négatif de la protéine p21ras et sa diminution dans la cellule entraîne une prolifération et une tumorigénèse accrues dans les tissus neurocutanés. Le gène NF1 est un gène suppresseur de tumeur ce qui fait de la neurofibromatose de type 1 une prédisposition au développement de tumeurs, en particulier les MPNSTs (tumeurs malignes de la gaine nerveuse périphérique). L’inactivation des deux allèles du gène est nécessaire pour entraîner la perte de contrôle du cycle cellulaire. Le taux de mutation spontanée pour NF1 est l’un des plus élevé dans le génome humain et 100 fois supérieur au taux de mutation moyen. De ce fait, les mutations de novo représentent 50 p. 100 des cas de NF1 avec une répercussion importante sur le conseil génétique. (1) Service de Génétique Médicale, CHUV, 1011 Lausanne, Suisse. (2) Service de Biochimie et de Génétique Moléculaire, Hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général Leclerc, 92118 Clichy Cedex. Tirés à part : S. JACQUEMONT, à l’adresse ci-dessus. E-mail :
[email protected]
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NF1 : pourquoi faire un test génétique ? CONFIRMER LE DIAGNOSTIC Les critères NIH sont très sensibles et très spécifiques pour les adultes chez qui le diagnostic est clinique. Par contre, ces critères NIH peuvent être difficiles à utiliser chez l’enfant, la symptomatologie apparaissant avec le temps : seulement 54 p. 100 des cas de NF1 sporadiques remplissent les critères NIH à l’âge d’un an ; en revanche 95 p. 100 les remplissent à 8 ans et tous à 20 ans [2] (fig. 1). Les taches café-au-lait sont présentes chez la plupart des nouveau-nés alors que les lentigines axillaires sont présentes vers 7 ans et se développent rarement après. Les nodules de Lisch et les neurofibromes, qui se développent plutôt à la puberté, sont présents chez la quasi-totalité des adultes. Le gliome du nerf optique est habituellement diagnostiqué vers 3 ans. Il a été suggéré de modifier les critères NIH pour le diagnostic chez les enfants en ajoutant des critères sensibles tels que la petite taille, la macrocéphalie et les OBNI (objets brillants non identifiés) à l’IRM cérébrale (observés en T2 chez 43 à 93 p. 100 des enfants avec NF1) [3]. Dans la pratique, une NF1 sera suspectée dans la majorité des cas chez le nourrisson face à des signes cliniques présents dès la naissance comme les taches café-au-lait. Cependant, en l’absence d’histoire familiale ou d’un second critère clinique d’apparition plus tardive, le diagnostic ne pourra pas être confirmé (fig. 1). Dans cette situation et face à l’inquiétude grandissante des parents, un test génétique permettra de confirmer la suspicion diagnostique et d’instaurer le suivi adéquat (examen physique orienté annuel, bilan ophtalmologique annuel, suivi du développement et contrôle de la pression artérielle). Cependant, en cas de suspicion diagnostique, un test moléculaire négatif ne permet pas encore d’exclure formellement le diagnostic de NF1 puisque la sensibilité de ce test n’est pas de 100 p. 100. Jusqu’à récemment, la recherche des mutations dans NF1 était très complexe, le taux de détection de mutation (sensibilité) était décevant malgré l’absence d’argument en faveur d’une hétérogénéité génétique. Aujourd’hui, l’étude du gène reste compliquée de par sa grande taille, la présence de pseudogènes, l’absence de région dans laquelle les mutations surviennent de façon préférentielle, et la grande diversité de mutations observées. Cependant la sensibilité atteint plus de 90 p. 100 pour les laboratoires référents français (Dr Vidaud à l’Hôpital Beaujon, Dr Pinson à Lyon). Pour atteindre ces
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% de patients
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Age Fig. 1. Apparition des critères NIH en fonction de l’âge (modifié selon De Bella et al., 2000) [2]. a : Patients ne présentant pas les deux critères, pour lesquels l’analyse moléculaire revêt un caractère diagnostique. À noter que cette figure concerne les formes sporadiques mais aussi les formes familiales. Dans le cas de formes sporadiques, seuls 54 p. 100 des patients présentent les deux critères à 1 an.
