Nouvelle classification des aphasies progressives primaires et leur évaluation

Nouvelle classification des aphasies progressives primaires et leur évaluation

NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2012) 12, 31—34 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com PRATIQUE CLINIQUE Nouvelle classification d...

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NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2012) 12, 31—34

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

PRATIQUE CLINIQUE

Nouvelle classification des aphasies progressives primaires et leur évaluation The new classification of primary progressive aphasia, its assessment L. Lacoste Clinique de la mémoire, 17, avenue de Téhéran, 75008 Paris, France Disponible sur Internet le 23 novembre 2011

MOTS CLÉS Aphasie progressive primaire ; Diagnostic ; BDAE ; Tests neuropsychologiques

KEYWORDS Primary progressive aphasia; Diagnosis; BDAE; Neuropsychological tests

Résumé À partir de la nouvelle classification des aphasies progressives primaires et de leurs variantes proposée en 2011, cet article présente les critères diagnostiques de l’aphasie non fluente, de l’aphasie sémantique ainsi que de l’aphasie logopénique. Il propose ensuite un bilan neuropsychologique permettant de faire le diagnostic différentiel à partir d’un subtest de la version franc ¸aise de la Boston Diagnostic Aphasia Examination (BDAE) ajoutée aux tests neuropsychologiques classiques. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary From the new classification of primary progressive aphasia and its variants in 2011, this article presents the clinical diagnosis of non-fluent, semantic and logopenic aphasia. It then proposes a method for making these diagnoses from an adaptation of the French version of the Boston Diagnostic Aphasia Examination (BDAE) in addition to other classical neuropsychological tests. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Gorno-Tempini et al. [1] ont proposé une nouvelle classification diagnostique des aphasies progressives primaires (APP) et de leurs variantes qui se caractérisent par un trouble dégénératif débutant avec une altération isolée du langage au début, se manifestant de

Adresse e-mail : [email protected] 1627-4830/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.npg.2011.09.005

32 différentes manières. Ils redéfinissent ainsi les critères diagnostiques des trois variantes de ces formes dégénératives à dominante phasique, à savoir l’aphasie non fluente, l’aphasie sémantique et l’aphasie logopénique. Après avoir redonné clairement la symptomatologie de ces différentes formes de la maladie, sera proposée une manière psychométrique d’établir le diagnostic sur des bases qualitatives. On utilisera pour cela un subtest tiré de l’échelle Boston Diagnostic Aphasia Examination (BDAE) [2], adaptée en franc ¸ais sous le nom de HDAE [3], et les tests neuropsychologiques prenant en compte les difficultés du langage. Les orthophonistes peuvent alors prendre le relais pour affiner le bilan de langage et assurer la prise en charge des troubles des patients.

L. Lacoste se localisent sur une reconnaissance déficitaire de catégories telles que les personnes, les animaux. . . Certains décrivent une moins bonne performance sur les mots et objets concrets que celle présente avec ceux qui sont abstraits. Il peut y avoir aussi un déficit de la répétition et de la prononciation. Il n’y a pas d’agrammatisme, mais des substitutions peu appropriées sont possibles par rapport à la classe des mots par exemple. Une variante en est la dyslexie ou dysgraphie de surface avec un déficit à lire et écrire des mots irréguliers ou une atypique relation entre épellation et prononciation.

