Passerelle clinique
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Imagerie de la Femme 2008;18:244-246 © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Passerelle clinique
Que fait-on en cas de suspicion de rupture intraou extracapsulaire d’un implant mammaire ? Jean-Pascal Fyad 1, 2, Hicham Mezzine 2, Jean-Baptiste Olivier 2, Frédéric Marchal 2, Jean-Luc Verhaeghe 2, François Guillemin 2 1. 17, place de la Carrière, 54000 Nancy. 2. Unité de chirurgie, Centre Alexis Vautrin, avenue de Bourgogne, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy. Correspondance : J.-P. Fyad, à l’adresse ci-dessus. Email :
[email protected]
«U
ne prothèse mammaire remplie de gel de silicone a une durée de vie que l’on ne peut estimer a priori puisqu’elle dépend de l’éventuelle survenue de complications. » [1]. Cette mise en garde de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé) a le mérite de poser clairement le problème de la durée de vie des implants utilisés en reconstruction (après cancer), comme en esthétique (augmentation). Cette question est au centre de l’information donnée par le chirurgien. Elle est régulièrement posée au radiologue qui doit dire s’il y a rupture et si le gel a franchi la capsule : de sa réponse dépend en partie la décision d’explantation. Ici encore, radiologue et chirurgien doivent partager avec intelligence l’information donnée à la patiente car, en l’absence de directive réglementaire, la décision de changer ou de conserver l’implant sera prise au cas par cas !
Introduction Les trois questions clés à poser avant de commencer sont les suivantes : 1. Quel est le produit de remplissage de l’implant (sérum ou silicone) ? 2. À quelle date a été posé l’implant ? 3. Y a-t-il des signes cliniques récents qui motivent l’examen ?
Produit de remplissage Le problème de la rupture ne se pose que pour les implants remplis de gel de silicone. En effet, pour l’implant rempli de sérum salé, la rupture se manifeste par une perte de volume brutale et complète du sein ; le diagnostic est donc clinique. La rupture est indolore et sans conséquence pour le sein et la femme (en dehors de la gêne esthétique !). Ainsi, un implant rempli de sérum dont le volume n’a pas changé est forcément intact.
Date d’implantation Elle va donner une idée sur le type d’implant utilisé. Avant 1970, les implants avaient une enveloppe épaisse et un gel visqueux. Entre 1970 et 1990, les enveloppes se sont affinées, étaient plus souples, plus fragiles ; la silicone était plus filante. C’est durant cette période que le taux de rupture est le plus important. Entre 1995 et 2001, en Europe, seuls les implants remplis de sérum étaient autorisés (sauf dérogation spéciale pour reconstruction mammaire). Depuis le 1er janvier 2001, dans toute l’Union européenne, le gel utilisé est dit « cohésif », afin d’éviter sa dispersion en cas de rupture. Le gel a une consistance molle, façon gummy bear pour les Américains, « fromage à
pâte molle » pour les Français. Même rompue, l’enveloppe ne laisse plus le gel « s’écouler ». Ceci a des conséquences importantes sur la sémiologie radiologique [2].
Circonstances de découverte variables En l’absence de signe de rupture, c’est le plus souvent une mammographie ou une échographie, réalisées dans le cadre d’un dépistage systématique ou d’une surveillance après cancer du sein, qui vont montrer des anomalies au sein du parenchyme, au contact de l’implant (rupture extracapsulaire). Si la rupture est soupçonnée devant la présence de signes cliniques, les examens standard doivent être complétés par une IRM. Ces signes cliniques d’appel sont les suivants : • une modification récente de la forme du sein ou de sa consistance ; • une masse palpable (siliconome = granulome à corps étranger) ; • une douleur ; • une zone inflammatoire du sein ; • des adénopathies.
Que fait-on en l’absence de signes radiologique et clinique de rupture ? Le radiologue a un rôle de conseil ; il doit rappeler les règles suivantes :
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J.-P Fyad et al.
