Revue de Pneumologie clinique (2011) 67, 105—108
CAS CLINIQUE
Pneumopathie organisée secondaire à une hernie hiatale Organizing pneumonia secondary to a hiatal hernia J.L. Rakotoson a,∗, H. Rakotoharivelo b, R. Andrianasolo c, A. Palot a, M. Gouitaa a, D. Charpin a a
Service de pneumologie-allergologie de l’hôpital Nord, AP—HM, chemin des Bourrelys, 13915 Marseille cedex 20, France b Unité de soins, de formation et de recherches (USFR) de pneumologie, CHU Joseph-Raseta-de-Befelatanana (CHU-JRB), Antananarivo, Madagascar c Unité de soins, de formation et de recherches (USFR) de maladies infectieuses, CHU Joseph-Raseta-de-Befelatanana (CHU-JRB), Antananarivo, Madagascar Disponible sur Internet le 3 d´ ecembre 2010
MOTS CLÉS Pneumopathie organisée secondaire ; Diagnostic ; Prise en charge ; Hernie hiatale
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Résumé La pneumopathie organisée secondaire à une hernie hiatale est une forme particulière de réaction inflammatoire et fibro-proliférative du poumon due à une agression pulmonaire par le biais d’une microaspiration du contenu digestif. Les auteurs rapportent le cas d’une femme âgée de 74 ans ayant présenté une pneumopathie d’allure infectieuse résistante à une triple antibiothérapie. Cliniquement, elle avait une altération de l’état général associée à une toux, fièvre, crachats sales et dyspnée. Le bilan bactériologique et immunologique était normal. Les explorations fonctionnelles respiratoires montraient un syndrome restrictif modéré et une hypoxémie. Le lavage broncho-alvéolaire retrouvait une alvéolite mixte à prédominance lymphocytaire et polynucléaires neutrophiles. Le scanner thoracique montrait des opacités alvéolaires sous-pleurales ayant le caractère d’une pneumopathie organisée et une volumineuse hernie hiatale découverte fortuitement. Aucun prélèvement pulmonaire n’a pu être effectué chez cette malade en raison d’un état général précaire et d’une instabilité respiratoire. La forte cortico-sensibilité à la corticothérapie renforc ¸ait notre hypothèse diagnostique avec bonne évolution clinique et radiologique au bout de six mois de traitement. Le malade a rec ¸u un traitement médical, puis chirurgical avec une bonne évolution et sans récidive. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Auteur correspondant. Lot III F, 87 Bis AF, Mahamasina Sud, 101 Antananarivo, Madagascar. Adresse e-mail :
[email protected] (J.L. Rakotoson).
0761-8417/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pneumo.2010.05.002
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KEYWORDS Secondary organizing pneumonia; Diagnosis; Management; Hiatal hernia
J.L. Rakotoson et al.
Summary Organizing pneumonia secondary to a hiatal hernia is a specific kind of inflammatory and fibroproliferative lung reaction due to a pulmonary aggression involving micro-inhalation of the digestive contents. The authors report the case of a 74-year-old woman presenting pneumonia of infectious speed, resistant to a triple antibiotic treatment. Clinically, her general condition changed and associated cough, fever, dirty sputum and dyspnoea. The bacteriological and immunological tests were normal. The respiratory functional explorations showed a moderate restrictive syndrome and hypoxemia. The broncho-alveolar wash found a mixed alveolite of predominantly lymphocyte and polynuclear neutrophiles. The thoracic scanner detected pleural alveolar opaqueness with the characteristic of organizing pneumonia as well as a voluminous hiatal hernia discovered by chance. No lung samples were taken because of a precarious general state of the patient and the respiratory instability. The strong corticosensitivity to the corticosteroid therapy backed up the authors’ diagnostic hypothesis. The clinical and radiological evolution was good after six months of treatment. The patient benefited from a medical and then surgical treatment with a good evolution and without any recurrence. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction La pneumopathie organisée secondaire à une hernie hiatale est une réaction inflammatoire et fibro-proliférative du poumon due à une agression d’origine digestive par le biais de micro-inhalations répétés du contenu digestif à travers le reflux gastro œsophagien (RGO) favorisé par la hernie hiatale. Le point de départ de ce processus est une agression aspécifique de l’épithélium alvéolaire accompagnée d’une réaction qui se compose d’un infiltrat cellulaire lymphocytaire et histiocytaire, de protéines exsudatives et de la coagulation, du fibrinogène et de la fibronectine. Sous l’effet des facteurs chimiotactiques, une fois dans la lumière alvéolaire, les fibroblastes vont coloniser le « bouchon » fibrino-protéique pour ensuite s’y multiplier et se différencier progressivement en myofibroblastes qui sécrètent une matrice extracellulaire lâche riche en collagène et formant le typique « bouchon conjonctif endoalvéolaire » d’une pneumopathie organisée. Les objectifs de ce travail sont de rapporter un cas clinique de pneumopathie organisée secondaire et de rappeler l’existence d’une étiologie digestive à cette affection telle qu’une hernie hiatale.
