Journal de Gyn´ ecologie Obst´ etrique et Biologie de la Reproduction (2014) 43, 335—341
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www.sciencedirect.com
ÉTAT DES CONNAISSANCES
Cirrhose biliaire primitive et grossesse Primary biliary cirrhosis and pregnancy G. Ducarme a,∗, J. Bernuau b, D. Luton c a
Service de gynécologie obstétrique, centre hospitalier départemental, 85000 La Roche-sur-Yon, France Fédération d’hépato-gastroentérologie, hôpital Beaujon, université Paris VII, Assistance publique—Hôpitaux de Paris (AP—HP), 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France c Service de gynécologie obstétrique, hôpital Beaujon, université Paris VII, Assistance publique—Hôpitaux de Paris (AP—HP), 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France b
Rec ¸u le 11 d´ ecembre 2012 ; avis du comité de lecture le 21 mars 2013 ; définitivement accepté le 23 mars 2013 Disponible sur Internet le 28 avril 2013
MOTS CLÉS Cirrhose biliaire primitive ; Grossesse ; Prise en charge
KEYWORDS Primary biliary cirrhosis; Pregnancy; Management ∗
Résumé La cirrhose biliaire primitive (CBP) est une maladie chronique cholestatique, longtemps asymptomatique, qui atteint les petits canaux biliaires interlobulaires et septaux. L’étiologie de la CBP est inconnue mais est probablement influencée par une association de prédispositions génétiques et de facteurs environnementaux. Une infertilité est souvent associée lorsque la CBP est au stade cirrhose, mais une grossesse est possible en l’absence de cirrhose ou en cas de cirrhose compensée. Une telle grossesse doit faire l’objet d’un suivi rapproché, avec surveillance régulière maternelle et fœtale, dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire associant l’obstétricien et l’hépatologue. Le traitement médical de la CBP repose sur l’utilisation de l’acide ursodésoxycholique (AUDC). En l’absence de cirrhose, chez une patiente traitée par l’AUDC, la grossesse se déroule habituellement de manière normale avec un accouchement possible par voie basse, sans modifier le cours de la maladie. En cas de cirrhose, le traitement par l’AUDC doit être maintenu, l’existence de varices œsogastriques doit être évaluée avant la grossesse ou à son tout début, et les grosses varices doivent être proposées à la ligature endoscopique. De plus, un traitement bêtabloquant peut aussi être envisagé. La césarienne prophylactique peut être nécessaire s’il existe des varices œsogastriques importantes, non traitées et/ou ayant déjà saigné, afin d’éviter tout effort expulsif pouvant entraîner une (nouvelle) hémorragie variqueuse. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Primary biliary cirrhosis (PBC) is a chronic cholestatic liver disease, asymptomatic during a protracted time, characterized by changes in the small-sized bile ducts near portal spaces. The etiology of PBC is undefined, but immunologic and environmental disturbances may contribute to the disease. Infertility is often associated with PBC and cirrhosis, but pregnancy may well occur in women with PBC and without cirrhosis or in some others with compensated cirrhosis. A pluridisciplinary approach including gastroenterologists and obstetricians is
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (G. Ducarme).
