J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004 ; 33 (cahier 2) : 2S9-2S12.
Place de l’expression embryonnaire de HLA-G dans l’implantation D’après la communication de P. Le Bouteiller Inserm U563, Centre de Physiopathologie de Toulouse-Purpan, Hôpital Purpan, Toulouse, France. RÉSUMÉ HLA-G est une molécule non classique du complexe majeur d’histocompatibilité de classe I. Sa forme soluble est exprimée en grande majorité dans le trophoblaste extra-villeux qui migre et envahit la décidua et les artères spiralées maternelles. La molécule HLA-G soluble exerce plusieurs fonctions, dont la régulation de l’immunité locale placentaire au cours de la grossesse : fonction immunosuppressive entraînant l’apoptose des lymphocytes T CD8+ et inhibant la prolifération des lymphocytes T CD4+, fonction de régulation de la sécrétion des cytokines par les cellules NK, par le biais de récepteurs spécifiques. La molécule HLA-G soluble participe aussi au contrôle de l’implantation.
SUMMARY: HLA-G in the embryo and at the materno-foetal interface: expression and potential functions. HLA-G is a non-classical major histocompatibility complex class I molecule, whose tissue distribution is mainly restricted to the placenta. HLA-G expression in the placenta is found mainly in extravillous cytotrophoblast that invades décidual tissue and maternal spiral arteries as well as villous cytotrophoblast (soluble form). Its function contributes to modulate local placental immunity during pregnancy: it is an immunosuppressive molecule inducing apoptosis of activated CD8(+) T cells and down-modulating CD4(+) T cell proliferation. HLA-G also modulates cytokine secretion of NK cells upon interaction with specific receptors. Soluble HLA-G1 may also contribute to the control of implantation.
Les molécules HLA de classe I ont été divisées en deux grandes catégories. Les molécules HLA de classe I dites “classiques” sont exprimées sur toutes les cellules somatiques de l’organisme. Elles sont très polymorphes et jouent un rôle dans les rejets d’allogreffes. Leur rôle fondamental se situe dans l’immunité antivirale et antitumorale. À l’opposé, on décrit des molécules HLA de classe I “non classiques” : molécules HLA-E et HLA-G, par exemple. Celles-ci sont très peu polymorphiques et ont une distribution tissulaire limitée. Leur fonction est en cours d’étude.
taient pas. Les auteurs ont constaté que dans le groupe des non-sécréteurs, il n’y avait aucune implantation, alors que dans le groupe des embryons qui sécrètent HLA-G soluble dans le surnageant, il y avait un taux d’implantation de 20 à 25 %. Cette observation semble très importante et plusieurs laboratoires essayent de reproduire ces résultats. On sait que HLA-G exerce trois fonctions principales : une fonction immunosuppressive, une fonction de modulation de l’immunité et une fonction de régulation de l’angiogenèse. Il n’existe aucune donnée précise sur la fonction de HLA-G dans l’implantation.
HLA-G ET IMPLANTATION
Il y a un an est paru un article d’un groupe italien [1] rapportant la mesure de l’expression de HLA-G soluble dans le surnageant de culture d’embryons obtenus par FIV. Ils ont constaté que certains embryons sécrétaient la molécule HLA-G, alors que d’autres ne la sécré-
STRUCTURE DE LA MOLÉCULE HLA-G
Les transcrits HLA-I classiques ont une chaîne lourde associée à la β2 microglobuline, 3 domaines extracellulaires et un domaine intracytoplasmique. Les molécules HLA-G1 sont exprimées sur la membrane et ont exactement la même structure.
© MASSON, Paris, 2004.
P. Le Bouteiller
α1
α2
β 2m α 3
α1
α2
α1 α1
β 2m α 3
α3 α3
HLA-G1
-G2 (?)
α1 α 1 α1 α1
α2 α 2
Membrane
HLA-Ia Figure 1
-G4 (?)
Structure de la molécule HLA-G par comparaison avec les molécules HLA de classe I classiques (HLA-Ia).
