Revue de Pneumologie clinique (2016) 72, 273—276
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CAS CLINIQUE
Opacités pulmonaires multiples révélant une toxocarose Multiple pulmonary opacities revealing toxocariasis D. Jorge a, C. Strady b, B. Guy c, G. Deslée a,d, F. Lebargy a,e, S. Dury a,∗,e a
Service des maladies respiratoires, hôpital Maison-Blanche, CHU de Reims, 45, rue Cognacq-Jay, 51 092 Reims cedex, France b Groupe Courlancy, Cabinet d’infectiologie, Clinique Saint-André, 51100 Reims, France c Groupe Courlancy, Cabinet de pneumologie, Clinique Saint-André, 51100 Reims, France d Unité 903, Inserm, 51100 Reims, France e EA 4683, université de médecine et de pharmacie, 51100 Reims, France Disponible sur Internet le 28 juin 2016
MOTS CLÉS Toxocarose ; Parasitose ; Hyperéosinophilie ; Visceral larva migrans ; Nodules pulmonaires ; Tomodensitométrie thoracique
∗
Résumé Introduction. — La toxocarose est une parasitose compliquant l’infestation accidentelle de l’homme par les larves d’un nématode du genre Toxocara. Chez l’adulte, la découverte est souvent fortuite à l’occasion d’un bilan d’hyperéosinophilie. Les symptômes ne sont pas spécifiques et très variables selon les organes atteints. Observation. — Nous rapportons le cas d’une patiente de 53 ans qui a consulté pour une toux récente, précédée de douleurs abdominales de résolution spontanée. Le bilan biologique isolait une hyperéosinophilie sanguine et l’échographie hépatique deux nodules hypoéchogènes. Le scanner thoracique montrait des nodules pulmonaires bilatéraux entourés d’un halo de verre dépoli. Le lavage bronchoalvéolaire documentait une alvéolite à éosinophiles. La sérologie positive à Toxocara et les résultats du western blot ont permis de retenir le diagnostic de toxocarose pulmonaire et hépatique. Conclusions. — Bien que rare la toxocarose pulmonaire doit être évoquée devant tout poumon éosinophile, en particulier si le patient n’a jamais voyagé. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Dury).
http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2016.03.004 0761-8417/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
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KEYWORDS Toxocariasis; Parasitosis; Hypereosinophilia; Visceral larva migrans; Pulmonary nodules; Chest computed tomography
D. Jorge et al.
Summary Introduction. — Toxocariasis is a parasitosis which complicates the accidental infestation of the humans by larvae of a roundworms belonging of the genus Toxocara. In adults, the discovery is often incidental during a hypereosinophilia check-up. Clinical signs are not specific and depend on affected organs. Case report. — We report the case of a 53-year-old-woman who has consulted for a recent cough, after spontaneous resolution of abdominal pain. The laboratory examination isolated an hypereosinophilia and the liver sonography showed two hypoechogenic nodules. The CTscan found bilateral lung nodules with ground glass halo. Broncho-alveolar lavage identified an eosinophilic alveolitis. Positive serologic results for toxocariasis and western blot results allowed to conclude to the diagnosis of pulmonary and hepatic toxocariasis. Conclusion. — Although rare, pulmonary toxocariasis should be suspect in any lung eosinophilia, especially if the patient has never traveled. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction La toxocarose est une zoonose cosmopolite compliquant l’ingestion accidentelle d’œufs embryonnés d’un nématode du genre Toxocara. Le passage des larves du parasite dans les différents organes, en particulier le poumon, réalise le syndrome de larva migrans [1].