0368-2315/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jgyn.2013.03.016
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G. Ducarme et al. recommended. The patient must be closely monitored throughout her pregnancy with maternal and routine antenatal care. Medical treatment requires ursodeoxycholic acid (UDCA). In noncirrhotic UDCA-treated women with PBC, pregnancy often follows a normal course with vaginal delivery. In cirrhotic patients, UDCA must be continued during pregnancy, esophageal and gastric varices must be evaluated before pregnancy, and endoscopic ligature is recommended for treating large varices. Additionally, beta-blocker therapy may be associated, especially when variceal rupture occurred previously. Elective cesarean section is recommended in patients with large esophageal or gastric varices because of the potentially increased risk of variceal bleeding during maternal expulsive efforts in case of vaginal delivery. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction La cirrhose biliaire primitive (CBP) est une cholangite chronique, dysimmunitaire à médiation cellulaire T, destructrice, non suppurative et atteignant les petits canaux biliaires interlobulaires et septaux [1]. L’étiologie de la CBP est inconnue mais serait une association de prédispositions génétiques et de facteurs environnementaux [1—8]. Son évolution demeure longtemps asymptomatique bien que la vitesse de progression de la maladie varie beaucoup d’un individu à l’autre. De plus, le profil évolutif de la maladie a été considérablement amélioré par l’utilisation précoce de l’acide ursodésoxycholique (AUDC) [1]. De nombreuses mises au point récentes et guidelines existent dans la littérature anglo-saxonne [1,5—7,9—11], mais aussi franc ¸aise [12,13]. Malgré tout, il nous est apparu intéressant de réaliser une mise au point focalisée sur la CBP chez la femme enceinte car l’ensemble des mises au point récentes sus-citées le sont sur la CBP en général, avec éventuellement un paragraphe concernant la femme enceinte.
Histologie [1] À sa phase initiale, la CBP est caractérisée histologiquement par une inflammation portale avec ou sans lésions biliaires florides (stade I). La progression histologique est marquée par le développement de lésions périportales réalisant une hépatite d’interface, avec des lésions destructrices des hépatocytes ou des cellules des canaux biliaires (stade II). Ce n’est qu’à une phase avancée, puis terminale, de la maladie, que des lésions de fibrose hépatique (stade III), puis de cirrhose (stade IV), conséquence essentielle de la cholestase chronique, sont présentes. En l’absence de traitement par l’AUDC, la progression d’un stade histologique à l’autre survient environ tous les 18 mois. Ainsi, pendant une grande partie de l’évolution de la maladie, la dénomination de « cirrhose » n’a pas de réalité anatomopathologique et est excessive.
Épidémiologie La prédominance féminine est élevée avec un sex-ratio de dix femmes pour un homme [6]. L’âge médian de survenue des symptômes cliniques varie entre 30 et 65 ans [1,8]. Une patiente porteuse de CBP peut donc être amenée à être suivie dans le cadre d’une grossesse en association avec un référent en hépatologie. La prévalence de la maladie est estimée à 65/100 000 femmes et à 12/100 000 hommes, avec
une incidence annuelle de un à cinq pour 100 000 selon le sexe. Il existe des variations géographiques avec une tendance récente à l’augmentation de l’incidence du fait de la recherche plus standardisée des anticorps antimitochondries [9]. La prévalence de la maladie dans les familles de patients ayant une CBP, et particulièrement chez les parents au premier degré, filles et sœurs, est de l’ordre de 4 %, c’est-à-dire considérablement plus élevée que celle de la population générale [14]. Une étude récente incluant 222 patients porteurs d’une CBP et 509 sujets témoins a montré qu’il existait différents facteurs de risque de développer une CBP : antécédent familial de CBP, antécédent personnel d’infections urinaires à répétition, antécédent personnel de pathologies auto-immunes, et tabagisme actif ou passif. En revanche, l’utilisation de la pilule contraceptive semblait être un facteur protecteur pour le développement d’une CBP chez la femme [15].
