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FAITES LE POINT
Quels sont les véritables avantages de la titration intraveineuse de morphine en postopératoire ? Hawa Keïta-Meyer La titration intraveineuse de morphine est une technique aujourd’hui largement utilisée pour la prise en charge précoce de la douleur postopératoire en salle de surveillance postinterventionnelle (SSPI). Elle consiste en l’administration de petites doses de morphine à intervalle régulier et permet d’obtenir une analgésie rapide et adaptée au patient, tout en garantissant les meilleurs conditions de sécurité. L’objectif de cet article, est de faire le point sur les véritables avantages de la titration intraveineuse de morphine en post-opératoire à savoir : – l’adaptation à la variabilité intra et inter-individuelle des besoins en morphiniques ; – un compromis satisfaisant entre délai et durée d’action de la morphine titrée ; – l’efficacité et la sécurité de la technique sous réserve du respect de certaines règles ; – l’adaptation possible à des cas spécifiques comme la pédiatrie, le sujet âgé, la chirurgie ambulatoire, ou le patient insuffisant rénal. L’ADAPTATION À LA VARIABILITÉ INTRA ET INTER-INDIVIDUELLE DES BESOINS POSTOPÉRATOIRES EN MORPHINIQUES Ce sont des arguments d’ordre pharmacologiques qui justifient la titration. En effet, des facteurs pharmacocinétiques et pharmacodynamiques sont responsables d’une grande variabilité inter et intra-individuelle pour les besoins en morphiniques postopératoire. Ainsi, la valeur de la concentration plasmatique minimale efficace (CME) qui correspond à la concentration minimale pour laquelle les effets cliniques attendus sont observés varie d’un sujet à l’autre d’un facteur 1 à 5 [1]. Cette notion de CME, de même que le concept de dose de charge sont essentielles pour comprendre l’intérêt de la titration. Cette technique, qui consiste en l’administration de doses bolus à intervalle régulier permet de réaliser une dose de charge et d’atteindre la concentraDépartement d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital BichatClaude Bernard, Paris.
tion plasmatique efficace le plus rapidement possible pour assurer au mieux (ni trop, ni trop peu) l’analgésie. La dose de charge ou dose de titration (DT), nécessaire pour obtenir la CME peut-être calculée pour un certain nombre de morphiniques et tient compte du volume de distribution (VD) (tableau I) [2] dose de charge ou DT = CME X VD. Exemple : pour la morphine, la CME est de l’ordre de 16 ng/ml, soit une dose de charge de 7,5 à 15 mg pour un(e) patient(e) de 75 kg. Ces doses de charge sont assez proches de la réalité clinique et ce rapport de 1 à 2 justifie déjà à lui seul une adaptation précise de la dose à administrer au patient. UN COMPROMIS SATISFAISANT ENTRE DÉLAI ET DURÉE D’ACTION DE LA MORPHINE TITRÉE Parmi les opiacés pour lesquels une administration titrée est intéressante, on trouve principalement l’alfentanil, le fentanyl et la morphine. Pour chacun de ces agents, les avantages et les inconvénients sont les suivants : – l’alfentanil a une latence d’action rapide (1 minute) et un pic de concentration cérébrale très court (2 minutes), ce qui permet d’atteindre rapidement le niveau d’analgésie souhaité. Pour autant, la durée d’action trop brève de l’alfentanil ne permet pas de satisfaire le concept de dose de charge (fig. 1) ; – le fentanyl a un délai d’action relativement court (2 minutes) et un pic de concentration cérébrale plus lent (4 minutes) mais sa durée d’action est relativement brève après administration de faibles doses, en raison de son large volume de distribution ; en revanche, cela expose au risque de recirculation après administration successive de bolus successifs ; – la morphine atteint plus lentement un pic de concentration cérébrale efficace après administration intraveineuse (5 à 6 minutes) mais sa durée d’action prolongée (96 minutes) est un avantage certain pour le maintien d’une analgésie adéquate (fig. 1). De plus, pour satisfaire aux concepts de dose de charge et de continuité thérapeutique, il est préférable de garder la même molécule pour la titration et pour l’entretien de l’analgésie postopératoire. Pour l’ensemble de ces arguments, la morphine reste aujourd’hui l’agent de référence pour la titration même si en pratique, le délai de
