Pour citer cet article : Aquaron R. Passé, présent et futur de l'albinisme humain. Presse Med. (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.lpm.2017.04.014 Presse Med. 2017; //: ///
Éditorial
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Passé, présent et futur de l'albinisme humain§ Robert Aquaron
Reçu le 14 février 2017 Accepté le 11 avril 2017 Disponible sur internet le :
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Human albinism
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armi toutes les maladies génétiques connues depuis des siècles, celle qui est la plus facilement reconnaissable en raison de son phénotype est l'albinisme. Avec le développement récent de la génétique clinique et moléculaire, de nombreuses hypothèses ont pu être résolues. Il est toujours intéressant de retracer l'histoire d'une affection ; comme l'a si bien dit le Père Teilhard de Chardin "le passé m'a révélé la construction de l'avenir''. Voici quelques étapes importantes dans la connaissance de l'albinisme. Noé, notre ancêtre commun, aurait été albinos d'après la description qu'en donne le livre d'Hénoch, qui était son grand-père. Cependant le terme d'albinos, du latin albus : blanc, est employé pour la 1re fois en 1660 par le portugais Balthazar Tellez à propos d'Africains blancs observés à la cour du roi de Loango (république démocratique du Congo actuelle) [1]. Ils sont considérés par leurs congénères noirs comme des démons et sont rejetés par la société. La naissance d'un sujet albinos de deux parents noirs a toujours été une énigme jusqu'à la découverte de la transmission récessive de cette affection. L'albinos possède tous les caractères morphologiques de ses parents (cheveux crépus, nez épaté, lèvres épaisses) mis à part la coloration de la peau qui est blanche, des cheveux qui sont blonds et de l'iris qui est bleu, bleu-gris ou bleu- noisette. C'est avec le développement des salons pendant le siècle des lumières que le phénomène albinos africain gagne l'Europe et en particulier la France. En 1744, un des textes les plus fameux, consacré à la reproduction des espèces, est publié à Leyde, Pays-Bas, par Pierre-Louis Moreau de Maupertuis : il s'agit de « Dissertation physique à propos du nègre blanc », suivi l'année suivante par « La vénus physique » dans lequel il décrit « un petit nègre blanc né d'un père et d'une mère africains très noirs. Sa tête est couverte de laine blanche tirant sur le roux. Les yeux d'un bleu clair paraissent blessés par l'éclat du jour ». Le début de l'aspect scientifique de l'albinisme se situe en 1832 lorsque Geoffroy de Saint-Hilaire,
DOI de l'article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2017.05.020 §
Voir aussi sur ce sujet l'article de Benoît Arveiler intitulé Clinique et génétique de l'albinisme publié dans ce même numéro.
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tome xx > n8x > xx 2017 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2017.04.014 © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Pour citer cet article : Aquaron R. Passé, présent et futur de l'albinisme humain. Presse Med. (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.lpm.2017.04.014
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R. Aquaron
après l'observation d'autres sujets albinos, propose une classification de l'albinisme en trois groupes : l'albinisme complet dans lequel « la peau et tous les poils sont d'un blanc de lait, la pupille est d'un rouge éclatant » ; l'albinisme partiel dans lequel « les individus sont en partie blancs, en partie noirs et sont désignés sous le nom d'hommes pies » car ils rappellent le plumage noir et blanc de la pie ; enfin, l'albinisme imparfait dans lequel « la pigmentation de la peau est seulement moins colorée ou moins abondante qu'à l'état normal ». Broca, qui en 1879, oriente ses recherches anthropologiques sur le vivant, se pose de nombreuses questions sur les sujets albinos : l'affection est-elle rare ou commune ? Que donne l'union de deux sujets albinos ? L'albinos qui s'unit à un sujet normal transmet-il son anomalie à ses enfants ? Les sujets albinos ont-ils la même intelligence, le même fécondité et la même longévité que les sujets de même race ? La véritable première avancée scientifique à propos de la pigmentation normale est la découverte de la tyrosinase par Gabriel Bertrand en 1895 à Paris. Cette enzyme catalyse l'oxydation d'un acide aminé, la L-tyrosine en un pigment brun-noir, la mélanine. Quelques années plus tard en 1908 à Londres, Sir Archibald Garrod au cours d'une lecture sur les erreurs innées du métabolisme, suggère que l'albinisme est probablement du à l'absence d'une enzyme nécessaire à la formation des pigments mélaniques. En 1913, Pearson et al. publient une monographie en 5 tomes sur la répartition de l'albinisme humain dans le monde [2]. En 1936, la mélanine et les