Cirrhose biliaire primitive et fertilité Les patientes présentant une insuffisance hépatique sévère ont le plus souvent des troubles du cycle menstruel, voire une aménorrhée d’origine hypothalamique en rapport avec la malnutrition classiquement retrouvée chez ces patientes, ou liés à d’autres anomalies hormonales comme des taux élevés d’estradiol en particulier chez les patientes cirrhotiques [16]. Dans une série très ancienne de 12 patientes, 11 patientes présentaient des spanioménorrhées et sept évoluaient vers une aménorrhée secondaire [17]. Cela explique la rareté des grossesses chez les patientes atteintes de CBP d’évolution cirrhogène ou ayant déjà atteint le stade de cirrhose. Aucune conclusion concernant la contre-indication de la grossesse dans ces cas-là n’est donc envisageable au regard de la littérature. Malgré tout, elles demeurent des grossesses à très haut risque du fait des anomalies cliniques et biologiques liées à la cirrhose, et potentiellement aggravées en cas de grossesse. D’autres auteurs ont observé que les patientes atteintes de CBP étaient plus susceptibles d’avoir une hystérectomie ou un curetage hémostatique pour hyperménorrhée en les comparant à un groupe de patientes de même tranche d’âge, sans problème de santé et avec une fonction hépatique normale [18]. Enfin, le taux de fausses couches spontanées du premier trimestre est plus élevé chez les patientes atteintes de cirrhose [19]. En cas de cirrhose décompensée, la grossesse sera déconseillée. Chez les femmes atteintes de CBP connue, mais en l’absence de cirrhose, et avec préservation d’une bonne
Cirrhose biliaire primitive et grossesse fonction hépatocellulaire (taux de prothrombine et bilirubinémie normaux, ou peu altérés), la fertilité n’est pas altérée et une grossesse est donc envisageable. D’ailleurs, environ 10 % des cas de CBP chez la femme sont révélés à l’occasion d’une grossesse [9]. En cas de projet de grossesse ou au tout début de celle-ci, il est utile de réaliser une endoscopie digestive haute pour faire un bilan d’éventuelles lésions d’hypertension portale. L’existence de varices œsophagiennes (ou gastriques) volumineuses est une indication à leur éradication par ligature endoscopique (mieux que par sclérothérapie utilisant des produits potentiellement délétères au cours de la grossesse) [20—22].
Diagnostic positif de la cirrhose biliaire primitive au cours de la grossesse Chez la femme enceinte, sous l’influence des taux élevés d’estrogènes et de progestérone et indépendamment de toute pathologie hépatique préexistante, plusieurs modifications fonctionnelles hépatobiliaires apparaissent. Au troisième trimestre de la grossesse, ces modifications, associées à un certain degré d’hypertension portale, à certaines modifications du métabolisme hépatique des médicaments et à une diminution de la réponse immunitaire normale, entraînent alors un fonctionnement hépatique précholestasiant, lithogénique et prothrombotique [12]. La phase asymptomatique de la maladie dure entre cinq à dix ans et 40 et 90 % des patients sont asymptomatiques au moment du diagnostic [1]. À la phase symptomatique dont la durée est extrêmement variable et peut atteindre dix ans, le prurit constitue le maître symptôme. Il est généralement intermittent, survient surtout le soir et la nuit. Toutefois, dans une cohorte de 276 patients porteurs de CBP, Poupon et al. [23] ont retrouvé la fatigue comme symptôme le plus fréquent. Au cours de la grossesse, et quand la maladie n’a pas été préalablement reconnue, le diagnostic de CBP doit être envisagé à l’occasion d’un prurit inhabituellement précoce. Quand la CBP est déjà évoluée, l’apparition d’un ictère pendant la grossesse est possible. Les éléments de forte présomption diagnostique de CBP sont une élévation marquée de la gamma-glutamyltransférase sérique (␥GT) non expliquée par ailleurs (en particulier par une consommation d’alcool) et une élévation très marquée des phosphatases alcalines (déjà classiquement élevées en cas de grossesse évolutive), associées une augmentation modérée des transaminases à deux à trois fois la limite supérieure de la valeur normale. Ces anomalies des tests hépatiques de routine témoignent des diverses lésions inflammatoires précoces de la maladie et leur importance est en partie liée au stade histologique de la maladie. Dans 90 % des cas, il existe une hypergammaglobulinémie portant sur les IgM et, à un moindre degré, sur les IgG [24]. La bilirubine totale est normale dans 60 % des cas [19]. L’élévation de la bilirubine est présente surtout lorsqu’il existe une cirrhose. Comme lors de toute cholestase, le taux des acides biliaires du sérum est augmenté. La thrombopénie (plaquettes < 150 000/mm3 ) est, éventuellement, le témoin de l’hypertension portale. Finalement, associée à la cholestase biologique, la présence d’anticorps antimitochondries de type M2 à un titre élevé