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302 Tableau I Concentration minimale efficace (CME), volume de distribution (VD) et dose de charge de différents morphiniques [2]. Produit morphinique
CME (ng/ml)
VD l/kg
DC (mcg/kg)
Morphine
16
3,2
100-200
Péthidine
455
4,3
1 000-2 000
Fentanyl
1
4,7
1-2
0,04
2,2
0,1-0,2
Sulfentanil
soulagement des patients est parfois long avec en moyenne trois bolus, et des extrêmes de un à 12 [3]. Dans un autre travail, la durée moyenne pour l’obtention d’une analgésie efficace (délai entre l’arrivée en SSPI et l’obtention d’une échelle visuelle analogique (EVA) < 3) après prothèse totale de hanche était de 76 ± 7 minutes, avec des extrêmes à 35 et 150 minutes [4]. Cette relative latence d’efficacité a amené des équipes à évaluer l’intérêt d’une titration débutée au bloc [4], d’une dose de charge en début de titration [5], ou mieux cibler les populations nécessitant une dose titrée importante [6]. L’EFFICACITÉ ET LA SÉCURITÉ DE LA TECHNIQUE SOUS RÉSERVE DU RESPECT DE CERTAINES RÈGLES À condition de mettre en place des procédures écrites définissant les éléments suivants, la titration de la morphine est une technique efficace et sûre : Dose unitaire – Intervalle entre deux bolus – Quand débuter une titration – Éléments d’évaluation, de surveillance et
Intervalle entre deux bolus D’un point de vue pharmacocinétique, l’intervalle optimal entre deux bolus doit tenir compte de la latence d’action
Effet maximum (%)
Morphine
80
Alfentanil Dose (%)
Dose unitaire Pour définir la dose unitaire ou dose bolus, des extrapolations ont été faites à partir des rares études concernant le bolus d’une PCA ou la pharmacocinétique de la titration morphine. On admet que le bolus doit être supérieur à 0,5 mg chez l’adulte, sinon le taux plasmatique ne peut pas augmenter assez rapidement [1]. Les doses bolus recommandées dans la littérature varient entre 1 et 5 mg de morphine. Le bolus de 3 mg est le plus souvent utilisé (recommandations AP-HP) et semble satisfaire au concept de dose de charge [2]. En raison d’une augmentation de la sensibilité à la morphine avec l’âge [7, 8], on propose une réduction des bolus à 2 mg au-dessus de 65 ans, voire à 1 ou 0,5 mg chez les sujets très âgés [7].
100
100
60 40 20 0
critères d’arrêt de la titration – Doses limites ou doses d’alertes pour la titration.
0
60
120
180
Temps (minutes)
240
80 60 40 20 0
0
60
120
180
240
Temps (minutes)
Figure 1. Comparaison des concentrations plasmatiques et des concentrations au niveau du compartiment effecteur de l’alfentanil et de la morphine. Si les cinétiques plasmatiques et cérébrales de l’alfentanil sont assez proches, celles de la morphine sont complètement différentes expliquent la durée d’action prolongée de la morphine [2].
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Contraction Minimale Efficace
100% 80%
0% Temps
Figure 2. Relation théorique entre la concentration minimale efficace (CME) et le temps. L’intervalle « a » mesure le délai d’action, le temps nécessaire pour parvenir à une concentration égale à 80 % de la CME. L’intervalle « b » mesure la durée d’action du morphinique, traduisant le temps pendant lequel la concentration efficace reste supérieure à 80 % de la CME. Les valeurs de a et b sont connues pour de nombreux morphiniques [2].