sensibilités, certains auteurs ont recours à plusieurs techniques successivement : l’équipe de Messiaen et al. [4] rapporte en 2000 un taux d’identification de mutations de 95 p. 100 chez 67 patients non apparentés remplissant les critères NIH par la cascade de techniques suivantes : Protein Truncation Test (PTT) puis si aucune mutation n’est identifiée, analyse en hétéroduplex, FISH, Southern blot et analyse cytogénétique. Griffiths et al. [5] en 2006 détectent 78 p. 100 de mutations dans NF1 par technique FISH (hybridation fluorescente in situ), dHPLC et MLPA chez des patients remplissant les critères NIH. Il semble qu’actuellement les techniques de séquençage direct de produit d’amplification permettent à elles seules d’atteindre un pourcentage de détection de l’ordre de 90 p. 100 (D. Vidaud, communication personnelle) à condition que les patients remplissent les critères cliniques NIH. Le taux de mutations de 68 p. 100 trouvé par De Luca et al. [6] en 2004 chez 110 patients en est une parfaite illustration puisque seuls 73 des 110 patients remplissaient ces critères, pour les autres, les informations cliniques étaient incomplètes. Parallèlement, Mattocks et al. [7] trouvent en 2004 un taux de détection de mutation à 89 p. 100 chez un collectif de patients remplissant les critères NIH. Ces exemples soulignent l’importance de l’interprétation d’un résultat négatif qui doit obligatoirement être confronté à la clinique. Les formes atypiques représentent une indication au diagnostic moléculaire. – La neurofibromatose segmentaire concerne les individus ayant les critères cliniques de la NF1 limités à une région du corps. Il s’agit d’une mutation post-conceptionnelle dans NF1 résultant en un mosaïcisme somatique. Le diagnostic de NF1 segmentaire s’effectue par prélèvement cutané en zone atteinte. La découverte de la mutation en zone atteinte et son absence en zone saine confirme le diagnostic de NF1 segmentaire. Le diagnostic moléculaire est essentiel pour la prise en charge du patient et le conseil génétique puisque les risques de transmission sont réels dans ces formes. – Le recours à la biologie moléculaire est également indiqué dans les formes atypiques comme les gliomes optiques isolés.
– Certains patients présentent un chevauchement phénotypique entre la NF1 et le syndrome de Noonan (défini par une petite taille, une dysmorphie faciale caractéristique et des anomalies cardiaques congénitales) ; cette condition est appelée NFNS ou neurofibromatose-Noonan Syndrome. De Luca et al. [8] rapportent une étude de 17 patients avec un NFNS ; aucune mutation n’a été découverte dans PTPN11 (l’un des gènes impliqué dans le syndrome de Noonan), en revanche, des mutations dans NF1 ont été décelées chez 16 des 17 individus. Cette étude plaide en faveur d’un rôle majeur de NF1 dans le NFNS. Les gènes en cause dans le syndrome de Noonan partagent avec NF1 la même voie de signalisation (Ras) ce qui peut expliquer ces formes chevauchantes. LA GÉNÉTIQUE PEUT-ELLE RENSEIGNER SUR L’ÉVOLUTION DE LA SYMPTOMATOLOGIE ? À ce jour, peu de corrélations génotype-phénotype ont pu être établies pour la NF1 et le résultat de l’analyse moléculaire ne permet malheureusement pas de renseigner le patient sur le type ou la sévérité des symptômes attendus. Une récente étude d’Upadhyaya et al. montre une absence de neurofibromes cutanés chez 21 patients porteurs d’une délétion de trois paires de bases dans l’exon 17 de NF1 (c.2970-2972 delAAT) [9]. Les grandes délétions, contenant l’ensemble du gène NF1 et une partie de la région du génome environnante (5 p. 100 des patients NF1), sont corrélées avec un tableau clinique particulièrement sévère qui associe une dysmorphie, des troubles de l’apprentissage et des neurofibromes d’apparition précoce. Ces grandes délétions sont habituellement mises en évidence par la technique FISH. Hormis ces deux situations particulières, aucune relation génotype-phénotype claire