cellules qui la produise, les mélanocytes, sont mis en évidence dans la couche basale de l'épiderme humain par la coloration de Fontana-Masson. En 1958 à Boston, États-Unis, Thomas Fitzpatrick met en évidence dans les mélanocytes des follicules pileux humains l'activité tyrosinasique par la DOPA réaction de Block. Par contre, les follicules pileux de sujets albinos ne possèdent pas d'activité tyrosinasique ni de mélanine. En 1963, Makoto Seiji et al., utilisant la microscopie électronique, mettent en évidence les organites cellulaires des mélanocytes où se synthétise la mélanine qu'il appelle mélanosomes [3]. En 1969 à Boston, États-Unis, George Szabo et al., utilisant la même technique, montrent que les mélanosomes sont exportés dans les kératinocytes voisins dans lesquels ils restent isolés chez les sujets de peau noire et se regroupent par 3 ou 4 à l'intérieur de vésicules chez les sujets de peau blanche. Au cours de la migration des kératinocytes vers la surface de l'épiderme, les mélanosomes restent intacts chez
Glossaire
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Asmodisa association mondiale pour la défense des intérêts et la solidarité des albinos Genespoir association française des albinismes Unesco United nations educational, scientific and cultural organization
les sujets de peau noire et sont détruits chez les sujets de peau blanche [4]. En 1970, Carl Witkop et al. à Minneapolis, États-Unis, proposent une classification de l'albinisme oculocutané, OCA, en 2 groupes d'après des critères cliniques et biologiques (activité tyrosinasique des bulbes de cheveux) : l'OCA tyrosinase-négatif (tyr-neg) et l'OCA tyrosinase-positif (tyr-pos) [5]. Le début de la génétique moléculaire de la pigmentation normale et de sa principale anomalie: l'albinisme, se situe en 1988 avec la découverte de la structure du gène de la tyrosinase (TYR) et de sa localisation sur le chromosome 11. Un an plus tard au Japon, Tomita et al. décrivent la 1re mutation du gène TYR chez un sujet albinos [6]. En 1990, Richard King à Minneapolis, États-Unis, proposent la classification moléculaire des albinismes : l'OCA1 du à des mutations du gène TYR, anciennement tyrneg, fréquent chez les sujets caucasiens et asiatiques et l'OCA2 due à des mutations du gène « p », anciennement tyr-pos, fréquent chez les sujets africains. Ce gène « p », localisé sur le chromosome 15, est l'analogue humain d'un gène de souris albinos, pink-eye, qui a été découvert en 1992 par Murray Brilliant et al. à Philadelphie par la méthode de génétique inverse, c'est-à-dire que la structure de la protéine a été déduite de la structure du gène [7]. La protéine P ne possède pas d'activité enzymatique. Elle est intégrée à la membrane du mélanosome et sert de transporteur d'ions entre le cytosol et l'intérieur du mélanosome. Elle est indispensable à la formation de la mélanine. Ce gène est à présent appelé OCA2. Cette classification s'est enrichie à présent de 5 nouveaux types, d'OCA3 à OCA7 comme le montre Benoît Arveiler et al. de Bordeaux dans son article sur « clinique et génétique de l'albinisme », publié dans ce numéro de la Presse médicale. Avec le développement des techniques actuelles de séquençage, il est possible dans la majorité des cas d'identifier la ou les mutations responsables de l'albinisme. Cette étape analytique préliminaire est indispensable pour pouvoir envisager dès à présent un diagnostic prénatal et dans le futur une possible correction des gènes déficients par thérapie génique. Du point de vue génétique moléculaire, les albinos camerounais comme ceux d'Afrique Centrale, de l'Est et du Sud qui sont des bantous possèdent une mutation fréquente du gène OCA2, une délétion de 2,7 kb. Cette mutation est d'origine africaine et elle est absente en Afrique de l'Ouest [8]. Nous avons pu montrer que cette mutation est spécifique des populations bantoues et évaluer la date de son apparition à environ 4500–5645 années dans la région de la Bénoué située à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun actuels [9]. En dehors des articles sur l'albinisme publiés dans diverses revues scientifiques comme « Pigment cell melanoma research » ou « Journal of investigative dermatology », de nombreux travaux sont consacrés à la compréhension de la pigmentation normale, en particulier au niveau des mélanosomes, les organites clés de la biosynthèse des mélanines. Il faut signaler également le rôle important des associations d'albinos aussi bien en Europe qu'en Afrique ; leur rôle
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Pour citer cet article : Aquaron R. Passé, présent et futur de l'albinisme humain. Presse Med. (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.lpm.2017.04.014