L’aphasie logopénique

Les trois formes d’aphasie dégénérative L’aphasie non fluente La symptomatologie se caractérise par un trouble du langage qui présente des omissions, substitutions, insertions ou transposition de sons langagiers dont les patients sont conscients avec au moins un de ces deux troubles : • l’agrammatisme : les phrases sont courtes avec omission des morphèmes grammaticaux libres tels que les pronoms, préposition, genre, nombre. Le langage est essentiellement constitué de mots à contenus : noms, verbes, adjectifs, adverbes. . . C’est le style télégraphique correspondant à une lésion dans l’aire de Broca. On peut l’évaluer soit à l’oral, soit à l’écrit ; • l’apraxie du langage : la production du langage est lente, laborieuse avec un déficit dans la planification de l’articulation, des erreurs de production de sons, des distorsions. Il n’y a pas d’apraxie qui influe sur les autres activités de la vie quotidienne, sauf à un stade plus avancé. Il peut y avoir aussi : • un échec de la compréhension de phrases grammaticalement complexes, dans la construction syntaxique, les négations, les conjonctions de coordination ; • un échec de la compréhension de mots isolés ou reconnaissance des objets dans leur fonction.

L’aphasie sémantique Deux symptômes principaux peuvent être les seuls présents à un stade précoce : • l’anomie de mots isolés ; • le déficit de la compréhension de mots isolés surtout pour des mots peu fréquents. Cela peut être aussi le premier signe d’une démence sémantique. Les difficultés s’orientent alors vers un déficit des connaissances sémantiques. Le patient perd des informations sur l’objet et les caractéristiques qui lui sont attachées. Il y a alors des difficultés de compréhension de mots isolés de manière plus générale, impliquant des problèmes de reconnaissance d’objets, de personnes, même s’ils sont présentés sur un mode visuel, d’objets réels, de manière tactile, olfactive, gustative. Généralement, cela se présente sur toutes les catégories même si de rares cas

La symptomatologie est : • un déficit à retrouver les mots dans le langage spontané et la dénomination ; • un déficit de la répétition des phrases : le langage spontané est lent, avec des pauses fréquentes, une difficulté à trouver le mot correct. Chomel Guillaume et al. [4] décrivent une fluence qui se situe entre cinq et sept mots produits au cours d’une même émission mais, à la différence de l’aphasie non fluente, il n’y a pas d’agrammatisme franc, les patients peuvent produire des phrases de longueur normale sans interruption de la continuité de la construction syntaxique et sans rupture des idées et du sens au travers des différents segments du discours. L’articulation ainsi que la prosodie, c’est-à-dire l’accent et l’intonation, sont préservées. À la différence de l’aphasie sémantique, il n’y a pas de trouble sévère de la dénomination ; • des erreurs phonologiques dans les syllabes : il y a des paraphasies phonologiques bien articulées sans distorsion. Il y a un déficit phonologique de la mémoire de travail telle qu’elle est décrite dans le modèle de Baddeley [5]. La « boucle phonologique » spécialisée dans le stockage temporaire de l’information verbale présentée auditivement ou visuellement est déficitaire, ce qui implique que la répétition de phrases peut être atteinte alors que celle des mots courts est préservée ; • une absence de trouble de compréhension lexicale.

L’examen neuropsychologique Tout d’abord, un examen neuropsychologique commence toujours par un entretien permettant de recueillir des éléments biographiques de l’histoire du sujet, de sa plainte, ce qui permet de plus de créer la compliance à l’examen qui est indispensable à la suite du bilan avec la passation de tests. Ce premier entretien, dans le cas de patients aphasiques, met d’emblée sur la voie de difficultés de langage qui peuvent alors être appréciées qualitativement. La question qui se pose est alors de savoir s’il s’agit d’un trouble du langage isolé et spécifique rentrant dans le cadre des APP ou s’il est ajouté à d’autres troubles tels que la mémoire épisodique, les praxies simples, les gnosies, l’apathie ou les persévérations frontales. Le trouble du langage repéré, il peut être exploré qualitativement à l’aide de la cotation de l’épreuve de

