Revue du rhumatisme 77 (2010) 34–38
Article original
Prévalence et signification clinique des mutations du gène MEFV dans une cohorte de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde夽 Suleyman Serdar Koca a,∗ , Ebru Onalan Etem b , Bahar Isik c , Huseyin Yuce b , Metin Ozgen a , Muhammet Sait Dag d , Ahmet Isik a a
Service de rhumatologie, faculté de médecine, université de Firat, Elazig, Turquie Service de biologie médicale et de génétique, faculté de médecine, université de Firat, Elazig, Turquie Service de médecine d’urgence, ministère de la santé, Ankara Diskapi Yildirim Beyazit hôpital universitaire, Ankara, Turquie d Service de médecine interne, faculté de médecine, université de Firat, Elazig, Turquie b c
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : ˆ 2009 Accepté le 26 aout Mots clés : Polyarthrite rhumatoïde Mutations du gène MEFV Fièvre familiale méditerranéenne
r é s u m é Objectifs. – La pyrine/marénostrine, protéine régulatrice inhibitrice de l’inflammation, est codée par le gène de la fièvre méditerranéenne (MEFV). Les mutations de ce gène sont à l’origine de la fièvre familiale méditerranéenne (FMF). Un lien entre les mutations du gène MEFV et certaines maladies rhumatologiques a été suggéré. L’objectif de cette étude était d’explorer la fréquence et la signification clinique des mutations du gène MEFV dans une cohorte de patients turcs atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR). Méthodes. – L’étude comportait 103 patients avec PR et 103 volontaires sains (groupe témoin) appariés selon l’âge, le sexe et leur origine. Chez tous les participants, l’ADN génomique a été isolé et analysé selon la technique amplification refractory mutation system (ARMS) ou restriction fragment length polymorphism (RFLP) pour les huit mutations du gène MEFV (E148Q, M694 V, M694I, M680I, V726A, A744S, R761H et P369S). Dans le groupe PR, l’activité de la maladie a été évaluée par le score d’activité DAS-28. Les dommages structuraux ont été mesurés par le score de Larsen modifié. Résultats. – Les taux de portage des mutations du gène MEFV étaient respectivement de 26/103 (25,2 %) et de 24/103 (23,3 %) dans les groupes PR et témoin (p > 0,05, OR : 0,9, 95 % CI : 0,48–1,71). Dans le groupe PR, alors que le nombre d’articulations déformées était significativement plus élevé dans le groupe porteur de mutations en comparaison au groupe non porteur (p < 0,05). En revanche, le taux de protéine C-réactive, le DAS-28 et les scores de Larsen modifiés étaient un peu plus élevés dans le groupe porteur de mutations, mais de manière non significative. Conclusion. – Les résultats de cette étude suggèrent que les mutations du gène MEFV pourraient être un facteur aggravant la sévérité de la PR. Ainsi, il pourrait être utile de rechercher des mutations du gène MEFV chez les patients atteints de PR dans les pays où la FMF est fréquente. D’autres investigations sont nécessaires pour évaluer la rentabilité d’une recherche systématique de mutations MEFV chez les patients atteints de PR. © 2009 Société Franc¸aise de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
1. Introduction La polyarthrite rhumatoïde (PR), maladie inflammatoire systémique auto-immune, est une maladie génétique complexe impliquant plusieurs gènes et des facteurs environnementaux à l’origine des manifestations pathologiques [1]. Les études d’association génomique ont confirmé qu’une région du complexe
夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc¸aise de cet article, mais sa référence anglaise dans le même volume de Joint Bone Spine (doi:10.1016/j.jbspin.2009.08.006). ∗ Auteur correspondant. Université de Firat, Firat Tip Merkezi, Ic Hastaliklari AD./Romatoloji BD, 23119 Elazig, Turquie. Adresse e-mail :
[email protected] (S.S. Koca).
majeur d’histocompatibilité était le facteur de risque génétique le plus important dans le développement de la PR et que le gène de la protéine tyrosine phosphatase (PTPN22) était le deuxième gène de susceptibilité majeur [1]. De plus, d’autres gènes du système immunitaire, dont le gène de la fièvre méditerranéenne (MEFV), peuvent affecter le phénotype de la PR [2,3]. La fièvre familiale méditerranéenne (FMF) est une maladie autoinflammatoire caractérisée par des épisodes récurrents de fièvre et/ou d’inflammation synoviale. Elle touche principalement les personnes qui vivent ou sont originaires du bassin méditerranéen, notamment les Juifs, les Arméniens, les Turcs et les Arabes [4,5]. La prévalence de la FMF varie de 1/395 [6] à 1/1075 [7] dans la population turque, et le taux de portage des mutations du gène MEFV dans la population turque saine est de 20–27 % [8–11].
