Prise en charge de l’infection à cytomégalovirus en transplantation

Prise en charge de l’infection à cytomégalovirus en transplantation

Dossier scientifique Prise en charge de l’infection à cytomégalovirus en transplantation Sébastien Hantz1,2,*, Léa Moret2, Sophie Alain1,2 1 CNR des He...

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Dossier scientifique Prise en charge de l’infection à cytomégalovirus en transplantation Sébastien Hantz1,2,*, Léa Moret2, Sophie Alain1,2 1 CNR des Herpèsvirus, laboratoire de bactériologie-virologie-hygiène, CHU Limoges, France. 2 Université de Limoges, Inserm, Resinfit, U1092, Limoges, France. *Auteur correspondant : [email protected] (S. Hantz).

Le cytomégalovirus humain (CMVH) est un virus de répartition mondiale infectant de 40 à plus de 90 % des individus, qui persiste à l’état latent tout au long de la vie de l’individu. Chez les patients transplantés d’organe solide ou greffés de cellules souches hématopoïétiques, le CMVH est à l’origine d’une morbidité élevée allant de l’infection active correspondant à la multiplication du virus dans le sang, jusqu’à la maladie à CMVH avec une atteinte d’organe. Le bilan prégreffe repose sur le dosage des IgG spécifiques du CMVH tandis que le suivi de ces patients repose sur l’évaluation de la charge virale dans le sang, ou le plasma. Du fait de l’absence de concordance entre les différentes trousses de PCR malgré l’utilisation de résultats en unités internationales, il est essentiel que ce suivi soit effectué dans le même laboratoire. La stratégie thérapeutique repose sur deux options : prophylaxie ou traitement préemptif. Au-delà d’un seuil de 3 log UI/mL, il est conseillé de débuter un traitement reposant sur le (val)ganciclovir, un inhibiteur de la polymérase virale. En l’absence de réponse, une recherche de résistance et un dosage de GCV doivent être réalisés. Les alternatives thérapeutiques en cas de résistance reposent sur le foscarnet ou le cidofovir. Toutes ces molécules présentant une toxicité soit hématologique soit rénale, de nouveaux inhibiteurs ciblant d’autres étapes de la réplication, tels que le maribavir ou le letermovir, représentent un nouvel espoir dans la prise en charge de l’infection à CMVH chez les transplantés.

ABSTRACT

Management of Human cytomegalovirus in transplantation MOTS CLÉS charge virale cytomégalovirus ◗ réponse immunitaire ◗ traitements ◗ transplantation ◗ ◗

KEYWORDS cytomegalovirus immune response ◗ transplantation ◗ treatments ◗ viral load ◗ ◗

© 2019 – Elsevier Masson SAS Tous droits réservés.

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Human cytomegalovirus (HCMV) has a worldwide distribution, infecting between 40 and 90 % of adults, leading to lifelong latent infection. In solid organ and hematopoietic stem cell transplant recipients, HCMV is responsible for high morbidity from active infection with virus multiplication in blood to HCMV disease with organ defect. Pretransplant testing relies on donor and recipient CMV IgG serology whereas follow-up is based on viral load measurement in whole blood or plasma. As results of quantitative PCR assays are not comparable although use of international units, it is essential to follow-up the patients in the same laboratory. Therapeutic strategy relies on two options: prophylaxis or preemptive strategy. Over 3 log IU/mL, treatment with (val)ganciclovir, a polymerase inhibitor has to be initiated. In case of non-response, resistance testing and drug dosage have to be performed. If resistance is highlighted, foscarnet or cidofovir have to be initiated. As all these drugs have renal or hematological toxicity, new inhibitors targeting other steps of replication like maribavir or letermovir represent new hopes for prevention or treatment of HCMV in transplant recipients.

