Rev Mkd Interne 1996;17:85-88 0 Elsevier. Paris
Observation inexpliqke
Cirrhose biliaire primitive avec signes systkmiques ou maladie de Still avec fibrose hCpatique ? L Maulin’, E Hachullal*, C Mathieu-Chandelier2, A Cortot2, JC Paris2, B Devulderl ‘Service
de mkdecine
inteme,
‘service
des maladies
des voies digestives,
(Requ le 25 juillet
cirrhose
biliaire
primitive
primary
biliary
cirrhosis/adult
/ Still (maladie
1995 ; accept6
CHU,
59037 Lille cedex, France
1995)
onset Still disease
OBSERVATION Cette patiente a comme antecedents : - en 1976 une hysterectomie pour fibrome ; - en 1977 une fistule colovaginale sur diverticulose necessitant une colectomie partielle. Cette histoire debute en 1983, par la decouverte, sur un bilan systematique, d’une cytolyse a deux fois la normale, puis appara?t progressivement une cholestase. Des lithiases vesiculaires sont decouvertes a l’echographie abdominale, et la patiente beneficie d’une cholecystectomie avec, B cette occasion, une premiere ponction-biopsie hepatique : il est retrouvt un infiltrat lymphoplasmocytairepCriportal, une fibrose concentrique autour des canaux biliaires, les hepatocytes sont normaux. Le diagnostic tvoque est soit celui d’hepatite chronique active, soit celui de cirrhose biliaire primitive (CBP) stade I a II de Sheuer. A cette epoque, au plan biologique, on retrouve : une cholestase avec des phosphatases alcalines a 1 769 UI/L, des gamma GT a 1 540 UI, une cytolyse predominant sur les TGP (TGP B 267 UI/L ; TGO a 83 WL). 11existe des anticorps
et tir&s ci part
Claude-Huriez,
de)
Now soumettons a la sagacite de nos lecteurs la longue et Ctonnante histoire d’une femme de 65 ans, qui prtsente une pathologie inflammatoire debutant en 1983, et n’ayant a ce jour pas encore livre tous ses secrets.
*Correspondance
hapital
le 9 octobre
: Eric Hachulla,
m&me adresse.
antimitochondries de type M2 a l/40, et la patiente est mise sous acide ursodesoxycholique, Urosolvan@ B raison de trois cornprimes par jour. En octobre 1984, elle est hospitalisee dans le service de gastroenterologie avec un tableau associant alteration de l’etat general, acds febriles oscillants entre 38 et 40 “C, arthralgies diffuses et placards cutarks. On Cvoque alors des manifestations systemiques likes a la CBP et un traitement par prednisone a la dose de 25 mg/j est institue. La patiente est perdue de vue jusqu’en octobre 1989, durant ces 5 an&s il semble qu’elle a poursuivi la corticotherapie aux mgmes doses associeea l’Ursolvan@ saris presenter la moindre manifestation systknique. En octobre 1989 elle presente une n&rose du condyle femoral interne droit necessitant la mise en place d’une prothese compartimentale. La corticotherapie est alors air&e. A partir de cette date, des episodes associant febricule et arthralgies fluctuantes d’allures inflammatoires ont reapparu. Sur les bilans biologiques, il persiste une cholestase saris cytolyse, on retrouve egalement un syndrome inflammatoire. Une deuxieme ponction-biopsie hepatique est rtalisCe en 1990 : l’aspect histologique est celui d’une fibrose periportale inflammatoire avec disparition des canaux biliaires, la cholestase intrahepatique est marquee et il existe quelques foyers de cytolyse. Le traitement par Ursolvan@l raison de trois cornprimes par jour est poursuivi seul. En fevrier 1992, la patiente est hospitalisee pour un tableau aigu associant une hyperthermie a 39 “C, des
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L Maulin
frissons, une alteration de l’etat general et une hyperleucocytose a polynucleaires neutrophiles (27 500 leucocytes dont 8 390 de neutrophiles). I1 est retrouve au scanner une image hypodense splenique evocatrice de lymphome et une splenectomie est decidee. Au tours de cette intervention, une troisieme ponction-biopsie hepatique est r&.li&e. L’examen anatomopathologique de la rate revble d’une part un nodule fait de polynucleaires neutrophiles alter& entoure de cellules inflammatoires polymorphes et, d’autre part, une lesion necrosee sous capsulaire de 2 cm (infarctus splenique ?). On retrouve sur la piece hepatique une fibrose des espaces-portesinfiltrke de lymphocytes T dissociants les canaux, il n’existe pas de n&rose hepatocytaire. L’anatomopathologiste conclut au diagnostic de CBP au stade III de Sheuer. Le tableau s’amende en postoptratoire mais la patiente garde un syndrome inflammatoire et d&it des episodes d’arthralgies spontanement resolutives. En juin 1993, apparait