© Masson, Paris, 2005
Ann Pharm Fr 2005, 63 : 10-16
Séance thématique organisée le 14 janvier 2004 par l’Académie nationale de pharmacie Recherche des anticancéreux : passé et présent A. Pierré* eux approches peuvent être distinguées dans la recherche de molécules antitumorales : une démarche classique, empirique, basée sur l’utilisation d’un nombre limité de modèles in vitro et in vivo et une autre, plus moderne, basée sur l’identification et la modulation de cibles moléculaires. Cette évolution est due principalement à l’explosion des connaissances dans le domaine de la biologie moléculaire du cancer. Elle a cependant été rendue possible, il ne faut pas l’oublier, par l’essor de l’informatique et les progrès réalisés en matière d’instrumentation, notamment en robotique. L’approche classique, assez réductrice en terme de physiopathologie, considérait la cellule tumorale comme une entité isolée de tout contexte. Elle consistait essentiellement à évaluer, sans a priori, des produits chimiques de synthèse ou des composés naturels, à travers des filtres, in vitro et in vivo. Elle pouvait toutefois être ciblée comme l’illustrent les exemples du méthotrexate et du 5-fluorouracile, deux antimétabolites qui ciblent des enzymes impliquées dans la synthèse des acides nucléiques. Cependant, ces cibles moléculaires sont impliquées surtout dans la prolifération de la cellule tumorale. L’évaluation se faisait de façon non ciblée, avec les essais in vitro sur une ou plusieurs lignées de cellules tumorales et des essais in vivo qui ont successivement fait appel à des modèles syngéniques puis à des xénogreffes de tumeurs humaines chez la souris immunodéprimée (greffe sous-cutanée
D
* Institut de recherche Servier, Département de cancérologie expérimentale, F78 Croissy. Tirés à part : A. Pierré, à l’adresse ci-dessus.
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puis orthotopique), et maintenant sur des modèles transgéniques. En l’absence d’une base rationnelle forte, l’indication clinique était recherchée, également de façon empirique, au cours des phases II d’essais cliniques. L’approche moderne considère la cellule tumorale dans son contexte, prenant en compte les interactions de cette cellule avec son environnement. Les cibles moléculaires sélectionnées sont impliquées plutôt dans la survie de cette cellule que dans sa prolifération. Les modèles pour les évaluations in vitro et in vivo sont choisis pour apporter la preuve du concept de départ et dans une pathologie bien déterminée. Enfin les indications cliniques les plus probables sont déterminées a priori.
Un exemple de démarche classique, empirique : la camptothécine et ses dérivés Pour en revenir à la découverte de médicaments antitumoraux selon la voie empirique l’exemple de la camptothécine est tout à fait intéressant, et ce à plus d’un titre. C’est en 1958 que débute son histoire [1, 2] avec le criblage d’extraits de Camptotheca acuminata sur des cellules KB. Le fractionnement du seul extrait cytotoxique sur ces cellules, puis actif in vivo sur la leucémie L1210, permettra l’isolement de la camptothécine dont la structure sera établie en 1966. Le large spectre d’activité antitumorale de ce composé établi vers la fin des années 60 conduira en 1970 aux premiers essais de phase I de son sel de sodium. En