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 515 • SEPTEMBRE-OCTOBRE 2019

© BURGER/PHANIE

RÉSUMÉ

Dossier scientifique Transplantations et virus Introduction Le cytomégalovirus humain (CMVH) ou human herpesvirus 5 (HHV-5) appartient à la famille des Herpesviridae, sous-famillle des β-herpesvirinae dans laquelle on retrouve également HHV-6 et HHV-7. Sa structure est commune aux autres membres de la famille des Herpesviridae, de même que certaines caractéristiques, comme le fait de persister à l’état latent après la primo-infection [1]. Il est constitué d’un génome d’ADN bicaténaire linéaire protégé par une capside icosaédrique qui est séparée de l’enveloppe par le tégument. Le génome code plus de 200 protéines dont certaines sont étroitement impliquées dans les interactions avec le système immunitaire, permettant ainsi au virus de contourner la réponse immune.

part, les primo-infections des sujets séronégatifs.  Ainsi, 43 % des patients vont présenter une virémie posttransplantation dans les 90 jours, dont 21 % nécessiteront un traitement [1].

Pouvoir pathogène

Le CMVH a pour particularité de pouvoir infecter un grand nombre de types cellulaires. Il peut ainsi être mis en évidence dans la plupart des organes. Lors de la primo-infection, le virus dissémine par voie sanguine puis une fois les différentes cellules cibles atteintes, la diffusion se fait de cellule à cellule. Les cellules endothéliales sont impliquées dans la dissémination sanguine du virus. L’infection lytique des cellules musculaires lisses du tractus digestif conduit à des ulcérations. Le CMVH persiste dans l’organisme à l’état latent, comme tous les autres herpèsvirus. Ainsi, de nombreux organes hébergent le virus à l’état latent Physiopathologie et peuvent être impliqués dans la transmission du virus lors de transplantaModes de transmission tion. Du fait de l’administration de traitements immunosuppresseurs, Lors de la primo-infection, le virus les réactivations chez les patients est excrété dans la salive, les sécréL’infection à CMVH immunodéprimés sont plus frétions respiratoires, les urines, les peut se compliquer quentes et peuvent conduire larmes, les sécrétions cervicoà des atteintes sévères. Elles vaginales, le sperme et le lait de maladie à CMVH peuvent provenir d’infections maternel [2]. La transmission avec atteinte d’origine exogène, d’une contanécessite un contact étroit ou mination par le greffon ou d’une intime. Le virus est transmissible d’organe réactivation d’une souche latente. horizontalement par contact direct La conséquence directe est l’apavec les liquides biologiques contaparition de manifestations cliniques minés. Les sujets en cours de primode l’infection ou maladie à CMVH due infection et les patients immunodéprimés à la lyse des cellules induite par la réplicaexcrètent de grandes quantités de virus. La transtion du virus. Il est important de distinguer infecmission peut également avoir lieu lors de réactivation tion et maladie à CMVH [4]. L’infection à CMVH avec passage du virus dans les différents liquides biocorrespond à la positivité d’un test diagnostique logiques, dans un contexte souvent asymptomatique. (culture, détection antigénique ou PCR) quel que Une contamination iatrogène peut survenir après soit le prélèvement, en l’absence de symptôme. transplantation d’organes ou greffe de cellules souches La maladie à CMVH correspond à la détection du hématopoïétiques par le virus présent dans les produits virus dans le compartiment sanguin en présence de du don. symptômes. Lors d’une maladie à CMVH, il faut différencier le syndrome CMVH et la maladie invasive à Épidémiologie CMVH. Le syndrome CMVH est défini par au moins Dans la plupart des régions du globe, le CMVH infecte deux critères parmi : température ≥ 38 °C pendant une large proportion de la population, dès le plus jeune au moins deux jours, malaise ou asthénie, leucopéâge. La séroprévalence varie de 40 à 100 % dans le nie ou neutropénie estimée à 24 heures d’intervalle, monde [3]. Maximale lorsque les conditions socio-éco≥ 5 % de lymphocytes aptypiques, thrombocytopénie, nomiques sont précaires, elle est plus faible dans les pays élévation des transaminases ≥ 2 fois la normale (sauf chez le patient greffé hépatique). La maladie invasive développés : en France comme en Europe de l’Ouest, à CMVH correspond à une infection d’un ou de pluelle avoisine les 50 % dans la population générale. sieurs organes (signes cliniques + diagnostic viroloChez le patient transplanté, l’infection à CMVH est la gique orienté). La distinction entre maladie prouvée virose opportuniste la plus fréquente et représente une et maladie possible a été récemment introduite par cause majeure de morbidité. Les traitements immunoles experts. La maladie est prouvée sur une biopsie suppresseurs utilisés pour limiter le risque de rejet à l’aide de l’histologie, l’immunohistochimie, l’hybridu greffon favorisent, d’une part, sa réactivation endodation in situ ou la culture positive. Une maladie est gène chez les sujets préalablement infectés et, d’autre REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 515 • SEPTEMBRE-OCTOBRE 2019