337 (> 1/40) signe le diagnostic de CBP avec une sensibilité de près de 95 % et une spécificité proche de 100 % [1,5,6,10,25]. Des maladies auto-immunes extrahépatiques — syndrome de Gougerot-Sjögren, thyroïdite, polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Raynaud, CREST syndrome (calcinose souscutanée [C], syndrome de Raynaud [R], dysfonction de l’œsophage [E], sclérodactylie [S] et télangiectasies [T]) —peuvent être associées à la CBP et d’autres autoanticorps (anticentromères dans 10 à 15 % des cas) sont alors fréquemment détectés [13,26]. La ponction biopsie hépatique n’est pas indispensable, mais peut contribuer au diagnostic surtout en l’absence d’anticorps antimitochondries. Elle peut tout à fait être retardée dans le post-partum. L’examen histologique du foie montre des lésions caractéristiques de cholangite non suppurative affectant les canaux biliaires interlobulaires et septaux. L’infiltrat inflammatoire est composé principalement de lymphocytes, d’éosinophiles et de macrophages en contact direct avec la membrane basale des cholangiocytes en voie de nécrose. L’inflammation portale peut prendre l’aspect de granulomes épithélioïdes [13]. Les recommandations pratiques de l’American Association for Study of Liver Diseases (AASLD) de 2009 [1] confirment que le diagnostic de CBP peut être posé si deux des trois critères suivants sont présents : cholestase biologique évidente avec une augmentation importante de l’activité des phosphatases alcalines et de celle de la ␥GT (entre trois et dix fois la limite supérieure de la normale), présence d’anticorps antimitochondries de type M2 à un titre élevé (> 1/40) et lésions histologiques hépatiques de cholangite non suppurative affectant les canaux biliaires interlobulaires.
Diagnostic différentiel de la cirrhose biliaire primitive au cours de la grossesse Devant toute anomalie des tests hépatiques de routine pendant la grossesse, une cause médicamenteuse doit être méticuleusement recherchée. Après la 20e semaine d’aménorrhée, le diagnostic de prééclampsie avec HELLP syndrome, au moins débutant, doit être systématiquement envisagé et, souvent, ne sera écarté que sur les données du suivi évolutif (cardiovasculaire, urinaire et hématologique) attentif. Les sérologies des hépatites virales chroniques (hépatites B et C) seront contrôlées. La suspicion de CBP repose surtout sur la présence d’une cholestase symptomatique (prurit) inhabituellement précoce par rapport à la date habituelle de survenue du prurit de la cholestase gravidique. Une échographie hépatique permettra d’évaluer la morphologie du foie et d’éliminer certaines causes extrahépatiques de cholestase, en particulier une lithiase de la voie biliaire principale (en fait, habituellement plus douloureuse que cholestatique pendant la grossesse) [12]. En cas d’absence d’anticorps antimitochondries, d’autres causes moins fréquentes de cholestase seront éliminées : cholangite sclérosante primitive, cholestases intrahépatiques non immunitaires (sarcoïdose, hépatites médicamenteuses cholestatiques avec les phénothiazines, l’halopéridol ou l’imipramine). Une hépatite auto-immune ne se révèle que rarement par un prurit pendant la grossesse ; elle fait plutôt courir le risque d’une
338 hépatite aiguë cytolytique et ictérique (parfois avec une insuffisance hépatique aiguë sévère) dans le post-partum. Certaines études ont montré que 2 à 20 % des patients présentant une CBP étaient également atteints d’une hépatite auto-immune, l’association des deux pathologies autoimmunes réalisant un syndrome de chevauchement (overlap syndrome) [6,27—29]. Divers scores, incluant le taux de transaminases, la présence d’anticorps anti-muscles lisses et l’analyse histologique de la ponction biopsie hépatique, ont été publiés et évalués permettant ainsi de diagnostiquer un overlap syndrome [1,27]. Chez 5 à 10 % des patientes atteintes de CBP, le prurit est observé lors des trois derniers mois d’une grossesse et suggère d’abord (si la CBP n’a pas encore été diagnostiquée) l’hypothèse d’une cholestase gravidique. Le diagnostic présomptif de cholestase gravidique devra être révisé devant la persistance des anomalies biologiques (cholestase) et du prurit au-delà de trois ou quatre semaines dans le post-partum et amènera alors à rechercher des anticorps antimitochondries en faveur d’une CBP.
