Douleurs, 2005, 6, hors série 1 deuxième exemple illustre l’importance des gradients transmembranaires en ions Cl- dans la fonction des récepteurs canaux. La destruction des gradients par les cotransporteurs membranaires (baisse de KCC2 et augmentation de NKCC1) diminue la fonction inhibitrice des R-GABAA et des R-Gly. Dans les conditions pathologiques, ces deux récepteurs canaux sont responsables d’une excitation qui participe à l’hyperexcitabilité pathologique générale des réseaux de neurones de la corne dorsale de la moelle épinière. En conclusion, le rôle d’une désinhibition spinale dans les conditions de douleur pathologique est de plus en plus étayé dans les travaux de recherche fondamentale. Ce concept innovant offre des opportunités nouvelles pour le développement de stratégies analgésiques. En effet, les mécanismes de désinhibition (comme les acteurs impliqués) sont variés ce qui est un signe encourageant dans la perspective de la mise au point de nouvelles molécules à visée thérapeutique. RÉFÉRENCES 1. Harvey RJ, Depner UB, Wassle H, Ahmadi S, Heindl C, Reinold H, Smart TG, Harvey K, Schutz B, Abo-Salem OM, Zimmer A, Poisbeau P, Welzl H, Wolfer DP, Betz H, Zeilhofer HU, Muller U. GlyR alpha3: an essential target for spinal PGE2-mediated inflammatory pain sensitization. Science 2004;304:8847. 2. Reinold H, Ahmadi S, Depner UB, Layh B, Heindl C, Hamza M, Pahl A, Brune K, Narumiya S, Muller U, Zeilhofer HU. Spinal inflammatory hyperalgesia is mediated by prostaglandin E receptors of the EP2 subtype. J Clin Invest 2005;115:673-9. 3. Coull JA, Boudreau D, Bachand K, Prescott SA, Nault F, Sik A, De Koninck P, De Koninck Y. Trans-synaptic shift in anion gradient in spinal lamina I neurons as a mechanism of neuropathic pain. Nature 2003;424:938-42. 4. Galan A, Cervero F. Painful stimuli induce in vivo phosphorylation and membrane mobilization of mouse spinal cord NKCC1 co-transporter. Neuroscience 2005;133:245-52.
O2 OCYTOCINE ET DOULEUR M.J. Freund-Mercier Professeur de Physiologie, Université Louis Pasteur de Strasbourg, responsable du Département « Nociception et Douleur », Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives, UMR 7168/LC2 CNRSUniversité Louis Pasteur de Strasbourg, France. JD Breton*, S Uhl-Bronner*, G Rojas-Piloni, M Condes-Lara, P Poisbeau, R Schlichter, MJ Freund-Mercier * contribution égale Introduction : L’ocytocine (OT), en plus de ses effets hormonaux bien connus pendant la parturition et la lactation, agit sur le système nerveux central (SNC) pour contrôler ou moduler des réponses physiologiques ou comportementales. Ces actions, de type neuromédiateur/neuromodulateur, dépendent des innervations ocytocinergiques issues des neurones parvocellulaires du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus et de l’existence dans différentes régions du SNC de sites de liaisons de l’OT. La majorité des actions de l’OT concernent la fonction de reproduction mais ce
5S9 neuropeptide peut également agir pour moduler des réponses autonomes et nociceptives. Nous décrirons les données morphofonctionnelles et physiologiques/comportementales qui permettent d’envisager une action anti-nociceptive de l’OT puis nous envisagerons les mécanismes d’action de ce neuropeptide au niveau spinal. Données morphofonctionnelles : La moelle épinière est l’une des rares régions du SNC où il existe une bonne corrélation entre la distribution de l’innervation ocytocinergique et celle des sites de liaison de l’OT. En effet, les neurones parvocellulaires, dont les corps cellulaires sont présents dans la partie dorso-latérale du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus, projettent dans les régions de la moelle épinière connues pour participer au traitement de l’information nociceptive somatique (laminae I et II) et viscérale (lamina X et noyau latéral spinal) et où sont exprimés des sites de liaisons de l’OT [1, 2]. L’innervation est plus importante aux niveaux L1 et L2 ainsi que L5 et L6. Dans ces segments médullaires nous avons pu montrer, en réalisant des dosages radioimmunologiques d’OT dans des coupes de moelle épinière de 1mm, que le contenu en OT est significativement plus élevé que dans les autres segments. C’est également entre L4 et L6 que la densité des sites de liaison de l’OT dans les couches I et II est la plus importante [2]. Ces données constituent un support anatomique pour l’existence d’une voie directe paraventriculo-spinale de nature principalement ocytocinergique qui modulerait la transmission du message nociceptif au niveau de son premier