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Tableau 1. Facteurs de risque de maladie à CMVH en greffe d’organe solide. Risque élevé

Risque intermédiaire

Risque faible

Commentaires

Statut sérologique

D+/R-

D+/R+, D-/R+

D-/R-

Tous les tests ne sont pas équivalents

Immunosuppresseurs

Sérum antilymphocytaire (thymoglobuline, alemtuzumab, OKT3)

MMF, azathioprine, tacrolimus, ciclosporine, CS haute dose

CS, inhibiteur mTOR

Risque élevé avec tous les traitements à forte dose

Organe greffé

Poumon, pancréas, intestin

Cœur, tissu composite

Foie, rein

Corrélé aux forts niveaux d’immunosuppression

Réponse cellulaire spécifique anti-CMV

Faible

Intermédiaire

Élevée

Données encore limitées

CS : corticostéroïdes, MMF : mycophénolate mofétil, OKT3 : muromonab-CD3

possible lorsque seule la PCR est positive (biopsie, LBA, LCR, urines…). Cette classification rend compte de l’absence de seuils quantitatifs de PCR permettant de définir la maladie invasive.

Transplantation d’organes solides En l’absence de prévention, l’infection à CMVH survient dans les trois premiers mois postgreffe, période pendant laquelle l’immunosuppression est la plus forte. L’infection peut être asymptomatique ou se manifester par un tableau qui associe, a minima, fièvre et neutropénie. On peut aussi retrouver des lymphadénopathies, une thrombocytopénie. La maladie est associée à l’atteinte d’un ou de plusieurs organes, pouvant toucher l’organe transplanté (hépatite cytolytique, cholangite, après transplantation hépatique, pneumopathie interstitielle après greffe pulmonaire ou greffe cœur-poumon) ou d’autres organes (colite, gastrite, pancréatite, néphrite, choriorétinite ou plus rarement méningoencéphalite). De par ses effets indirects, pro-inflammatoires et immunodépresseurs, l’infection à CMVH favorise le rejet de greffe et les surinfections bactériennes et fongiques. Le statut sérologique du receveur avant la greffe détermine l’incidence et la sévérité des maladies. Le risque majeur est représenté par un receveur séronégatif recevant un organe CMVH positif (D+/R-) qui pourra donc développer une primo-infection dans 30 % des cas et une maladie à un an dans 17 à 24 % des cas. La transplantation d’un greffon CMVH- ou CMVH+ chez un receveur séropositif (D-/R+ ou D+/R+) pourra être associée à une réactivation d’une souche endogène ou à une infection par une souche exogène avec un risque d’infection de l’ordre de 17 % et de maladie de 6 à 12 % chez les D+/R+. Enfin, dans le cas d’une transplantation d’un organe de donneur séronégatif chez un receveur séronégatif (D-/R-), une contamination postgreffe (indépendante de la transplantation elle-même) peut induire une primo-infection

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sévère mais moins fréquemment (> 6 % d’infection et risque de maladie à un an < 4 %) [5]. Le risque de maladie à CMVH dépend également d’autres facteurs tels que le type d’immunosuppression (utilisation de sérum antilymphocytaire), le type d’organe greffé (le poumon [6], l’intestin et le pancréas étant à plus haut risque) et une faible réponse immunitaire cellulaire spécifique anti-CMVH [7] (tableau 1).