Nouvelle classification des aphasies progressives primaires et leur évaluation « conversation et langage spontané » de l’HDAE. Il s’agit de vérifier l’émission de formules simples automatiques à travers les réponses aux questions posées. Cela donne une idée de sa fluence et des erreurs présentes en incitant le patient à parler seul de sa plainte pendant plusieurs minutes. Enfin, une description d’image pendant au moins une minute est administrée pour mettre en évidence le manque du mot et les paraphasies sémantiques, le patient n’ayant plus le choix du lexique. Ces trois sous-épreuves permettent de remplir qualitativement un profil de l’expression orale spontanée selon six critères évalués subjectivement sur une échelle de 1 (trouble maximal) à 7 (expression normale). Sont évalués ici qualitativement : la syntaxe, l’articulation, la longueur des phrases, les paraphasies, la prosodie et le contenu informatif. Une première hypothèse diagnostique sur la nature du trouble du langage en rapport avec les critères précédemment décrits peut être posée. On peut résumer les profils attendus pour chaque diagnostic dans le Tableau 1. Dans un deuxième temps, on quantifie le manque du mot avec le DO 80 [6]. C’est une épreuve de dénomination orale de 80 images et qui met en évidence une éventuelle anomie en lien avec le stock sémantique et les gnosies. Des normes sont établies en fonction de l’âge, du sexe et du niveau socioculturel. Il fournit aussi, grâce à l’analyse de la nature des erreurs, des indications sur le processus déficitaire et l’évaluation des gnosies qui ne doivent pas être perturbées. Puis, on mesure les fluences verbales littérales et catégorielles [7] pour lesquelles il existe également des normes selon l’âge, le sexe et le niveau d’étude. Le sujet doit donner, pendant deux minutes, le plus de noms d’animaux, puis pendant deux minutes le plus de mots possibles commenc ¸ant par la lettre « P », sauf des noms propres. Est testée ici la sphère exécutive du langage. Il est intéressant aussi d’analyser les connaissances sémantiques avec le Palm Tree Test [8] qui consiste à évaluer les capacités du sujet à avoir accès au sens d’images ou de mots, ce qui donne des éléments déterminants pour les diagnostics d’aphasie et de démence sémantique. Ensuite, il faut vérifier que les troubles se limitent au domaine du langage et ne touchent pas les autres fonctions cognitives afin d’éliminer une forme démentielle.

Tableau 1 Profil diagnostique des trois formes d’APP selon le subtest « Conversation et langage spontané » de l’HDAE. Aphasie non fluente Prosodie Longueur des phrases Articulation Syntaxe Paraphasies Contenu informatif

Aphasie sémantique

Aphasie logopénique

+ + + +

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Tout d’abord, la mémoire épisodique doit être normale. Si le score au DO 80 est normal, on peut utiliser pour cela le RI/RL 16 [9] ; si le manque du mot est significatif, on utilise le DMS 48 [10] qui ne fait pas appel à la mémoire verbale, mais au traitement perceptif des stimuli. Des normes précises existent là-aussi. Enfin, on vérifie que les praxies et les fonctions exécutives indépendantes du langage sont préservées. Pour cela, est utilisé le subtest « gestes abstraits » de la batterie d’évaluation des praxies gestuelles de Mahieux-Laurent et al. [11], qui est le subtest le plus précocement atteint dans les syndromes démentiels. Un score est normal s’il est supérieur à 7 en dessous de 65 ans et supérieur à 6 audelà. Au niveau des fonctions exécutives, sont utilisés les séquences de Luria, le taping et le go-no go, que l’on retrouve dans la batterie rapide d’efficience frontale (BREF) de Dubois et al. [12]. Pour affiner l’examen des erreurs persévératives, on peut utiliser le test du Wisconsin [13] qui ne fait pas appel au langage. Si en dehors du langage, une autre sphère du fonctionnement cognitif est atteinte, la psychométrie ne permet plus d’aller dans le sens d’une APP, mais bien dans le sens d’un syndrome démentiel. Si un bilan préalable a été effectué suffisamment tôt, on peut penser que l’APP a été le mode d’entrée dans la démence. L’imagerie est alors déterminante. Mais si le bilan permet de faire le diagnostic d’APP selon ses trois variantes, un bilan de langage détaillé sera alors demandé à une orthophoniste pour permettre de documenter la forme d’APP présente. Cela permet de donner au patient la compréhension de ce qui est en train de se jouer pour lui au niveau de son fonctionnement cognitif et de l’orienter vers une prise en charge orthophonique qui pourra retarder l’évolution de la maladie grâce aux facultés d’apprentissage préservées.