Cirrhose biliaire primitive connue et grossesse : évolution et prise en charge Le suivi de grossesse d’une femme atteinte de CBP doit se faire dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire entre l’obstétricien, l’hépatologue et l’anesthésiste, éventuellement au sein d’une structure comprenant un service d’hépatologie et une maternité. Il comprendra une surveillance régulière initialement mensuelle puis hebdomadaire (à partir de 27—28 semaines d’aménorrhée) maternelle et fœtale, clinique, biologique (bilirubine, transaminases, acides biliaires) et échographique (hépatique et obstétricale). Plusieurs traitements médicamenteux n’ont pas démontré leur efficacité dans le traitement de la CBP (pénicillamine, méthotrexate, colchicine, cyclosporine) [1]. La prise en charge de la CBP chez la femme enceinte repose sur l’utilisation du seul traitement médical efficace sur l’évolution de la maladie, l’AUDC à la posologie de 13 à 15 mg/kg par jour. Si le diagnostic de CBP est établi à la fin du premier trimestre de la grossesse, l’installation immédiate d’un traitement par l’AUDC est recommandée [1,10,11]. Les mécanismes d’action de l’AUDC dans la CBP ne sont pas clairement élucidés, mais l’AUDC agit par une modification du pool endogène des acides biliaires de par sa nature hydrophile et par un effet direct hépatoprotecteur sur les membranes cellulaires en régulant les signaux intracellulaires protégeant ainsi la cellule hépatique de l’apoptose [5,30]. Son efficacité, jugée sur la diminution de la cholestase et du prurit, est différée de un à deux mois, partielle et transitoire avec une reprise de la symptomatologie dès l’arrêt du traitement. De multiples études contrôlées ont montré l’effet thérapeutique très significatif de l’AUDC sur la CBP avec une amélioration clinique (prurit), biologique avec une biologie hépatique complètement normalisée ou presque dans environ 50 % des cas, fortement améliorée (phosphatases alcalines inférieures à deux fois la limite supérieure de la normale, transaminases normales ou faiblement élevées) dans 25 % des cas et peu ou pas du tout
G. Ducarme et al. améliorée dans 25 % des cas. L’AUDC a aussi démontré une amélioration histologique de la maladie [1,31]. Peu d’études ont été effectuées chez la femme enceinte porteuse d’une CBP [32—36]. Dans un essai randomisé en double insu, Rudi et al. [32] ont rapporté l’efficacité de l’AUDC avec amélioration du prurit et des fonctions hépatiques, sans effets secondaires maternels, ni d’effets tératogènes. Plus récemment, Poupon et al. [33] ont rapporté leur expérience de neuf grossesses chez six patientes non cirrhotiques porteuses d’une CBP et traitées avec succès par AUDC avant et pendant la grossesse. Les auteurs ont conclu qu’en l’absence de cirrhose chez une patiente présentant une CBP symptomatique sous AUDC, la grossesse se déroule de manière strictement normale, sans modifier le cours, asymptomatique ou déjà symptomatique de la maladie. De plus, ils constataient une amélioration des marqueurs biologiques hépatiques ainsi que des taux d’autoanticorps au cours de la grossesse. Dans 10 % des cas, la maladie et le prurit échappent au traitement médical par AUDC aux doses usuelles et s’aggravent. En cas d’efficacité insuffisante pendant la grossesse, la posologie de l’AUDC peut être augmentée jusqu’à 20, voire 25 mg/kg par jour. La cholestyramine (Questran® ) à la posologie de 4 à 12 g/j ou la rifampicine (150—300 mg, deux fois