relais médullaire et contribuerait ainsi à un contrôle endogène de la sensation douloureuse par l’OT. Données physiologiques/comportementales : Le rôle joué par l’OT dans la modulation de la transmission du message nociceptif a longtemps été controversé.Actuellement, bien que les doses et les modes d’administration utilisés soient différents, un effet anti-nociceptif de l’OT a été clairement établit chez le rat normal et/ou présentant une douleur inflammatoire ou neuropathique. Ainsi, chez le rat normal l’injection systémique (i.p. ou s.c.) ou centrale (i.c.v. ou intracisternale) d’OT augmente le temps de latence des réponses comportementales évoquées par une stimulation thermique ou mécanique nociceptives. Ces effets pourraient, au moins en partie, impliquer le système opioïdergique endogène car ils sont, suivant les études, complètement ou partiellement bloqués par l’administration de natrexone ou de naloxone. Les effets anti-nociceptifs de l’OT ne sont pas que pharmacologiques. Plusieurs études réalisées chez le rat, mais aussi chez la souris, suggèrent en effet que le système ocytocinergique pourrait être un des systèmes modulateurs endogènes de la transmission du message nociceptif. Récemment nous avons ainsi pu montrer, dans un modèle de rat neuropathique, que l’injection intrathécale d’OT ou la stimulation électrique du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus réduisaient de manière significative le nombre de retrait de la patte [3]. Cet effet,
5S10 supprimé par l’injection intrathécale d’un antagoniste spécifique des récepteurs de l’OT, est le reflet de la mise en jeu d’un contrôle descendant paraventriculo-spinal de nature ocytocinergique. Mécanismes d’action : Les neurones des couches superficielles de la corne dorsale de la moelle épinière jouent un rôle fondamental dans l’intégration des messages nociceptifs. Les informations provenant des nocicepteurs de type Aδ et C aboutissent principalement dans les couches I et II et dans la couche V de la corne dorsale. Ils sont intégrés et modulés par des réseaux d’interneurones localisés majoritairement dans la couche II, avant d’être transmis, par des neurones de projection localisés dans les couches I et V, aux centres supraspinaux et interprétés au niveau cortical comme une sensation douloureuse. L’activité de ces réseaux d’interneurones excitateurs et inhibiteurs de la couche II peut être modulée par divers neurotransmetteurs et neuromodulateurs produits localement ou libérés par les systèmes de contrôle d’origine supraspinale. Des données électrophysiologiques, obtenus majoritairement dans l’UMR 7519 CNRS/Université Louis Pasteur et en collaboration avec le laboratoire de Neurobiologie de l’Université Nationale Autonome de Mexico à Querétaro au Mexique, permettent de proposer des mécanismes d’action de l’OT au sein de ce réseau excitateur/inhibiteur spinal expliquant les effets anti-nociceptifs du neuropeptide. Nous envisageons ainsi l’existence d’un contrôle descendant direct hypothalamo-spinal de nature ocytocinergique. Notre approche multiple et complémentaire réunit des données obtenues au niveau cellulaire, du réseau de neurones et des circuits présents chez l’animal entier. Chez le rat in vivo l’administration locale d’OT, par pression à proximité des neurones enregistrés, module l’excitabilité de 71,5 % des neurones de la moelle épinière principalement dans la corne dorsale. Parmi les neurones sensibles à l’OT 48 % sont activés et 52 % sont inhibés [4]. Dans certains cas des effets opposés (activation et inhibition) sont observés lorsque deux neurones sont enregistrés simultanément. Nous montrons également que l’activation des neurones induite par le glutamate ou par des stimulations tactiles ou nociceptives peut être bloquée ou réduite par l’OT. Ces résultats suggèrent différents sites d’action de l’OT sur les neurones de projection de la couche I ou dans le réseau d’interneurones excitateurs/inhibiteurs de la couche II de la moelle épinière. On peut ainsi envisager l’inhibition d’interneurones excitateurs ou l’activation d’interneurones inhibiteurs. Récemment, nous avons pu confirmer que la voie paraventriculo-spinale ocytocinergique constitue un des systèmes descendants modulateur de l’information nociceptive. En effet, la stimulation électrique du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus supprime pour certains neurones l’effet « wind up » ainsi que les réponses aux stimulations des fibres Aδ et C. Cet effet est bloqué par l’injection d’un antagoniste spécifique de l’OT [3].
