Rupture spontanée de l'œsophage: complication inhabituelle d'une hernie hiatale avec volvulus gastrique

Rupture spontanée de l'œsophage: complication inhabituelle d'une hernie hiatale avec volvulus gastrique

Rupturespontanb del’oesophag complication d’unehernie avecvolvulus F Joyel, M Orrillardl, F Marion’, L JP Richer*, J iaur a rupture spontanee de ...

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Rupturespontanb del’oesophag complication d’unehernie avecvolvulus F Joyel,

M Orrillardl,

F Marion’,

L

JP Richer*, J iaur

a rupture spontanee de l’ozsophage, ou syndrome de Boerhaave, est une affection rare mais redoutable, grevee d’une mortalit& de 15 a 20 % [I]. Celle-ci est surtout fonction de la precocite du traitement : l’evolution spontanee est toujours fatale, tandis que la mortalite est de 60 a 70 % si le traitement est entrepris apres la 24” heure d’evolution et de 8 a 31 % avant ce delai 121. C’est dire l’importance de la precocite du diagnostic. Celui-ci doit etre evoque devant l’association typique dune douleur thoracique brutale, de vomissements et d’un emphyseme sous-cutane cervical [2]. Cependant, certaines formes cliniques sont deroutantes, comme le montre cette observation. 1 Service de @animation polyvalente, 3 service de chirurgie visckrale C, centre hospitalier g&&al de Chgteauroux, 216, avenue de Verdun, 36000 Ch%eauroux ; 2 clinique chirurgicale B, unit& de chirurgie digestive, CHU hbpital JeanBernard, 86000 Poitiers, France.

M PB, 82 ans, a CtC admis a 5 h 30, pour douleurs abdominales. Celles-ci Ctaient apparues brutalement peu apres le diner et Ctaient violentes, diffuses, a predominance Cpigastrique et accompagnees de nausees. Ses antecedents comprenaient un adenocarcinome sigmo’idien trait& 659

risoti

par colectomie gauche settle, une hypertension arterielle trait&e par trandolapril et furosemide et des troubles digestifs a type d’eructations trait& par alginate de sodium. 11 etait conscient, pale, avec une hypothermie a 33,8 “C. L’hemodynamique Ctait instable, avec une pression arterielle B 85/50 mmElg, une frequence cardiaque reguliere a 104 batt/min, des marbrures des genoux et une cyanose des extremids. On notait une dyspnee avec polypnee et tirage inspiratoire, il n’y avait pas d’emphyseme sous-cutark, l’auscultation pulmonaire etait normale. 11 se plaignait de douleurs abdominales diffuses a predominance epigastrique, spastiques, sans position antalgique. On notait Cgalement des aausCes frequentes, sans vomissement, et un arr&t du transit depuis la veille au soir. L’abdomen etait tendu, tympanique, avec une defense diffuse, sans contracture, sans bruit hydroaerique a l’auscultation. Les orifices berniaires Ctaient libres, le toucher rectal normal. Une sonde gastrique, placee sans difficulte, recueillait 1 500 mL d’un liquide sanglant. Un sondage urinaire confirmait l’impression clinique

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0 Elsevier,

Paris

46 %, temps de cephaline kaolin malade 36 s/temoin 30 s, fibrinogene 1,157g/L, D-dim&es 32 yg/mL) et une insuffisance r&ale (creatininemie 176 pmol/L). L’hypothese diagnostique Ctait alors une occlusion digestive haute sur volvulus gastrique, avec &at de choc plurifactoriel : hypovolemie sur troisieme secteur, choc septique a bacille a Gram negatif probable. La reanimation preoperatoire associait une ventilation mecanique, un remplissage par gelatine fluide modifiee (500 mL) et Ringer Lactate@ isotonique (1 000 mL) ; la transfusion de quatre culots de concentres erythrocytaires et deux unites de plasma ; une alcalinisation par bicarbonate de sodium a 42 %O et la perfusion de dobutamine a 10 ug.kg-l.min-l et de dopamine a 3 pg.kg-r.min-1. Une antibiotherapie associant piperilline plus tazobactam et ciprofloxacine Btait debutee. L’evolution Ctait marquee par l’apparition d’un emphyseme souscutane sus-claviculaire bilateral, d’oligoanurre, avec une diurese horaire inferieure a 15 mL. La radiographie de l’abdomen sans preparation, realisee de face et en decubitus lateral, objectivait un volumineux niveau hydroaerique d’origine gastrique, les anses greles et le cBlon paraissaient normaux. La radiographie de thorax de face et l’electrocardiogramme Ctaient sans particularid. Les examens biologiques montraient une acidose mixte a predominance metabolique (pH 7,04, PaCO, = 53 mmHg, PaO, = 67 mmHg, HCO,- = 14 mEq& BE - 17 mEq/L, SaO, = 83 %) avec lrou anionique augmente (30 mEq/L,), une anernie (hemoglobine 87 g/L, Mmatocrite 28 %), une coagulopathie de consommation (plaquettes 169 0Q0/mm3, taux de prothrombine