n’est rapportée. CONSEIL GÉNÉTIQUE (fig. 2) Le diagnostic moléculaire est essentiel pour le conseil génétique où l’enjeu principal est de préciser le risque de récurrence. Lorsqu’un diagnostic est posé chez un enfant, le couple se préoccupe souvent du risque de récurrence lors d’une prochaine grossesse. Dans le cas d’une forme familiale, si l’un des parents est porteur, le risque de récurrence est de 50 p. 100 ; alors qu’en cas de forme sporadique, il est faible (< 1 p. 100 dû aux mosaïques germinales). En l’absence d’examen génétique, les parents du cas index doivent faire un examen clinique complet (dermatologique, ophtalmologique) à la recherche des critères diagnostiques afin de déterminer le caractère familial ou sporadique de la maladie. La recherche de la mutation familiale sur la base d’une simple prise de sang permet d’éviter ces examens et donne une réponse rapide et sans équivoque. DIAGNOSTIC PRÉNATAL (DPN) « Le diagnostic prénatal s’entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité. Il doit être précédé d’une consultation médicale de conseil génétique ». Lois de bioéthique 1998. Art. L. 162-16. 679
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façon indirecte. Il y a peu de cas de DPI rapportés dans la littérature pour cette pathologie. Spits et al. [10] exposent cinq cas de DPI pour la NF1 effectués par analyse de liaison. Le papier relate également deux situations où l’analyse indirecte était impossible et où une PCR spécifique de la mutation a été développée. Verlinsky et al. [11] décrivent un cas de DPI avec recherche de mutation maternelle par PCR séquentielle sur le premier puis le second globule polaire. NF1
1 an
2 ans NF1
NF1
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b
NF1
Femme asymptomatique
Homme asymptomatique
Homme atteint
Fœtus de sexe inconnu
Fig. 2. Conseil génétique dans les formes sporadiques et familiales. a) Présentation de NF1 sporadique : Le couple consulte pour son garçon de 2 ans qui présente une NF1 apparemment sporadique. L’analyse moléculaire de NF1 révèle une mutation chez le cas index. Dans un deuxième temps, la recherche de mutation est effectuée chez les parents et revient négative. Le risque de récurrence pour cette seconde grossesse est donc faible (< 1 p. 100 lié au risque de mosaïque germinale). b) NF1 familiale : Le diagnostic de NF1 est confirmé chez un garçon de 1 an qui présente un critère clinique NIH et une anamnèse familiale positive. L’analyse moléculaire n’est pas indiquée à visée diagnostique chez ce garçon. Cependant elle est indiquée pour le conseil génétique dans cette famille, et en particulier pour une demande de diagnostic prénatal. Le risque pour ce fœtus (flèche) d’être atteint de NF1 est de 50 p. 100.
Le diagnostic prénatal consiste à rechercher l’anomalie génétique connue chez le fœtus par choriocentèse (à 12 semaines d’aménorrhée) ou amniocentèse (à 16 semaines d’aménorrhée). En pratique, peu de patients ont eu recours au DPN pour la NF1 compte tenu de l’expressivité variable de la maladie et de l’impossibilité de prédire sa sévérité. Cependant, certains couples ayant un vécu lourd de la maladie ont peine à envisager une grossesse sans recours au DPN dont le nombre est en constante augmentation.
Conclusion Jusqu’à récemment, la biologie moléculaire avait peu de place dans la pratique clinique de la NF1. L’amélioration de la sensibilité des techniques et des délais de rendu de résultats (aujourd’hui environ 3 à 6 mois dans les laboratoires référents français) ont permis de faciliter cet examen qui tend à remplacer les explorations cliniques et paracliniques réalisées dans un but purement diagnostique en particulier chez l’enfant trop jeune pour remplir les critères NIH. Cependant, il faudra rester prudent face à une recherche de mutation négative qui doit être confrontée à la présentation clinique. L’accès à la biologie moléculaire a également modifié les attitudes de DPN et DPI.