Allogreffe de cellules souches hématopoïétiques Après allogreffe de cellules souches hématopoïétiques, l’infection à CMVH reste une cause majeure de morbidité et de mortalité [8]. Le facteur majeur de risque d’infection et de maladie à CMVH est la séropositivité vis-à-vis du CMVH du receveur avant la greffe (R+), quel que soit le statut du donneur avec un risque d’infection à CMVH entre 31 et 76 % et de maladie jusqu’à 17 %. Les autres facteurs sont la maladie du greffon contre l’hôte (GVHD), l’intensité du déficit immunitaire, la greffe à partir d’un donneur non apparenté et un antécédent d’infection à CMVH. La pneumonie interstitielle est la manifestation la plus sévère et la plus spécifique (tableau 1). Les dernières années ont vu augmenter le nombre de patients à risque de CVMH. Cela peut s’expliquer par l’augmentation du nombre de patients CMVH séropositifs, cette augmentation étant liée à l’augmentation du nombre de patients âgés (> 30 % ont plus de 60 ans) sachant que la séroprévalence augmente avec l’âge. Parallèlement, on constate une augmentation de la proportion de receveurs séropositifs de donneurs séronégatifs (augmentation des donneurs non appariés, plus jeunes) et une augmentation des greffes haploidentiques, à risque CMVH accru. Dans le cadre des autogreffes, le risque d’infection à CMVH est de l’ordre de 30 à 50 % tandis que le risque de développer une maladie est inférieur à 1 %.

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Dossier scientifique Transplantations et virus Diagnostic virologique Diagnostic prégreffe : sérologie Dans le cadre de la transplantation, le sérodiagnostic permet de déterminer avant la greffe le statut immunitaire du donneur et du receveur vis-à-vis du CMVH avec la recherche des immunoglobulines type IgG. Les tests Elisa ou EIA sont les techniques les plus utilisées, mais leur performance est variable avec des discordances relevées de 1 à 2,6 % des échantillons testés. Lors de changement de technique, il est donc essentiel d’évaluer les performances de la nouvelle trousse avec une comparaison de méthodes sur un panel large de patients. En effet, une erreur de définition du statut sérologique du couple donneurreceveur peut avoir des conséquences sévères sur la prise en charge du patient transplanté postgreffe. L’interprétation des sérologies en prégreffe peut également se compliquer du fait de transfusions d’immunoglobulines ou d’autres produits sanguins que le donneur ou le receveur a pu recevoir avant la greffe. Enfin, certains résultats peuvent être équivoques avec certaines trousses. Devant de tels résultats obtenus chez le donneur ou chez le receveur, il est recommandé d’attribuer le groupe de risque de CMVH le plus élevé pour les décisions de gestion après la transplantation. Par ailleurs, le sérodiagnostic n’est pas adapté au suivi du patient transplanté.