par jour) peuvent aussi être proposées car elles captent les sels biliaires et empêchent leur réabsorption [1]. Les antihistaminiques peuvent avoir une efficacité antiprurigineuse non spécifique du fait de leurs propriétés sédatives [37]. D’autres options thérapeutiques, beaucoup plus contraignantes et invasives, telle que la plasmaphérèse [38] ou la dialyse à l’albumine utilisant le système molecular adsorbent recirculating system (MARS) [39,40], ne sont pratiquement jamais envisagées au cours de la grossesse d’une femme atteinte de CBP symptomatique. Une déplétion massive du pool des acides biliaires, efficace pour contrôler un prurit rebelle à l’AUDC et aux plasmaphérèses, a été obtenue par l’utilisation du système MARS chez une femme enceinte (sixième mois de grossesse) porteuse d’une cholestase intrahépatique progressive familiale de type 3 très symptomatique [41]. En cas de CBP avec cirrhose décompensée, une grossesse est exceptionnelle. Dans ce cas, les risques maternels les plus sévères incluent le développement d’une ascite et la rupture de varices œsophagiennes. Cette dernière est plus fréquente lors du deuxième trimestre de la grossesse [22,36]. Dans une revue de la littérature de 2001, une rupture de varices œsophagiennes a été rapportée dans 20 à 45 % des grossesses chez des patientes présentant une hypertension portale avec un taux de mortalité de 18 à 50 % [36]. Une endoscopie digestive haute devra être réalisée idéalement avant la grossesse ou au deuxième trimestre pour diagnostiquer d’éventuelles varices œsophagiennes ou une gastropathie hypertensive. Quand elles sont volumineuses, les varices œsogastriques doivent être proposées à la ligature endoscopique et un traitement bêtabloquant doit être introduit afin de prévenir la rupture (ou la récidive de rupture) de ces varices au cours de la grossesse [1]. Il n’existe aucune « série » de patientes enceintes porteuses d’une CBP au stade cirrhose dans la littérature. Tout au plus, il existe au sein de petites séries de patientes enceintes avec CBP [33] une ou deux patientes enceintes au stade cirrhose. Il est donc difficile de conclure
Cirrhose biliaire primitive et grossesse quant aux risques materno-fœtaux (mortalité maternelle, hospitalisation en réanimation, transfusion, prématurité induite, hypotrophie. . .) en cas de CBP au stade cirrhose. En revanche, ils peuvent être estimés avec l’étude des séries de patientes enceintes porteuses de pathologies cholestasiantes chroniques ou de cholestase gravidique et/ou d’hypertension portale. Il est alors retrouvé un sur-risque de prématurité (habituellement sans hypotrophie fœtale) et de mort fœtale in utero [36]. Par ailleurs, au stade d’insuffisance hépatocellulaire, une supplémentation en calcium et en vitamines liposolubles (surtout vitamines D et K) est indiquée au cours de la grossesse. Dans les formes les plus évoluées de CBP (bilirubine > 100 mol/L, cirrhose décompensée, hypertension portale avec hémorragies variqueuses récidivantes, voire encéphalopathie hépatique, insuffisance hépatocellulaire avancée), la transplantation hépatique (TH) est la seule option thérapeutique [17]. Une TH pour CBP évoluée chez la femme enceinte n’a jamais été décrite. La récidive de la CBP après TH est possible et elle est peu ou pas symptomatique et sans influence sur la survie à moyen terme [42,43]. Une grossesse après TH, dont le traitement immunosuppresseur est bien équilibré, est tout à fait possible [44].