Douleurs, 2005, 6, hors série 1 Pour préciser les sites d’action au niveau du réseau nous utilisons des préparations de tranches aiguës de moelle épinière de rats de 15 à 30 jours. L’enregistrement en patch clamp (configuration cellule entière) met en évidence 4 types de profils de décharge dans la couche II de la corne dorsale : répétitives, phasiques, retardées (phase silencieuse avant décharge) ou simple (un seul potentiel d’action précoce lors d’une dépolarisation de 900 msec). L’application d’OT ou d’un agoniste spécifique de l’OT diminue la fréquence des potentiels d’action dans 60 % des neurones enregistrés et induit un changement de profil de décharge : les neurones à décharge répétitive et retardée sont ainsi convertis en neurone à décharge phasique ou simple. L’OT exercerait donc un effet inhibiteur postsynaptique sur l’excitabilité des neurones de la couche II de la corne dorsale. L’étude des différentes transmissions synaptiques excitatrices et inhibitrices montre que l’agoniste spécifique de l’OT est sans effet sur les fréquences de libération de la glycine alors qu’il augmente les fréquences de libération du GABA et du glutamate (type AMPA). Ces actions présynaptiques sur les neurones inhibiteurs et excitateurs du réseau d’interneurones de la couche II pourraient sous-tendre, en partie, les effets anti-nociceptifs de l’OT. L’étude a également été menée sur des tranches de moelle épinière de rats présentant une inflammation induite par l’injection intraplantaire de carragénine 24h auparavant. On observe une diminution de l’excitabilité des neurones de la couche II de la corne dorsale équivalente à celle obtenue après application d’OT ou de son agoniste spécifique. L’excitabilité neuronale de la corne dorsale des animaux porteurs d’une douleur inflammatoire pourrait ainsi être le reflet de l’activation du système descendant hypothalamo-spinal ocytocinergique. Nous avons pu en effet mesurer une augmentation du contenu en OT dans les segments de moelle épinière lombaire aux niveaux L4-L6. L’OT pourrait également être à l’origine de la facilitation des transmissions GABAergique et glutamatergique caractéristiques de ce modèle. Les effets présynaptiques de l’OT sur la transmission glutamatergique avait déjà été étudiés par Jo et al. 1998 [5] dans un modèle de cultures de neurones de couches superficielles de corne dorsale de rats nouveau-nés.Ces neurones possèdent les mêmes propriétés électriques que les neurones in situ et certains d’entre eux expriment les sites de liaison de l’OT sur les corps cellulaires et les prolongements neuritiques. Dans ce modèle, l’application d’OT facilite la transmission glutamatergique de type AMPA par une action de type présynaptique. Les synapses glutamatergiques modulables par l’OT étant préférentiellement localisées sur des neurones où colocalisent le GABA et la Mét-enképhaline nous proposons que l’un des mécanismes possible pouvant expliquer l’effet antinociceptif de l’OT soit une facilitation par le neuropeptide des entrées excitatrices sur des interneurones inhibiteurs. Conclusion : Les résultats obtenus permettent une meilleure compréhension des effets et des mécanismes d’action de l’OT au niveau spinal. Ils sont en faveur de l’existence de
Douleurs, 2005, 6, hors série 1 mécanismes endogènes tout à fait originaux qui impliquent la mise en jeu, dans des conditions de douleur inflammatoire et/ou neuropathique, de la projection directe hypothalamospinale de nature ocytocinergique. L’OT pourrait ainsi être libérée après la phase aiguë pour induire une analgésie compensatrice. Si cette hypothèse est confirmée, il sera possible d’envisager l’utilisation des agonistes ou analogues de l’OT dans la thérapie des douleurs soutenues pouvant évoluer vers des états chroniques. Remerciements Le CNRS, l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, l’Institut UPSA de la Douleur, la Fondation pour la Recherche Médicale, le Comité ECOS-Nord avec le Mexique RÉFÉRENCES 1. Reiter MK, Kremarik P, Freund-Mercier MJ, Stoeckel ME, Desaulles E, Feltz P. Localization of oxytocin binding sites in the thoracic and upper lumbar spinal cord of the adult and postnatal rat: a histoautoradiographic study. Eur J Neurosci 1994;6:98-104. 2. Uhl-Bronner S, Waltisperger E, Martinez-Lorenzana D, Condes-Lara M, Freund-Mercier MJ. Sexually dimorphic expression of oxytocin binding sites in forebrain and spinal cord in the rat. Neuroscience 2005;135:147-54. 3. Condes-Lara M, Pojas-Piloni G, Cardenas-Miranda Y, Martinez-Lorenzana G, Rodriguez-Jimenez J, Lopez-Hidalgo MA, Freund-Mercier MJ. Paraventricular hyothalamic nucleus innervation to the spinal cord involved in the control of afferent nociceptive sensorial information in the rat. 2005 (soumis). 4. Condes-Lara M, Gonzales NM, Martinez-Lorenzana G, Luis Delgado O, Freund-Mercier MJActions of oxytocin and interactions with glutamate on spontaneous and evoked dorsal spinal cord neuronal activities. Brain Res 2003;976:75-81. 5. Jo YH, Stoeckel ME, Freund-Mercier MJ, Schlichter R. Oxytocin modulates glutamatergic synaptic transmission between cultured neonatal spinal cord dorsal horn neurones. J Neuroscience 1998;18:2377-86.