Recherche des anticancéreux : passé et présent effet, la camptothécine étant très peu soluble sous forme lactonique (fermée), les investigateurs de l’époque avaient proposé la forme carboxylate (ouverte), soluble, pour les essais cliniques. En 1972 les essais de phase II réalisés sur ce même sel seront négatifs aux États-Unis, bien que positifs en chine. Quoi qu’il en soit, les essais ont été arrêtés du fait d’une toxicité sévère et non prévisible, notamment l’apparition de cystites hémorragiques. Fin 1985 c’est la découverte de la cible moléculaire de la camptothécine, la topoisomérase I, qui provoquera un regain d’intérêt pour cette classe de dérivés. Elle débouchera vers la fin des années 1980 sur la synthèse et l’enregistrement de dérivés plus solubles et possédant un cycle lactonique plus stable : l’irinotecan en 1994, utilisé en première ligne pour le cancer du côlon ; le topotecan en 1996, indiqué en seconde ligne pour le traitement du cancer de l’ovaire. Aujourd’hui une douzaine de dérivés sont en développement préclinique et clinique. Qu’en sera-t-il demain ? Une donnée essentielle à prendre en considération avec les dérivés de la camptothécine est l’équilibre qui existe en solution entre la forme lactone « active » et la forme carboxylate « inactive ». Cet équilibre en solution, représenté sur la figure 1 est déjà peu en faveur de la forme active à pH 7,6 mais il est encore bien plus défavorables en présence d’albumine plasmatique d’origine humaine puisque la forme lactonique active de la camptothécine ne représente plus que 0,2 % à l’équilibre. Les optimisations ultérieures ont donc essentiellement conduit à proposer des formes plus stables en présence de cette albumine. C’est le cas de l’irinotécan et du topotécan puisqu’ici la forme active est encore d’environ 20 %, un gain très net par rapport au produit initial. Cette stabilité lactonique atteint même les taux de 35 %-36 % dans la sérum albumine humaine ou le plasma avec le SN38 qui est le principe actif provenant du CPT11 sous l’action de carboxylestérases (fig. 2). De façon paradoxale, si c’est le mécanisme moléculaire qui a relancé l’intérêt des pharmacologues pour cette classe de produits naturels, leur optimisation s’est faite essentiellement sur leur solubilité et la stabilité du cycle lactonique. Une première génération, représentée par la camptothécine elle-même et la 9-aminocamptothécine
O
O
OH-
N
N
N
OH
N O HO
O-
+
H
HO
O
O
H 3C
H 3C
carboxylate inactif
Lactone active
pH = 5,6 91 % 7,1 27 % 7,6 12 % En présence de sérum albumine humain 7,4 0,2 %
9% 73 % 88 % 99,8 %
Figure 1. Équilibre des formes ouvertes et fermées de la camptothécine en fonction du pH. Equilibrium of the closed and opened forms of camptothecin at different pH.
CH3
N O
N
O N
O
N O HO
O
CPT-11 H 3C CH3 HO
O N N O HO
SN38
O
H 3C
Figure 2. L’irinotécan ou CPT-11 et son métabolite actif, SN-38. Irinotecan or CPT-11 and its active metabolite SN-38.
[3] est caractérisée par un cycle lactonique instable et une forte affinité pour l’albumine humaine, d’où une absence d’activité et un arrêt du développement. La seconde génération est représentée par les produits actuellement sur le marché, produits plus solubles, moins liés à l’albumine et ayant un cycle lactonique plus stable : ce sont l’irinotécan et le topotécan. Une troisième génération est celle des homocamptothécines comme le diflomotécan ou BN-80915 [4] et le BN-80927
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A. Pierré NH2 O N
F
O
N
N O HO
F
N O
O
H 3C
O
HO H 3C
9-amino campthotécine
BN 80915
H 3C N
R1
H 3C
R2
N Cl
O N
O
N
N O HO BN 80927
HO O
O
H 3C
H 3C
Figure 3. Analogues de camptothécine en développement. Campthotecin analogs under development.