Diagnostic postgreffe Le suivi des patients transplantés repose sur des techniques de diagnostic direct. La culture cellulaire est la technique historique mais son manque de sensibilité et son délai de réalisation ne permettent pas de l’utiliser en routine pour la surveillance des infections à CMVH. Elle garde néanmoins une utilité car c’est la seule technique permettant de disposer des souches virales, de les caractériser et de réaliser des antivirogrammes pour l’étude des non-réponses au traitement. L’amplification quantitative des acides nucléiques dans le sang (qPCR) est la pierre angulaire du diagnostic et de la surveillance de l’infection et de la maladie à CMVH. La qPCR est préférée à l’antigénémie, qu’elle remplace désormais dans la nomenclature des actes de biologie médicale, pour des raisons de normalisation et d’autres aspects techniques (étape pré-analytique, rapidité, adaptée aux grandes séries). Elle permet une quantification de la charge virale avec l’utilisation d’une gamme externe et d’évaluer la cinétique de l’expression virale pour ainsi adapter au mieux la stratégie thérapeutique, tout particulièrement chez le sujet transplanté. Il est recommandé de suivre de façon hebdomadaire les patients sans prophylaxie ou sous traitement curatif. Cette PCR peut être effectuée à partir d’un prélèvement périphérique de sang total sur EDTA, mais est également applicable au plasma ou au sérum ainsi qu’à tout liquide biologique de l’organisme (salive, urines, LBA).

En pratique, le sang total est le compartiment le plus utilisé en France [9]. L’ADN du CMVH est généralement détecté plus tôt et en quantité supérieure par unité de volume dans le sang total par rapport au plasma [10]. Les résultats des deux matrices n’étant pas superposables en termes de cinétique, il est impératif de ne pas utiliser les deux alternativement pour le suivi d’un patient donné. Les résultats peuvent également diverger pour un même échantillon suivant les méthodes utilisées [11]. Ainsi, il est fortement recommandé de réaliser une surveillance par le même laboratoire pour un patient donné. Les techniques doivent être calibrées avec le standard WHO et les résultats doivent être reportés en UI/mL. Pour les méthodes non encore calibrées en UI/mL, un coefficient de conversion peut être calculé à partir des valeurs du standard WHO au laboratoire lors de la validation de méthode (www.cnr-cytomegalovirus.fr). Le seuil de détection des techniques varie entre 150 et 1 000 UI/mL. Un titre supérieur à 1 000 UI/mL est retrouvé lors d’une infection active après transplantation. Cependant, le virus latent est présent dans de nombreuses cellules, et les résultats des PCR doivent être interprétés en fonction du contexte clinique, de l’examen anatomopathologique ou de la culture virale. La détection d’une charge virale élevée dans le lavage bronchoalvéolaire (LBA) (dans les pneumonies à CMVH) ou dans les biopsies digestives (colites ou rectites à CMVH) constitue un indicateur de réplication virale locale [12]. Pour le diagnostic de la maladie à CMVH, un examen anatomopathologique peut être effectué à partir de coupes de biopsies, de frottis, ou après cytocentrifugation ou étalement sur lame de liquides biologiques tels les LBA. Les cellules infectées in vivo sont de grande taille et possèdent des inclusions intranucléaires et intracytoplasmiques. L’aspect le plus caractéristique est « l’inclusion en œil de hibou », qui est une volumineuse inclusion intranucléaire séparée de la membrane nucléaire par un halo clair. En cas de traitement prolongé ou de sous-dosage, des souches porteuses de mutations de résistance aux antiviraux peuvent émerger chez les patients immunodéprimés [13]. Ainsi, devant une charge virale persistante sous traitement antiviral, il est recommandé de demander une recherche de mutations de résistance par séquençage des gènes cibles des antiviraux [14]. Le génotypage identifie parfois de nouvelles mutations dont l’impact sur la résistance est inconnu. Lorsque la souche virale peut être isolée en culture cellulaire, la réalisation d’un antivirogramme permet de déterminer la sensibilité de la souche aux antiviraux. Si la souche ne peut être isolée, la nouvelle mutation devra être étudiée à l’aide de virus recombinants [15]. Une surveillance nationale des résistances est exercée par le Centre national de référence des herpèsvirus, qui étudie toute nouvelle mutation.

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Dossier scientifique

Figure 1. Principe et interprétation du test Quantiferon CMV.