O3 CRF ET NGF : IMPLICATION DANS LA VISCÉROSENSIBILITÉ L. Bueno Unité de Neurogastroentérologie INRA, Toulouse, France. Introduction : L’importance du stress dans la genèse des troubles fonctionnels intestinaux tels que le syndrome de l’Intestin Irritable (SII) caractérisé par des douleurs abdominales chroniques est largement démontrée. Contrairement à ce qui est observé pour la douleur somatique, sur le plan expérimental, le stress possède des effets hyperalgésiques sur la douleur viscérale en particulier celle déclenchée par un stimulus de distension au niveau du tube digestif. Un stress néonatal lié à la séparation maternelle est également capable d’avoir des effets à très long terme sur la viscérosensibilité impliquant une activation du système immunitaire périphérique et des modifications des communications périphériques entre nerfs et immunocytes. Stress aigu, viscérosensibilité et CRF central : Chez le rat, l’effet d’un stress de contrainte corporelle partielle sur la douleur liée à la distension rectale est supprimé par l’administration centrale d’un antagoniste non-sélectif (α-hélical CRF9-41) des récepteurs à la corticoliberine (CRF) [1]. Ce
5S11 résultat plaide en faveur d’un rôle central du CRF dans l’hyperalgésie viscérale de stress. Dans ce cas, le CRF semble contrôler l’activation des systèmes descendants diffus contrôlant le flux spinal des signaux nociceptifs. Toutefois des résultats plus récents suggèrent l’implication concomitante du CRF à la périphérie. En effet, l’hyperalgésie déclenchée par un stress de contrainte de 2 heures est la conséquence de ses effets primaires sur la muqueuse colique avec augmentation de la perméabilité intercellulaire. Celleci favorise alors l’entrée de toxines, d’antigènes et de bactéries qui vont activer le système immunitaire sousmuqueux et provoquer la libération de substances proinflammatoires sensibilisant les terminaisons des neurones sensitifs et des mécanorécepteurs [2].De plus le CRF libéré au niveau central par un stress augmente, par un mécanisme d’activation vagale, la sécrétion de trypsine. Celle-ci se retrouve alors en excès dans le contenu colique ou elle active les récepteurs PAR2 et favorise une translocation bactérienne.Tous ces effets sur la barrière muqueuse contribuent à l’activation locale du système immunitaire avec un effet d’hypertrophie mastocytaire. Plusieurs travaux récents montrent que le CRF dans ces effets du stress met en jeu le CRF périphérique responsable de l’activation des mastocytes muqueux via des récepteurs CRF-R1. Implication du CRF dans l’hyperalgésie rectale consécutive à un stress aigu : rôle du NGF et du CRF périphérique dans les altérations à long terme consécutives à un stress néonatal de séparation maternelle : La séparation quotidienne (3h/jour) de jeunes ratons de leur mère de J2 à J14 après la naissance est associée à une libération massive de NGF au niveau de la paroi colique avec une augmentation de l’expression de ses récepteurs TrkA et P75. Le traitement des ratons avec des anticorps anti-NGF pendant cette période de séparation maternelle prévient l’apparition de l’hypersensibilité colorectale à la distension observée 12 semaines après la naissance. De même, l’injection quotidienne de NGF à des ratons témoins, non-séparés de leur mère de J2 à J14 après la naissance, entraîne la présence à long terme (12 semaines) d’une hypersensibilité colorectale à la distension. Ainsi le NGF apparaît comme un facteur responsable de l’hyperalgésie induite par un stress néonatal [3]. Malgré le retour à la normale du nombre de récepteurs TrkA et P75 à l’age adulte chez le rat néostressé, le NGF joue également un rôle tonique dans le maintien de l’hyperalgésie viscérale. En effet, l’administration d’anticorps anti-NGF 12 et 2 heures avant la distension supprime l’hypersensibilité colorectale du rat néostressé. Là encore le niveau d’intervention est lié à la sensibilisation de la population de mastocytes muqueux puisque leur stabilisation par le doxantrazole supprime l’état hyperalgésique (Fig. 1). Le CRF intervient à la périphérie dans le maintien à long terme de l’hypersensibilité viscérale induite par un stress néonatal. Outre l’augmentation de l’expression tissulaire de NGF,une augmentation notable de celle du CRF est également constatée. De plus, l’administration IP d’α-helical CRF9-41 ou