de l’agent utilisé. Cet intervalle ne doit pas être inférieur à la latence de la drogue utilisée afin d’éviter une majoration du risque de surdosage si une nouvelle dose est injectée avant que la première n’ait eu le temps de développer 80 % de son effet maximal (fig. 2). De fait, l’intervalle théorique entre deux bolus de morphine se situe entre 5 et 6 minutes. La plupart des protocoles utilisent des intervalles allant de 5 à 10 minutes [1, 2]. Il semblerait que l’intervalle de 5 minutes sans dose plafond permet une analgésie plus efficace et plus rapide que celui de 10 minutes [3]. Quand débuter une titration ? Pour initier une titration morphine, il faut tenir compte de deux paramètres essentiels : le niveau de douleur et le niveau de conscience du patient. La titration débute lorsque les patients décrivent une douleur dont l’intensité est supérieure à un seuil fixé préalablement sur une des échelles d’autoévaluation unidimensionnelle comme l’EVA, l’EN (échelle numérique) ou l’EVS (échelle verbale simple). Des scores de douleur au-delà de 30 mm ou 40 mm d’EVA ou d’EN sont empiriquement retenus par de nombreux auteurs et ont été repris par le jury de la Conférence de Consensus sur la pris en charge de la douleur postopératoire [9]. L’hétéro-évaluation à l’aide d’une échelle comportementale (HEC) est parfois la seule méthode qui permet à l’infirmière de débuter une titration et de calmer rapidement un patient agité en raison de troubles de la communication ou d’une douleur trop intense. La titration n’est débutée que si le patient est éveillé, c’està-dire avec un score de sédation (SS) ≤ 1 sur une échelle de
0 à 3 (0 = patient éveillé ; 1 = patient somnolent avec intermittence mais facilement éveillable ; 2 = patient somnolent la plupart du temps, éveillable par stimulations verbales ; 3 = patient somnolent la plupart du temps, éveillable par stimulation tactile) [2, 9, 10]. D’autres préconisent un score de Ramsay de niveau 1 ou 2 [3]. Éléments d’évaluation, de surveillance et critères d’arrêt de la titration La titration de morphine se fixe un objectif : obtenir une bonne analgésie sans effets secondaires. Pour cela, il faut monitorer trois paramètres : la douleur, la sédation et la fréquence respiratoire. En sus de la sédation qui peut précéder une dépression respiratoire, d’autres effets adverses potentiellement moins graves mais parfois gênants peuvent entraîner l’arrêt de la titration. Il s’agit principalement des nausées et vomissements, de la rétention urinaire, des troubles comportementaux (euphorie), du prurit ou des manifestations allergiques. L’évaluation de l’efficacité thérapeutique utilise des outils validés, faciles et rapides à utiliser. Si l’EVA est la méthode de référence [9], l’échelle la plus adaptée à l’évaluation répétée de la douleur notamment en postopératoire immédiat en SSPI, semble être l’EN car elle ne nécessite pas de support, contrairement à l’EVA que la sédation peut rendre de réalisation délicate [11]. Un travail récent va dans ce sens. Des infirmières, préalablement formées à l’utilisation de différentes échelles d’évaluation (EVA, EN, EVS, et HEC), ont été interrogées sur l’usage de celles-ci chez 600 patients admis en SSPI. L’EVA n’était utilisée que chez la moitié des patients et la préférence des infirmières (et des patients) allait à l’EN. Parmi les raisons de non-utilisation de l’EVA, on retrouvait dans 50 % des cas des causes liées aux patients (troubles de communication et de compréhension, douleur trop importante ne permettant pas de répondre à l’évaluation) [12]. On peut choisir l’une ou l’autre des échelles puisqu’il a été démontré une bonne corrélation entre l’EN et l’EVA [11], mais, quelle que soit l’échelle retenue, on est souvent confronté à des difficultés d’évaluation de la douleur en SSPI, pour plusieurs raisons : sédation et analgésie résiduelle des agents de l’anesthésie, mélange de désorientation spatio-temporelle et d’angoisse chez le patient. Dans certains cas, l’évaluation du patient diffère de celle du thérapeute qui, sur des éléments comportementaux (agitations, plaintes spontanées), peut constater la réduction de la douleur alors que le patient ne décrit pas d’amélioration. Dans ces cas, seule l’expérience, la patience et l’évaluation répétée peuvent permettre d’ajuster au mieux la thérapeutique. L’évaluation du niveau de sédation est indispensable au cours de la titration morphine. L’apparition d’une sédation représente le premier signe de surdosage et il faut parfois l’évaluer à l’aide d’un score simple (SS de 0 à 3). Il est