[5], deux produits issus de la recherche des laboratoires Beaufour et co-développés avec Roche. L’agrandissement du cycle lactonique a augmenté encore sa stabilité, l’ouverture étant toujours possible mais irréversible. Une quatrième génération sera peut-être celle de dérivés ne comportant plus de lactone au niveau du cycle E, comme par exemple les dérivés cyclopenténoniques représentés sur la figure 3 [6], très stables et excellents inhibiteurs de topoisomérase I. À ce stade on peut se demander quel est le bilan clinique des deux produits déjà sur le marché, irinotécan et topotécan. La réponse est : un bilan mitigé, en terme d’activité antitumorale. L’activité curative, observée sur les modèles précliniques chez la souris (xénogreffes humaines) avec des schémas d’administration répétée, n’est malheureusement pas retrouvée chez l’homme. Pour expliquer ceci, deux hypothèses peuvent être avancées. L’une est celle de l’ouverture du cycle lactonique avec perte d’une grande partie du principe actif. L’autre est celle d’administration de doses trop faibles en clinique, qui ne permettent pas d’obtenir des concentrations plasmatiques actives. La dose maximale tolérée chez l’homme est en effet le 1/10 de celle chez la souris du fait d’une très forte sensibilité des cellules souches hématopoïétiques humaines par rapport aux murines [7]. Ceci souligne, une fois de plus les différences entre espèces animales et humaines, d’où la difficulté d’extrapoler les activités antitu-
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morales des systèmes expérimentaux aux tumeurs humaines. Quelles sont les perspectives en ce qui concerne cette classe de composés et d’une façon plus générale celles des médicaments cytotoxiques ? Pour répondre à cette question, on pourrait reprendre les déclarations du CEO de Novartis Pharma à propos du rachat du gimatecan (un dérivé de la camptothécine) « Cytotoxic remains a mainstay of cancer therapy and there is an unmet medical need for more effective, easier to administer and less toxic cytotoxic medicines for cancer patients ». En ce qui concerne les dérivés de la camptothécine, les approches traditionnelles et modernes sont en train de se rejoindre avec : — la suppression de la lactone et/ou l’identification de nouvelles familles chimiques inhibitrices de topoisomérases I (Lamellarin D, MJ-III-65, ARC-111). — la meilleure connaissance des mécanismes mis en jeu lors de la réponse cellulaire aux dommages de l’ADN induits par ces dérivés, ainsi que leur modification dans les cellules résistantes. De la compréhension de ces processus, on pourra peutêtre concevoir d’autres produits en série camptothécine, mais aussi associer de façon rationnelle de tels inhibiteurs de topoisomérase I à d’autres produits ayant un mécanisme d’action totalement différent.
La démarche moléculaire moderne : l’exemple du glivec Dans la recherche moderne de nouveaux médicaments antitumoraux ciblés, la première question qui se pose est celle de la sélection d’une cible moléculaire. Il s’agit là d’une question importante, puisque si les cibles sont pléthoriques, elles sont loin d’être toutes validées. Il faut ensuite disposer d’un test moléculaire au format HTS (high through put), permettant de cribler des dizaines de milliers de dérivés. On se dirige ainsi vers l’identification d’un « hit », une première molécule active vis-à-vis de la cible mais au niveau du micromolaire, voire plus. Cette identification peut reposer sur la modélisation lorsque la cible a été cristallisée, sur le criblage à haut débit de librairies de composés chimiques présentant, si
Recherche des anticancéreux : passé et présent possible, une bonne diversité moléculaire, et de façon plus classique, sur l’élaboration d’analogues, ou sur la combinaison de ces différentes approches. Par modifications structurales successives on aboutit à l’identification d’un lead, molécule qui présente une activité nettement plus marquée que le hit vis-à-vis de la cible et qui ressemble un peu plus à un futur médicament. La phase suivante est l’optimisation du lead en prenant en compte divers critères : solubilité, biodisponibilité, métabolisme… pour aboutir à un composé qui pourrait être un candidat médicament. Cette démarche est nouvelle