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FIG 1. Radiographie

contemporaine d’un cathCtCrisme veineux central par voie jugulaire interne droite. La radiographie de thorax montrait alors un pneumoperitoine et un pneumomediastin, sans pneumothorax (figure I). Letat hemodynamique autorisait une laparotomie a la 22” heure, montrant un epanchement hematique de la grande cavite perito&ale, un volvulus gastrique majeur avec infarcissement ischemique de la grosse tuberosite et du fundus. 11existait une hernie hiatale paraw~ophagienne droite etranglee, dans laquelle s’etaient incarcerees la region antropylorique et une portion du premier duodenum (figure 2). La dissection revelait une rupture partielle posterogauche de l’cesophage, iongitudinale, s’etendant a la portion superieure du cardia. La phrenotomie anterieure revelait un h~mop~e~motb~rax de la cavite pleuraie gauche et une mediastinite. Le traitement comportait Eine resection cesogastrique allant du tiers inferieur de l’cesophage au premier duodenum, apres sections a la pince mecanique. La rem&e en continuit6

du thorax de face avant ~‘~nt@~~@nt~ pneumop&itoine et ~neurn~~~~~~~~~~.

tiernie hiatiale Btrangike

Esophage

e I’oesophage par strangulation, hiatale 6tranglBe avec volvulus

n’ktant pas possible, une jkjunostomie de type Witzel exteriorisee dans l’hypocondre gauche Ctait realisee. Apres Iavage peritoneal et mediastinal, des drains etaient poses. L’examen anatomopathologique de la piece revelait une n&rose hemorragique cesophagienne sous-jacente B un anneau de striction macroscopiquement identifiable. La totalite des structures muqueuses, sous-muqueuses et musculeuses Ctait detruite et, par endroits, la region adventicielle. On ne notait pas d’element histologique en faveur dune pathologie cesophagienne preexistante. L’evolution postoperatoire Ctait marquee par un choc septique severe B Serratia mm-cescens et StaphyloCOCCUS capitis, sensibles a l’antibiotherapie dibutCe. Le remplissage vasculaire et l’utilisation de dobutamine et de noradrknaline permettaient une

complication gastrique.

d’une hernie

amelioration transitoire. A ce tableau s’ajoutaient ensuite une insuffisance r&ale sur rein de choc traitke par hemodiafiltration continue, un syndrome de detresse respiratoire aigue trait6 par ventilation optimisee et monoxyde d’azote, puis une coagulopathie de consommation. Le patient decedait au ge jour postoperatoire dans un tableau de defaillance multiviscerale.

Cette observation illustre la difficult6 du diagnostic de rupture cesophagienne, dans le contexte d’un tableau d’occlusion digestive haute. Dans les ruptures spontanees de l’cesophage, la sequence clinique habituelle comporte la triade de Mackler : douleur thoracique vive, classiquement B la suite d’un repas copieux, 661

vomissements hemotragiques, avec apparition secondaire d’un emphys&me sous-cutane cervical hautement Cvocateur de pneumomediastin [2,3]. Ce tableau n’est en fait observe en totalit que dans 20 % des cas : si la douleur (85 %) et les vomissements (71 %) sont frequents [3], l’emphys&me sous-cutane, quasi pathognomonique dans ce contexte, n’est present que dans 27 a 60 % des cas [2]. Ici, la symptomatologie est masquee par celle du volvulus gastrique, dont l’expression chnique predomine : douleurs abdominales (et non thoraciques) et nausees sans vomissements productifs, du fait de la compression du bas oesophage. Par ailleurs, l’emphyseme sous-cutane sus-claviculaire, contemporain de la pose d’une voie veineuse centrale, peut un insta.nt Cgarer le diagnostic Ctiologique vers une cause iatrogene. Des cas avec une anamnbse atypique ant et& rapport&s : vomissements avec douleur masquee par une prise d’anti-inflammatoires, recueil de debris alimentaires lors d’une evacuation d’hydropneumothorax, gauche bilan d’un pyopne~~othorax [3, 4]... L’imagerie diagnostique est l’objet de discussion Dans notre cas, les explorations radiologiques Ctaient limitees par l’etat clinique instable du patient (cliches au lit du malade). La difficult6 radiodiagnostique est souvent rapportee, car si les cliches thoraciques sont anormaux dans 91 % des cas, les images ne sont considCrCes comme compatibles avec une rupture de l’esophage que dans 21 % des cas [3]. Sur le cliche preoperatoire, on observe a la fois un pneumoperitoine et un pneumomediastin. Wetrospectivement, ce demier est lie soit a la rupture cesophagienne inferieure, soit a l’extension mediastinale du pneumoperitoine au travers de la hernie, soit aux deux. La plupart des auteurs signalent que le transit ceso-

