Signes diagnostiques et traitement d’une maladie de Marfan ou apparentées
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G. Jondeau - Centre national de référence pour le syndrome de Marfan et apparentés - Equipe Insuffisance cardiaque - Service de cardiologie, hôpitaux universitaires Paris Nord Val-de-Seine, hôpital Bichat, Paris - INSERM U698
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L
e syndrome de Marfan est une pathologie génétique, en rapport généralement avec une mutation dans le gène FBN1, qui code pour une protéine de la matrice extracellulaire, la fibrilline de type 1. Ses limites nosologiques sont régulièrement redéfinies (figures 1 et 2 pour la dernière nosologie) du fait de la découverte de pathologies proches qui correspondent à des mutations dans d’autres gènes (syndromes apparentés) [1]. Les progrès réalisés au cours des 30 dernières années ont permis de prolonger l’espérance de vie des patients de 30 ans.
Le syndrome de Marfan associe plusieurs signes Des signes cardiovasculaires Ils font toute la gravité pronostique de la pathologie du fait du risque de dissection aortique et de rupture. La dilatation aortique prédomine au niveau des sinus de Valsalva. Elle progresse en moyenne de 0,5 mm/an dans l’ensemble de la population Marfan (mais Mutation du gène FBN1 certains patients se dilatent moins vite que d’autres) et qui code pour peut se révéler tout au long de la fibrilline de type 1. la vie (figure 3). Ceci justifie une surveillance des diamètres aortiques tous les ans, tout au long de la vie, même lorsque les diamètres sont dans les valeurs normales. Cette surveillance est généralement réalisée par échocardiographie AMC pratique
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et on demande habituellement une confirmation du diamètre mesuré au moins une fois par une autre technique (généralement scanner) afin de s’assurer de sa fiabilité (figure 4). Sur le plan thérapeutique, on recommande de limiter les efforts physiques lors desquels la pression artérielle s’élève trop : éviter la compétition, éviter les efforts isométriques (dont l’archétype est l’haltérophilie mais que l’on retrouve dans le basket, le badminton, le hand-ball, le football…). Les efforts d’endurance, comme par exemple la natation, la course à pied, le vélo sans compétition sont autorisés. Il est également recommandé de mettre en place un traitement bétabloquant chez ces patients, avec l’idée que la diminution de la fréquence cardiaque va limiter le nombre de distensions brusques de la paroi aortique et que la diminution de la force de contraction du cœur va limiter la vitesse de distension aortique (diminution du dp/ dt), ce qui va limiter le stress appliqué sur la paroi aortique et de ce fait, ralentir la dilatation et diminuer le risque de dissection. Ce traitement a été validé dans une étude randomisée ancienne (figure 5). En l’absence de tolérance des bétabloquants (essentiellement asthme), on propose classiquement un inhibiteur calcique qui a des effets hémodynamiques similaires (bradycardie et inotrope négatif). Des études sont en cours pour évaluer le bénéfice d’un traitement par sartans, bénéfice suspecté sur la base d’études chez la souris génétiquement modifiée (Kl) [2]. Chez © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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Figure 1. Critères diagnostiques proposés pour le syndrome de Marfan lors de la dernière réunion consensus. Ao : dilatation aortique Z : Z score FBN1 : mutation dans le gène FBN1 MFS : syndrome de Marfan EL : ectopie du cristallin Syst : score systémique (voir figure 5) Pb Ao : problème aortique ELS : syndrome d’ectopie du cristallin MASS : syndrome MASS (Mitral Aorta Skelet Skin) PVM : prolapsus valvulaire mitral
Figure 2. Calcul du score systémique utilisé dans la dernière classification proposée.
cette souris, de très fortes doses de losartan ont permis la limitation de la dilatation de l’aorte et le maintient de la structure histologique de la paroi aortique. Il a donc été proposé de tester l’efficacité du losartan chez les patients qui présentent un syndrome de Marfan. De nombreuses études sont en cours chez l’homme. Les premiers résultats rappor24
Figure 3. Mode de mesure du diamètre aortique maximal, sur la vue parasternale grand axe, en prenant la paroi antérieure et non la paroi postérieure, en télédiastole (sur le QRS).