Valeur antigène

Valeur mitogène

Résultat

Interprétation

© Sébastien Hantz

T

Évaluation de l’état immunitaire L’immunité adaptative via le rôle des lymphocytes B et T est essentielle pour contrôler la réplication du CMVH. Les cellules B jouent un rôle important dans la réponse humorale au CMVH en produisant des anticorps neutralisants qui ciblent principalement les glycoprotéines B (gB) et gH [16] ainsi que le complexe pentamère gH / gL / UL128 / UL130 / UL131A. Le suivi immunologique de la réponse cellulaire T spécifique du CMVH semble pouvoir prédire les patients à risque augmenté de maladie à CMVH postgreffe. La plupart des tests reposent sur la détection de la production d’interféron-γ après stimulation du sang total ou des PBMC (peripheral blood mononuclear cells) avec des antigènes spécifiques du CMVH. Pour la détection de l’IFN-γ, différents tests ont été développés mais tous ne présentent pas la même facilité d’utilisation. Le Quantiferon-CMV® (Qiagen) est un test commercialisé marqué CE permettant la détection par technique Elisa de la production d’IFN-γ relargué par les lymphocytes T CD8+ après stimulation par des antigènes de CMVH. Il est composé de trois tubes contenant respectivement des antigènes de CMVH (tube antigène), des antigènes non spécifiques du CMVH (tube mitogène) et sans antigène (tube nul). Après prélèvement, les trois tubes doivent être incubés à 37 °C pendant seize heures avant

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d’être centrifugés pour analyser le plasma (figure 1). Ce test a été évalué dans le cadre d’études cliniques sur des patients transplantés présentant un risque élevé de CMVH et s’est révélé prédictif de la maladie [17]. Par ailleurs, la dynamique des réponses cellulaires T peut être utilisée comme outil de surveillance dans une stratégie préemptive. Le tube mitogène permet d’évaluer la réponse immune globale du patient, et sa positivité témoigne de la bonne réalisation du test (notamment de la phase d’incubation) et d’un nombre satisfaisant de lymphocytes chez le patient. Le test Elispot (enzyme-linked immunosorbent spot) quantifie la production d’IFN-γ des lymphocytes T CD4+ et CD8+ en réponse à des antigènes de CMVH. Contrairement au Quantiferon, il faut préalablement passer par une étape de purification des PBMC, cette étape préanalytique pouvant s’avérer limitante dans le cadre d’une utilisation régulière pour le suivi des patients. Un test commercial est également disponible avec un marquage CE (T-Track CMV®, Lophius Biosciences, Germany) [18]. Les réponses CD4+ et CD8+ ne peuvent pas être distinguées pas le test Elispot. La sensibilité des tests diminue chez les patients lymphopéniques car un nombre adéquat de cellules est requis pour la production d’IFN-γ. Un non-respect des procédures préanalytiques et quelques rares types HLA peuvent également générer de faux résultats négatifs. D’autres tests, comme l’ICS (intracellular cytokines staining) ou le CMH (complexe majeur d’histocompatibilité)-

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Dossier scientifique Transplantations et virus multimère, permettent également d’évaluer les réponses cellulaires anti-CMVH. Cependant la nécessité d’un accès à une plateforme de cytométrie et leur manque de standardisation limitent leur utilisation. Par ailleurs, le CMHmultimère est spécifique d’épitope, ce qui contraint à connaître le profil HLA du patient [19]. Le Quantiferon CMV® et l’Elispot sont de plus en plus utilisés. Cependant, des études cliniques interventionnelles sont encore nécessaires pour déterminer si un test d’évaluation de la réponse immunitaire peut, en pratique de routine, modifier la prise en charge des patients.