102 mm, une hyperleucocytose (11 900 par millimètre cube) à prédominance polynucléaires neutrophiles (8700 par millimètre cube), ainsi qu’une hypoxémie (pression partielle en oxygène (Pa02 ) à 58 mm de mercure). La recherche bactériologique (hémocultures, recherche de bacille de Koch dans les crachats à l’examen direct, sérologie des pneumopathies atypiques, examens cyto-bactériologiques des crachats et des urines) était négative de même que la sérologie aspergillaire. Le bilan immunologique (anticorps antinucléaires, anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles, facteurs rhumatoïdes), et les marqueurs tumoraux étaient également négatifs. La radiographie pulmonaire retrouvait un syndrome alvéolaire bilatéral et périphérique. Le scanner thoracique montrait des images de condensations parenchymateuses avec bronchogramme aérique au niveau des lobes supérieurs (Fig. 1) ainsi qu’une volumineuse hernie hiatale jusqu’alors inconnue de la malade (Fig. 2). Les explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) montraient un syndrome restrictif modéré (capacité vitale forcée (CVF) à 1,57 litre soit 87,2 %, un volume expiratoire maximum en une seconde (VEMS) à 1,2 litre soit 89,3 %, un VEMS %CVF à 86,8 et une
Cas clinique Une femme de 74 ans, sous anti-vitamine K au long cours (embolie pulmonaire en 2001 et en 2008 sur phlébite des membres inférieurs), présentait depuis un mois une toux avec expectorations muco-purulentes, une fièvre à 38,5 ◦ C et une altération de l’état général. Elle était traitée en ville par amoxicilline-acide clavulanique sans aucune amélioration après trois semaines de traitement. Hospitalisée pour bilan dans le service, elle présentait une fièvre à 38,9 ◦ C et une saturation en oxygène à 90 % sous un litre d’oxygène par minute. Elle décrivait des symptômes minimes de RGO à type de pyrosis et de régurgitation de fac ¸on intermittente. L’auscultation retrouvait des râles crépitants des deux champs pulmonaires. Biologiquement, elle présentait un syndrome inflammatoire avec une protéine C réactive (CRP) à 165 mg par litre, une vitesse de sédimentation à
Figure 1. Coupe scannographique des condensations parenchymateuses avec bronchogramme aérien du lobe supérieur droit et du lobe supérieur gauche.
Pneumopathie organisée secondaire à une hernie hiatale
Figure 2.
Coupe scannographique volumineuse hernie hiatale.
capacité pulmonaire totale (CPT) à 78 %). Le lavage bronchoalvéolaire (LBA) montrait une alvéolite mixte avec une prédominance lymphocytaire (36 %) et polynucléaire neutrophile (19 %). Devant ce tableau de pneumopathie d’allure infectieuse présenté par la malade, une antibiothérapie probabiliste par céphalosporine de troisième génération et macrolide a été instaurée. Cette association a secondairement été remplacée par l’association pipéracilline — tazobactam et quinolone devant l’absence d’amélioration clinique à 72 heures. Devant la persistance de la fièvre, un troisième — la vancomycine — a ensuite été introduit ; mais malgré cette triple antibiothérapie, aucune amélioration n’a été constatée. Au contraire, la patiente a présenté une ascension de la CRP à 199 mg par litre, une persistance des râles crépitants et une majoration de l’hypoxémie avec P02 à 50 mm de mercure sous 3 l par minute d’oxygène. Les opacités persistaient et changeaient de localisation sur le scanner thoracique. L’hypothèse d’une pneumopathie organisée secondaire sur micro-inhalations favorisées par la hernie hiatale a alors été évoquée. Une corticothérapie à 1 mg par kilogramme et par jour et un arrêt de l’antibiothérapie étaient décidés. Une amélioration clinique spectaculaire était constatée après quelques jours de corticothérapie : disparition de la fièvre dès le premier jour, diminution des foyers de râles crépitants ainsi qu’une amélioration de la gazométrie. L’oxygène a d’ailleurs pu être arrêté dès le cinquième jour. Un scanner thoracique de contrôle réalisé au bout d’une semaine de corticothérapie montrait une nette diminution des opacités alvéolaires (Fig. 3). Un traitement médical de la hernie hiatale (mesures hygièno-diététiques, prokinétiques et inhibiteurs de la pompe à protons) suivie d’une correction chirurgicale ultérieure fut alors proposé. Au bout de six mois (fin de traitement), le contrôle clinique, biologique et scannographique était satisfaisant. Il n’y avait pas de récidive de la maladie au contrôle successif au bout de trois, puis six mois après la fin le traitement.
Discussions Les manifestations respiratoires d’un RGO sont nombreuses. La prévalence du RGO chez l’adulte asthmatique est entre
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Figure 3. Scanner thoracique rails. Au bout d’une semaine de corticothérapie, diminution des opacités des lobes supérieurs.