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recommandé d’arrêter la titration pour un score SS ≥ 2 [2]. Ils interfèrent avec l’analgésie et peuvent provoquer des douleurs. Le traitement repose sur des neuroleptiques Dans un travail récent, la sédation excessive (SS ≥ 2) était comme le dropéridol (1 à 2 mg) ou des antisérotoninergiune cause d’arrêt de titration morphine pour 16 % des ques comme l’ondansétron. Comme pour l’analgésie autopatients âgés de moins de 65 ans recevant des bolus de contrôlée, on peut envisager un traitement préventif avant 3 mg (n = 254) et pour 22 % des patients plus de 65 ans de débuter une titration morphine, notamment s’il existe recevant des bolus de 2 mg (n = 45). L’incidence de cet des facteurs prédictifs de nausées et vomissements posteffet indésirable n’était pas significativement différente opératoire (NVPO). Ces facteurs de risques sont en plus de entre les deux groupes [13]. Toutefois, si la survenue d’une l’utilisation postopératoire d’opiacés : le sexe féminin, sédation doit entraîner l’arrêt de la titration car elle doit l’absence de tabagisme, les antécédents de mal des transfaire craindre l’apparition d’un surdosage, elle n’est pas touports ou de NVPO lors d’une anesthésie antérieure [17]. jours synonyme de soulagement de la douleur comme le La rétention urinaire est un effet indésirable classique de suggère le travail de Paqueron et coll. Dans cette étude, les l’administration intraveineuse de la morphine. L’essentiel auteurs ont montré qu’au cours d’une titration, lorsque les des données dont on dispose concerne l’analgésie autopatients s’endormaient (Ramsay > 2), on observait dans les contrôlée par le patient et l’incidence de la rétention uri30 minutes qui suivent l’arrêt de la titration, une majoration naire dans ce contexte est de l’ordre de 18 %. Dans un de la sédation (mesurée par l’indice bispectral-BIS) alors travail récent, son incidence en postopératoire immédiat que l’EVA restait à 47 ± 19 mm. De plus, parmi les patients était de 16 % et n’était pas majorée par une titration morqui s’endormaient, 3 sous-groupes étaient identifiables. Dans phine en SSPI [18]. le premier sous-groupe (48 % des patients), l’EVA diminuait Doses limites ou doses d’alertes pour la titration ? constamment jusqu’à devenir inférieure ou égale à 30 mm. Compte tenu de la variabilité interindividuelle et de la zone Dans le deuxième sous-groupe (27 % des patients), l’EVA thérapeutique étroite, il n’y a pas de diminuait dans la demi-heure suivant nombre de bolus limite pour la titral’arrêt de la titration mais restait entre tion de la morphine. Il a d’ailleurs été 30 et 50 mm. Enfin, dans le troisième La titration débute lorsque démontré que l’absence de plafond sous-groupe (25 % des patients), l’EVA EVA > 30 ou 40 et SS ≤ 1. permettait de soulager un plus grand ne baissait pas et restait au-dessus de nombre de patients [3]. Dans le cas 50 mm pendant les 30 minutes qui d’un plafond à 15 mg, 24 % des suivaient l’arrêt de la titration [14]. Ce patients quittaient la SSPI avec une douleur > 4/10 sur l’EVA travail montre donc qu’au moment où les patients s’endor[3]. En revanche, fixer une dose d’alerte, au-delà de ment en cours de titration morphinique, leur douleur peut laquelle l’avis du médecin sera requis pour continuer la rester encore relativement élevée et qu’une douleur intense titration et/ou administrer une autre classe d’analgésique (EVA > 50 mm) persiste chez 25 % d’entre eux. Au final, paraît plus intéressant