1169-8330/$ – see front matter © 2009 Société Franc¸aise de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2009.11.011
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La FMF est causée par des mutations variées du gène MEFV, localisé sur le bras court du chromosome 16p13.3 et qui comporte dix exons [12]. Ce gène code pour une protéine formée de 781 acides aminés appelée pyrine/marénostrine [13]. Le (ou les) rôle(s) de la pyrine ne sont pas encore complètement connus mais elle est localisée avec les microtubules et les filaments d’actine dans le cytoplasme [14]. La pyrine est porteuse d’un domaine pyrine (PyD) appartenant à la famille des domaines de mort (death domain), qui interagit avec des protéines impliquées dans la régulation de l’inflammation et l’apoptose [10]. La pyrine native a des effets anti-inflammatoires par la régulation de l’inflammasome. Les mutations du gène MEFV entraînent une diminution de l’expression de la pyrine responsable d’une cascade inflammatoire ininterrompue chez les patients atteints de FMF [13,14]. De plus, certains travaux ont rapporté que la présence de mutations du gène MEFV pourrait être un facteur de susceptibilité au développement de certaines maladies inflammatoires [15–19]. Les patients atteints de FMF [15] ou les porteurs sains de mutations MEFV [16] sont susceptibles de développer une maladie de Behc¸et (MB). Des fréquences élevées de mutations MEFV ont également été décrites chez les patients atteints de MB [17], d’arthrite juvénile idiopathique (AIJ) [18] et de rhumatisme palindromique [19]. De plus, il a été montré que les mutations du gène MEFV pouvaient exacerber la sévérité de certaines maladies inflammatoires dont la PR [3], la spondylarthrite ankylosante [20], les maladies inflammatoires de l’intestin [21] et la sclérose en plaques (EP) [22]. Nous avons réalisé cette étude pour explorer la fréquence des mutations du gène MEFV dans une cohorte de patients turcs souffrant de PR et le rôle potentiel de ces mutations sur le phénotype de la PR.
2. Méthodes 2.1. Population étudiée L’étude comprenait 103 patients sans parenté atteints de PR (un patient/famille) (moyenne d’âge 49 ± 13,2 ans ; durée moyenne d’évolution de la maladie 7,1 ± 7,2 ans ; 15 hommes, 88 femmes), recrutés consécutivement parmi les patients traités et suivis dans le service de rhumatologie de centre hospitalier universitaire de Firat, à Elazig en Turquie. La PR était diagnostiquée selon les critères établis [23]. Cent trois volontaires sains (groupe témoin) appariés selon l’âge, le sexe et l’origine, sans lien de parenté (moyenne d’âge 46,5 ± 12,3 ans ; 24 hommes, 79 femmes), ont été recrutés consécutivement à partir du staff de notre institut. Tous les participants, patients et volontaires sains étaient d’origine turque, de la région supérieure de l’Euphrate en Turquie. Le protocole de cette étude a été approuvé par le Comité d’éthique institutionnel, et tous les participants ont donné leur consentement éclairé avant d’entrer dans l’étude. Les antécédents médicaux détaillés de tous les participants ont été obtenus et un examen clinique complet a été réalisé. Les signes cliniques de FMF ont été recherchés chez les patients inclus, aucun d’eux ne présentait de symptôme ou d’antécédent familial de FMF. L’activité de la maladie dans le groupe PR a été mesurée par le score de DAS-28 [24]. Dans le groupe PR, les radiographies standard des mains et des poignets ont été réalisées et analysées par le même radiologue en aveugle. Le score de Larsen modifié a été utilisé pour mesurer les dommages radiologiques ; 20 articulations des mains et deux dans les poignets (chaque poignet était considéré comme une unité) ont été évaluées avec des scores allant de 0 à 5, comme cela a été décrit [25]. Les prélèvements sanguins ont été effectués chez tous les patients à jeun. Les échantillons pour l’analyse des anticorps antipeptide cycliques citrullinés (anti-CCP) ont été centrifugés à