34 et 89 % et entre 46 à 75 % chez l’enfant asthmatique [1]. Elle est de 50 % chez les patients porteurs d’une bronchite chronique [1] et entre 27 et 81 % dans la mucoviscidose [1]. Le rôle d’un RGO avec des micro-inhalations répétées a été évoqué à l’origine de la bronchiolite oblitérante qui complique les transplantations cardio-pulmonaires [1]. Des hémoptysies ont également été rapportées à un RGO sans argument convaincant de causalité [1]. Le RGO est une cause reconnue d’infections pulmonaires récidivantes chez l’enfant et l’adulte [1]. Des cas de fibrose pulmonaire secondaire à un RGO ont été rapportés [1]. La pathologie pharyngo-laryngée en rapport avec le RGO est très fréquente et affecterait près de 1 % des patients vus en médecine générale [1]. L’association d’une hernie hiatale responsable d’un RGO à une pathologie respiratoire est connue et fréquente aussi bien chez l’adulte que chez l’enfant [1]. De plus, le rôle d’un RGO avec micro-inhalation répétée est connu pour pouvoir être à l’origine d’une pneumopathie organisée [1—3]. Dans une série de Mukhopadhyay, sur une autopsie de 59 malades ayant une symptomatologie respiratoire, 52 (88,1 %) avaient une pneumopathie d’inhalation favorisée par un RGO, parmi lesquels 35 présentaient des facteurs prédisposant à l’inhalation : 19 cas de cause gastrique et ou œsophagienne (54,2 %), dix cas de cause médicamenteuse (28,7 %) et six cas de cause neurologique (17,1 %) [4]. Selon Fang et al., sur 635 autopsies effectuées chez les malades présentant des signes respiratoires, 16 cas (16,8 %) parmi les 95 malades ayant une pneumopathie organisée avaient une pneumopathie d’aspiration sur RGO [5]. Aucune recommandation sur la prise en charge de la hernie hiatale chez les malades ayant une pneumopathie organisée n’a été élaborée. Pour certains auteurs, seuls les patients dont les manifestations respiratoires sont améliorées par le traitement médical peuvent bénéficier d’un geste chirurgical, pour d’autres les indications de la chirurgie ne viennent que des échecs du traitement médical [1]. Les risques de récidives étaient importants chez ce malade devant la taille volumineuse de l’hernie hiatale sur le scanner thoracique. Un traitement médical a été initialement instauré jusqu’à la stabilisation clinique, suivi ensuite d’une correction chirurgicale. Même si la majorité des malades répondent bien au traitement par corticoïde, les rechutes sont fréquentes. Le
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J.L. Rakotoson et al.
Tableau 1 Schéma thérapeutique d’une corticothérapie proposé par le groupe d’études et de recherche sur les maladies orphelines pulmonaires (Germop) pour une pneumopathie organisée (épisode initial et rechute). Étape
Durée (semaines)
Dose de prednisone pour l’épisode initial
Dose de prednisone pour la rechute (mg/jour)
1 2 3 4 5
4 4 4 6 6
0,75 mg/kg/jour 0,50 mg/kg/jour 20 mg/jour 10 mg/jour 5 mg/jour
20 20 20 10 5
groupe d’études et de recherche sur les maladies orphelines pulmonaires (Germop) propose un schéma de traitement des rechutes dans les pneumopathies organisées idiopathiques (Tableau 1) [6]. Le pronostic de cette pathologie est en général bon dans 70 à 90 % des cas avec une guérison sans séquelle chez la majeure partie des patients. Mais les récidives sont cependant fréquentes. Malheureusement dans 3 à 13 % des cas, l’évolution mène au décès [6].
Conclusion Ce cas clinique illustre l’existence d’une atteinte respiratoire au cours de certaines pathologies digestives. Il faut évoquer le diagnostic d’une pneumopathie organisée secondaire chez un malade présentant une hernie hiatale et une pneumopathie fébrile résistante au traitement antibiotique. En plus de la corticothérapie qui est très efficace dans cette pathologie, le traitement étiologique est essentiel afin d’éviter les récidives. Aucun consensus n’a été établi sur la prise en charge de la hernie hiatale associée à une pneumopathie organisée. Les rechutes sont fréquentes.
Conflit d’intérêt Aucun.
Références [1] Faroux B, Ouskel H, Crestani B. Reflux gastro-œsophagien et manifestation respiratoire. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris), Pneumologie, 6-062-B-10, 1999, 6 p. [2] Popper HH. Bronchiolitis obliterans organizing pneumonia. Verh Dtsch Ges Pathol 2002;86:101—6 [abstract]. [3] Cordier JF. Cryptogenic organizing pneumonia. Eur Respir J 2006;28:422—46. [4] Mukhopadhyay S, Katzenstein AL. Pulmonary disease due to aspiration of food and other particulate matter: a clinicopathologic study of 59 cases diagnosed on biopsy or resection specimens. Am J Surg Pathol 2007;31(5):752—9. [5] Fang F, Lin FR, Li HZ. Clinicopathologic analysis of organizing pneumonia in elderly autopsies. Zhonghua Bing Li Xue Za Zhi 2004;33(2):116—16 [abstract]. [6] Lazor R, Vandevenne A, Pelletier A, Leclerc P, Court-Fortune I, Cordier JF, et al. Cryptogenic organizing pneumonia. Characteristics of relapses in a series of 48 patients. Am J Respir Crit Care Med 2000;162:571—7.