de nouveau un tableau d’hyperthermie a 39 “C associe a une hyperleucocytose a polynucleaires neutrophiles superieure a 12 OOO/mm3 (atteignant parfois 20 000/mm3) et a un syndrome inflammatoire majeur (CRP superieur 150 mg/L). I1 existe Cgalement des douleurs abdominales et une diarrhee. A la coloscopie, on retrouve des diverticules ; il n’y a pas de signes de maladie inflammatoire ni de processus tumoral. Du fait des antecedents de diverticulose colique, une septicernie a point de depart colique est suspectke et, apres Cchec du traitement antibiotique, la patiente beneficie d’une sigmordectomie. L’examen anatomopathologique du sigmdide ne permet de retrouver que des lesions de sigmdidite chronique diverticulaire sans abcedation. Un bilan exhaustif a la recherche d’une cause infectieuse est alors realise : ce bilan comprend des hemocultures, une scintigraphie au gallium, une Cchographie cardiaque par voie transcesophagienne, differentes strologies (salmonelle, Yersinia), tout ce bilan restera ntgatif. L’ensemble de la symptomatologie regresse une nouvelle fois en postoperatoire, mais le syndrome inflammatoire persiste. En octobre 1993, surviennent de nouveaux episodes d’hyperthermie oscillants une entre 38 et 40 “C, assoties a des arthralgies voire de veritables a&rites inflammatoires, et des lesions cutanees maculeuses fugates. En parallele des ulcerations pharyngtes diffuses touchant le voile du palais, les amygdales, et la base de la langue, apparaissent empechant toute alimentation pendant 1 semaine. Les biopsies de ces ulcerations ne rambneront que des polynucleaires alter&. Le tableau regresse spontanement en 3 semaines. On retrouve en fait a l’interrogatoire de frequentes douleurs pharyngees prectdant ou accompagnant les acds febriles.
et al
En decembre 1993, la patiente est hospitalisee dans le service de medecine interne pour un nouvel acces associant fievre a 38 “C, des lesions cutanees fugaces constituees de placard Crythemateux et de pseudofolliculites, une arthrite de cheville. On assiste a la reapparition des ulcerations pharyngees responsables d’une dysphagie importante. Au plan biologique, il existe un syndrome inflammatoire, la vitesse de sedimentation (VS) est a 100 mm a la premiere heure, la CRP a 414 mg/L, le fibrinogene a 10 g/L. On est frappt par l’importance de l’hyperleucocytose 9 polynucleaires neutrophiles chiffree a 26 OOO/mm”.11existe Cgalement une thrombocytemie a 1 000 041 plaquettes/mms. L’hemoglobine est a 10 g/dL. 11existe une hypergammaglobulinemie polyclonale a 20 g/L. La ferritinemie est normale a 101 ng/mL. Le bilan hepatique est toujours perturb& les phosphatases alcalines sont a 1 843 UL/L, la bilirubine a 26 mg/L, les gamma GT a 161 UI/L. 11 n’existe pas de cytolyse (TGO 40 UYL, TGP 34 UI/L). La creatinine est normale a 6 mg/L, il n’y a pas de proteinurie, pas d’hematurie. Les serologies des virus hepatotropes (virus A, B, C, CMV, EBV et VIH) sont negatives. Le tronc Porte et les veines sus-hepatiques sont libres en Cchographie. Les anticorps antinucleaires, anti-ADN natifs, antiRNP, anti-SM, anti-SSA, anti-SSB, anti-muscles lisses, anti-LKM, et les ANCA sont tous negatifs. On retrouve en revanche des anticorps antimitochondries de type M2 a l/40 par technique Elisa ; il n’est pas retrouve d’anticorps antiphospholipides (anticardiolipines, antiprothrombinase, VDRL) ni de cryoglobulinemie recherchee a plusieurs reprises. Le phenotype HLA est Al, Al 1, B35, DRl. La biopsie cutanee d’un element pseudofolliculaire retrouve une veinulite du derme et de l’hypoderme sans signe de vascularite. On retrouve a la biopsie des glandes salivaires accessoires un infiltrat lymphocytaire stade 2 de Chisholm sans signe de vascularite, sans signe de microangiopathie, sans granulome gigantocellulaire. DIAGNOSTICS Devant cet &range tableau, plusieurs diagnostics ont Cte suspect&. Une cirrhose biliaire primitive avec manifestations systCmiques En faveur de ce diagnostic : le terrain (femme d’age moyen), l’importance de la cholestase, l’existence sur les differentes biopsies d’une atteinte des canaux biliaires (fibrose sur la premiere biopsie, disparition des
Cirrhose
biliaire
primitive