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3000 tours par minute, pendant dix minutes afin d’obtenir des sérums, puis congelés à −20 ◦ C jusqu’à l’analyse. Pour l’analyse des mutations du gène MEFV, les échantillons sanguins ont été mis dans des tubes contenant de l’éthylène diamine tétra-acétate (EDTA) et immédiatement congelés à −20 ◦ C jusqu’à l’analyse. 2.2. Examens biologiques Numération formule sanguine complète, vitesse de sédimentation érythrocytaire (VS), protéine C-réactive (CRP), facteur rhumatoïde (FR), protéinémie, albuminémie, fonction hépatique et rénale étaient réalisés selon les méthodes de laboratoire standard. Les titres de FR supérieurs à 15 IU/ml étaient considérés comme positifs. 2.2.1. Recherche d’anticorps anti-CCP Recherche d’anticorps anti-CCP, réalisée par la méthode Elisa avec la seconde génération de kit commercial (Euroimmun, Lubeck, Allemagne). Le test Elisa était fait selon les instructions du fabricant, avec un seuil à 5,01 unités. 2.2.2. Analyse des mutations du gène MEFV L’ADN génomique a été isolé à partir de lymphocytes du sang périphérique avec un kit commercial (Promega Corp., Madison, États-Unis), selon les instructions du fabricant. Les cinq mutations les plus fréquemment observées (E148Q, M694 V, M694I, M680I et V726A) et trois mutations rares supplémentaires (A744S, R761H et P369S) du gène MEFV ont été recherchées dans cette étude. Les mutations MEFV ont été recherchées par amplification refractory mutation system (ARMS) ou restriction fragment length polymorphism (RFLP) comme cela a été décrit par le consortium franc¸ais FMF [13] et Eisenberg et al. [26]. Trois séries d’oligonucléotides (normal et spécifiques de la mutation) ont été utilisées pour amplifier les séquences normales et mutantes. Chaque série d’amorces de polymerase chain reactions (PCR) était composée d’oligonucléotides communs, mutants et normaux [27]. Toutes les PCR ont été faites dans un volume final de 25 l avec des conditions standardisées tampon et selon les protocoles précédemment décrits [13,26]. Les produits amplifiés ont été séparés par électrophorèse avec un gel d’agarose à 2 %. La coloration par bromure d’éthidium a été utilisé pour détectés les fragments amplifiés. Toutes ces mutations ont été testées sur des témoins positifs. 2.2.3. Analyse statistique Analyse statistique ; réalisée avec le logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS 11.0, Chicago, IL, États-Unis). Les résultats étaient donnés en moyenne plus ou moins déviation standard (D.S.). Le t-test de Student a été utilisé pour comparer les résultats entre les groupes, le test exact de Fisher pour comparer les variables catégoriques et l’odd-ratio (OR) et l’intervalle de confiance à 95 % (CI) ont été utilisés pour l’évaluation des facteurs de risque. L’analyse de la covariance (Ancova) a également été utilisée pour ajuster les variables en fonction de la durée de la maladie. Des valeurs de p < 0,05 étaient considérées comme significatives. 3. Résultats Dans le groupe témoin, une analyse des mutations a montré que 24 (23,3 %) des patients étaient porteurs d’au moins une mutation allélique MEFV. La fréquence des taux de portage des mutations E148Q, M694 V, M694I, V726A et P369S étaient respectivement de 12,6 % (avec une fréquence allélique de 13/206), 5,8 % (6/206), 1,9 % (2/206), 1,9 % (2/206) et 0,9 % (1/206) (Tableau 1). Dans le groupe PR, 26 (25,2 %) des patients étaient porteurs d’au moins une mutation allélique MEFV (Tableau 1). Deux de ces patients étaient
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Tableau 1 Distribution des mutations du gène MEFV dans les groupes PR et témoin.