Traitement antiviral Molécules antivirales Inhibiteurs de l’ADN polymérase virale Trois molécules sont disponibles pour le traitement des infections à CMVH : un analogue nucléosidique, le ganciclovir (GCV) (Cymevan®), et sa prodrogue, le valganciclovir (VGCV) (Rovalcyte®), un analogue nucléosidique monophosphaté, le cidofovir (CDV) (Vistide®), et un analogue de pyrophosphate inorganique, le foscarnet (FOS) (Foscavir®) (figure 2). Le GCV nécessite une étape de primophosphorylation par la kinase virale pUL97 pour être actif. Ces molécules présentent une

toxicité hématologique pour le GCV et rénale pour le CDV et le FOS, compliquant leur utilisation au long cours. La prodrogue de l’aciclovir, le valaciclovir (VACV) (Zelitrex®), peut éventuellement être utilisée uniquement en prophylaxie. Toutes ces molécules inhibent l’activité de l’ADN polymérase virale pUL54 et sont donc sans action sur le virus latent [20]. Lors de l’utilisation prolongée de ces molécules, des souches résistantes peuvent émerger avec initialement des mutations dans la kinase pUL97 conduisant à une résistance au GCV puis secondairement des mutations dans la polymérase pUL54 induisant une résistance à deux voire trois antiviraux (GCV, FOS et CDV). À noter que dans certains cas, des mutations dans la polymérase peuvent émerger sans mutation initiale dans la kinase [13].

Immunoglobulines intraveineuses Les immunoglobulines sont parfois proposées seules ou en association avec la chimiothérapie antivirale sous forme d’immunoglobulines polyvalentes ou d’immunoglobulines spécifiques anti-CMVH. Si les immunoglobulines polyvalentes sont recommandées chez les patients hypogammaglobulinémiques, l’utilisation des immunoglobulines hyperimmunes est à ce jour assez limitée, essentiellement dans des situations de réplication virale réfractaire aux approches conventionnelles.

© Sébastien Hantz

Figure 2. Mécanisme d’action des antiviraux au cours du cycle de réplication du CMVH.

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Dossier scientifique Nouveaux antiviraux

Traitement prophylactique

De nouvelles molécules ont été développées ciblant La prophylaxie est très largement utilisée et repose d’autres étapes du cycle viral. Le letermovir cible le actuellement essentiellement sur l’utilisation du VGCV complexe terminase et inhibe l’encapsidation des unités à raison de 450 mgx2/jour. Cette prophylaxie est préde génome néoformées [21]. Son interaction avec les conisée pendant au moins 90 jours suivant la greffe, différentes sous-unités du complexe n’est pas encore notamment en transplantation d’organe. Le letermovir décrite mais l’émergence de mutations de résistance a obtenu son AMM en prophylaxie chez les receveurs de sous traitement a permis de supposer une interaction cellules souches hématopoïétiques à la dose de 480 mg/j étroite avec pUL56 et à moindre mesure avec pUL89 (240 mg/j en cas de traitement par ciclosporine) [23]. et pUL51 [22]. Son efficacité a été démontrée en prophylaxie chez les patients receveurs de cellules souches Traitement préemptif hématopoïétique [23]. Des études sont en cours chez Le traitement préemptif est entrepris lorsqu’une les patients réfractaires receveurs d’organe solide ou infection active a été diagnostiquée par PCR avec un de cellules souches hématopoïétiques. Le complexe risque de développer à court terme une maladie à terminase n’ayant pas d’homologues dans la CMVH. Il repose sur l’administration par voie cellule, le letermovir présente une excelintraveineuse (IV) de GCV à la dose de lente tolérance sans effet indésirable. 5 mg/kg/12 h ou de VGCV, à la dose Le maribavir est un inhibiteur comde 900 mg/12 h jusqu’à la négatipétitif de la kinase pUL97 bloquant vation des tests sur deux PCR L’utilisation des la sortie des nucléocapsides du consécutives. noyau. Utilisable par voie orale, la nouveaux antiviraux maribavir est une molécule très devra s’accompagner Traitement curatif bien tolérée et sans toxicité. Les premières études à dose subind’une surveillance Le traitement antiviral spécihibitrice n’ont pas démontré son fique dépend des manifestations de la résistance efficacité en prophylaxie chez les cliniques. Il repose sur le VGCV greffés d’organe solide ou de cel(2 x 900  mg/j) ou de GCV IV lules souches [24], mais les études (5 mg/kg/12 h), pendant trois à quatre en cours avec des doses plus élevées semaines (en pratique jusqu’à amélioen traitement « préemptif » chez des ration clinique et négativation de la charge patients présentant une virémie ou en traitevirale sanguine et locale), associé si possible à une ment des infections réfractaires (avec ou sans mutation diminution du traitement immunosuppresseur. de résistance) chez les patients non répondeurs aux Suivant le type de maladie à CMVH touchant le sujet et antipolymérases sont en faveur d’une efficacité thérason niveau de reconstruction immunitaire, un traitement peutique [25]. Aucune des deux molécules ne présente d’entretien peut être nécessaire pour éviter le risque de d’activité contre les Herpes virus simplex (HSV) ou le rechute dans un délai de 20 à 30 jours après le traitevirus varicelle-zona (VZV), ce qui nécessite de maintenir la prophylaxie anti-HSV lorsqu’elle est nécessaire. ment d’attaque. Du fait de l’absence de résistances croisées, les mutations de résistance aux autres antiviraux n’impactent Évaluation de la réponse pas l’efficacité du letermovir et du maribavir. De même, au traitement la résistance à ces derniers n’interdit pas un traitement L’évaluation de la réponse au traitement est imporultérieur par des antipolymérases. tante pour identifier les patients réfractaires, à risque d’émergence de résistance. Une infection est considérée comme réfractaire lorsque la charge virale augmente Stratégies thérapeutiques après au moins deux semaines de traitement antiviral à des infections à CMVH dose efficace [26].