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phagien aux hydrosolubles est l’examen de choix, permettant le diagnostic dans 75 B 88 % des cas [l, 3, 51. L’examen tomodensitomCtrique du thorax, n’offrant le plus souvent qu’un diagnostic indirect, peut toutefois aider si le transit cesophagien est normal [3, 51. La fibroscopie digestive haute reste en revanche controversCe : elle permet souvent un bilan lksionnel prkis, mais expose au risque d’aggravation des l&ions [ 11. Cette observation permet de rapporter un mkanisme inhabituel de rupture de l’cesophage. Les causes les plus frkquentes sont les traumatismes externes, les l&ions iatrogknes, les complications kvolutives de maladies oesophagiennes, les ingestions de caustiques ou de corps &rangers [ 1,4, 6, 71. La rupture spontanke ne rep&sente que 7 % des cas et r6sulte habituellement d’un barotraumatisme du tiers infkieur de l’aesophage, d’origines diverses [5]. Ici, il s’agissait d’une rupture longitudinale du tiers infkrieur gauche de l’cesophage situation d&rite dans 90 % des cas [2] -, conskutive B une strangulation dans le collet d’une hernie hiatale par roulement, au sein duquel s’ktaient incar&-& la portion antropylorique et le premier duodenum. Cette migration antropylorique a CtCfavoriske par un d&faut de fix&C (vraisemblablement congknital) du duodenum sur le cadre pancrkatique et par la section du ligament gastrocolique qu’avait eue ce patient lors de sa colectomie gauche. Le <>Ctait 1iC B l’occlusion concomitante de la portion terminale de l’cesophage et du pylore. La rupture cesophagienne s’est alors probablement produite par plusieurs mkcanismes intriquCs : isch6mie par strangulation des axes vasculaires, bas dCbit local du fait de la compression et de l’itat de choc, et surpression du fait de la volumineuse distension gastrique. L’accident est Rkan Urg 1998 ; 7 : 659-63

survenu sur une muqueuse antkrieurement saine, l’examen anatomopathologique ne r&Clam pas de maladie cesophagienne prkexistante. Des perforations spontankes de l’cesophage compliquant des hernies hiatales ont dkj& CtC rapportkes : complications d’cesophagite peptique sur refiux massif, d’endobrachycesophage ou de syndrome de Mallory-Weiss [S-lo]. Le volvulus gastrique est une complication connue des hernies hiatales paracesophagiennes [ 111. Classiquemerit, son risque kvolutif - au stade IV - est la perforation gastrique nkrotique, souvent 1Ctale (50 %) [ 11, 121. A notre connaissance, la possibilit6 d’une perforation de l’cesophage compliquant un volvulus gastrique n’a jamais Ct(: rapport&e. Enfin, ce cas illustre l’importance du traitement prkcoce. Dans quelques cas (14 %), il peut &tre exclusivement mkdical, lorsque la plaie est punctiforme et le diagnostic prkoce. Le plus souvent, il est chirurgical [ 11. On envisage habituellement un traitement conservateur (58 %) ou une exclusion chirurgicale de l’cesophage (18 %) [l]. Dans les cas graves (10 %), on a recours 2 la chirurgie cesophagienne d’ex&&se, geste lourd et B mortalitk ClevCe (55 %) [l]. Dans notre observation, le patient est dCckdC malgrC une chirurgie d’extkkse prkcoce B la 22e heure.

Bien que non spkcifique, l’apparition d’un emphyskme sous-cutark sus-claviculaire, signe Cvocateur de pneumomkdiastin, doit faire kvoquer prkcocement une perforation de l’cesophage. Les clichks radiologiques du thorax peuvent apporter des ClCments diagnostiques, mais ils sont tardifs et d’interpritation souvent dklicate. Si 1’Ctat du patient le permet, le transit cesophagien avec produit de contraste 662

hydrosoluble est l’examen de choix pour confirmer le diagnostic. S’il fait dkfaut, l’examen tomodensitomktrique du thorax peut apporter des Cl& ments indirects et Ctayer au besoin le diagnostic diffkrentiel. La visualisation directe de la l&ion par fibroscopie digestive peut &re envisagke mais comporte des risques d’aggravation des l&ions : elle seste pour cela controverske. Une perforation cesophagienne de localisarion pourtant typique peut survenir dans l’kvolution d’un volvulus gastrique sous tension compliquant une hernie hiatale paracesophagienne. La rupture rksulterait de la compression extrinskque de l’cwophage dans le collet de la hemie, avec n&rose ischkmique secondaire. Enfin, rappelons que la rupture d’cesophage reste une affection grave, dont le pronostic est directement lik 2 la prkcocitk du traitement. L’absence de traitement spkifique conduit toujours B une issue fatale. Une chirurgie prkoce avant la 24e heure am&liore sensiblement le pronostic.

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