Saturnisme: Un premier cas en Guyane découvert sur le frottis sanguin

Saturnisme: Un premier cas en Guyane découvert sur le frottis sanguin

CLINIQUE THÉMATIQUE À TAPER HÉMATOLOGIE Saturnisme : un premier cas en Guyane découvert sur le frottis sanguin Stéphanie Rorivea,*, Rachida Boukharia...

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CLINIQUE THÉMATIQUE À TAPER HÉMATOLOGIE

Saturnisme : un premier cas en Guyane découvert sur le frottis sanguin Stéphanie Rorivea,*, Rachida Boukharia, Dorothée Harroisa

1. Introduction

Figure 1 – Hématie à ponctuations basophiles.

La majorité de la population guyanaise et plus particulièrement dans l’Ouest Guyanais, présente souvent une anémie à l’hémogramme, d’origine multifactorielle. Nous rapportons le cas d’une anémie régénérative associé à un tableau clinique sévère, chez une enfant pour qui, le diagnostic d’intoxication au plomb a été porté, grâce à une franche collaboration clinico-biologique.

2. Observation Une enfant âgée 3 ans consulte aux urgences pédiatriques de Saint-Laurent-du-Maroni, le 1er juin 2011, pour vomissements dans un contexte d’apyrexie, sans signes d’accompagnement. Elle ne présente pas d’antécédents particuliers. Elle a présenté des crises convulsives généralisées puis localisées répétitives, avec constitution d’une paralysie faciale droite. La ponction lombaire ainsi que le scanner cérébral reviennent normaux. Les résultats biologiques/la numération à l’arrivée montrent : leucocytes : 21,7 G/l, hématies : 3 330 G/L, hémoglobine : 7,0 g/dL, VGM : 69 fl, CCMH : 32 %, RDW : 21, plaquettes à 269 G/L, réticulocytes à 173,16 G/L, ferritine 19 μg/L. La formule leucocytaire est la suivante : polynucléaires neutrophiles à 8,029 G/L, lymphocytes à 1,278 G/L. Le reste du bilan biologique était sensiblement normal. Un bilan d’hémolyse (bilirubine totale à 6 μmol/l, haptoglobine < 0,7 g/L, LDH à 261) ainsi qu’une électrophorèse de l’hémoglobine sont réalisés le lendemain et les résultats sont normaux. Le frottis sanguin montre de très nombreuses hématies à ponctuations basophiles (figure 1). L’enfant est transférée au centre hospitalier de Cayenne le 13 juin 2011 pour une suspicion d’encéphalite. Une IRM cérébrale est réalisée et est revenue normale. La PCR Herpes sur LCR est négative. Constatant la sévérité du tableau clinique aspécifique et l’absence d’orientation étiologique hormis les anomalies hautement suspectes du frottis sanguin, une confrontation clinico-biologique permet finalement

a Service de biologie médicale Centre hospitalier de l’Ouest Guyanais Franck-Joly 16, bd du Général-de-Gaulle – B. P. 245 97393 Saint-Laurent-du-Maroni

* Correspondance

[email protected] article reçu le 24 septembre, accepté le 19 octobre 2014 © 2015 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

de suspecter une intoxication au plomb et de déclencher un traitement symptomatique par chélateur de plomb en urgence sans attendre le résultat du dosage. Les résultats sont plus que convaincants ; la plombémie est de 1 724 μg/l et le diagnostic de saturnisme sévère est porté. L’évolution clinique est favorable sous chélateurs de plomb et une supplémentation martiale est ajoutée, il existe une carence associée. Une surveillance clinico-biologique est instaurée : la plombémie est régulièrement mesurée avec une moyenne haute estimée à 450 μg/L.

3. Discussion Devant le tableau clinique sévère de l’enfant, la plupart des étiologies urgentes notamment infectieuses sont éliminées. Il s’agit probablement d’une pathologie chronique et devant les anomalies constatées sur le frottis sanguin, il est indispensable de s’intéresser aux pathologies où les hématies ponctuées constituent un signe majeur du diagnostic : les pathologies de l’hémoglobine (thalassémies, hémoglobines instables), les anémies mégaloblastiques, les syndromes myélodysplasiques, le déficit en pyrimidine-5- nucléotidase et le saturnisme. Heureusement, l’intoxication saturnine est aujourd’hui relativement rare dans les pays développés ; cette pathologie se présente essentiellement sous forme chronique, avec des signes peu spécifiques et donc, difficiles à déceler. Dans le cas présenté ici, l’examen du frottis sanguin a permis d’orienter le diagnostic. C’est l’occasion de rappeler l’importance pour le biologiste d’examiner le frottis sanguin de façon répétée devant une anémie inexpliquée et qu’il REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUIN 2015 - N°473 //