et semble s’imposer de plus en plus. seuls 48 % des patients qui se sont endormis, se réveillent Cette dose d’alerte peut être fixer à 10 ou 15 mg puisque la soulagés. Que faut-il faire pour analgésier ces patients qui dose moyenne de morphine titrée rapportée dans la littérarestent douloureux après la phase de sédation ? En ture pour soulager les patients est proche de ces valeurs l’absence de données analysables, la prudence recom[1, 2, 13, 19]. mande de ne pas poursuivre la titration chez un patient somnolent afin de ne pas l’exposer à un risque plus important de dépression respiratoire. Si on peut envisager de L’ADAPTATION POSSIBLE À DES CAS SPÉCIFIQUES reprendre la titration une fois que le patient est réveillé, il est plus avisé d’avoir recours à d’autres classes d’antalgiTitration chez l’enfant ques (antalgiques non morphiniques) ou à l’analgésie locoLa pharmacocinétique de la morphine IV a fait l’objet de régionale si celle-ci est possible et si elle n’a pas été réalisée nombreux travaux dans différentes populations pédiatriavant la titration. ques. Sa demi-vie plasmatique est prolongée chez le nouLa dépression respiratoire, autre signe de surdosage lors de la veau-né et le prématuré à cause de l’immaturité hépatique, titration morphine doit être recherché par une évaluation syspuis sa clairance augmente ensuite considérablement au tématique de la fréquence respiratoire [10]. Le seuil d’arrêt de cours des trois premiers mois de vie, pour atteindre des la titration varie de 8 à 12/minutes en fonction des auteurs valeurs identiques, puis supérieures à celle de l’adulte, chez [15]. l’enfant d’âge préscolaire [20]. Le principe de la titration Les nausées et vomissements sont des effets indésirables morphine convient parfaitement à l’analgésie postopérafréquents au cours de la titration. Leur incidence varie dans toire chez l’enfant. Elle se fait habituellement par un bolus la littérature entre 10-15 % et 1/3 des patients traités [16]. initial de 100 µg/kg, suivi de bolus de 25 µg/kg toutes les
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10 minutes. Il faut diviser ces doses par deux chez le nouveau né et le nourrisson de moins de 3 mois [21]. La douleur sera évaluée par une échelle comportementale ou une échelle d’auto-évaluation chez les plus grands. Les précautions pour la détection des effets secondaires (sédation excessive, bradypnée) seront habituelles [2]. Le relais est ensuite pris soit par une PCA (à partir de 6-7 ans), soit par une administration continue par voie intraveineuse, soit encore par une administration par voie orale à intervalle fixe de toutes les 4 heures [21].
des périodes plus longues. Enfin, si les résultats de ce travail sont en faveur du maintien d’un bolus de 3 mg chez le sujet âgé, ils ne permettent pas de conclure sur l’utilisation d’un tel protocole chez le grand vieillard (85 ans et plus), cette tranche d’âge étant faiblement représenté dans ce travail (< 5 %). Dans le même temps, notre équipe a comparé la qualité de l’analgésie et l’incidence des sédations excessives (score de sédation > 1 sur une cotation de 0 = éveillé à 3 = somnolent, éveillable par stimulations tactiles) pour deux groupes de patients lorsque le bolus était adapté à l’âge (2 mg si > 65 ans ou 3 mg si ≤ 65 ans). Les deux groupes de patients Titration chez le sujet âgé étaient comparables pour les éléments de l’analgésie, à On recommande habituellement recommandé une réducsavoir : tion des doses de morphiniques chez les sujets âgés en – les scores de douleur initiaux ; raison d’altérations pharmacocinétiques et pharmacodyna– le nombre de bolus pour obtenir une analgésie satisfaimiques liées aux modifications anatomiques et physiologisante (EN < 4, 3 ± 1 bolus dans les 2 groupes) ; ques en rapport avec le vieillissement [22, 23]. Ces différents – la cinétique d’évolution des score de douleur (évaluée par éléments rendent les sujets âgés plus sensibles à l’action l’aire sous la courbe des EN en fonction du nombre de analgésique des morphiniques mais également