E148Q/WT P369S/WT V726A/WT M694I/WT M694V/WT M680I/WT E148Q/V726A P369S/V726A A744S/WT R761H/WT Mutations totales (n) Taux de portage (%) Fréquence allélique (n)
PR (n = 103)
HC (témoin) (n = 103)
10 (9,7 %) 4 (3,9 %) 3 (2,9 %) 3 (2,9 %) 2 (1,9 %) 1 (0,9 %) 2 (1,9 %) 1 (0,9 %) – – 26 25,2 29/206
13 (12,6 %) 1 (0,9 %) 2 (1,9 %) 2 (1,9 %) 6 (5,8 %) – – – – – 24 23,3 24/206
MEFV : fièvre méditerranéenne ; PR : polyarthrite rhumatoïde ; HC : volontaires sains ; WT : phénotype sauvage.
hétérozygotes pour les mutations E148Q/V726A et un autre pour la mutation V726A/P369S. La fréquence des taux de portage des mutations E148Q, V726A, P369S, M694I, M694 V et M680I dans la cohorte de patients turcs avec PR étaient de 11,7 % (avec une fréquence allélique de 12/206), 5,8 % (6/206), 4,9 % (5/206), 2,9 % (3/206), 1,9 % (2/206) et 0,9 % (1/206), respectivement. Il n’y avait pas de différence dans les taux de portage de mutations MEFV entre les groupes PR et témoins (p > 0,05, OR : 0,9, 95 % CI : 0,48–1,71). Dans le groupe PR, le taux de CRP, la durée de la raideur matinale et le DAS-28 étaient légèrement mais pas significativement plus élevés dans le groupe porteur de mutations en comparaison au groupe non porteur (Tableau 2). De plus, dans le groupe témoin, on n’observait pas de différence entre les porteurs de mutations et les non-porteurs pour la numération leucocytaire, les taux de protéines de la phase aiguë de l’inflammation et l’albuminémie (données non montrées). La positivité au FR et aux anticorps anti-CCP étaient relativement plus élevée (p > 0,05, OR : 2,48, 95 % CI : 0,65–9,50 et p > 0,05, OR : 2,36, 95 % CI : 0,58–9,63, respectivement) dans le groupe des Tableau 2 Caractéristiques cliniques et biologiques des patients atteints de PR porteurs et non porteurs de mutations du gène MEFVa . PR (n = 103)
Âge au début de la maladie (années) Durée de la maladie (années) VS (mm/h) CRP (mg/dl) Positivité au FR (%) Positivité aux anti-CCP (%) Raideur matinale (heures) Nombre d’articulations gonflées Nombre d’articulations douloureuses DAS-28 (0–10) Nombre d’articulations déformées (n) Score de Larsen modifié (0–110)
Porteurs (n = 26)
Non-porteurs (n = 77)
p
42,8 ± 10,8
40,6 ± 12,8
0,451
8,1 ± 8,6
6,6 ± 6,5
0,410
51,6 ± 36,1 51,7 ± 62,4 86,9 85,7
42,7 ± 34,1 30,6 ± 39,8 72,9 71,8
0,300 0,074 0,175b 0,224c
1,3 ± 1,5
0,8 ± 0,9
0,107
1,3 ± 1,9
1,3 ± 1,5
0,885
4,9 ± 3,7
4,2 ± 4,1
0,515
4,1 ± 1,1 6,3 ± 9,7
3,8 ± 1,2 2,6 ± 5,1
0,362 0,026
18,2 ± 26,4
13,1 ± 20,1
0,404
MEFV : fièvre méditerranéenne ; PR : polyarthrite rhumatoïde ; VS : vitesse de sédimentation ; CRP : protéine C-réactive ; FR : facteur rhumatoïde ; anti-CCP : anticorps antipeptides cycliques citrullinés ; DAS-28 : score d’activité de la maladie-28. a Données exprimées en moyenne ± D.S. b OR : 2,48, 95 % CI : 0,65–9,50. c OR : 2,36, 95 % CI : 0,58–9,63.
patients atteints de PR porteurs de mutations que chez les patients non porteurs (Tableau 2). La durée de la maladie était relativement plus longue chez les porteurs en comparaison aux non-porteurs, alors que les moyennes d’âge et la durée d’évolution de la maladie dans les deux groupes n’étaient pas différentes (respectivement, 42,8 ± 10,8 vs 40,6 ± 12,7). Le compte d’articulations déformées était significativement plus élevé chez les porteurs que chez les non-porteurs du groupe PR (Tableau 2). Après ajustement en fonction de la durée de la maladie, le nombre d’articulations déformées était toujours significativement plus élevé chez les porteurs (données ajustées non montrées).