tés chez l’homme sont encourageants, avec une limitation de la vitesse de dilatation de l’aorte chez les patients [3]. Cette première étude porte sur de petits effectifs et on espère que les autres études confirmeront le bénéfice de cette molécule. Par son action vasodilatatrice, elle pourrait diminuer l’onde de rebond, voire baisser la pression artérielle moyenne (mais les patients Marfan ne sont pas hypertendus). L’hypothèse initiale selon laquelle la molécule bloque l’anomalie qui était proposée comme étant responsable de la dilatation aortique (voie du TGF-béta) semble moins probable aujourd’hui. On a même des arguments pour penser que bloquer la voie du TGF-béta est délétère (par exemple certaines des mutations en cause chez les patients qui présentent des anévrysmes diminuent ou bloquent la transmission du signal TGF-béta). Le risque de dissection reste très limité tant que le diamètre aortique reste en dessous de 50 mm, ou plus exactement, une attitude qui consiste à remplacer l’aorte initiale lorsque le diamètre atteint ou dépasse 50 mm est associée à un risque très faible de dissection aortique (5 % pour 100 ans de suivi) [4]. On considère donc maintenant que 50 mm est le seuil opératoire, accepté dans les dernières recommandations [5]. De plus en plus souvent, la chirurgie aortique préventive permet de conserver les valves natives (plastie de l’aorte ascendante) et le risque opératoire est minimal AMC pratique
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chez des patients jeunes, dont la fonction ventriculaire gauche est normale. Différentes techniques sont proposées, dont le résultat dépend notamment de l’expérience du chirurgien dans ce type d’intervention (cf. article de M. Kirsch et U. Hvass). La prise en charge de la grossesse pose des problèmes particuliers : schématiquement, le risque de dissection est considéré comme augmentant à partir de 40 mm et la chirurgie prophylactique peut être proposée à partir d’un diamètre de 45 mm [5]. Se pose également le problème du mode de délivrance, voie basse en dessous de 40 mm et généralement césarienne au dessus. Une surveillance échocardiographique étroite doit être mise en place avec une échographie à 3 mois, 6 mois, puis tous les mois au cours du troisième trimestre et au décours de l’accouchement. D’autres conditions sont considérées comme à risque et peuvent justifier d’une chirurgie plus précoce : antécédent de dissection dans la famille à un faible diamètre, progression rapide (de 3 mm en un an d’après les dernières recommandations – seuil arbitraire –, à vérifier avec deux techniques différentes, en revoyant les examens simultanément). Même si le risque principal se situe sur l’aorte ascendante, l’atteinte aortique est diffuse, si bien qu’il existe également un risque de dissection de l’aorte descendante [6]. Cette dissection peut survenir alors que le diamètre de l’aorte ascendante est normal et ceci justifie de proposer le traitement bétabloquant et de proscrire les sports violents quelque soit le diamètre de l’aorte ascendante. De même, cette attitude est à poursuivre après remplacement de l’aorte ascendante. Le prolapsus valvulaire mitral est fréquent, souvent bivalvulaire équilibré avec une fuite modérée qui nécessite rarement la chirurgie (figure 4). La chirurgie est souvent une plastie, parfois délicate du fait de l’étendue du prolapsus, de l’importance de la dilatation de l’anneau mitral.
Des signes squelettiques Ils sont responsables de l’aspect classique (figure 6). AMC pratique
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Figure 4. Apparition des signes cardiologiques en fonction de l’âge des patients.
Figure 5. Bénéfice du traitement bétabloquant Aortic ratio : rapport du diamètre mesuré sur le diamètre théorique IAo : insuffisance aortique
La croissance excessive des os longs peut entraîner pectus excavatum ou recurvatum, arachnodactylie, scoliose. Les patients peuvent également présenter des pieds plats. Les conséquences en sont essentiellement fonctionnelles avec des douleurs qu’il est difficile de soulager, des problèmes esthétiques qui peuvent rendre les patients demandeurs de chirurgie esthétique. La scoliose et les pieds plats peuvent justifier une intervention orthopédique. Des vergetures peuvent être présentes sur tout le corps et la localisation sur le devant des épaules est évocatrice. 25
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Figure 6. Aspect général avec la scoliose, le pectus, etc. En haut à droite : ectopie du cristallin. En bas à droite : ectasie durale.
Les vertèbres peuvent être déformées par une ectasie du sac dural (figure 6), visible essentiellement au scanner ou à l’IRM. Il n’y a généralement pas de symptôme associé (rarement céphalées) ni de traitement à prévoir.