Observation Une patiente de 53 ans consulte pour une toux sèche d’apparition récente. Quelques jours auparavant, elle a présenté des douleurs épigastriques et de l’hypochondre droit, survenues brutalement et spontanément résolutives. Ses antécédents sont marqués par un asthme dans l’enfance. Elle n’a jamais fumé et ne prend aucun traitement. L’interrogatoire ne retrouve ni contage infectieux ni voyage récent à l’étranger. L’examen clinique est normal. Le bilan biologique montre une hyperéosinophilie isolée à 4000 éléments par mm3 . La fonction rénale, le bilan hépatique et la CRP sont normaux. Le bilan immunologique (anticorps antinucléaires, anticorps anti-ADN natif, ANCA) et l’électrophorèse des protéines sériques sont normaux. L’échographie abdominale, motivée par la douleur abdominale initiale, retrouve 2 nodules hépatiques hypoéchogènes. Le scanner abdomino-pelvien confirme la présence de 2 nodules de 14 mm situés dans le segment VIII du foie, hypodenses et prenant le contraste. Les coupes thoraciques montrent également plusieurs nodules entourés d’un halo périphérique. Leur distribution est bilatérale et préférentiellement sous-pleurale (Fig. 1). L’échographie cardiaque pratiquée à la recherche d’une infiltration éosinophilique est normale. La tomographie par émission de positons montre un hypermétabolisme modéré des nodules pulmonaires bilatéraux (SUV maximale à 2,4 ; SUV moyenne à 1,7) et de l’un des nodules hépatiques (SUV maximale à 3,5 ; SUV moyenne à 2,9). La fibroscopie bronchique est macroscopiquement normale. Le lavage broncho-alvéolaire montre une alvéolite à éosinophiles (190 000 cellules/mm3 dont 42 % de polynucléaires éosinophiles). L’analyse anatomopathologique des biopsies
d’éperons bronchiques montre une infiltration du chorion par de nombreux polynucléaires éosinophiles. Les analyses bactériologiques et parasitologiques sont normales. La sérologie par la technique ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay) est fortement positive pour la toxocarose, positive pour l’ascaridiose, et négative pour la cysticercose, l’échinococcose, la distomatose et la trichinose. Le western blot confirme la présence d’anticorps dirigés contre les larves de Toxocara. La présence d’une hyperéosinophilie sanguine et pulmonaire, de nodules pulmonaires bilatéraux avec halo périphérique et d’une sérologie Toxocara positive permet de retenir le diagnostic de toxocarose pulmonaire et hépatique. La patiente a probablement été contaminée par la consommation de légumes cultivés à domicile. Le traitement par albendazole 400 mg × 2/j pendant 10 jours associé à une courte corticothérapie (prednisone 40 mg/j pendant 4 jours) a permis la disparition de la toux en 8 jours, la normalisation de l’éosinophilie et la restitution pulmonaire ad integrum à un mois.
Discussion Les parasitoses représentent la principale cause de poumon éosinophile dans le monde. En France, en dehors de l’ascaridiose, les observations sont rares. Parmi les parasites de l’homme, seuls les helminthes génèrent une éosinophilie [2]. La toxocarose est une helminthiase zoonotique dont le nématode appartient à la famille des Toxocaridae. Les espèces les plus fréquentes présentent de fac ¸on cosmopolite sont Toxocara cati et Toxocara cani dont les hôtes définitifs sont respectivement le chat et le chien. Les autres espèces potentiellement pathogènes pour l’homme sont Toxocara vitulorum et Toxocara pteropodis. L’homme est un hôte accidentel. La contamination humaine se fait par l’ingestion d’œufs embryonnés présents sur la terre, dans l’eau ou les aliments souillés par les déjections de chats ou de chiens. L’infection est ainsi particulièrement fréquente chez les jeunes enfants, réalisant la « maladie des bacs à sable » [2]. La prévalence de la maladie varie selon les régions et le mode d’habitat. Elle est probablement sous-estimée
Toxocarose pulmonaire
275 en impasse parasitaire, reste à l’état larvaire survivant souvent pendant de nombreuses années [1]. La présence des larves dans les tissus et la sécrétion par celles-ci d’un antigène de type Toxocara excretory/secretory antigen (TEA) déclenchent une réaction immunitaire d’hypersensibilité et un afflux de polynucléaires éosinophiles qui s’organisent en micro-abcès [3]. Ultérieurement, des granulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires se forment autour des larves mortes. Les nodules hyalins parfois calcifiés sont le résultat de leur évolution fibrosante [4]. La présentation clinique du syndrome de larva migrans dépend de la charge parasitaire, de la localisation des larves, de l’importance de la réaction immunitaire, variable selon les patients et de la durée de l’infection. Chez l’homme, trois formes cliniques sont individualisées : • le syndrome de larva migrans viscéral. Chez l’enfant, en raison d’une infestation habituellement importante, le tableau est souvent bruyant associant typiquement altération de l’état général, fièvre et atteinte pluriviscérale. Chez l’adulte, le diagnostic de toxocarose est volontiers fortuit, à l’occasion du bilan d’une hyperéosinophilie. La maladie est sinon souvent pauci-symptomatique, s’exprimant par des signes peu spécifiques. Toutefois, la présentation peut être celle d’un asthme grave [5] ou d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë [3] ; • le syndrome de larva migrans oculaire ; • la neurotoxocarose. Le Tableau 1 rappelle les principales manifestations cliniques.