La seule particularité structurale, c’est qu’elles ont une queue cytoplasmique très courte de 6 acides aminés au lieu d’une trentaine, ce qui a des conséquences pour la signalisation dans la cellule. Les gènes codant pour HLA-G peuvent être transcrits sous différentes isoformes : une isoforme membranaire et deux isoformes solubles qui sont caractérisées par la traduction de l’intron 4, alors que normalement les introns ne sont pas traduits. Comme l’intron 4 comprend un codon STOP, il n’y a plus traduction du domaine transmembranaire et cytoplasmique ; la molécule est donc soluble et on l’appelle HLA-G1 soluble. Celle ci est capable de fixer les peptides. Il existe une forme plus courte : HLA-G2 soluble. EXPRESSION DE HLA-G
HLA-G est exprimée uniquement dans certains tissus, à la différence des molécules HLA groupe I classiques qui sont exprimées sur la plupart des tissus somatiques. On retrouve HLA-G membranaire et soluble dans le placenta, dans les ovocytes non fécondés et dans les embryons préimplantatoires dans le trophectoderme, et également dans le thymus. En ce qui concerne les interfaces materno-foetales, on retrouve HLA-G soluble au niveau de ces interfaces, c’est-à-dire au niveau du syncytiotrophoblaste (couche externe des villosités choriales qui sont en contact avec le sang maternel) et dans le trophoblaste extra villeux (trophoblaste qui migre et envahit la décidua et les artères spiralées maternelles). Toutes ces cellules qui expriment HLA-G sont en contact avec des cellules maternelles. Nous avons montré récemment que le syncytiotrophoblaste sécrète très activement HLA-G soluble [3].
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-G3 (?)
On ne le voit pas en immunohistochimie, probablement parce que la sécrétion est très rapide. Pour le démontrer, on a purifié du trophoblaste villeux à partir de placenta à terme. Quand on fait une RT-PCR spécifique des transcrits HLA-G, on voit que le trophoblaste villeux (qui se différencie en syncytiotrophoblaste) exprime les transcrits HLA-G1 et G2 solubles. Par séquençage de l’ADNc provenant de ces ARN, on a montré qu’il s’agissait de HLA-G soluble, car on a retrouvé l’intron 4 caractéristique des molécules HLA-G. On a aussi mis en évidence que le trophoblaste villeux purifié en culture primaire sécrétait bien HLA-G soluble dans le surnageant : après 16 heures de culture, il y a sécrétion de HLA-G soluble dans le surnageant de trophoblaste purifié (Elisa, Western blot). On a purifié le HLA-G1 soluble qui est présent dans le surnageant de cette culture primaire ; il s’agit bien du HLA-G1 soluble uniquement. Nous avons aussi montré que dans ce surnageant, il n’y avait pas de molécules de HLA-I “classiques”. En conclusion, le trophoblaste villeux purifié, mis en culture primaire, sécrète HLA-G1 soluble, mais pas les molécules HLA-I classiques. FONCTIONS DE HLA-G Fonction immunosuppressive
HLA-G soluble peut induire l’apoptose des cellules T CD8 activées (lymphocytes cytotoxiques capables de lyser les cellules cibles, exprimant un allo-antigène viral ou tumoral). On a purifié le HLA-G1 soluble (à partir de culture de trophoblaste) et montré son activité pro-apoptotique.
© MASSON, Paris, 2004.
Place de l’expression embryonnaire de HLA-G dans l’implantation
Le trophoblaste extra-villeux ou le syncytiotrophoblaste sécrètent du HLA-G soluble au niveau du sang maternel (espace intervilleux) ou au niveau de la décidua. Ce G soluble se fixe aux molécules CD8, ce qui entraîne la production d’une molécule Fas-ligand qui fixe la protéine Fas qui est déjà exprimée sur les lymphocytes T CD8 activés. L’interaction Fas-ligand-Fas entraîne l’apoptose cellulaire. On peut penser que HLA-G soluble présent dans le trophoblaste va contribuer à l’élimination des lymphocytes T CD8 activés présents dans la décidua et qui pourraient être néfastes pour l’implantation. En effet, de nombreuses équipes ont montré par immunohistochimie qu’il y avait beaucoup de NK CD56+ dans la décidua au niveau du site d’implantation, beaucoup de cellules macrophagiques (CD14) et très peu de cellules T CD8+. Le trophoblaste extra-villeux est probablement à l’origine de l’élimination de ces cellules T CD8. D’autres auteurs ont montré que HLA-G avait aussi une fonction immunosuppressive vis-à-vis des cellules T CD4+ [4] [5]. HLA-G soluble diminue donc la production de ces cellules T CD4+. HLA-G est peu polymorphe. Certains allèles sont reconnus comme sécrétant peu de HLA-G soluble. On a constaté que beaucoup de femmes ayant des avortements à répétition étaient porteuses de ces allèles faiblement sécréteurs de HLA-G soluble [6]. Ceci conforte l’hypothèse disant que HLA-G soluble est important pour une grossesse correctement évolutive. Fonction de contrôle de l’immunité innée
Il existe 2 types de réaction immunitaire : la réponse immunitaire de type adaptatif (met en jeu les lymphocytes B et T et nécessite plusieurs jours pour être efficace) et la réponse immunitaire innée qui met en jeu les cellules NK, les cellules dendritiques et les macrophages. Cette dernière est immédiate et entraîne, par exemple, la lyse des cellules infectées par un virus et la sécrétion de cytokines qui vont favoriser la réponse immunitaire adaptative. HLA-G soluble est sécrétée par le trophoblaste. HLA-G membranaire a la capacité de se fixer sur des récepteurs présents à la surface des cellules NK (on connaît actuellement 4 types de récepteurs spécifiques de HLA-G). HLA-G soluble semble participer au contrôle de l’immunité innée.