L’ectopie du cristallin est un signe majeur (comme l’anévrysme aortique), est souvent supérieure et temporale, et souvent incomplète, justifiant une dilatation soigneuse pour sa recherche (figure 6). Les autres signes ophtalmologiques sont cornées plates, myopie secondaire à une longueur axiale augmentée (la chirurgie de la myopie n’est pas indiquée). Un pneumothorax peut également être observé. C’est en fait assez rare dans cette population.
Origine génétique Le fait fondamental est l’origine génétique de la pathologie, qui est transmise selon le mode dominant autosomique. Un des deux parents est atteint sauf si la mutation appa26
raît pour la première fois (néomutation), ce qui est le cas chez 25 % des patients, et un patient atteint a une chance sur deux de transmettre la pathologie sans préférence de sexe. Ceci justifie de rechercher la présence des signes cliniques chez les apparentés d’un patient atteint, notamment dans le but de dépister un anévrysme aortique avant qu’une dissection ne survienne. Ainsi, la prise en charge d’un patient suspect de présenter le syndrome de Marfan doit comprendre un examen ophtalmologique, un examen cardiologique avec échocardiographie, et un examen systémique à la recherche des autres signes ; ceci est réalisé au mieux dans le centre de référence ou les centres de compétence, mis en place par le plan maladies rares. La réalisation d’une étude de biologie moléculaire à la recherche d’une mutation dans le gène FBN1 est réalisée de plus en plus souvent lorsque les signes évocateurs le justifient. Elle a l’intérêt de confirmer le diagnostic dans les formes douteuses et de faciliter l’enquête familiale. Elle reste néanmoins chère et soumise au filtre du laboratoire de biologie moléculaire, du fait de sa difficulté (le gène est long et chaque famille a une mutation qui lui est propre), et du faible rendement de la recherche de mutation en l’absence d’atteinte ophtalmologique. La demande excessive conduit à des délais d’attente longs, qui devraient s’améliorer avec les progrès des techniques de biologie moléculaire.
Traitement Une fois le diagnostic porté, le patient doit éviter les sports violents (risque de luxation du cristallin par des sports de contact et risque de favoriser la dilatation aortique en cas d’élévation tensionnelle lors d’un effort brusque intense), un traitement bétabloquant entrepris et s’il n’est pas toléré, un traitement par inhibiteur calcique ralentisseur ou un sartan. Une surveillance échocardiographique annuelle est proposée [5]. Ceci a permis d’obtenir des risques de dissection très faibles aujourd’hui [4] et de réaliser plus souvent une chirurgie prévenAMC pratique n°223 décembre 2013
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tive de l’aorte qu’une chirurgie d’urgence pour dissection (figure 7). Le traitement de la luxation du cristallin repose sur son ablation justifiée en cas de conséquence fonctionnelle importante et pose le problème de la mise en place d’implant qui est parfois difficile et toujours non recommandée chez les enfants. En l’absence d’implant, les lunettes sont nécessaires. Le traitement rhumatologique n’est pas spécifique (traitement de la scoliose, traitement des pieds plats, des douleurs…). Enfin, du fait de l’origine génétique de la pathologie, il est fondamental de réaliser une enquête familiale pour dépister les parents atteints qui ne le sauraient pas, avant qu’une dissection aortique ne révèle chez eux la maladie.
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Les syndromes apparentés Les progrès réalisés ces dernières années reposent également sur le fait que de nouveaux syndromes aient pu être reconnus, dont le pronostic peut différer ou non du syndrome de Marfan classique, notamment parmi les formes familiales d’anévrysmes. Certains sont associés à des signes systémiques, d’autres non [7]. L’importance des signes rhumatologiques, la survenue précoce d’une arthrose doit faire évoquer une mutation dans le gène SMAD3 (osteo-arthritis syndrome), la présence d’une peau fine translucide, une luette bifide, un hypertélorisme : une mutation dans le gène TGFBR1 ou TGFBR2 (Loeys Dietz syndrome) ; et un livedo racemosa : une mutation dans le gène ACTA2. La persistance d’un canal artériel fait évoquer une mutation dans le gène MYH11. Des tableaux de Marfan classique y compris correspondant aux critères récents, avec signes squelettiques plus ou moins nets, l’absence de signe ophtalmologique franc peuvent se voir chez les porteurs de mutation dans le gène TGFBR1, TGFBR2, SMAD3 et TGFB2. Mais toutes ces mutations peuvent ne se traduire que par un anévrysme de l’aorte ascendante isolé (mais génétique, donc familial). Quel que soit le type de mutation en cause, le diagnostic de syndrome de Marfan ou AMC pratique n°223 décembre 2013
Figure 7. Evolution de la prise en charge des patients illustrée par la modification des indications des chirurgies aortiques (histogramme supérieur) et le type d’intervention réalisée (histogramme inférieur).