4. Discussion Dans cette étude, la fréquence des mutations MEFV chez les patients turcs atteints de PR et chez les patients sains a été calculée. Nos résultats suggèrent que si les mutations MEFV ne sont pas forcément un facteur de susceptibilité du développement de la PR, elles peuvent être un facteur aggravant la sévérité de la maladie. Certains auteurs ont rapporté que le taux de portage des mutations MEFV dans la population saine turque était de 20 à 27 % [8–11]. Bien que Lachmann et al. [10] aient trouvé une fréquence de 6,9 % pour la mutation R761H chez les patients turcs atteints de FMF et de 2,7 % dans leur famille asymptomatique, aucun des sujets sains de cette étude n’était porteur de la mutation. Les mutations R761H et A744S n’ont pas été retrouvées dans notre étude, ni dans le groupe PR ni dans le groupe témoin. Cependant, pour les autres mutations, les taux de portage dans les groupes PR et témoin étaient respectivement de 25,2 et 23,3 %. La mutation MEFV la plus fréquente (E148Q) était observée à 11,7 % dans le groupe PR et à 12,6 % dans le groupe témoin. La pyrine, qui joue un rôle dans la régulation du facteur nucléaire B (NF-B) et l’apoptose, semble également agir en tant qu’inhibiteur de l’activation de l’inflammation [28]. Il a été suggéré que certaines mutations MEFV pourraient réguler à la hausse de manière non spécifique la réponse inflammatoire [29]. Cette hypothèse est, en outre, confirmée par le fait que les protéines aiguës de l’inflammation sont augmentées même chez les patients asymptomatiques porteurs de mutations MEFV [10,30]. De plus, certaines maladies inflammatoires polyfactorielles, dont les maladies inflammatoires de l’intestin [21], la MB [15], les vascularites [31] et la SM [22], sont observées plus fréquemment chez les patients atteints de FMF que dans la population générale appariée selon l’ethnie, tandis qu’une prévalence élevée des mutations MEFV a été retrouvée chez les patients atteints de MB [17], JIA [18] et PR [2]. Dans notre étude, bien que les taux de portage soient similaires dans les groupes PR et témoin, les porteurs de mutation dans le groupe PR avaient une évolution clinique et radiologique sévère. Le gène MEFV est exprimée dans les cellules inflammatoires dont les polynucléaires neutrophiles, les monocytes et les cellules dendritiques [32,33]. De plus, l’expression du gène MEFV a été également documenté dans les fibroblastes synoviaux [32,33]. On connaît le rôle majeur de la pyrine dans l’immunité innée à travers la régulation de l’activation du NF-B et l’apoptose et également dans la transformation de la pro-IL-1ß en IL-1ß par la caspase-1 [14,28]. Le NF-B, exprimé virtuellement dans tous les types de cellules, joue également un rôle prédominant dans la régulation de la production des cytokines inflammatoires comprenant le TNF-␣, l’IL-1 et l’IL-6 [34]. Certaines cytokines (TNF-␣, IL-1␣, IL-1 et IL-18) ont un rôle majeur dans la pathogénie de la PR [35]. Les mutations MEFV, qui entraînent une diminution de l’expression de la pyrine responsable d’une diminution de l’effet anti-inflammatoire, peuvent exacerber la sévérité de la maladie chez les patients porteurs de mutations MEFV.