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Traitement préventif

Traitement des patients réfractaires

Le traitement préventif est administré selon deux modalités. Le traitement prophylactique vise à prévenir la survenue de l’infection à CMVH chez les receveurs les plus à risque tandis que le traitement préemptif tend à prévenir l’apparition de manifestations cliniques de maladie à CMVH chez un receveur qui a développé une infection active à CMVH.

En cas de patient réfractaire au traitement par VGCV ou GCV, une recherche de mutation de résistance doit être effectuée par séquençage des gènes cibles. En cas de mutation induisant un faible niveau de résistance au GCV, une augmentation des doses peut être envisagée dans un premier temps. Sinon, l’alternative thérapeutique repose sur le foscarnet en première ligne puis sur le cidofovir.

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Dossier scientifique Transplantations et virus Conclusion

Points à retenir

L’infection à CMVH est à l’origine d’une morbi-mortalité importante en transplantation d’organe solide et en greffe de cellules souches hématopoïétiques. Le niveau de risque dépend essentiellement du statut sérologique donneur-receveur qu’il est essentiel de définir avec des tests performants. Le suivi des patients repose sur l’utilisation de la PCR quantitative à partir de d’échantillons de sang total ou de plasma pour évaluer la charge virale ou à partir d’autres prélèvements en cas de suspicion de maladie à CMVH. Le traitement nécessite le recours aux inhibiteurs de la polymérase virale, mais de nouveaux inhibiteurs prometteurs devraient pouvoir être utilisés très prochainement. QQ Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

Références

◗tLes

patients immunodéprimés présentent un risque élevé d’infection à CMVH qui peut se compliquer de maladie à CMVH avec atteinte d’organe. ◗tLa PCR quantitative (charge virale) est l’outil de surveillance post-transplantation. ◗tLes traitements antiviraux actuels sont limités et présentent des toxicités hématologiques et rénales, avec risque d’émergence de mutation résistance. ◗tDe nouveaux antiviraux ont montré leur efficacité dans les études cliniques mais leur utilisation devra s’accompagner d’une surveillance de l’émergence de résistance.

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 515 • SEPTEMBRE-OCTOBRE 2019

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