plus vulnébolus administré) ; rables à leurs effets indésirables. La titration de la mor– le pourcentage d’échec de titration (% de patients ayant phine est un excellent moyen de s’adapter aux besoins du une EN inchangée après 5 bolus). patient et de réduire les risques de surL’incidence des sédations excessives dosage. Pour autant, doit-on conserver était similaire entre les sujets âgés et le même protocole quelque soit l’âge En pratique, la titration les plus jeunes (22 % et 16 % respectidu patient ? Cette question partage les morphinique n’est pas vement). praticiens car les données permettant contre-indiquée chez Ce travail montre qu’une réduction des d’y répondre sont peu nombreuses. l’insuffisant rénal sévère, doses bolus à 2 mg chez les sujets âgés Dans un travail récent comparant mais elle doit être prudente. donne une qualité d’analgésie comparadeux groupes de patients de 45 ble à celle des patients plus jeunes rece± 15 ans et 76 ± 6 ans, Aubrun et al., vant un bolus de 3 mg [13]. Ces ont pu montrer qu’il n’était pas nécesrésultats peuvent s’expliquer en partie par une diminution saire de réduire les doses bolus chez les sujets âgés. Le significative de la clairance de la créatinine dans le groupe protocole de titration était adapté au poids du patient des patients de plus de 65 ans (54,8 ± 21 ml/min) vs les (2 mg si < 60 kgs ou 3 mg si > 60 kg, toutes les 5 minupatients plus jeunes (85 ± 15,5 ml/min) avec possiblement tes), sans dose maximale, avec relais sous-cutané à deux une accumulation des métabolites actifs de la morphine (cf heures. L’EVA initiale était identique entre les deux grouinfra). pes. La cinétique d’évolution des scores de douleur était D’autres études avec des collectifs plus importants sont également similaire. De même, le pourcentage de patient nécessaires avant de recommander définitivement, tant soulagés était le même dans le groupe jeune ou plus âgé. d’un point de vue de l’analgésie que des effets secondaires La dose de morphine lorsqu’elle était rapportée au poids l’administration de bolus de 3 mg chez les sujets âgés. (mg/kg) n’était pas différentes entre les deux groupes, ni l’incidence des effets secondaires, y compris la sédation. En revanche, le séjour en SSPI était prolongée chez les patients âgés en SSPI. Les résultats de cette étude vont donc dans le sens d’un maintien de la dose de morphine chez les sujets âgés, ce qui n’est pas en accord avec les données pour la période postopératoire des premières 24 h et plus [7, 8]. Une des hypothèses pour expliquer cette différence serait que sur la courte période de la titration morphine en SSPI, les modifications pharmacocinétiques liées au vieillissement jouent un rôle moins important que pour
Titration chez l’insuffisant rénal Chez ces patients, outre la clairance totale de la morphine qui est diminuée proportionnellement à la sévérité de l’atteinte rénale, il existe une accumulation de métabolites actifs, principalement la morphine-6-glucuronide (M6G). L’activité analgésique de ce dernier est entre 8 et 40 fois supérieur à celle de la morphine native et sa demi-vie est également plus longue que cette dernière. Il s’élimine par voie rénale et s’accumule en cas de réduction même
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306 modeste du débit de filtration glomérulaire [24]. En cas d’insuffisance rénale sévère, il existe donc des risques majeurs de surdosage car l’élimination du M6G peut demander plusieurs jours à plusieurs semaines. En pratique, la titration morphine n’est pas contre-indiquée chez l’insuffisant rénal sévère, mais elle doit être prudente et doit pouvoir être accompagnée d’une surveillance adéquate et prolongée. Le relais par une PCA n’est pas conseillé et l’administration par voie sous-cutanée doit s’effectuer « à la demande » [19]. Titration chez le patient ambulatoire On dispose, là encore, de relativement peu de données. Claxton et al. ont évalué l’intérêt du fentanyl par rapport à la morphine dans le contexte de l’ambulatoire, en partant de l’hypothèse