canaux sur la deuxieme, dissociation des canaux par un infiltrat de lymphocytes T sur la troisieme biopsie), la presence d’anticotps antimitochondries de type M2, quoique le taux de l/40 soit faible, ce d’autant que l’hypergammaglobulintmie depend des IgM mais aussi des IgG. Des manifestations extrahepatiques sont retrouvees dans plus des deux tiers des cas [ 11. La CBP peut &tre associee avec de nombreuses autres maladies autoimmunes. Les connectivites, particulierement, la polyarthrite rhumatdide, la dermatomyosite, le lupus trythemateux systemique, sont parfois observees [2]. Mais plusieurs elements vont a l’encontre de ce diagnostic : - le caractere trts bruyant des manifestations systemiques avec fibvre hectique a 40°C ; - l’importance du syndrome inflammatoire : VS a lOO.,mm/h, CRP a 414 mg/L, fibrinogene a 10 g/L et l’existence d’une hyperleucocytose a polynucleaires neutrophiles ; - les ulcerations pharyngees qui n’ont jamais CtC decrites au tours des CBP ; - l’absence de signes de maladie auto-immune associte. Une ht5patite auto-immune systkmiques
avec manifestations
En effet la patiente a presente en 1984 une cytolyse avant de developper une cholestase. Des manifestations extrahepatiques sont frequentes, observees plus d’une fois sur deux [l], notamment des arthropathies, des eruptions cutanees, voire en rapport avec d’autres maladies auto-immunes. Ce qui allait contre ce diagnostic Ctait l’absence de n&rose hepatocytaire sur les biopsies hepatiques, cette n&rose n’est retrouvee que de facon moderee sur la deuxieme biopsie hepatique. On con&t toutefois les limites de l’examen anatomopathologie sur des lesions anciennes. Par ailleurs, la cholestase a toujours domine le tableau clinique et non la cytolyse. Les anticorps anti-LKM et anti-muscles lisses sont negatifs, de m&me la serologic d’htpatite C. La biopsie de glandes salivaires accessoire est normale. Enfin, il n’y a pas de phenotype HLA predisposant. Une sarcoidose systkmique avec atteinte hbpatique prkdominante On sait en effet que la forme cholestatique de la sarco’idose peut &tre quasiment impossible a distinguer de la CBP, la presence de granulomes n’etant pas specifique. Toutefois il n’a jamais ttC retrouve de granulome a l’histologie. L’enzyme de conversion de l’angiotensine est toujours restee normal. Nous avons realise un lavage
ou maladie
de Still ?
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bronchoalveolaire qui s’est avere normal egalement. I1 n’ y avait non plus aucun argument en faveur de ce diagnostic a la scintigraphie au gallium. Cette hypothese ne semble done pas pouvoir &tre retenue. Une maladie de Behget La maladie de Behcet Ctait evoquee devant les ulcerations pharyngees, les pseudofolliculites et les signes articulaires. Cependant, les atteintes hepatiques decrites au tours de la maladie de BehGet se resument bien souvent a une atteinte des veines sus-htpatiques [3], parfois la consequence d’une thrombose cave inferieure. Les vaisseaux Ctaient, dans cette observations, libres en Cchographie. Une maladie de Still dans sa forme aiguE rkcidivante En effet, la patiente presente trois critbes majeurs selon Kahn et Delaire [4] : l’hyperthermie d’allure hectique, les arthrites inflammatoires et l’hyperleucocytose superieure a 12 000 polynucleaires neutrophiles/mm” sans signe infectieux. Par ailleurs, il existe des eruptions cutanees fugaces deja notees en 1984. Celles constatees dans notre service n’etaient pas maculopapuleuses, nous ne pouvons done pas retenir ces eruptions comme un quatrieme critere majeur. Les acces febriles depuis 1984 Ctaient frequemment precedes de douleurs pharyngees jusqu’a ce qu’apparaissent, en 1993, de vtritables ulcerations pharyngees : ces manifestations de pharyngites non exsudatives constituent un critere mineur. Enfin, l’existence d’un syndrome inflammatoire important au long tours, l’evolution par crises de quelques jours spontanement resolutives plaide en faveur de ce diagnostic. Deux elements restent troublants dans cette hypothese diagnostique : - d’une part l’existence d’une fibrose hepatique qui n’est qu’exceptionnellement rapportee dans la litterature : on sait en effet qu’il existe des signes de cytolyses hepatiques dans plus de la moitie des maladies de Still [5], mais la cholestase est beaucoup plus rare. Enfin, Tesser et al [5] ont dtcrit, chez une patiente ayant une maladie de Still et une hepatopathie chronique, des lesions d’inflammation et de fibrose periportale comme c’est le cas de notre patiente. Rau [6] rappelle que des cas de cirrhose avec hypertension portale ont Ctt dtcrits ; - d’autre part, si la pharyngite non exsudative est classique, I’existence d’uldrations pharyngees n’ont jamais &tCd&rites au tours de la maladie de Still.