principal est d'informer les patients sur les raisons de cette affection, sur sa transmission génétique, sur les anomalies de la peau et de vision et quelquefois de supporter la recherche. C'est le cas de Genespoir, l'association française des albinismes, crée en 1995, qui dispose d'un conseil scientifique et qui supporte chaque année un ou deux projets. J'ai pu moi-même pendant quelques années bénéficier d'un support pour mes études sur l'albinisme en Afrique subsaharienne et en particulier au Cameroun [9,10]. Actuellement, les deux projets en cours portent : sur le développement des nouvelles techniques de séquençage des gènes responsables d'un albinisme (B. Arveiler) ; sur la physiopathologie des défauts rétiniens des albinismes par organogénèse in vitro à partir de cellule souches (A. Rebsam) [11]. Genespoir a été également à l'origine de la 1re réunion européenne scientifique sur les albinismes à Paris en 2012 qui a été suivie en 2014 par celle de Valence en Espagne et celle de Milan en Italie en 2016. En Afrique où l'albinisme est très fréquent, la vie est très difficile pour les albinos. Sans protection, les brûlures solaires, les cancers cutanés sont fréquents, les troubles de la vison rendent la scolarisation difficile. Naître blanc de 2 parents noirs est considéré comme un signe maléfique, les enfants albinos sont souvent abandonnés et sont l'objet d'exactions, meurtres ou mutilations, basées sur la croyance que les organes de sujets albinos portent chance [12]. En Afrique, une première association, SOS albinos, a été crée au Mali en 1993 par le célèbre chanteur Salif Keita, lui-même albinos, qui a ainsi propagé une image positive des albinos africains. La 2e association,
ASMODISA, a été crée en 1996 au Cameroun par Jean-Jacques Ndoudoumou, un albinos conseiller auprès du premier Ministre. J'ai été nommé et je suis toujours Président d'honneur de cette association en raison de mon activité ininterrompue pour la cause des albinos du Cameroun depuis 1972. En Afrique de l'Est, des centres de protection des albinos ont été créés dans certains pays. L'association « Standing voice » a mis en place, en Tanzanie, un suivi dermatologique et ophtalmologique systématique et régulier dans les centres de protection, les hôpitaux et les écoles en partenariat avec le Fondation Essilor et la Fondation Pierre Fabre. À l'occasion de ces consultations des séances éducatives sont organisées, ainsi que la fourniture de lunettes spéciales et de crèmes de protection solaire fabriquées sur place. D'autres actions du même type sont prévues rapidement en Afrique de l'Ouest. En 2015, j'ai organisé à Douala, Cameroun, avec le Pr. A. Mouelle Sone de Douala et le Pr. C. Baker de Lancaster, Royaume-Uni, un colloque inter national sur l'albinisme oculocutané en Afrique subsaharienne au cours duquel les aspects médicaux et scientifiques mais aussi socioculturels ont été développés [13]. Enfin, le 13 juin 2016, la 1re journée internationale de sensibilisation à l'albinisme s'est tenue au siège de l'UNESCO à Paris. Cette réunion a été organisée par le département Afrique en raison des mutilations, des crimes rituels et de la discrimination à l'encontre des albinos dévoilées au grand public en 2008–2009 en Afrique de l'Est, principalement en Tanzanie et au Burundi.
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Passé, présent et futur de l'albinisme humain
Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur n'a pas précisé ses éventuels liens d'intérêts.
Références [2]
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base insertion in the tyrosinase gene. Biochem Biophys Res Commun 1989;164:990–6. [7] Gardner J, Nakatsu Y, Gondo Y, et al. The mouse pink-eyed dilution gene: association with human Prader-Willi and Angelman syndromes. Science 1992;257:1121–4. [8] Durham-Pierre D, Gardner JM, Nakatsu Y, et al. African origin of a intragenic deletion of the human P gene in tyrosinase-positive oculocutaneous albinism. Nat Genet 1994;7:176–9. [9] Aquaron R, Soufir N, Bergé-Lefranc JL, et al. Oculocutaneous type 2(OCA2) with homozygous 2.7 kb deletion and sickle cell disease in a cameroonian family. Identification of a common TAG haplotype in the mutated P gene. J Human Genet 2007;52:771–80 [Durham]. [10] Aquaron R, Bergé-Lefranc JL, Djatou M, Kamdem L. L'albinisme oculocutané dans
le pays Bamiléké, Cameroun. Sci Med Afr 2011;3:362–74. [11] Bhansali P, Rayport I, Rebsam A, Mason C. Delayed neurogenesis leads to altered specification of ventrotemporal retinal ganglion cells in albino mice. Neural Dev 2014;9:11 [1-15]. [12] Aquaron R, Djatou M, Kamdem L. Aspects socioculturels des albinos en Afrique noire : des mutilations et crimes rituels perpétrés en Afrique de l'Est (Burundi et Tanzanie). Med Trop 2009;69:449–53. [13] Mouelle Sone A, Aquaron R, Baker C. Premier colloque international sur l'albinisme oculocutané en Afrique subsaharienne, Douala, Cameroun, 24–25 juillet 2015. Med Sante Trop 2016;26:118–21.
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