d’une forme apparentée conduit à la limitation des sports, à la prescription d’un traitement bétabloquant et à une surveillance échocardiographique annuelle. Mais certaines mutations dans ces nouveaux gènes peuvent s’accompagner d’un risque d’anévrysme cérébral, ce qui justifie un bilan vasculaire cérébral initial (IRM, voire scanner). Certaines mutations s’accompagnent également d’un risque de dilatation et de dissections d’artères périphériques, qui justifie la réalisation d’une opacification de toutes les artères au moins une fois chez les patients porteurs de ces mutations (généralement un scanner de l’ensemble des vaisseaux). Il s’agit de formes génétiques de dilatation ou dissections d’artères périphériques, qui sont donc soupçonnées soit devant l’existence de signes extra-aortiques évocateurs (arthrose précoce, luette bifide, peau fine et transparente, hypertélorisme…), soit devant la pathologie aortique et son caractère familial. Ce dernier point souligne encore la nécessité de faire une enquête familiale pour dépister les apparentés qui présentent un anévrysme de l’aorte ascendante, 27
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dans le double but de les dépister avant qu’un accident dramatique ne soit survenu et de préciser le diagnostic chez le patient que l’on voit en premier, car cela n’est pas toujours simple. Enfin, il est possible que l’indication opératoire de remplacement de l’aorte ascendante devra être modulée en fonction de l’anomalie moléculaire en cause (selon le gène atteint) et aussi du tableau que présente le patient ; plus le tableau clinique comporte des anomalies évocatrices d’anomalies du développement, plus la pathologie aortique semble agressive, plus la tortuosité artérielle est marquée, plus l’évolution semble rapide pour une mutation dans un même gène. Enfin, la multiplicité des gènes en cause, la longueur du travail de biologie moléculaire illustrent la nécessité que la recherche génétique en biologie moléculaire soit guidée par une étude clinique fine réalisée au mieux dans les centres de référence ou de compétence.
Conflits d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.
Centre national de référence pour le syndrome de Marfan et apparentés Hôpital Bichat - 46 rue Henri Huchard, 75018 Paris Tél. 01 40 25 68 11 - www.marfan.fr Association française pour le syndrome de Marfan et apparentés 4, Grand’Place - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. 01 39 12 14 49 - www.vivremarfan.org Le CNR syndrome de Marfan et apparentés comprend : Guillaume Jondeau, Delphine Detaint, Olivier Milleron, Florence Arnoult, Gabriel Delorme, cardiologues ; Catherine Boileau, Nadine Hanna, biologie moléculaire ; Maud Langeais, Myrtille Spentchian, conseillères en génétique ; Sabine Rioux, Marlène Jouneaux-Michelon, pédiatres ; Laurent Gouya, Bernard Grandchamp, généticiens ; JanineSophie Le Quintrec, Philippe Renard, Anne-Marie Vigneron, rhumatologues ; Maycene Ben Mhamed, Cheurfa Neurdjis, ophtalmologistes.
En pratique : Dépistage, surveillance et prévention de la progression (éviter efforts hyper-intensifs, bétabloquants).
Références [1] Loeys BL, Dietz HC, Braverman AC, et al. The revised Ghent nosology for the Marfan syndrome. J Med Genet 2010;47:476-85. [2] Habashi JP, Judge DP, Holm TM, et al. Losartan, an AT1 antagonist, prevents aortic aneurysm in a mouse model of Marfan syndrome. Science 2006;312:117-21. [3] Groenink M, den Hartog AW, Franken R, et al. Losartan reduces aortic dilatation rate in adults with Marfan syndrome: a randomized controlled trial. Eur Heart J 2013;34:3491-500.
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[4] Jondeau G, Detaint D, Tubach F, et al. Aortic event rate in the Marfan population: a cohort study. Circulation 2012;125:226-32. [5] Vahanian A, Alfieri O, Andreotti F, et al. Guidelines on the management of valvular heart disease (version 2012). Eur Heart J 2012;33:2451-96. [6] Mimoun L, Detaint D, Hamroun D, et al. Dissection in Marfan syndrome: the importance of the descending aorta. Eur Heart J 2011;32:443-9. [7] Jondeau G, Boileau C. Genetics of thoracic aortic aneurysms. Curr Atheroscler Rep 2012;14:219-26.
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