• on ne doit pas changer systématiquement un implant au bout de dix ans. Aucune directive ne fait cette recommandation ; • la surveillance est strictement clinique. La recherche régulière d’une rupture par des examens radiologiques ne se justifie pas. En particulier, une IRM n’est réalisée que si une explantation est envisagée ; • un examen clinique doit être réalisé tous les cinq ans par le chirurgien (recommandations Afssaps [1]) ; • les mammographies de dépistage répondent aux mêmes indications que pour la population générale (dépistage à partir de 50 ans).
intra- ou extracapsulaire doit être recherché. Ce critère peut déterminer l’attitude du chirurgien.
Quelle différence entre rupture intra- et extracapsulaire ? Anatomie de l’implant normal Il est constitué d’une enveloppe en élastomère de silicone remplie d’un gel de silicone. L’enveloppe, depuis 2001, est trilamellaire. Elle est donc imperméable aux molécules les plus fluides du gel (pas de transsudat). L’enveloppe est la première barrière entre le gel et le sein.
bre de cas (11 %). Parfois asymptomatique, la rupture extracapsulaire est à l’origine de réactions inflammatoires locales (granulome) ou régionales (adénopathies), inquiétantes mais sans gravité. Cependant, depuis 2001, les implants utilisés dans l’Union européenne sont fabriqués avec un gel très cohésif qui éviterait l’extravasation en cas de rupture. La séméiologie radiologique de ces ruptures n’a pas encore fait l’objet de publications.
Faut-il retirer un implant rompu ? Du point de vue réglementaire
Qu’est-ce que la capsule ?
Que fait-on en cas de découverte fortuite sur une mammographie ? La mammographie va révéler une rupture extracapsulaire (les ruptures intracapsulaires sont difficiles à mettre en évidence sur les mammographies). L’IRM permettra d’étayer le diagnostic et de quantifier l’extravasation. Un avis chirurgical doit être demandé. Ces informations permettront au chirurgien de donner une information claire et précise à la patiente. En cas d’abstention chirurgicale, le radiologue pourra être amené à quantifier l’évolution de l’extravasation dans le temps.
Que fait-on en cas de signes cliniques évoquant une rupture ? Mammographie et IRM sont les examens de référence [2]. L’IRM a une sensibilité de 89 % et une spécificité de 97 % [3]. Sa valeur prédictive positive est de 99 %, mais sa valeur prédictive négative n’est que de 79 %. De ce fait, en cas d’IRM négative mais en présence de signes cliniques suspects (tels que des adénopathies), une ponction ou une biopsie ganglionnaire seront tout de même nécessaires. La présence de gouttelettes de silicone au sein du ganglion signe la rupture. En cas de suspicion ou en cas de signes francs sur l’IRM, le caractère
C’est une réaction cicatricielle commune à tout corps étranger implanté. On retrouve ainsi une capsule autour de tous les implants mammaires, les chambres implantables, les pacemakers… Elle se présente sous la forme d’une membrane blanche nacrée, lisse, adhérant intimement aux tissus sains. Elle peut parfois se rétracter : c’est la coque qui comprime la prothèse mammaire et peut la déformer (plis). La capsule est la deuxième barrière entre le gel et le sein.
Rupture intracapsulaire Elle représente 70 à 90 % des ruptures [4]. Le gel sort de l’enveloppe, mais reste confiné dans l’espace entre enveloppe et capsule. La rupture est, dans ce cas, peu ou pas symptomatique puisqu’il n’y a pas de contact entre le gel et la glande.
Rupture extracapsulaire Elle représente 10 à 30 % des ruptures. Sous l’effet d’une forte pression (traumatisme, décubitus ventral, mammographie), le gel sorti de son enveloppe rompt la capsule et pénètre dans le tissu graisseux du sein. La rupture extracapsulaire serait donc une complication de la rupture intracapsulaire. Une fois constituée, l’extravasation extracapsulaire progresserait peu et seulement dans un petit nom-
Aucun texte n’impose le retrait d’un implant usé en France et dans l’Union européenne (contrairement aux États-Unis). La réglementation européenne des dispositifs médicaux s’appuie sur la directive 93/42/CEE. Les implants mammaires, comme les prothèses articulaires de hanche, genou ou épaule, font partie de la classe III « à risque potentiel critique ». Le choix de cette classification a été justifié par la mise en place d’un système complet d’assurance qualité auprès des fabricants. L’idée générale concernant les dispositifs médicaux est que, « les risques éventuels liés à leur utilisation constituent des risques acceptables au regard des bienfaits apportés au patient » (notion de rapport bénéfice/risque).