selon laquelle cet agent ayant un délai d’action court, il pourrait permettre un contrôle rapide de la douleur et réduire les durées de prise en charge des patients. Cette étude a comparé chez 88 patients la titration de morphine (1 à 2 mg toutes les 5 minutes) avec celle de fentanyl (12,5 à 25 µg toutes les 5 minutes) après des interventions ambulatoires douloureuses. Les paramètres évalués étaient l’efficacité analgésique, l’incidence des effets secondaires, la durée de séjour en SSPI et l’impact sur l’aptitude à la rue. Les patients ont reçu une quantité équivalente de morphine et de fentanyl, pour des scores de douleur comparables à la sortie de la SSPI. Après leur arrivée dans le service, la douleur était plus marquée chez les patients du groupe fentanyl, ainsi que la consommation d’antalgiques per os. L’incidence des effets secondaires pendant l’hospitalisation était comparable dans les deux groupes. Les nausées et vomissements étaient plus fréquents à domicile dans le groupe morphine. La durée de séjour en SSPI et les délais de sortie du centre d’ambulatoire ont été les mêmes pour les deux groupes. Les résultats de cette étude montrent que la morphine donne une meilleure qualité d’analgésie que le fentanyl, sans augmenter les durées d’hospitalisation [25]. Cette étude suggère également l’intérêt d’une ordonnance de sortie avec des antiémétiques pour les patients titrés à la morphine. Ce dernier point est confirmé par un récent travail de Wong et al. [26]. qui ont montré que l’administration peropératoire de morphine améliorait (modérément mais significativement) l’analgésie par rapport à une titration classique en SSPI, mais que l’incidence des nausées et vomissements restait élevée et comparable dans les deux groupes tant à l’hôpital qu’au domicile. En pratique, on peut entreprendre une titration de la morphine chez les patients traités en hôpital de jour, à condition de respecter les critères de sortie de SSPI, puis secondairement les critères de sortie du centre de soins ambulatoire et de prévoir des antiémétiques au domicile.
Algorithme de titration iv de morphine Arrêt titration
≤ 30 mm
EVA ou EN (0-100)
> 30 mm Relais PCA ou 2h après fin titration: morphine souscutanée
Évaluation après 5 min
Titration IV de bolus de 3 mg (2 mg si poids ≤ 60 kg)
– FR < 10 – SpO2 < 95% – Score de Ramsay > 2 – Effets secondaires sévères : nausées-vomissements +++, allergie…
Arrêt titration
Figure 3. Algorithme proposé pour la titration intraveineuse de morphine en SSPI (salle de surveillance post-interventionnelle) [27].
CONCLUSION La titration de morphine est aujourd’hui une étape clé de la prise en charge de la douleur. En salle de surveillance postinterventionnelle, elle permet de soulager rapidement et avec efficacité la plupart des patients. Elle ne se conçoit que dans le respect strict de règles de sécurité incluant : une évaluation répétée de la douleur par une échelle d’auto-évaluation (EVA, EN ou EVS) ; une évaluation de l’état de conscience et une mesure de la fréquence respiratoire. Dans la mesure ou la titration morphine est réalisée dans la majorité des cas, par une infirmière en dehors de la présence d’un médecin, on recommande vivement de mette en place un protocole écrit avec un algorithme précis comportant la dose bolus, l’intervalle à respecter entre deux bolus, les valeurs limites de scores de douleur, de sédation et de fréquence respiratoire interdisant un nouveau bolus de morphine, la gestion des effets secondaires, la dose d’alerte et si celle-ci est atteinte, les alternatives thérapeutiques (fig. 3). Si on ne devait retenir qu’un avantage de cette technique, ce serait sans aucun doute son adaptation à la grande variabilité intra et inter-individuelle des besoins en morphiniques en postopératoire. ■
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Tirés à part : H. KEÏTA-MEYER, Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Bichat-Claude Bernard, 46 rue Henri Huchard, 75018 Paris e-mail :
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