Figure 1. Tomodensitométrie thoracique (coupes transversales parenchymateuses). a : nodules pulmonaires bilatéraux avec halo flou périphérique ; b : nodules pulmonaires en verre dépoli.
du fait de nombreuses infections asymptomatiques, comme en témoignent les études de séroprévalence : en France, 4,8 % chez les adultes vivant en milieu urbain et 14,2 % en milieu rural [1]. Les larves libérées traversent la paroi intestinale, puis migrent vers les viscères où le nématode, Tableau 1
La radiographie du thorax peut être normale [5—8]. Complétée par la tomodensitométrie thoracique, celle-ci précise les lésions. Il s’agit le plus fréquemment de nodules pulmonaires entourés d’un halo périphérique [9,10] ou de nodules en verre dépoli [11,12]. Leur taille varie de 4 à 40 mm. Leur distribution est diffuse [13] ou prédomine dans les territoires sous-pleuraux [8,14]. Les condensations sont habituellement associées aux présentations cliniques les plus graves [3,11,15]. Enfin, les pleurésies à éosinophiles [14,15], les pneumothorax [14] et les cavités [16] apparaissent exceptionnels. Ces données ont récemment été confirmées par une description scanographique de 38 cas de toxocarose
Principales manifestations de la toxocarose. D’après [1,2,6,11,17].
Manifestations
Fréquence
Symptômes et signes
Générales Pulmonaires
nd 24 %
Cutanées
24 %
Digestives
nd
Cardiaques Locomotrices Lymphatiques Oculaires
rares nd nd Rares
Neurologiques
Rares
Fièvre, anorexie, amaigrissement Toux, expectorations, dyspnée, douleurs thoraciques, hyper-réactivité bronchique, hémoptysie, détresse respiratoire Éruption, urticaire, angio-œdème, prurit, eczéma, érythème noueux ou polymorphe, dyshidrose Nausées, vomissements, douleurs abdominales, hépatomégalie, gastro-entérite, iléite à éosinophiles, ascite à éosiniophiles Endomyocardite, péricardite, tamponnade Arthralgies, myalgies Splénomégalie Baisse de l’acuité visuelle, uvéite, granulomes rétiniens, papillite, endophtalmie, choriorétinite, endophtalmie Épilepsie, céphalées, méningite, encéphalite, myélite, méningo-radiculite, méningo-myélite, méningite à éosinophiles
Nd : non déterminé.
276 dont le diagnostic n’avait toutefois été retenu que sur une sérologie positive [17]. Une hyperéosinophilie sanguine et une alvéolite à éosinophiles souvent très élevée (5—96 %) sont habituellement observées [13]. Si la recherche du parasite dans le lavage broncho-alvéolaire est toujours négative, la détection d’anticorps peut parfois être positive [10]. En l’absence de présentation clinique ou scanographique spécifiques, le diagnostic de toxocarose repose principalement sur les tests immunologiques. La sérologie par méthode ELISA a une sensibilité comprise entre 78 % et 91 % et une spécificité de 86 à 91 % [18,19]. En raison de réactions croisées entre les différents nématodes, les résultats doivent être confortés par la caractérisation des protéines du parasite par la technique de western blot [20]. Le traitement de référence du syndrome de larva migrans viscérale est l’albendazole à la posologie de 10 à 15 mg/kg/j. La durée du traitement est très variable selon les cas cliniques rapportés, allant de 5 jours à plusieurs semaines en cas de formes graves [13]. L’abstention thérapeutique pourrait même être proposée en cas de découverte fortuite. L’indication de la corticothérapie est formelle et doit précéder le traitement anti-helminthique pour limiter l’aggravation clinique liée à la lyse parasitaire dans les formes oculaires et neurologiques (1,5 mg/kg/j pendant 4 à 6 semaines) [1]. Dans les atteintes thoraciques, sa place est discutée mais peut se justifier en cas de présentation sévère [3,4]. Certaines lésions étant asymptomatiques, un examen ophtalmologique systématique serait souhaitable avant tout traitement anti-parasitaire [1]. La prévention de la toxocarose passe par les règles d’hygiène habituelles, le traitement des animaux de compagnie (chats ou chiens) et la limitation de leur accès aux zones réservées aux enfants et aux potagers [13]. Son pronostic est habituellement bon.
Conclusion Parasitose autochtone mais rare, la toxocarose pulmonaire par sa présentation clinique et scanographique non spécifique fait discuter les autres causes de poumon éosinophile [2]. Comme dans notre cas clinique, les images pulmonaires et hépatiques peuvent mimer des localisations secondaires chez les patients porteurs de cancers digestifs [12]. La combinaison de la sérologie par méthode ELISA et du western blot permet de poser le diagnostic.
Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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