Lexique Hétérogénéité génique : Fait que des mutations de gènes différents peuvent être la cause de la même maladie. Mosaicïsme somatique : Coexistence, dans un organisme de cellules, de constitutions géniques différentes : une population porteuse d’une mutation, l’autre nonporteuse. Mosaicïsme germinal : Présence d’une double population de cellules germinales, certaines étant porteuses d’une mutation, d’autres étant non porteuses. Pseudogène : Gène dont la séquence est voisine d’un gène fonctionnel, mais qui ne s’exprime pas.
Références DIAGNOSTIC PRÉIMPLANTATOIRE (DPI) Face à ce qui semble être une augmentation des demandes de DPN, le DPI représente en théorie une alternative intéressante pour les maladies à expressivité variable. Cette technique présente un avantage sur le DPN en évitant une interruption médicale de grossesse. Le diagnostic moléculaire est pratiqué sur une ou deux cellules prélevées sur un embryon de 3 jours obtenu par ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection). Le DPI est maintenant proposé en France et en Belgique par plusieurs équipes (Strasbourg, Paris et Montpellier pour la France). En raison du grand nombre de mutations actuellement répertoriées dans NF1, le diagnostic est souvent obtenu de 680
1. Neurofibromatosis. Conference statement. National Institutes of Health Consensus Development Conference. Arch Neurol 1988;45:575-8. 2. DeBella K, Szudek J, Friedman JM. Use of the national institutes of health criteria for diagnosis of neurofibromatosis 1 in children. Pediatrics 2000;105:608-14. 3. DeBella K, Poskitt K, Szudek J, Friedman JM. Use of “unidentified bright objects” on MRI for diagnosis of neurofibromatosis 1 in children. Neurology 2000;54:1646-51. 4. Messiaen LM, Callens T, Mortier G, Beysen D, Vandenbroucke I, Van Roy N, et al. Exhaustive mutation analysis of the NF1 gene allows identification of 95% of mutations and reveals a high frequency of unusual splicing defects. Hum Mutat 2000;15:541-55. 5. Griffiths S, Thompson P, Frayling I, Upadhyaya M. Molecular diagnosis of neurofibromatosis type 1: 2 years experience. Fam Cancer. 2006 Aug 31.
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6. De Luca A, Schirinzi A, Buccino A, Bottillo I, Sinibaldi L, Torrente I, et al. Novel and recurrent mutations in the NF1 gene in Italian patients with neurofibromatosis type 1. Hum Mutat 2004;23:629. 7. Mattocks C, Baralle D, Tarpey P, Ffrench-Constant C, Bobrow M, Whittaker J. Automated comparative sequence analysis identifies mutations in 89% of NF1 patients and confirms a mutation cluster in exons 11-17 distinct from the GAP related domain. Med Genet 2004;41: e48. 8. De Luca A, Bottillo I, Sarkozy A, Carta C, Neri C, Bellacchio E, et al. NF1 gene mutations represent the major molecular event underlying neurofibromatosis-Noonan syndrome. Am J Hum Genet 2005; 77:1092-101.
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9. Upadhyaya M, Huson SM, Davies M, Thomas N, Chuzhanova N, Giovannini S, et al. An absence of cutaneous neurofibromas associated with a 3-bp inframe deletion in exon 17 of the NF1 gene (c.2970-2972 delAAT): evidence of a clinically significant NF1 genotype-phenotype correlation. Am J Hum Genet 2007;80:140-51. 10. Spits C, De Rycke M, Van Ranst N, Joris H, Verpoest W, Lissens W, et al. Preimplantation genetic diagnosis for neurofibromatosis type 1. Mol Hum Reprod 2005;11:381-7. 11. Verlinsky Y, Rechitsky S, Verlinsky O, Chistokhina A, Sharapova T, Masciangelo C, et al. Preimplantation diagnosis for neurofibromatosis. Reprod Biomed Online 2002;4:218-22.
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