par rapport aux approches plus classiques, en tout cas elle est mise en place de façon beaucoup plus précoce, ce sont les études du métabolisme in vitro avec les microsomes et de l’absorption sur le modèle cellulaire CaCo2 in vitro. La phase suivante est celle des essais cellulaires avec des lignées exprimant, n’exprimant pas ou surexprimant la cible considérée pour apporter la preuve du concept avant d’aborder rapidement d’autres modèles, plus représentatifs de la pathologie humaine que ces cellules « bricolées ». Des études de pharmacocinétique in vivo peuvent être réalisées assez précocement, de façon à déterminer, pour les cytostatiques que sont ces leads modernes, les concentrations qui permettront d’atteindre des taux plasmatiques suffisamment élevés pour l’activité in vivo. L’activité antitumorale in vivo sur les mêmes modèles que ceux utilisés in vitro apportera définitivement la preuve du concept avant d’expérimenter ces molécules sur des cancers sporadiques humains qui expriment la cible moléculaire considérée. La phase finale, peu différente de l’approche plus classique, sera la sélection des candidats pour le développement préclinique, qui comprend les études réglementaires de toxicologie, pharmacocinétique, sécurité. La cible moléculaire est donc la base de cette approche. La cible idéale peut être l’élément causal de la pathologie cancéreuse comme le gène BCR-ABL de leucémie myéloïde ou jouer un rôle essentiel dans le maintien du phénotype transformé ou de la progression tumorale, le « key switch », qui s’applique très bien à l’angiogenèse. Cette cible doit être exprimée chez une grande majorité de patients atteints d’un type de cancer,
ce qui est rarement le cas, ou alors exprimée dans une sous-population que l’on peut identifier (cf. Herceptin). Enfin, elle doit pouvoir être modulée, le plus souvent inhibée (« drugable target »), pour conduire à la mise sur la marché d’un médicament et si possible, être originale. La validation de la cible est l’élément clef, fondamental de cette approche. On peut distinguer trois niveaux de validation. — Au niveau cellulaire c’est le niveau d’expression de cette cible, et l’observation des conséquences de sa modulation (surexpression, inhibition) sur le phénotype de la cellule tumorale. Mais comment moduler cette cible pour s’assurer des effets positifs d’un futur produit ? Bien qu’elle conduise souvent à des artefacts, la technique qui s’avère de plus en plus utilisée est celle qui repose sur les siRNA. Elle consiste à inhiber sélectivement l’expression d’un gène grâce à l’interaction d’un RNA double-brin (22 mer) avec le RNA messager. Ceci conduit à la dégradation du messager codant pour la protéine, et donc à l’inhibition sélective de la synthèse de la protéine correspondante (technique cellules KO). Les artefacts principaux sont dus à des interactions « off targets » c’est-à-dire l’atteinte de RNA non ciblés, ou d’autres réponses cellulaires. — Au niveau animal, la validation est plus difficile. Les animaux transgéniques sont un excellent modèle de validation de cible, bien que très lourd au point de vue expérimental. — Chez les patients, tout ce que l’on peut faire, c’est de la prévalence, de l’épidémiologie moléculaire. La modulation, et donc la validation, se feront avec le candidat médicament lors des essais cliniques. Parmi les exemples récents et encore peu nombreux qui illustrent le bien fondé de cette nouvelle approche, on doit tout d’abord citer les travaux menés il y a une quinzaine d’années par Laurent Degos et Hugues de Thé [8] sur la leucémie aiguë promyélocytaire due aux translocations t(15;17), t(11;17). Ils ont ainsi montré que l’effet de la protéine de fusion PML-RARα. est celui d’un répresseur de transcription fort, et que cette répression de l’expression d’un certain nombre de gènes peut être levé par l’acide rétinoïque tout-trans et plus récemment par le trioxyde d’arsenic. Ceci se traduit par la différenciation des
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A. Pierré CH3
CH3
CH3 O OH
CH3 CH3
Acide tout-trans rétinoïque
N H 3C
H N
N O
H N
N
N
N CH3
Imatinib ou Glivec Figure 4. L’acide rétinoique et le glivec, deux exemples de thérapies ciblées. Targeted therapy with retinoic acid and gleevac.