Cirrhose biliaire primitive connue et grossesse : voie d’accouchement La CBP chez la femme enceinte et les éventuelles complications associées (varices digestives, hypertension portale, voire cirrhose) doivent être prises en compte dans la décision de la voie d’accouchement. Au regard de la revue de la littérature et en l’absence de recommandations, une discussion pluridisciplinaire, incluant des obstétriciens, des anesthésistes, des hépatologues et, éventuellement des chirurgiens hépatiques, semble être la clé dans le bon choix de la voie d’accouchement. En cas de grossesse normale chez une patiente avec une CBP bien contrôlée et sans cirrhose, cas les plus fréquents, la patiente, généralement sous AUDC, est quasi asymptomatique. Une surveillance renforcée de la fin de grossesse et un accouchement par voie basse à terme peut être envisagé. Dans le cas d’une CBP sans cirrhose mais mal contrôlée sous AUDC (soit prurit, soit acides biliaires encore élevés sans prurit), une discussion concernant un déclenchement avant terme doit avoir lieu entre les différents intervenants et la patiente. Là encore, il n’existe dans la littérature aucune recommandation concernant la CBP et la terminaison de la grossesse. En revanche, sur la base d’une revue récente de la littérature, le déclenchement artificiel du travail avant terme (entre 37 et 38 SA) a été encouragé chez les femmes atteintes de cholestase gravidique afin de réduire le risque de mort fœtale in utero (MFIU) en fin de grossesse [45]. Par analogie, la même attitude pourrait être envisagée chez une femme enceinte atteinte de CBP symptomatique afin de réduire ce risque de MFIU avec la mise en balance des complications possibles de la prématurité induite. Mais, il faut noter que cette attitude interventionniste de déclenchement vers 37 à 38 SA en cas de cholestase gravidique afin de réduire le risque de MFIU n’est pas consensuelle. Elle est
339 à mettre en balance avec un risque majoré de morbidité maternelle induite, y compris d’hémorragie du post-partum chez des patientes ayant souvent à ce terme un col défavorable [46]. Dans les rares cas de grossesse où la CBP est compliquée de cirrhose et que des complications de celle-ci, en particulier ictère et ascite, surviennent en fin de grossesse malgré le traitement par l’AUDC, l’interruption prématurée de la grossesse devient quasi inéluctable. Une césarienne peut être indiquée en ayant évalué le risque hémorragique en fonction du dosage des facteurs de la coagulation et des plaquettes.
Cirrhose biliaire primitive et post-partum Dans le post-partum, le prurit ou l’ictère peut persister sur plusieurs semaines. Il existe parfois un rebond transitoire de la maladie avec une augmentation des taux d’acides biliaires et des marqueurs d’auto-immunité dans les trois mois qui suivent l’accouchement [33]. En cas de traitement par AUDC, l’allaitement maternel peut être autorisé [47,48]. En post-partum, une contraception non estrogénique (pilule progestative, implant, dispositif intra-utérin) sera préférée chez les patientes porteuses d’une CBP [1]. Quand le diagnostic de CBP n’était pas connu lors de la grossesse, ou que la patiente avait été étiquetée cholestase gravidique, la persistance anormalement prolongée d’une cholestase symptomatique dans le post-partum doit conduire à réviser le diagnostic initial de cholestase gravidique [12].
Conclusion Chez les femmes atteintes de CBP diagnostiquée, une grossesse normale est possible en l’absence de cirrhose ou si celle-ci ne s’accompagne pas d’insuffisance hépatocellulaire ni de complications (cirrhose compensée). Le suivi d’une telle grossesse requiert une étroite collaboration entre l’obstétricien et l’hépatologue. Les risques de prurit, de décompensation hépatique, de césarienne et de prématurité (habituellement sans hypotrophie fœtale) sont globalement élevés, mais non corrélés à la sévérité histologique prégravidique de la CBP. En cas de cirrhose, il est nécessaire de réaliser une endoscopie digestive à la recherche de varices œsophagiennes, l’un des facteurs de décision du mode d’accouchement (voie basse spontanée ou à l’aide d’une extraction instrumentale, césarienne programmée). Leur présence non traitée contre-indiquerait les efforts expulsifs, mais non la voie basse. Enfin, après un diagnostic présomptif de cholestase gravidique, la persistance d’une cholestase biologique, éventuellement associée à un prurit, au-delà de trois ou quatre semaines dans le post-partum doit faire envisager le diagnostic de cholestase chronique prégravidique, et en particulier celui de CBP, révélé par la grossesse.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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