Conclusion Ainsi, un diagnostic précoce des troubles du langage dans les maladies dégénératives est possible en lien avec un bilan neuropsychologique adapté à ce type de déficit et complété par un bilan orthophonique, dont le médecin aura à faire la synthèse selon les critères diagnostiques précédemment établis pour donner au patient une parfaite compréhension de ses troubles et lui redonner sa place de sujet de sa maladie comprenant ce qu’il est en train de se jouer pour lui. Une fois le diagnostic médical posé, il est préférable de laisser la main aux orthophonistes s’intéressant aux maladies dégénératives pour orienter leur rééducation, et qui maîtrisent les techniques de prise en charge des troubles du langage. Des bilans neuropsychologiques et orthophoniques réguliers permettent au médecin de suivre l’évolution du patient au niveau où il en est de sa maladie pour le rendre acteur de sa prise en charge en étroite collaboration avec les personnes s’occupant de lui.

+ +

Les + indiquent les éléments du langage altérés prioritairement.

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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Références [1] Gorno-Tempini ML, Hillis AE, Weintraub S, et al. Classification of primary aphasia and its variants. Neurol 2011;76:1006—14. [2] Goodglass H, Kaplan E. Assessment of aphasia and related disorders. Philadelphia: Lea and Febinger; 1972. [3] Mazaux JM, Orgogozo JM. HDAE, échelle d’évaluation de l’aphasie. Paris: ECPA; 1982. [4] Chomel-Guillaume S, Leloup G, Bernard I. Les aphasies, évaluation et rééducation. Paris: Masson; 2010. [5] Baddeley AD. Working memory. Oxford: Oxford University Press; 1986. [6] Deloche G, Hannequin D. DO 80, test de dénomination orale d’images. Paris: ECPA; 1997. [7] Cardebat D. Évocation lexicale formelle et sémantique chez des sujets normaux. Performances et dynamiques de production en fonction du sexe, de l’âge et du niveau d’étude. Acta Neurol Belg 1990;90:207—17. [8] Howard D, Patterson K. The Pyramids and Palm tree test, a test of semantic access from words and pictures. Bury St Edmunds, UK: Thames Valley Test Company; 1992.

L. Lacoste [9] Van der Linden M, Coyette F, Poitrenaud J, et al. L’épreuve de rappel libre/rappel indicé à 16 items (RL/RI 16). In: Van der Linden M, et al., editors. L’évaluation des troubles de la mémoire, présentation de quatre tests de mémoire épisodique avec leur étalonnage. Marseille: Solal; 2004. p. 25—47. [10] Barbeau E, Tramoni E, Joubert S, et al. Evaluation de la mémoire de reconnaissance visuelle : normalisation d’une épreuve de choix forcé (DMS48) et utilisé en neuropsychologie clinique. In: Van der Linden M, et al., editors. L’évaluation des troubles de la mémoire, présentation de quatre tests de mémoire épisodique avec leur étalonnage. Marseille: Solal; 2004. p. 85—101. [11] Mahieux-Laurent F, Fabre C, Galbrun E, et al. Validation d’une batterie brève d’évaluation des praxies gestuelles pour consultation Mémoire. Évaluation chez 419 témoins, 127 patients atteints de troubles cognitifs légers et 320 patients atteints d’une démence. Rev Neurol 2009;165:560—7. [12] Dubois B, Slachevsky A, Levy R. Démence de type frontal. La lettre du neurologue 1997:16—9. [13] Heaton RK, Chelune GJ, Talley JL, et al. Wisconsin Card Sorting Test. Odessa, FL: Psychological Assessment Resources; 1981.