cellules tumorales, d’ou l’obtention de réponses complètes. Le second exemple est celui du cancer du sein : environ 20 % à 30 % des patientes présentent une surexpression de l’oncogène c-erb2 (HER-2), cible d’un anticorps monoclonal médicament, le Trastuzumab ou Herceptin [9], qui n’est actif que chez ces patientes, et en association avec la chimiothérapie cytotoxique. Le troisième exemple, le plus connu aujourd’hui est celui de la leucémie myéloïde chronique avec la protéine BCR-ABL provenant de la translocation t(9;22), cible du Glivec (fig. 4). La découverte de ce dernier médicament résulte de la conjonction de deux facteurs : l’existence d’une maladie très particulière et l’excellente optimisation d’une série chimique, « à l’ancienne » pourrait-on dire. En tout cas cette découverte [10] n’est pas la conséquence du séquençage du génome, comme on a pu le lire dans la grande presse ! L’histoire débute en 1845 par la première description d’une maladie qui sera désignée ultérieurement sous le nom de leucémie myéloïde chronique ou LMC. En 1966 Nowell et Hungerford [11] découvrent l’altération chromosomique qui donne naissance au chromosome Philadelphie que l’on retrouve chez 95 % des patients atteints de la LMC. Suite aux travaux de Rowley, le fragment du chromosome 22 est retrouvé sur le chromosome 9 : c’est la translocation (9;22) Bcr-Abl. En 1980 les travaux de Witte et al. [12] montrent que la protéine ABL est une tyrosine
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kinase. Fin des années 1980, alors qu’une série d’inhibiteurs de PKC est à l’étude chez Novartis, Lugo et al. [13] soulignent que la protéine BCRABL est une tyrosine kinase activée de façon constitutive. De ce fait les chercheurs de Novartis se tournent vers cette nouvelle cible et après optimisations de leurs inhibiteurs de PKC sur cette enzyme, et suppression de la composante PKC, ils découvrent le Glivec, breveté en 1992. Ce que l’on doit souligner c’est l’extrême rapidité avec laquelle ont été menés les essais cliniques puisque trois ans seulement (au lieu de sept à dix habituellement) séparent le premier essai clinique sur un patient (juin 1998) de l’autorisation de mise sur la marché par la FDA (mai 2001). C’est l’un des avantages de cette recherche moderne ciblée : l’indication découle du rationnel initial, il n’est pas nécessaire de procéder à plusieurs essais cliniques de phase II pour rechercher empiriquement les indications les plus sensibles. Tous ces éléments, ainsi que le résumé de l’optimisation chimique réalisée à partir du lead, une phénylaminopyrimidine, figurent dans l’excellente revue parue dans Nature Reviews Drug Discovery de 2002 [10], rédigée par les découvreurs du glivec.