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L Maulin
Au cours d’une hospitalisation ulterieure, a l’occasion d’un nouvel acces febrile, la pratique d’un myelogramme revela un syndrome hemophagocytaire. Ceci semble &tre un argument supplementaire en faveur d’une maladie de Still. Le taux de ferritine normal est cependant tout a fait inhabituel, mais peut-etre existet-i1 des pertes digestives lites a la prise prolongee de corticosterdides.
AssociationCBP et maladiede Still En effet la CBP s’associe frequemment a d’autres collag&roses [ 1,7], essentiellement la polyarthrite rhumatdide, la dermatopolymyosite, le lupus Crythemateux disstmid, le syndrome de Sharp, la sclerodermie et la maladie de Basedow. A notre connaissance, aucune association CBP/Still n’a CtC d&rite a ce jour ; ainsi seraient integrees les anomalies hepatiques et les poussees inflammatoires. 11 s’agirait de la premiere description de cette association. Plusieurs alternatives therapeutiques ont CtC discutees : - la corticotherapie, en bolus oti a forte dose per OS, semblait un traitement logique dans l’hypothese d’une maladie de Still, toutefois la patiente prbentait une osteoporose severe avec, a la densitometrie osseuse, des valeurs en dessous du seuil fracturaire, tant au niveau du rachis lombaire que du co1 femoral ; - l’abstention therapeutique ne semblait pas legitime, d’une part du fait de l’importance du syndrome inflammatoire et, d’autre part, du fait du caractere invalidant des acds febriles ; - nous avons institue a partir de janvier 1994 (aprbs discussion collegiale intemistes et gastroenterologues) un traitement par methotrexate a la dose de 73 mg par semaine associe a de la prednisone 25 mg/j. Suite a la mise en route de ce traitement, le syndrome inflammatoire s’est compli3ement amend6 en 1 mois (CRP
et al
8 mg/L, VS 50 mm a la premiere heure avec hypergammaglobulinemie like a l’hepatopathie, polynucleaires neutrophiles a 6 OOO/mm3)et la patiente n’a pas present& de nouvelles poussee avec un recul de 18 mois, les parametres hepatiques ont partiellement regresse : phosphatases alcalines entre 700 et 1 000 UI/L. Les diagnostics les plus probables paraissent done &tre : - soit de maladie de Still dans sa forme aigue recidivante Cvoluant depuis 1984 et revelee par des anomalies hepatiques ; deux manifestations y sont pour le moins inhabituelles : la fibrose hepatique est extremement rare et les ulcerations pharyngees n’ont jamais Cte d&rites ; - soit celui d’une association Still/CBP dont a notre connaissance aucun cas n’a tte d&it. Avez-vous d’autres suggestions ?
RJ~FI~RENCES Golding PL, Smith M, Williams R. Multisystem involvement in chronic liver disease. Am I Med 1973;55:772-82 Hall S, Axelsen PH, Larson DE, Bunch T.W. Systemic lupus erythematosus developing in patients with primary biliary cirrhosis. Ann Intern Med 1984;100:388-9 Benamour S, Bennis R, Akiki M. Syndrome de Budd-Chiari et maladie de Behqet. Sem Hap Paris 1989;65: 1867.. Kahn M.F, Delaire M. Maladie de Still de l’adulte. Kahn MF, Peltier AP, Meyer 0, Piette JC, Cds. In: Les maladies systekiques. Paris : Flammarion MCdecine-Science, 1991:231-8 Tesser JRP, Pisko EJ, Hartz JW et al. Chronic liver disease and Still’s disease. Arthritis Rheum 1982; 25:579-82 Rau R. Leberbefunde bei juveniler chronischer Polyarthritis. Schweiz Med Wschr 1977;107:1235-7 Sherlock S.Cirrhose biliaire primitive et autres ductop&ries. In: Behamou JP, Bircher J, MC Intyre N. Rizetto M, Rod&s J, tds. H.4pafologie clinique. Paris : Flammarion MCdecineScience, 19931743.67