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CLINIQUE

ne peut en aucun cas être substitué par l’automatisation dans ce contexte. Le plomb est un toxique cumulatif qui s’accumule dans l’organisme, majoritairement dans l’os compact. Il pénètre dans l’organisme par voie digestive et pulmonaire principalement puis est éliminé très lentement, principalement dans les urines. Il passe au travers du placenta et dans le lait maternel, pouvant ainsi contaminer le fœtus et le nourrisson. La toxicité aiguë est rare, elle est consécutive à l’ingestion massive de sels solubles de plomb (acétate, carbonate) ou d’une administration parentérale mais peut cependant provoquer une élévation de la plombémie de plusieurs centaines de microgrammes par litre lors d’une ingestion unique. Les signes cliniques initiaux sont digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales, et parfois diarrhées). Ils sont d’intensité modérée et de courte durée. Ils peuvent s’accompagner d’une hémolyse, d’une hépatite cytolytique et d’une atteinte rénale aiguë tubulaire. Ces symptômes dépendent de la dose absorbée et ils sont généralement modérés dans le cas d’une ingestion. Plus rarement, on peut observer des troubles neurologiques centraux (encéphalite aiguë), ainsi que des douleurs articulaires. Lorsque la toxicité est chronique, on peut observer des atteintes du système nerveux central et/ou périphérique. Les jeunes enfants, âgés de moins de 7 ans, sont une population plus fragile vis-à-vis du saturnisme car ils ingèrent beaucoup de poussières par activité main-bouche. Pour une exposition identique à celle de l’adulte, le plomb retenu dans l’organisme est plus important et leur système nerveux en développement est plus sensible à la toxicité du plomb. Ce qui caractérise le saturnisme infantile est l’atteinte du système nerveux central aboutissant à une altération des fonctions supérieures (apprentissage, mémoire, comportement…), qui se produit chez l’enfant même pour de faibles expositions et qui perdure dans le temps. Les études épidémiologiques récentes semblent montrer que ces effets interviennent même chez des enfants n’ayant jamais dépassé le seuil de 100 μg/L de plombémie qui définit actuellement le cas de saturnisme. Les signes cliniques de l’intoxication a minima par le plomb sont non spécifiques et donc difficiles à repérer. Biologie : l’anémie est souvent accompagnée d’une réticulocytose modérée. Le plomb se lie fortement aux hématies

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entraînant un raccourcissement de leur durée de vie. Le VGM est variable, mais habituellement normal. On a décrit, au cours du saturnisme, une microcytose, une hypochromie et la présence de ponctuations basophiles. Les anomalies sont habituellement limitées à la lignée rouge (dysérythropoïèse), mais peuvent atteindre la lignée granulocytaire. Une étude est déclenchée suite à ce cas par l’ARS et la Cire Guyane. Elle constate une plombémie supérieure ou égale à 100 g/μL chez 44 des 47 personnes vivant dans le même environnement que le cas index mais l’investigation environnementale menée sur la base du guide d’investigation des cas de saturnisme de l’InVS [1] ne permet pas d’identifier de source d’exposition [2]. Des plombémies sont réalisées au Centre hospitalier de l’Ouest Guyanais à partir de juillet 2011 chez les femmes enceintes dans le cadre de suivi de grossesse et les taux de plombémie supérieure à 100 μ/L étaient 8 fois supérieurs au pourcentage retrouvé dans l’étude Gocott et al. [3]. Dans ce contexte, l’InVS décide de mener ensemble l’étude Guyaplomb, débutée en 2014, selon un protocole en cours d’élaboration qui sera proche de celui de l’étude Saturn-Inf [4] et qui permettra de connaître les différents niveaux d’imprégnation au plomb de la population guyanaise d’enfants de moins de 7 ans [5].

3. Conclusion L’examen du frottis sanguin lors de découverte à l’hémogramme d’une anémie aiguë isolée est important puisque la quasi-totalité des anomalies morphologiques des érythrocytes décelées par les automates sont peu ou pas spécifiques, et peuvent même être masquées lors de pathologies multifactorielles (association carence martiale et carence en folates). Une analyse cytologique présente dans un grand nombre de cas un apport majeur pour l’orientation diagnostique de la pathologie constitutionnelle ou acquise du globule rouge. Nous rappelons également la place capitale d’une collaboration entre biologistes et cliniciens pour la prise en charge des patients. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références

pertinence d’un dépistage systématique. 2005 ; Paris, Hôpital RobertDebre.

[1] Guide d’investigation des cas de saturnisme. InVS. Juin 2006. [2] Ardillon V, Deviers G, Tablon J. Rapport préliminaire des investigations des cas de saturnisme à Mana, juin 2011. [3] Gottot S., Alberti C., Krerbi B., et al. Enquête de prévalence du saturnisme chez la femme enceinte et chez son nouveau-né ;

[4] Etchevers A, Lecoffre C, Le Tertre A, et al., Groupe investigateurs Saturn-Inf, de Launay C, et al. Imprégnation des enfants par le plomb en France en 2008-2009. BEHWeb 27 mai 2010.

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[5] Ardillon V, Deviers G, Tablon J, et al. Émergence du saturnime en Guyane. Bull Epitox 2013;6.