Quid des tumeurs solides humaines les plus courantes ? La LMC ne représente que 15 % à 20 % de toutes les leucémies humaines, ces leucémies humaines étant d’incidence et de prévalence beaucoup plus faibles que les tumeurs solides humaines. Dans le cas des tumeurs solides de forte incidence comme le cancer du poumon, du sein, du côlon, de l’estomac, du foie et dont la mortalité peut être proche de l’incidence en l’absence de médicaments efficaces (cf. poumon, côlon, estomac…), il n’y a malheureusement pas une seule altération au sein du matériel génétique comme dans le cas de la LMC mais plusieurs. Des auteurs ont même estimé qu’il y aurait jusqu’à 10 000 mutations dans le cancer avancé du côlon. Dès lors, comment choisir la cible parmi toutes ces altérations ? La théorie développée par Reddy et Kaelin [14] repose sur un nombre limité de mutations causales, les autres étant épiphénoménales ou secondaires, et donc ne jouant pas forcément un
Recherche des anticancéreux : passé et présent rôle important. Le choix doit donc se porter vers les premières, ce qui limite le nombre à peut-être moins d’une dizaine, mais ne résout pas le problème de leur identification. Il y a quand même des pistes dans la littérature, qui suggèrent que l’on pourrait obtenir un résultat thérapeutique en ne modulant que deux ou trois cibles. Dans le modèle d’activation in vivo de c-Myc développé par Evan et al. [15] dans un modèle transgénique, un gène codant pour une protéine de fusion c myc/récepteur à l’oestrogène est placée sous la dépendance d’un promoteur à l’insuline de façon à cibler l’expression dans le pancréas. Ces auteurs obtiennent ainsi un système d’expression conditionnel c’est-à-dire qu’en traitant la souris par le 4-hydroxy-tamoxifène (4-HT) on va activer c-Myc, de façon continue. Le résultat est étonnant : l’activation de l’oncogène va induire, non pas une tumeur, mais l’apoptose des cellules β des ilots de Langerhans, d’ou l’apparition du diabète chez ces souris. Les auteurs ont alors créé un animal doublement trangénique par croisement avec des souris surexprimant une protéine inhibitrice de l’apoptose, Bcl-xL.. Les animaux présentant ces deux modifications développent des tumeurs lorsqu’ils sont traités par le 4-HT, tumeurs qui présentent toutes les caractéristiques des tumeurs humaines sporadiques. Ce qui est extraordinaire, c’est que l’arrêt du traitement par le 4-HT conduit à la régression tumorale complète. Dans ce modèle très élégant, la progression tumorale est bien due à un nombre limité d’altérations. Il faut néanmoins nuancer l’interprétation, en précisant que Myc est un facteur de transcription qui affecte des dizaines de gènes impliqués dans la prolifération. De plus, d’un point de vue pharmacologique, et bien que Myc ait été identifié il y a une bonne vingtaine d’années et que ce soit une cible assez validée, on est bien incapable aujourd’hui de moduler sélectivement son activité avec des petites molécules.
sommairement co-existent aujourd’hui, d’un point de vue global mais aussi au sein des grands groupes pharmaceutiques. Des échecs retentissant récents, comme les inhibiteurs de métalloprotéases, ont rendu les chercheurs de l’industrie pharmaceutique un peu plus prudents et modestes quant à la validité de leurs cibles préférées. Le souhait que l’on peut émettre est que ces deux approches se rejoignent de plus en plus, par exemple au niveau de la compréhension moléculaire des réponses cellulaires aux cytotoxiques « classiques », pour obtenir des produits à index thérapeutique amélioré, et bien sûr dans l’identification de cibles réellement impliquées dans la progression tumorale des tumeurs humaines les plus courantes, et pour lesquelles des modèles in vivo sont disponibles et permettent d’évaluer les molécules.
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Conclusion
Murphy MJ, Page JG, et al. Differential toxicity of camptothecin, topotecan and 9-aminocamptothecin to human, canine, and murine myeloid progenitors (CFu-
Les deux approches de découverte des médicaments anticancéreux que nous venons de décrire
GM) in vitro. Cancer Chemother. Pharmacol. 1997; 39: 46772.
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A. Pierré 8. De-Thé H, Lavau C, Marchio A, Chomienne C, Degos L, Dejean A. The PML-RAR alpha fusion mRNA generated by the t(15;17) translocation in acute promyelocytic leukemia encodes a functionally altered RAR. Cell 1991; 66: 675-84. 9. Groner B, Hartmann C, Wels W. Therapeutic antibodies. Current Molecular Medicine 2004; 4: 539-47. 10. Capdeville R, Buchdunger E, Zimmermann J, Matter A. Glivec (STI571, Imatinib), a rationally developed, targeted anticancer drug. Nature Rev Drug Discovery 2002; 1: 493-502. 11. Nowell PC, Hungerford DA. The etiology of leukemia: some comments in current studies. Seminars in hematology 1966; 3: 114-21.
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