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Les macrophages, les fibroblastes synoviaux et les lymphocytes infiltrent les tissus synoviaux et favorisent l’inflammation et la destruction articulaire médiées par la production de cytokines dont le TNF-␣, l’IL-1, l’IL-8, et les protéinases, telles que les métalloprotéases de la matrice, la stromélysine, les collagénases et les cathépsines [34]. Cependant, les mécanismes d’induction et la persistance du procédé inflammatoire dans la PR ne sont pas complètement élucidés. Il a été suggéré qu’une apoptose insuffisante des cellules inflammatoires serait l’un des mécanismes qui contribuerait à la persistance de l’inflammation [34]. Chez les patients souffrants de PR et porteurs de mutations, une diminution de l’effet de la pyrine sur l’apoptose pourrait être une autre explication à l’exacerbation de la maladie. L’expression de l’antigène humain leucocytaire (HLA)-DR a été observée dans des cultures cellulaires stimulées de patients atteints de FMF [36]. De plus, une relation entre certains allèles HLA-DR/DQ et les mutations du gène MEFV a été rapportée chez les patients souffrant de FMF [37]. Cette relation pourrait également expliquer la sévérité de la maladie chez les patients atteints de PR et porteurs de mutation MEFV. Une relation claire entre la susceptibilité au développement de la PR, la sévérité de la maladie et certains haplotypes HLA-DR1, DR4 et DR10 a été décrite [38]. Dans notre étude, il n’y avait pas de différence entre le taux de portage des mutations MEFV dans les groupes PR et témoin. Les moyennes d’âges du début de la maladie entre les patients atteints de PR porteurs de mutations et les non-porteurs n’étaient pas non plus différentes. Aussi, les mutations MEFV pourraient ne pas être un facteur de susceptibilité de développement d’une PR. Elles paraissent néanmoins être un facteur d’exacerbation de la sévérité de la maladie. Dans notre travail, le nombre d’articulations déformées était statistiquement significativement plus élevé chez les patients atteints de PR porteurs de mutations, en comparaison aux non-porteurs. Le taux de CRP, la durée de la raideur matinale, le DAS-28 et le MLS étaient plus élevés chez les patients porteurs de mutations, en comparaison aux non-porteurs sans que la différence soit significative. Cependant, il n’est pas possible de conclure que les patients atteints de PR avec mutations MEFV auront une évolution clinique sévère puisque la seule différence statistiquement significative retrouvée entre les groupes était le nombre d’articulations déformées. La prévalence de la PR est de 0,38 % en Turquie [39]. Ce taux n’est pas plus élevé que celui observé dans d’autres pays où la FMF et les mutations MEFV sont rarement observées. Cela confirme également que les mutations du gène MEFV ne sont pas un facteur de susceptibilité au développement de la PR. Comme cela est observé dans notre étude, il a été décrit que des mutations MEFV aggravaient la sévérité de la PR chez des patients israéliens [3]. Inversement, Migita et al. [2] ont montré que des mutations MEFV n’altéraient pas la susceptibilité et/ou la sévérité de la PR dans une population japonaise où la prévalence de mutations spécifiques sévères du gène MEFV (M694I M694 V) est diminuée contrairement à d’autres populations. Ainsi, il pourrait ne pas être utile de rechercher des mutations MEFV chez tous les patients atteints de PR, notamment dans les populations où la FMF n’est pas fréquente. Rabinovich et al. [3] ont mis en évidence une positivité élevée du FR chez les patients atteints de PR porteurs de mutations, en comparaison aux non-porteurs. Inversement, il a été décrit que les mutations MEFV étaient relativement plus fréquentes chez les patients atteints de rhumatisme palindromique et négatifs pour les anticorps anti-CCP en comparaison aux patients antiCCP positifs (22,2 % vs 5,3 %) [19]. Cependant, dans notre travail, les mutations MEFV n’étaient pas liées ni au FR ni à la présence d’anticorps anti-CCP. Chez les porteurs de mutations, la présence d’anti-CCP était relativement fréquente chez les nonporteurs en données brutes, mais cette différence pourrait ne pas être retrouvée après ajustement en fonction de la durée de la mala-