J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 33, n° 1, cahier 2, 2004
En effet, l’interaction HLA-G-récepteur NK empêche les NK de lyser leur cible (le trophoblaste), car 3 de ces récepteurs sont de type inhibiteur. D’autres groupes de recherche pensent, à l’inverse, que la liaison HLA-G-récepteur NK déclenche la sécrétion de cytokines particulières de type Th2 qui vont favoriser l’implantation et le développement du placenta. HLA-G joue également un rôle indirect par sa séquence leader qui se fixe sur les séquences HLA-E qui elle aussi a un rôle important dans l’immunité innée. Modulation de l’angiogenèse [7-13]
HLA-G contrôlerait en partie l’angiogenèse. Certains anticorps anti-HLA-G se fixent sur certaines cellules endothéliales du placenta [7-9]. Ceci a initié les recherches sur un éventuel rôle de HLA-G soluble sur l’angiogenèse. De plus, au cours des prééclampsies, l’expression de HLA-G est fortement diminuée ou absente [10-13]. Grâce à des expériences de culture in vitro de cellules endothéliales en co-culture avec un facteur pro-angiogénique (le VEGF), nous avons montré, en collaboration avec J. Plouët, que la molécule recombinante HLA-G1 soluble purifiée pouvait inhiber la prolifération de cellules endothéliales en culture (résultats non publiés). On a constaté que HLA-G soluble inhibait la prolifération des cellules endothéliales en culture, mais uniquement quand la molécule de HLA-G soluble avait la bonne conformation. HLA-G soluble inhibe aussi la migration des cellules endothéliales via VEGF. Le récepteur sur lequel se fixe HLA-G soluble dans les cellules endothéliales n’est pas le récepteur du VEGF. Son récepteur est en cours d’identification. On a également montré récemment que la molécule de HLA-G soluble avait la capacité d’inhiber la formation des vaisseaux in vitro. On sait que les cellules trophoblastiques remplacent les cellules endothéliales pour que les artères spiralées aient un diamètre plus important : peut-être que HLA-G soluble aurait un rôle à ce niveau. CONCLUSION
La molécule HLA-G membranaire ou soluble est présente aux différentes interfaces materno-foetales pendant la grossesse.
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P. Le Bouteiller
HLA-G soluble a une fonction immunosuppressive vis-à-vis des T CD8+ cytotoxiques et vis-à-vis des T CD4+. Elle a également des fonctions de modulation de l’immunité innée par l’interaction avec un certain nombre de récepteurs NK, ce qui modifie la sécrétion cytokinique de ces cellules NK. Enfin, cette molécule a un rôle de modulation de l’angiogenèse. Concernant l’implantation, on peut penser que HLA-G soluble interagit avec les cellules T CD8+ qui pourraient empêcher l’implantation. Elle pourrait aussi interagir avec les cellules T CD4+ qui sont présentes dans le cumulus oophorus qui entoure l’embryon. En ce qui concerne l’immunité innée, la stimulation d’un certain profil cytokinique pourrait favoriser l’implantation. Le rôle de HLA-G soluble comme facteur antiangiogénique dans l’implantation n’est pas élucidé. Certaines équipes ont montré qu’il existait des facteurs maternels qui modulent l’expression de HLA-G embryonnaire : IL10 et le LIF semblent activer la sécrétion de HLA-G [14, 15].
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© MASSON, Paris, 2004.