Du point de vue du fabricant [5] « Le gel de silicone (polydiméthylsiloxane [PDMS]) peut imbiber l’enveloppe et la fragiliser. Elle peut finir par se déchirer, répandant le gel dans la cavité de cicatrisation qui se trouve autour de la prothèse. Cette cavité peut se fissurer à son tour ; le gel de silicone se répand alors dans les tissus voisins. Le gel contient des huiles non toxiques, mais non dégradables qui seront progressivement isolées par enkystement (tumeur à corps étranger) et des ganglions inflammatoires peuvent apparaître. […] Le PDMS n’a pas d’effet mutagène ou carcinogène, […] il ne provoque pas de connectivite ni de per-
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Que fait-on en cas de suspicion de rupture intra- ou extracapsulaire d’un implant mammaire ?
turbation des marqueurs de l’immunité. Il n’est pas dangereux pour la descendance (gestation, allaitement). […] Les données cliniques et la composition chimique du gel ne donnent aucune preuve d’un effet biologique significatif lié à son utilisation. » Enfin, le fabricant, « s’attend à ce que la durée de vie de l’implant soit de dix ans en l’absence de signe de rupture ».
Du point de vue du chirurgien Selon le chirurgien, rupture n’est pas synonyme d’explantation [6]. Si la découverte est fortuite et que la rupture est extracapsulaire, l’explantation est recommandée afin d’éviter la dispersion du gel dans le sein et dans les collecteurs lymphatiques. Si la découverte est fortuite et que la rupture est intracapsulaire, l’abstention peut se discuter. La patiente doit être informée du risque d’évolution vers une forme extracapsulaire (encore moins fréquente avec les gels cohésifs utilisés depuis 2001) et de ses conséquences. Ce risque doit être mis en balance avec ceux d’une réintervention pour changement d’implant (risques septique, anesthésique, esthétique, coût).
En cas de signes cliniques amenant à découvrir la rupture, l’explantation est vivement recommandée.
de maintien ou de remplacement de l’implant. Radiologue et chirurgien doivent l’aider en apportant chacun, de manière prudente et concertée, une information claire, loyale et adaptée.
Conclusion Dans tous les cas, la patiente est la seule à pouvoir prendre une décision
Références [1]
Points à retenir • L’implant mammaire est un dispositif médical dont la durée de vie ne peut être déterminée a priori. Son usure est obligatoire et variable. • Le gel de silicone est un biomatériau plutôt bien toléré. Il ne provoque ni cancer ni connectivite. • L’IRM est l’examen de choix pour le diagnostic de rupture intra- ou extracapsulaire. • La surveillance à long terme d’un implant mammaire est uniquement clinique. L’IRM ne se justifie qu’en cas de suspicion de rupture et si une décision d’explantation est à prendre. • Rupture ne signifie pas systématiquement changement de l’implant. La décision est prise par la patiente après information claire, loyale et adaptée.
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Afssaps. Informations relatives aux implants mammaires, 9 janvier 2004. Données disponibles à l’adresse suivante : http://agmed.sante.gouv.fr/htm/10/implant/reco.htm Gorczyca DP, Gorczyca SM, Gorczyca KL. The diagnosis of silicone breast implant rupture. Plast Rec Surg dec 2007;120(Suppl. 1):49-61. Hölmich LR, Vejborg I, Conrad C, Sletting S, McLaughlin JK. The diagnosis of breast implant rupture: MRI findings compared with findings at explantation. Eur J Rad 2005;53:213-25. Brown SL, Silverman BG, Berg WA. Rupture of silicone-gel breast implants: Causes, sequelae, and diagnosis. Lancet 1997;350:1531-7. Dossier de gestion des risques, implants mammaires Monobloc-Silicone SoftOne. Laboratoire Arion. Date de révision 23/03/08. Hölmich LR, Vejborg IM, Conrad C, Sletting S, Høier-Madsen M, Fryzek JP, et al. Untreated silicone breast implant rupture. Plast Rec Surg 2004;114:204-14.