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die ; celle-ci était relativement plus longue chez les porteurs en comparaison aux non-porteurs. Il est bien connu que les anticorps anti-CCP sont moins fréquents chez les patients avec PR précoce que chez les patients avec une PR établie évoluant depuis longtemps [40]. Cette étude comporte certaines limites. La première est la taille de l’échantillon qui est très petite. Deuxièmement, cette étude n’exclue pas les effets possibles des traitements utilisés par les patients, dont les traitements de fond et les corticoïdes, sur l’évolution de la PR et sur les taux de protéines de la phase aiguë de l’inflammation. Enfin, il aurait fallu mesurer les niveaux de cytokines et l’expression HLA chez les porteurs et les nonporteurs. Conflit d’intérêt Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt. Références [1] Klareskog L, Catrina AI, Paget S. Rheumatoid arthritis. Lancet 2009;373:659–72. [2] Migita K, Nakamura T, Maeda Y, et al. MEFV mutations in Japanese rheumatoid arthritis patients. Clin Exp Rheumatol 2008;26:1091–4. [3] Rabinovich E, Livneh A, Langevitz P, et al. Severe disease in patients with rheumatoid arthritis carrying a mutation in the Mediterranean fever gene. Ann Rheum Dis 2005;64:1009–14. [4] Touitou I, Ben-Chetrit E, Notarnicola C, et al. Familial mediterranean fever clinical and genetic features in Druzes and in Iraqi Jews: a preliminary study. J Rhumatol 1998;25:916–9. [5] Chen X, Fischel-Ghodsian N, Cercek A, et al. Assessment of Pyrin gene mutations in Turks with familial Mediterranean fever (FMF). Hum Mutat 1998;11:456–60. [6] Onen F, Sumer H, Turkay S, et al. Increased frequency of familial Mediterranean fever in Central Anatolia, Turkey. Clin Exp Rheumatol 2004;22:S31–3. [7] Cobankara V, Fidan G, Türk T, et al. The prevalence of familial Mediterranean fever in the Turkish province of Denizli: a field study with a zero patient design. Clin Exp Rheumatol 2004;22:S27–30. [8] Yigit S, Bagci H, Ozkaya O, et al. MEFV mutations in patients with familial Mediterranean fever in the Black Sea region of Turkey: Samsun experience [corrected]. J Rheumatol 2008;35:106–13. [9] Yilmaz E, Ozen S, Balci B, et al. Mutation frequency of familial mediterranean fever and evidence for a high carrier rate in the Turkish population. Eur J Hum Genet 2001;9:553–5. [10] Lachmann HJ, Sengül B, Yavuzs¸en TU, et al. Clinical and subclinical inflammation in patients with familial Mediterranean fever and in heterozygous carriers of MEFV mutations. Rheumatology (Oxford) 2006;45:746–50. [11] Tunca M, Akar S, Hawkins PN, et al. The significance of paired MEFV mutations in individuals without symptoms of familial Mediterranean fever. Eur J Hum Genet 2002;10:786–9. [12] Pras E, Aksentijevich I, Gruberg L, et al. Mapping of a gene causing familial Mediterranean fever to the short arm of chromosome 16. N Engl J Med 1992;326:1509–13. [13] The French FMF consortium. A candidate gene for familial Mediterranean fever. Nat Genet 1997;17:25–31. [14] Papin S, Cuenin S, Agostini L, et al. The SPRY domain of Pyrin, mutated in familial Mediterranean fever patients, interacts with inflammasome components and inhibits proIL-1beta processing. Cell Death Differ 2007;14:1457–66. [15] Schwartz T, Langevitz P, Zemer D, et al. Behc¸et’s disease in familial mediterranean fever: characterization of the association between the two diseases. Semin Arthritis Rheum 2000;29:286–95. [16] Touitou I, Magne X, Molinari N, et al. MEFV Mutations in Behc¸et’s disease. Hum Mutat 2000;16:271–2. [17] Imirzalioglu N, Dursun A, Tastan B, et al. MEFV gene is a probable susceptibility gene for Behc¸et’s disease. Scand J Rheumatol 2005;34:56–8. [18] Ozen S, Bakkaloglu A, Yilmaz, et al. Mutations in the gene for familial Mediterranean fever: do they predispose to inflammation? J Rheumatol 2003;30:2014–8. ˜ [19] Canete JD, Arostegui JI, Queiró R, et al. An unexpectedly high frequency of MEFV mutations in patients with anti-citrullinated protein antibody-negative palindromic rheumatism. Arthritis Rheum 2007;56:2784–8. [20] Durmus D, Alayli G, Cengiz K, et al. Clinical significance of MEFV mutations in ankylosing spondylitis. Joint Bone Spine 2009;76:260–4. [21] Cattan D, Notarnicola C, Molinari N, et al. Inflammatory bowel disease in nonAshkenazi Jews with familial mediterranean fever. Lancet 2000;355:378–9. [22] Akman-Demir G, Gul A, Gurol E, et al. Inflammatory/demyelinating central nervous system involvement in familial Mediterranean fever (FMF): coincidence or association? J Neurol 2006;253:928–34. [23] Arnett FC, Edworthy SM, Bloch DA, et al. The American Rheumatism Association 1987 revised criteria for the classification of rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 1988;31:315–24. [24] Leeb BF, Andel I, Sautner J, et al. Disease activity measurement of rheumatoid arthritis: comparison of the simplified disease activity index (SDAI) and the
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